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Date : 20061005

Dossier : IMM-1770-06

Référence :  2006 CF 1189

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

 

ENTRE :

SOLOMON OREMADE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance en date du 9 mars 2006 par laquelle la Section d'appel de l'immigration (la SAI) s'est dite d'avis que le demandeur était interdit de territoire au Canada au sens de l'alinéa 34(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui dispose :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;…

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;…

 

 

Les faits

[2]               Suivant la SAI, les parties se sont entendues sur les faits suivants, extraits d'un jugement rendu par le juge Michael Phelan dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision antérieure de la SAI dans la même affaire :

[4] En 1994, des personnes qui préparaient le renversement du gouvernement nigérian d'alors ont approché M. Oremade lors d'une réception de Noël. M. Oremade a convenu de prendre part au coup d'État envisagé et la planification pour organiser le coup d'État s'est déroulée entre décembre 1994 et février 1995. Au cours des mois de janvier et de février, les conspirateurs se sont rencontrés chez M. Oremade à plusieurs occasions. On a finalement décidé que le coup d'État devait avoir lieu le 11 mars 1995.

[5]  En tant qu'ex-officier militaire, le rôle que devait jouer M. Oremade dans le coup d'État était d'endosser un uniforme de lieutenant de l'armée et de conduire un groupe de cinquante (50) soldats armés vers l'aéroport international de Lagos le 11 mars 1995. M. Oremade et ses hommes devaient s'emparer de l'aéroport et en assurer la sécurité, pour garantir qu'aucun avion ne pourrait décoller. (Le demandeur a décrit leur tâche comme étant de s'assurer qu'il n'y aurait pas de vandalisme à l'aéroport). Jusqu'à la date du coup d'État avorté, M. Oremade n'a jamais rencontré les soldats qu'il devait commander.

[6]  Le 9 mars 1995, soit deux jours avant la date fixée pour le coup d'État, les conspirateurs ont été trahis et la majorité d'entre eux ont été arrêtés. M. Oremade a toutefois réussi à s'échapper et il s'est rendu en Allemagne. Si le coup d'État avait réussi, M. Oremade affirme qu'il aurait été nommé gouverneur de l'État de Lagos.

[7]  Le demandeur a répété tout au long de son argumentation que ce qui était planifié, c'était un coup d'État sans effusion de sang. Il a fait valoir qu'il était raisonnable de croire qu'un coup d'État sans effusion de sang réussirait en prenant comme exemples les coups d'État passés au Nigéria en 1983 et en 1986. On s'attendait à ce que, à la suite de l'annonce du coup d'État, le gouvernement démissionnerait du fait qu'il ne bénéficiait pas de l'appui de la population.

[8] Le demandeur a fait valoir devant la Section de l'immigration qu'il n'y avait aucune preuve qu'on prévoyait recourir à la force, qu'il n'était pas l'instigateur et qu'il n'avait pas encouragé des actes visant au renversement puisqu'il fut recruté par d'autres. Il a également fait valoir que le gouvernement nigérian était un gouvernement despotique et que le législateur, en employant l'expression « un gouvernement » à l'alinéa 34(1)b) de la LIPR, n'avait sûrement pas voulu que ce soit interprété très largement de façon à viser un gouvernement despotique.

[9]  La Section de l'immigration (la Section) a décidé que M. Oremade était [traduction] « l'instigateur » mais non [traduction] « l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement ». La Section a accepté le témoignage de M. Oremade selon lequel le coup d'État devait se faire sans effusion de sang et qu'il ne s'agissait donc pas [traduction]  d'« actes visant au renversement par la force ».

[10] En infirmant la décision de la Section, la SAI a fait remarquer que l'avocat de M. Oremade avait concédé que son client était l'instigateur d'actes visant au renversement du gouvernement nigérian, étant donné la propre admission de M. Oremade selon laquelle il avait participé à plusieurs réunions pour planifier le renversement. Toutefois, le demandeur a fondé son argumentation sur le fait qu'il n'y a jamais eu d'intention de recourir à la « force » pour renverser le gouvernement nigérian.

 

 

[3]               Dans la première décision rendue le 16 juillet 2003, la Section de l'immigration (la SI) s'est dite d'avis que le demandeur était interdit de territoire en vertu de l'alinéa 34(1)b) au motif que rien ne permettait de penser qu'il avait l'intention de recourir à la force pour réaliser le coup d'État. Le ministre a interjeté appel de cette décision devant la SAI qui, dans une décision datée du 10 septembre 2004, a estimé que le demandeur était interdit de territoire. Or, il était possible d'interpréter cette décision en considérant que les commissaires saisis de l'affaire avaient jugé non pertinente l'intention du demandeur de recourir ou non à la force en se fondant sur des faits objectifs qui indiqueraient un recours possible à la force. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision au motif que les commissaires avaient eu tort, en droit, de considérer le recours à la force comme un facteur non pertinent pour rendre une décision en vertu de l'alinéa 34(1)b). Le juge Phelan a annulé la décision de la SAI le 9 août 2005 au motif que cette décision pouvait être interprétée comme signifiant que l'intention du demandeur ne constituait pas un facteur pertinent. Tout en confirmant que l'intention de recourir à la force constituait un élément essentiel à l'application de l'alinéa en question, le juge a expliqué ce qui suit :

[30]     C'est la Commission qui assume le rôle de soupeser l'ensemble des éléments de preuve subjectifs et objectifs liés à l'acte reproché. L'intention subjective n'est qu'un élément, bien qu'il soit pertinent. Lors de l'appréciation de l'ensemble des éléments de preuve relatifs à l'intention, il convient de présumer qu'une personne connaissait ou aurait dû connaître et avoir envisagé la conséquence naturelle de son action.

 

[4]               Il a également conclu que l'expression « par la force » à l'alinéa 34(1)b) englobe :

[…] la coercition ou la contrainte par des moyens violents, la coercition ou la contrainte par des menaces d'user de moyens violents et, j'ajouterais, la perception raisonnable du risque qu'on exerce une coercition par des moyens violents. (Oremade c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1330; 2005 CF 1077, au paragraphe 27.)

 

Le juge Phelan a annulé la décision de la SAI et lui a renvoyé l'affaire pour qu'elle tienne une nouvelle audience.

 

[5]               Une nouvelle audience a eu lieu devant un tribunal différemment constitué de la SAI qui, dans une décision datée du 9 mars 2006, a de nouveau estimé que le demandeur était interdit de territoire au motif qu'il avait été l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement du gouvernement du Nigéria par la force.  

 

[6]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision pour plusieurs motifs. Il affirme que la SAI a commis une erreur en tirant certaines de ses conclusions au sujet de son présumé manque de crédibilité et en n'accordant pas suffisamment de poids à ses déclarations quant à certains faits et certaines probabilités. Il soutient que la preuve objective ne démontrait pas de façon évidente qu'il avait l'intention de recourir à la force. Il affirme en outre que les commissaires saisis de l'affaire ont commis une erreur de droit en rejetant son argument que l'alinéa 34(1)b) ne peut être interprété comme exigeant le recours à la force pour renverser un gouvernement despotique ou « terroriste », ce qu'était selon lui le gouvernement nigérian. La thèse du demandeur est que, comme la seule façon de renverser un gouvernement despotique est de recourir à la force, le législateur n'avait sûrement pas voulu exclure le recours à la force contre ce type de gouvernement. 

 

[7]               Le matin du 28 septembre 2006, date fixée pour l'instruction de la présente affaire, on m'a fait savoir que l'avocat du demandeur était malade et ne pouvait plaider. J'ai offert de reporter l'audience à la semaine du 23 octobre 2006. Toutefois, le demandeur, qui était présent, tenait à ce que l'audience ait lieu malgré l'absence de son avocat. Interrogé à ce sujet, il a confirmé que tel était son désir. Malgré le fait que l'avocate du défendeur doutait qu'il soit possible de procéder de la sorte sans faire parvenir à l'avocat du demandeur un préavis écrit pour mettre fin à ses services, j'ai expliqué qu'un tel préavis n'était exigé que lorsqu'une partie souhaite que l'avocat inscrit au dossier cesse d'occuper pour elle. À mon avis, il est loisible au client d'agir pour son propre compte devant la Cour même si son avocat est toujours inscrit au dossier. Nous avons donc procédé à la tenue de l'audience. J'ai attentivement examiné le mémoire rédigé par l'avocat du demandeur.

 

Analyse

[8]               Je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[9]               Pour ce qui est des conclusions de fait et de celles qui ont été tirées au sujet de la crédibilité, les parties conviennent que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis du même avis.

 

[10]           Le demandeur conteste plusieurs des conclusions défavorables tirées par les commissaires au sujet de la crédibilité. J'ai attentivement examiné ces conclusions en tenant compte des observations écrites de l'avocat du demandeur et du plaidoyer qu'il a fait devant la Cour. Dans l'ensemble, malgré le fait que le demandeur ne soit pas d'accord avec les contradictions que la SAI a relevées dans sa preuve, j'estime que le dossier permettait raisonnablement à la SAI de conclure à l'existence de pareilles contradictions. Certes, dans un cas ou deux, la SAI aurait pu en arriver à une conclusion différente, mais cela n'aurait eu aucune incidence sur le résultat final. Il m'est assurément impossible de considérer que les conclusions que la SAI a tirées au sujet de crédibilité sont manifestement déraisonnables.

 

[11]           Je ne puis non plus considérer comme manifestement déraisonnables les constations de fait qu'elle a tirées. Appliquant la norme de la décision raisonnable à ces constatations de fait, qui portent essentiellement sur l'application de la preuve aux règles de droit contenues à l'alinéa 34(1)b) telles que le juge Phelan les a interprétées, j'estime qu'il était certainement loisible à la SAI de conclure, sur le fondement des éléments de preuve objectifs, que le demandeur et ses compagnons avaient l'intention d'être les instigateurs ou les auteurs d’actes visant au renversement du gouvernement nigérian par la force. Cette conclusion s'accorde entièrement avec celles du juge Phelan, qui a estimé qu’« il convient de présumer qu'une personne connaissait ou aurait dû connaître et avoir envisagé la conséquence naturelle de son action » et que l'expression « par la force » englobe « la perception raisonnable du risque qu'on exerce une coercition par des moyens violents ». Les parties ont admis, devant la SAI, que, pour reprendre les propos précités, le demandeur et ses compagnons ont comploté en vue de renverser le gouvernement du Nigéria à l'occasion d'une série de rencontres qui ont eu lieu entre décembre 1994 et février 1995. Il est également admis aux débats que le demandeur avait accepté d'endosser un uniforme de lieutenant de l'armée et de conduire un groupe de 50 soldats armés vers l'aéroport international de Lagos le 11 mars 1995 pour s'emparer de l'aéroport et en assurer la sécurité, pour garantir qu'aucun avion ne pourrait décoller. Il était certainement loisible à la SAI de conclure qu'il y aurait du personnel de sécurité armé à l'aéroport et que le spectacle d'une cinquantaine d'hommes armés conduits par un homme en uniforme serait perçu, par tout observateur raisonnable, comme une opération concertée en vue de s'emparer de l'aéroport par la  force dans le cadre d'un coup d'État. Comme conséquences raisonnablement prévisibles, on pouvait prévoir une résistance armée et de la contre-résistance. Certains éléments de preuve complémentaires ont confirmé l'existence d'une opération concertée visant à s'emparer de l'aéroport et le fait que le demandeur devait être conscient des risques de violence. Dans ces conditions, il était loisible à la SAI de ne pas donner gain de cause au demandeur, même sans mettre en doute sa crédibilité, parce que sa preuve portait pour l'essentiel sur son intention subjective, ce qui ne pouvait constituer le seul élément déterminant, eu égard aux circonstances de l'espèce.

 

[12]           Pour ce qui est de la question de droit en cause, en l'occurrence celle de savoir si l'emploi de l'expression « par la force » à l'alinéa 34(1)b) rend cet alinéa inapplicable à un coup d'État visant à renverser un gouvernement despotique, l'article 34 n'appuie pas une telle interprétation. J'abonde dans le sens du juge Phelan lorsqu'il affirme, au paragraphe 24 de ses motifs, que, bien que l'alinéa 34(1)a) de la Loi ne s'applique qu'aux actes d'espionnage ou de subversion contre un « gouvernement démocratique », l'alinéa 34(1)b) interdit pour sa part les actes visant « le renversement d’un gouvernement par la force », peu importe le genre de gouvernement en cause. Comme la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte, l'interprétation de la SAI est juste. 

 

Dispositif

[13]           La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée avec dépens. 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ANNULE avec dépens la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 mars 2006 par la SAI.

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                          IMM-1770-06

 

INTITULÉ :                                         SOLOMON OREMADE

 

                                                              c.

 

                                                              MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 28 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                       LE 5 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Solomon Oremade

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Tatiana Sandler

Tél. : 613-948-3463

Téléc. : 613-954-1920

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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