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Date : 20061003

Dossier : IMM-1688-06

Référence : 2006 CF 1173

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

MAHNAZ ALLAFZADEH,

MOHAMMED REZA GHOLIZADEH AGHDAM,

BINESH GHOLIZADEH AGHDAM,

BAHAREH GHOLIZADEH AGHDAM

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               L'immigration d'une société à prédominance masculine où il existe une religion d'État vers un pays occidental est susceptible de donner lieu à des confrontations personnelles brutales.

 

[2]               Mme Allafzadeh, son mari et leurs enfants ont émigré de l'Iran aux Pays-Bas, où elle et les enfants se sont convertis de l'islam au christianisme. Le mari de Mme Allafzadeh a réagi violemment : il l'a dénoncée au sein de l'importante communauté musulmane qui existe là-bas. Sur l'avis d'une travailleuse sociale, Mme Allafzadeh et les enfants se sont enfuis pour le Canada, où ils ont demandé l'asile.

 

[3]               Dans une décision très brève d'à peine une page et demi, une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que Mme Allafzadeh et ses enfants avaient la double citoyenneté − iranienne et hollandaise. La commissaire a estimé qu'ils n'avaient pas besoin de protection internationale car, suivant la preuve documentaire, les Pays-Bas sont une démocratie au sein de laquelle la police et le système judiciaire sont en mesure de protéger les citoyens sur tout le territoire du pays. Comme elle n'avait pas porté plainte contre son mari auprès de la police, Mme Allafzadeh n'avait pas réfuté la présomption que l'État était capable de la protéger.

 

[4]               La Cour statue sur la demande de contrôle judiciaire de cette décision. Lors des débats, deux principaux points ont été soulevés. Le premier concerne le fait que la décision ne renferme pas d'analyse qui aurait permis aux demandeurs déboutés de comprendre avec précision pourquoi leur demande était rejetée. L'autre porte sur le fait que la décision ne tient pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe données par le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, lesquelles directives étaient d'autant plus pertinentes en l'espèce que Mme Allafzadeh est originaire d'une culture et d'une religion où le mari est censé régner en maître absolu.

 

[5]               L'argument suivant lequel la décision est insuffisamment motivée est à mon avis mal fondé. La commissaire y cite nommément quatre rapports sur les Pays-Bas. On ne saurait donc lui reprocher de n'avoir retenu que certains des éléments qui avaient été portés à sa connaissance. Or, tous les rapports appuient fermement la proposition que les Pays-Bas sont une démocratie active dotée d'une force publique et d'un appareil judiciaire complets. Il semble malheureusement qu'il existe partout dans le monde, en raison de la fragilité de la condition humaine, de la violence conjugale et de la discrimination contre les minorités. Suivant la documentation produite, les Pays‑Bas ne sont pas à l'abri de ce phénomène. Des mesures vigoureuses ont toutefois été prises pour lutter contre ce problème.

 

[6]               Même si elle ne les mentionne pas explicitement, il y a lieu de présumer que la commissaire a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 574, [2006] A.C.F. no 717 (QL)). Il y a également lieu de se rappeler que, dans une large mesure, elles portent sur les traumatismes et les autres obstacles qui sont susceptibles d'empêcher une femme de clairement exposer sa cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, d'autant plus que la commissaire a cru la demanderesse. Il ne fait aucun doute que la demanderesse est exposée au risque de subir de la violence conjugale de la part de son mari en raison de sa conversion religieuse.

 

[7]               À tort ou à raison, on ne peut diminuer ses risques d'être victime de violence conjugale en fuyant simplement vers un autre pays. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a signalé que le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu'un État doit fournir à ses ressortissants. Il ne suffit pas que Mme Allafzadeh ait une crainte subjective; cette crainte doit comporter aussi un fondement objectif. Ainsi que le juge La Forest le déclare, au paragraphe 50 :

[…] il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection […] En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. 

 

 

[8]               Les seuls éléments de preuve qui ont été présentés dans la présente affaire, qui a un caractère général, est que, comme tout autre pays, il existe aux Pays-Bas des problèmes de violence conjugale et de discrimination envers les minorités, mais que ce pays prend des mesures pour régler ces problèmes. Les seuls éléments de preuve qui concernent personnellement Mme Allafzadeh et qui ont été acceptés portent sur le fait qu'une travailleuse sociale lui a dit qu'il était inutile d'aller voir la police et qu'elle devrait s'enfuir. Malheureusement, c'était un conseil mal avisé et qui ne constitue pas une preuve d'un « effondrement complet de l'appareil étatique » au sens de l'arrêt Ward, précité, au paragraphe 50.

 

[9]               Ayant conclu que les demandeurs avaient droit à la protection des Pays-Bas, il n'était pas nécessaire que la commissaire tienne compte de leur situation s'ils devaient retourner en Iran.

 

[10]           Bien que l'avocat des demandeurs ait proposé la certification d'une question de portée générale sur les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, les faits de la présente affaire ne soulèvent pas de question donnant matière à un appel devant la Cour d'appel fédérale.

 

[11]           Bien que les actes de procédure et les plaidoiries aient eu lieu en français, les présents motifs ont, à la demande des avocats, d'abord été prononcés en anglais parce que Mme Allafzadeh et ses enfants connaissent cette langue.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 2 mars 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans les dossiers MA5-05594, MA5-05595, MA5-05596 et MA5‑05597 est rejetée;

2.                  Il n'y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1688-06

 

INTITULÉ :                                       MAHNAZ ALLAFZADEH, MOHAMMED REZA GHOLIZADEH AGHDAM, BINESH GHOLIZADEH AGHDAM, BAHAREH GHOLIZADEH AGHDAM C. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Louis Nadeau

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Suzon Létourneau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Louis Nadeau

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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