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Date : 20061005

Dossier : T-2303-05

Référence : 2006 CF 1188

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

JEAN RICHER

demandeur

et

 

MARIA LYNN FREELAND, PRÉSIDENTE INDÉPENDANTE,

LE PÉNITENCIER DE LA SASKATCHEWAN et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur prie la Cour d’annuler une condamnation prononcée à son endroit par une présidente indépendante du pénitencier de Prince Albert le 7 décembre 2005. Il a été déclaré coupable d’avoir refusé de fournir un échantillon d’urine lorsque la demande lui a été faite en vertu de l’alinéa 54b) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et une amende de cinquante dollars lui a été imposée. La disposition prévoit ce qui suit :

54. L’agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

 

b) il le fait dans le cadre d’un programme réglementaire de contrôle au hasard, effectué sans soupçon précis, périodiquement et, selon le cas, conformément aux directives réglementaires du commissaire;

54. Subject to section 56 and subsection 57(1), a staff member may demand that an inmate submit to urinalysis

 

 

(b) as part of a prescribed random selection urinalysis program, conducted without individualized grounds on a periodic basis and in accordance with any Commissioner’s Directives that the regulations may provide for;

 

 

[2]               Les faits ne sont pas contestés. Le 20 juillet 2005, le demandeur a été sommé de fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse dans le cadre du programme de contrôle au hasard. Il a refusé de fournir l’échantillon demandé parce que le processus n’était pas conforme au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (RSCMLC), ni à la directive du commissaire DC 566-10 établie en vertu de ce règlement. Un avis écrit de prise d’échantillon d’urine a été remis au demandeur au moment de la demande. Il a alors signé le formulaire en déclarant qu’il avait été informé des raisons pour lesquelles l’échantillon était exigé et qu’il comprenait les conséquences d’un refus de se conformer. Il a par la suite été accusé de l’infraction de refuser de fournir un échantillon. L’audition par la présidente indépendante a été reportée plusieurs fois avant de se terminer le 7 décembre 2005 avec une déclaration de culpabilité et une amende.

 

[3]               Le demandeur soulève plusieurs objections quant à la validité du programme et ces objections seront décrites dans l’analyse qui suit.

 

Analyse

[4]               Premièrement, il dit que, en vertu de l’article 60 du Règlement, le laboratoire qui réalise l’analyse des échantillons d’urine est défini comme un « [l]aboratoire autorisé dans les Directives du commissaire à faire l’analyse des échantillons d’urine ». Il se plaint que, dans la directive du commissaire DC 566-10, la seule définition du terme « laboratoire » prévoit qu’« un laboratoire dont le SCC a retenu les services par contrat pour faire l’analyse d’échantillons est un laboratoire autorisé aux fins de l’article 60 du RSCMLC ». Il n’est pas contesté que le Service correctionnel du Canada (SCC) a fait appel à un laboratoire situé à Mississauga qui lui est lié par contrat pour analyser les échantillons provenant de partout au pays. À sa demande, le SCC a communiqué au demandeur le nom de ce laboratoire. Je suis d’avis que cela est tout à fait conforme aux exigences du RSCMLC et de la directive du commissaire en ce qui a trait à la désignation d’un laboratoire.

 

[5]               Le demandeur oppose que, même si l’article 60 du RSCMLC parle d’une « analyse en laboratoire selon une méthode approuvée », on ne trouvait nulle part de définition des termes « méthode approuvée » dans le RSCMLC ou la directive du commissaire. Toutefois, les paragraphes 5, 7, 8, 9 et 10 de la directive du commissaire définissent ce qui constitue des résultats positifs et des résultats négatifs, la quantité d’urine requise pour l’échantillon et ce qui pourrait être considéré comme un échantillon dilué. Ces paragraphes font référence à l’annexe A de la directive qui précise les diverses catégories de substances intoxicantes et les seuils de concentration qui équivalent à un résultat positif ou négatif. Encore une fois, je suis d’avis que la directive prévoit de façon adéquate les critères d’analyse et je ne souscris pas à l’argument suivant lequel la directive doit énoncer la méthode employée pour l’analyse.

 

[6]               Le demandeur allègue qu’il n’y a pas eu de contrôle au hasard convenable dans la population carcérale du pénitencier de Prince Albert. Il s’appuie sur le libellé du paragraphe 63(2) du RSCMLC qui prévoit que les détenus sont choisis « au hasard parmi les noms de tous les détenus du pénitencier ». Il appert que, en l’espèce, deux listes de détenus ont été établies, l’une pour les détenus de sécurité maximale et l’autre pour les détenus de sécurité moyenne. Un contrôle au hasard a été effectué dans chacun de ces groupes. Je ne réussis pas à comprendre en quoi ce procédé ne constitue pas un contrôle « au hasard parmi […] tous les détenus ».

 

[7]               Le demandeur se réfère à la définition d’« échantillon d’urine » à l’article 60 du RSCMLC qui signifie « échantillon d’urine à l’état pur en quantité suffisante pour en permettre l’analyse ». S’appuyant sur cette définition, il s’oppose aux dispositions contenues à l’annexe B de la directive du commissaire DC 566‑10 qui s’intitule « Analyse d’échantillons dilués ou altérés ». Il est difficile de comprendre en quoi tout cela a une incidence sur la question de savoir si le demandeur devait fournir un échantillon, mais j’accepte l’argument de l’avocate du défendeur suivant lequel il est toujours possible que des échantillons fournis par les détenus soient dilués (par la consommation avant la prise de l’échantillon) ou altérés (par l’addition par le détenu d’une substance à l’échantillon obtenu). L’annexe B prévoit donc des critères pour l’identification de ces échantillons trompeurs dans le cadre du processus d’analyse des échantillons fournis par les détenus. Je n’y vois rien d’incompatible avec les exigences de la directive.

 

[8]               Le demandeur prétend ne pas avoir été avisé convenablement de l’infraction disciplinaire, comme l’exige l’article 25 du RSCMLC. Cette disposition est rédigée comme suit :

25. (1) L'avis d'accusation d'infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

 

a) un énoncé de la conduite qui fait l'objet de l'accusation, y compris la date, l'heure et le lieu de l'infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l'appui de l'accusation qui seront présentés à l'audition;

 

b) les date, heure et lieu de l'audition.

 

(2) L'agent doit établir l'avis d'accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

 

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

 

(b) state the time, date and place of the hearing.

 

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be issued and delivered to the inmate who is the subject of the charge, by a staff member as soon as practicable.

 

 

[9]               La plainte du demandeur semble être liée à deux documents : un « Avis de fournir un échantillon d’urine » qui lui a été remis le 20 juillet 2005 et un « Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation » qui l’avisait de l’accusation portée et de la date d’audition (27 juillet 2005). Ses plaintes semblent en partie être liées au fait que ces documents faisaient plus ou moins bien référence à la directive du commissaire DC 566-10 et qu’il aurait dû être avisé convenablement du numéro de la directive ou recevoir la directive exacte avec l’avis. Dans le meilleur des cas, il a été fait référence à la directive du Commissaire seulement pour indiquer la source de l’avis. Il n’était certainement pas nécessaire que l’agent qui a remis l’avis fournisse les sources juridiques afférentes. Si le demandeur voulait contester ces sources, il pouvait le faire et il l’a fait à l’audience. Il n’affirme pas qu’on lui a refusé l’accès à ces sources avant l’audience. En outre, l’article 25 du RSCMLC fait seulement état de l’avis d’accusation qui, comme il le prévoit, doit contenir « un énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation, […] et un résumé des éléments de preuve […] qui seront présentés à l’audition ». L’avis d’accusation, qui a été remis au demandeur, apparemment le 21 juillet 2005 (une date qu’il a lui‑même inscrite), et qui porte sa signature attestant qu’il savait qu’il avait droit de mandater un avocat, décrivait l’incident comme suit :

 

[traduction]

Le 20 juillet 2005, vers 13 h 08, le détenu Richer, FPS 9278328, a refusé de fournir un échantillon d’urine lorsque la demande lui en a été faite en vertu de l’alinéa 54b) de Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de la directive du commissaire 566-10.

 

 

[10]           Il est difficile de comprendre quels sont les autres renseignements dont le demandeur pouvait avoir besoin pour l’aider à se préparer pour l’audition ou en quoi les renseignements fournis n’étaient pas conformes à l’article 25 du RSCMLC.

 

[11]           Je pense que le demandeur s’est à bon droit plaint de deux irrégularités dans la conduite de l’audience, bien que, à mon avis, ni l’une ni l’autre ne soit fatale à la validité de la décision. Premièrement, à l’audition de l’affaire par la présidente indépendante, un certain M. Terry Fleury du Service correctionnel du Canada était présent. Il est manifeste que la procédure était assez informelle avec M. Fleury, coordonnateur du programme de prise d’échantillons d’urine, qui fournissait les renseignements et exposait les perspectives du SCC. Le demandeur considère que M. Fleury exerçait les pouvoirs d’un membre du tribunal. Je suis persuadé que ce n’était pas le cas en réalité et que la procédure s’est déroulée dans les limites décrites par le juge Deneault dans l’arrêt Hendrickson c. Kent Institution (1990), 32 F.R. 296, où il a été jugé que ces procédures sont administratives de par leur nature, inquisitoires et non contradictoires. Il est toutefois malheureux que M. Fleury ait cosigné le dossier de la condamnation avec la présidente indépendante, sur la ligne réservée à la signature de la présidence. Le demandeur a dit que, d’après son expérience, il s’agissait d’une pratique courante. Je crois que cette pratique est inappropriée parce qu’elle donne l’impression que l’agent du SCC prend part à la décision qui est censée être celle du président indépendant et, même si rien ne prouve que tel était le cas en l’espèce, la pratique de la cosignature devrait être abandonnée. Deuxièmement, l’audition disciplinaire a été enregistrée, comme l’exige l’article 33 du RSCMLC, mais on me dit que les enregistrements sont presque inaudibles. Le demandeur s’en est d’ailleurs plaint et, dans ses observations écrites, il a demandé à la Cour d’écouter les enregistrements. À l’audition, il a convenu avec moi qu’il n’était pas nécessaire de les écouter puisque les deux parties s’entendaient pour dire qu’ils étaient inaudibles et qu’ils n’étaient pas réellement nécessaires pour trancher les questions en litige soulevées par le demandeur, lesquelles tenaient essentiellement de l’interprétation législative. Il n’a pas été allégué devant la Cour que, en règle générale, le défaut de fournir un enregistrement convenable de l’audition annule automatiquement l’audition. Il se peut très bien qu’il y ait des cas où la mauvaise qualité de l’enregistrement rend impossible le contrôle judiciaire et, en pareils cas, la décision du président indépendant pourrait être annulée pour ce motif. Toutefois, dans l’intérêt et l’apparence de l’équité, il importe de prendre soin de faire des enregistrements convenables de ces auditions.

 

[12]           Je ne suis donc pas convaincu que la demande de prise d’échantillon faite au demandeur comportait des irrégularités ni que l’audition par la présidente indépendante était d’une quelconque façon invalide.

 

 

Dispositif

[13]           La demande présentée en vue de faire annuler la décision de la présidente indépendante sera par conséquent rejetée avec dépens.

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE que la demande d’annulation de la décision rendue par la présidente indépendante le 7 décembre 2005 est rejetée avec dépens.

 

 

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2303-05

 

INTITULÉ :                                                   JEAN RICHER

                                                                        c.

                                                                        MARIA LYNN FREELAND, PRÉSIDENTE

                                                                        INDÉPENDANTE, LE PÉNITENCIER DE

                                                                        LA SASKATCHEWAN ET LE

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             SASKATOON (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Richer                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Crooks                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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