Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20061005

Dossier : IMM-4218-05

Référence : 2006 CF 1183

ENTRE :

KHAN TASLIMA HASSAN

KHAN FARHEEN

HABIBUR RAHMAN, MOHD

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

 

[1]               Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié par laquelle elle a statué que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes devant bénéficier d’une protection analogue à celle dont bénéficient les réfugiés au sens de la Convention au Canada. La décision de la SPR a été rendue le 23 juin 2005.

 

 

 

CONTEXTE ET CONCLUSIONS DE FAIT DE LA SPR

[2]               La SPR a résumé le contexte de l’affaire de la façon suivante :

Mohd. Habibur Rahman, le demandeur d’asile, Taslima Hassan Khan, la demandeure d’asile, et leur fille Farheen Khan, la demandeure d’asile mineure, sont des citoyens du Bangladesh. Le demandeur d’asile possédait une entreprise prospère d’expédition et de dédouanement de marchandises, Cosmic Cargo Service, et était un membre actif du Parti national du Bangladesh (BNP). Après l’élection du gouvernement de la Ligue Awami (AL) en 1996, l’AL a commencé à harceler et à extorquer le demandeur d’asile. Son entreprise a connu des difficultés. Homebound Packers and Shippers, un concurrent soupçonné de collusion avec l’AL, a déposé des poursuites au criminel en alléguant que le demandeur d’asile avait fait des chèques sans provision pour rembourser des dettes d’affaires impayées. Le demandeur d’asile a vainement essayé à plusieurs reprises de régler ces dettes. Après que le demandeur d’asile a refusé de vendre son entreprise à ses concurrents associés à l’AL, la demandeure et la demandeure mineure ont été menacées.

 

La situation s’est envenimée lorsque le demandeur d’asile a refusé de fermer son entreprise pendant une grève organisée par l’AL. Ses bureaux ont été saccagés et incendiés. Le demandeur d’asile a été menacé. Les hommes de main de l’AL ont pourchassé le demandeur d’asile en mai 2000 et, peu après, la demandeure a été victime d’une tentative d’enlèvement. Près d’une semaine plus tard, les demandeurs d’asile ont obtenu des visas canadiens de visiteur et ils sont arrivés au pays en juillet 2000. Les demandeurs ont demandé l’asile le 2 août 2000.

 

Dans ces motifs, je vais employer les termes descriptifs et les abréviations utilisés par la SPR.

 

[3]               Après avoir exprimé ses préoccupations concernant la preuve présentée par le demandeur d’asile, la SPR a conclu que « […] les difficultés éprouvées par le demandeur d’asile à témoigner sont d’ordre psychologique et non causées par un désir d’induire en erreur ou de tromper ». La SPR a conclu que la preuve de la demandeure d’asile était entièrement digne de foi et crédible. En raison de ces conclusions et de la preuve documentaire mise à sa disposition, la SPR a tenu les allégations suivantes pour véridiques :

·         le demandeur d’asile était un membre du BNP et un homme d’affaires sans problèmes;

·         la prospérité de l’entreprise du demandeur d’asile a fait en sorte qu’il devienne la cible du parti politique rival, l’AL;

·         après l’élection de l’AL, l’entreprise du demandeur d’asile a connu des problèmes;

·         Home Bound Packers, un des créanciers du demandeur d’asile, est associé à l’AL;

·         le demandeur d’asile a émis quatre chèques à Homebound Packers qui n’ont pas été encaissés. Ces chèques ont fait l’objet de poursuites au criminel. Le demandeur d’asile a été acquitté d’une accusation en avril 2000. Il a été reconnu coupable d’une autre accusation en août 2000. Les décisions à l’égard des accusations liées aux deux autres chèques ne sont pas connues;

·         les demandeurs d’asile ont été physiquement menacés par les partisans de l’AL. La demandeure d’asile a fait l’objet d’une tentative d’enlèvement. Les demandeurs d’asile ont décidé de quitter le Bangladesh à la suite de ces menaces et non pour tenter de se soustraite aux poursuites au criminel.

 

 

[Références figurant dans les notes de bas de page omises.]

 

CONSTATS DÉTERMINANTS ET CONCLUSIONS DE LA SPR

[4]               La SPR a conclu que le climat politique dans lequel les demandeurs ont connu des problèmes avait beaucoup changé depuis l’élection du BNP en octobre 2001. Elle a reconnu que le demandeur d’asile avait eu de profonds désaccords avec la faction du BNP qui, en raison d’une alliance avec le parti fondamentaliste Jamaat-Islamia, avait permis au BNP d’accéder au pouvoir. La SPR a néanmoins conclu que le demandeur d’asile est « […] un membre de longue date et loyal et [qu’il a] encore l’appui des membres de la direction du BNP ». Pour arriver à cette avant‑dernière conclusion, la SPR s’est appuyée sur la preuve documentaire soumise à son attention et, ayant constaté que les « alliés politiques » du demandeur d’asile avaient pris le pouvoir, elle a conclu qu’il n’aurait plus d’ennuis avec la police. En fait, la SPR a conclu qu’étant donné que le contexte avait changé au Bangladesh « l’État pourrait assurer la protection des demandeurs d’asile ».

 

[5]               La SPR est donc arrivée à la conclusion que les demandeurs d’asile n’avaient pas démontré avoir raison de craindre d’être persécutés au Bangladesh compte tenu de la situation qui y régnait à l’époque de la décision et qu’ils n’étaient pas des personnes à protéger. Compte tenu de cette conclusion, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si le demandeur d’asile était susceptible d’être exclu du régime de la protection des réfugiés et qu’aucun motif impérieux ne justifiait une décision favorable, tout particulièrement en raison du fait que la situation avait changé au Bangladesh.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]               Le conseil des demandeurs d’asile a fait valoir dans son mémoire des faits et du droit que la seule question à trancher dans le cadre du contrôle judiciaire était celle de savoir si la SPR a commis une erreur de droit [traduction] « […] en ne concluant pas que les allégations de persécution des demandeurs étaient en partie liées à la violence intestine qui sévissait au sein du Parti national du Bangladesh […] ». Devant la Cour, le conseil des demandeurs a résumé la question en termes plus généraux en disant qu’il s’agissait de savoir si la SPR avait commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d’examiner toutes les questions pertinentes découlant des demandes d’asile.

 

[7]               Pour étayer les allégations des demandeurs, le demandeur d’asile a déposé le 6 février 2006 un affidavit supplémentaire auquel sont joints quantité de documents. Certains de ces documents sont antérieurs et d’autres postérieurs à l’audience tenue devant la SPR, mais aucun n’a été soumis à l’attention de cette dernière. Le conseil du défendeur s’est opposé à ce que la Cour tienne compte des documents n’ayant pas été produits devant la SPR ainsi que des arguments en découlant.

 

[8]               Dans Lumbega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[1], ma collègue la juge Layden‑Stevenson a écrit ce qui suit au paragraphe 4 des motifs :

Le document contenu à la page 37 du dossier de la demanderesse [...] n’avait pas été soumis à la SPR; il n’est donc pas opportun de l’inclure dans le dossier de la demande. Le contrôle judiciaire consiste à réviser une décision afin d’en évaluer la légalité. La Cour appelée à exercer ce contrôle doit se fonder sur le dossier tel qu’il a été présenté et se limiter aux critères applicables au contrôle judiciaire [...]

 

[9]               La Cour a informé le conseil du demandeur d’asile qu’elle ne tiendrait pas compte de l’affidavit supplémentaire ni des soumissions fondées sur celui‑ci.

 

 

ANALYSE

[10]           Avec égards pour les demandeurs d’asile et leur conseil, on ne saurait conclure que la SPR a omis d’examiner la question de savoir si les demandeurs d’asile seraient persécutés en raison de la violence intestine qui sévissait au sein du BNP. Le conseil des demandeurs a soutenu que les demandeurs d’asile ne pouvaient compter sur l’appui du BNP s’ils retournaient au Bangladesh parce que le demandeur d’asile appuyait la faction du BNP en disgrâce au sein du parti à l’époque où s’est tenue l’audience devant la SPR. Essentiellement, le conseil des demandeurs d’asile a fait valoir que la situation politique au Bangladesh avait certes changé depuis l’époque où les demandeurs d’asile avaient quitté le pays, mais pas suffisamment pour que les circonstances ayant amené les demandeurs à prendre cette décision n’aient plus cours.

 

[11]           Bien que le demandeur d’asile ait modifié son Formulaire de renseignements personnels pour étayer la thèse susmentionnée, le témoignage qu’il a fourni à cet égard devant la SPR n’est pas convaincant. De plus, les demandeurs d’asile ont déposé devant la SPR un certificat daté du 3 juin 2006, auquel il a déjà été fait référence et qui mentionne que le demandeur d’asile était toujours membre du BNP. Le certificat porte la signature du responsable du Parti national du Bangladesh pour l’agglomération de Narayanganj, Membre – Comité exécutif, et il mentionne notamment que [traduction] « […] Md.Md.Habibur Rahman Khan est un homme d’excellente réputation, de conversation agréable, un travailleur social et un leader humanitaire. Il est un membre et un militant exemplaire du Parti national du Bangladesh. Personnellement, je lui souhaite ainsi qu’à sa famille bonheur et longue vie. »[2]. La SPR se réfère à ce document dans ses motifs.

 

[12]           Je suis d’avis, compte tenu de l’ensemble de la preuve lui ayant été dûment soumise, que la SPR pouvait conclure, comme elle l’a fait, que par suite de l’élection — qui s’est déroulée au Bangaldesh après le départ des demandeurs d’asile — d’un gouvernement au sein duquel le BNP était représenté la situation avait changé et le risque que les demandeurs d’asile soient persécutés ou qu’ils subissent de mauvais traitements avait diminué, de sorte que les demandeurs n’étaient pas des personnes que le Canada devait protéger, et ce, qu’on applique la norme de la décision raisonnable simpliciter ou la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il était donc loisible à la SPR de conclure que les demandeurs d’asile n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes devant bénéficier de la protection du Canada. Autrement dit, compte tenu de l’ensemble de la preuve soumise à la SPR, les demandeurs d’asile ne se sont tout simplement pas acquittés du fardeau qui leur incombait, à savoir convaincre la SPR qu’ils avaient le droit d’obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention ou qu’elle devait reconnaître qu’il s’agit de personnes devant bénéficier de la protection du Canada.

 

[13]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[14]           À la fin de l’audience relative au contrôle judiciaire, les conseils ont été informés que la demande serait rejetée et de brefs motifs ont été fournis. Le conseil des demandeurs a verbalement proposé la certification d’une question et il a succinctement fait valoir qu’il s’agit d’une question grave de portée générale. Je lui ai suggéré de la formuler par écrit et de la présenter à la Cour et au conseil du défendeur, de façon à ce que ce dernier ait une occasion raisonnable de répondre.

 

[15]           Voici le libellé de la question soumise par écrit :

[traduction] Compte tenu du fait que le bureau de Toronto de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada a pour pratique, au début de chaque audience, de prendre connaissance des renseignements fournis par le demandeur dans son Formulaire de renseignements personnels et de délimiter les questions devant faire l’objet d’un témoignage oral, le demandeur a‑t‑il néanmoins, au stade de l’audience, l’obligation juridique ou le fardeau de formellement confirmer qu’aucun des motifs sur lesquels se fonde sa demande d’asile n’a été retiré?

 

Aucune observation écrite n’a été soumise à l’appui de la question proposée.

 

[16]           Le conseil de défendeur s’est opposé par écrit à la certification de la question susmentionnée : premièrement, parce qu’elle ne satisfait pas au critère applicable en matière de certification en ce qu’elle ne transcende pas les intérêts des parties au litige et qu’elle ne vise pas des questions ayant des conséquences importantes ou de portée générale dont l’issue serait déterminante dans le cadre d’un éventuel appel[3]; et deuxièmement, parce qu’elle n’est pas justifiée par les faits de l’espèce.

 

[17]           Dans sa réponse écrite, le conseil du demandeur a soutenu que la question proposée satisfait au critère applicable en matière de certification et qu’elle est justifiée par les faits de l’espèce. À l’appui de ses arguments, il se réfère à la décision Guinez c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[4].

 

[18]           Avec égards pour le demandeur, il ne fait selon moi aucun doute qu’en dépit de ce qui peut se passer au début d’une audience lorsque les questions dont est saisi la SPR sont examinées, le demandeur conserve l’obligation juridique ou le fardeau d’établir le bien‑fondé de ses allégations de façon claire et non équivoque[5]. La transcription de l’audience démontre clairement que la question de savoir qui sont à l’heure actuelle les agents de persécution a été soulevée devant la SPR au regard du volet objectif des demandes d’asile. Les questions dont était saisie la SPR n’ont pas été circonscrites. Plus particulièrement, la question de savoir qui sont à l’heure actuelle les agents de persécution n’a pas été retirée[6]. Comme il est énoncé au paragraphe 11 des motifs de l’arrêt Ranganathan :

[…] Le défaut d’un revendicateur de satisfaire à ses obligations quant au fardeau de la preuve ne peut être imputé à la Commission et se transformer en faute de la Commission.

[19]           Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que la demande ne soulève aucune question de portée générale dont l’issue serait déterminante dans le cadre d’un éventuel appel. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

« Frederick E. Gibson »

 

JUGE

 

Ottawa (Ontario)

5 octobre 2006

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4218-05

 

INTITULÉ :                                       KHAN TASLIMA HASSAN et al.

demandeurs

                                                            et

                                                           

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 5 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter G. Martin

Toronto

 

POUR LES DEMANDEURS

Amy Lambiris

Toronto

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter G. Martin

Toronto

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims Q.C.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] 2006 C.F. 303, [2006] A.C.F. no 412, 9 mars 2006.

[2] Dossier de la Cour, volume 2, page 320.

[3] Voir: Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.F.), 1er novembre 1994.

[4] 2006 C.F. 211, 16 février 2006.

[5] Voir : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164, C.A.F., aux paragraphes 10 et 11.

[6] Dossier de la Cour, volume 3, pages 434 et 435.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.