Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061012

Dossier : IMM-1880-06

Référence : 2006 CF 1213

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Harrington 

 

ENTRE :

YANNICK WANDJA DJEUKOUA

Partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Craignant des violences policières menaçant sa sécurité, madame Yannick Wandja Djeukoua, originaire de Yaoundé au Cameroun, a trouvé refuge au Canada il y a quatre ans. Suite à son arrivée, elle entreprit les démarches légales nécessaires à la reconnaissance du statut de réfugié au pays. Démarches qui se révélèrent infructueuses. En ce cas-là, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) décida de rejeter la demande, et une fois cette décision soumise à un contrôle judiciaire, cette Cour rejeta la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en début d’année 2003.

[2]               Alors que la demanderesse attendait une réponse de la CISR, à savoir si elle jouissait d’un réel statut de réfugié, elle fit l’heureuse rencontre de monsieur Davidson Achille qui se solda par un mariage en avril 2003.

 

[3]               En ce temps-là, madame Wandja Djeukoua était toujours sans statut légal au pays, et c’est pourquoi elle engagea une demande de dispense du visa d’immigrant pour considérations humanitaires auprès de Citoyenneté et Immigration Canada le 8 octobre 2003. Cette demande a pour objectif de soustraire le demandeur étranger à la règle générale énoncée au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, (LIPR), à l’effet qu’une personne nouvellement arrivée au Canada doive faire une demande de visa préalable à son entrée au pays. Du même coup, son mari, citoyen canadien, produisit le 16 octobre 2003 un engagement de parrainage suivant les conseils de leur avocate de l’époque, membre en règle du Barreau du Québec aujourd’hui radiée du Tableau de l’Ordre. Les deux demandes ont été rejetées en janvier dernier.

 

[4]               La décision faisant état de la présente demande en contrôle judiciaire est celle soumise par madame Wandja Djeukoua relative à la demande de résidence permanente pour motif d’ordre humanitaire. En l’espèce, compte tenu de l’entrée en vigueur le 18 février 2005 de la politique publique concernant les époux et les conjoints de fait en matière de résidence permanente, et de la date à laquelle la demande de madame Wandja Djeukoua a été déposée et examinée, il est important de préciser que la décision attaquée a fait automatiquement l’objet d’un double examen de la part de l’agente d’immigration. Bref, la demanderesse présenta sa demande avant l’annonce du 18 février 2005 et celle-ci n’a été étudiée qu’en début d’année 2006.

[5]               Il est important de signaler que la nouvelle politique publique permet aux conjoints se trouvant au Canada, et ce, sans égard à leur statut d’immigration, de présenter dans la catégorie des époux et des conjoints de fait une demande de résidence permanente à l’intérieur même du pays. Or, dans les faits, cette politique est une autre limitation à la règle généralement appliquée au pays, et énoncée au paragraphe 11(1) de la LIPR, voulant qu’une demande de visa canadien doive être complétée par l’étranger à l’extérieur de l’État avant sa venue au pays. Il est à noter qu’une telle demande de la part du nouvel arrivant n’est possible que dans les situations où une demande de parrainage a été produite ou sera produite à son sujet auprès de Citoyenneté et Immigration Canada. Ce qui est le cas dans le présent dossier.

 

[6]               Ayant comme objectif de favoriser le regroupement familial en facilitant le processus d’immigration des époux et des conjoints de fait vivant ensemble au Canada, la politique s’inscrit en continuité avec les valeurs que promeut le Canada en matière d’immigration. Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle politique, l’étranger qui soumettait une demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au pays devait jouir au préalable d’un statut reconnu par les autorités canadiennes. Aujourd’hui, une telle obligation n’est plus. Toutefois, « [p]our présenter une demande à l’intérieur du Canada, il faut être engagé dans une relation authentique avec un citoyen canadien ou un résident permanent », Changement de politique pour les époux et conjoints de fait qui présentent leur demande de résidence permanente à l’intérieur du Canada, Citoyenneté et Immigration Canada.

 

[7]               Or, la demande faisant l’objet de la décision ici contestée est fondée sur deux régimes d’exception. Le premier repose sur la politique publique concernant les époux et les conjoints de fait, alors que le deuxième s’appuie sur le libellé du paragraphe 25(1) de la LIPR.

 

[8]               En l’espèce, avant qu’il n’ait été possible pour l’agente d’immigration de se prononcer sur l’issue de la demande de résidence permanente de madame Wandja Djeukoua, il était impératif que l’agente examine à la lumière de la preuve versée au dossier la question de l’authenticité du mariage, et dans un deuxième temps, celle liée aux considérations humanitaires. Tel qu’il appert du dossier, il s’agit d’un devoir dont l’agente a su s’acquitter. Par conséquent, cette Cour tient compte dans le présent dossier des deux volets examinés par l’agente d’immigration.

 

[9]               En ce cas-là, c’est en deux temps que l’agente en est arrivée au rejet de la demande de madame Wandja Djeukoua. Elle a tout d’abord jugé que le mariage de la demanderesse avec monsieur Achille en était un de complaisance, et qu’il n’était en définitive, qu’un moyen pour la demanderesse « d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi » comme le libelle l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés D.O.R.S./2002-227. Dans un deuxième temps, une fois avoir pris en considération la preuve appuyant les motifs humanitaires de madame Wandja Djeukoua relatant sa situation personnelle au Canada et au Cameroun, l’agente rejeta une fois de plus la demande.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           Dans la présente instance, la norme de contrôle applicable n’est pas contestée. S’agissant d’une décision discrétionnaire d’une agente d’immigration pour considérations humanitaires, les parties s’entendent pour suivre les enseignements tirés de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et de retenir ainsi la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[11]           Or, cette Cour doit aujourd’hui déterminer si les motifs maintenant la décision attaquée sont à même de résister à un examen assez poussé. En d’autres mots, pour qu’une décision d’un agent d’immigration soit jugée déraisonnable, monsieur le juge Iacobucci écrit à cet égard au paragraphe 56 de l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.  En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.  Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve.  Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

 

[12]           De plus, considérant les prétentions des parties, il doit être tenu pour avéré que la norme de contrôle applicable à la question de l’authenticité du mariage est aussi celle de la décision raisonnable simpliciter. D’ailleurs, à cet égard, cette même Cour concluait tout récemment sous la plume de madame la juge Heneghan, que c’était la norme de la décision raisonnable simpliciter qui devait s’appliquer aux affaires mettant en cause l’authenticité du mariage. Celles-ci étant de nature mixte, soit de fait et de droit. Madame la juge écrit ce qui suit au paragraphe 11 de la décision Apaza c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 313, [2006] A.C.F. no 397 (QL) :

Tout compte fait, les quatre facteurs, [suite à l’analyse pragmatique et logique], militent en faveur d’accorder une certaine déférence à la décision de l’agente d’immigration. Je conclus que la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable simpliciter. La Cour suprême du Canada a appliqué cette norme dans Baker [(…)], au sujet d’une décision discrétionnaire d’un agent d’immigration.

 

Considérant la norme applicable, j’en arrive à la conclusion que les motifs de l’agente d’immigration appuyant les deux volets de la décision attaquée étaient raisonnables.

 

L’ANALYSE

[13]      En ce qui a trait au premier volet de la décision contestée, soit la question de l’authenticité du mariage, l’agente d’immigration procéda à l’entrevue séparée des époux pour s’assurer de la bonne foi de leur mariage. Au cours de la première rencontre, les époux ont été questionnés sur des éléments précis de leur vie quotidienne, tel que les aliments qu’ils avaient eu au petit déjeuner. Devant les nombreuses contradictions recueillies, l’agente d’immigration expliqua aux époux qu’il lui était impossible d’accepter la demande en de pareilles circonstances.

 

[14]      Cette même journée, en signe de seconde chance, elle convoqua alors une deuxième entrevue. C’est au moment de cette convocation qu’elle mit en garde les jeunes mariés. Elle les avisa de sérieusement prendre en considération la deuxième opportunité qui s’offrait à eux, car ce deuxième entretien pouvait à lui seul être déterminant quant à l’issue de la demande. Le jour arrivé de la seconde entrevue, les époux ne se présentèrent pas au rendez-vous en raison du froid. Une troisième date d’entrevue a alors été fixée. Cette journée-là, seule madame Wandja Djeukoua s’est présentée au bureau de l’agente d’immigration. Il est à souligner qu’au cours des représentations des parties devant cette Cour, l’avocat de la demanderesse a allégué que monsieur Achille s’était bel et bien présenté à la troisième entrevue, mais qu’il était arrivé en retard. Pourtant, aucun affidavit n’a été produit à cet égard devant la Cour, et tel qu’il appert du dossier, sur la foi de la demanderesse à l’effet que son mari arriverait d’une minute à l’autre, l’agente d’immigration a bien voulu attendre une heure avant d’annuler l’entretien. Une fois les 60 minutes écoulées, c’est alors qu’elle avisa la demanderesse, qui se trouvait toujours sur les lieux, qu’elle allait devoir étudier la demande avec les informations déjà au dossier.

 

[15]      Dès lors, pour apprécier la validité du mariage, l’agente devait composer avec les nombreuses contradictions recueillies lors du premier entretien séparé des époux. À la lecture du dossier, il est difficile d’imaginer que ces deux personnes aient pu un jour faire véritablement vie commune. Ils semblent plutôt vivre à des années lumières l’un de l’autre. Voici quelques unes des contradictions relevées lors du premier entretien et reproduites dans la fiche d’entrevue :

Lors de l’entrevue séparée du 13 janvier 2006 à 13 :30hres j’ai relevé plusieurs contradictions dont celles-ci :

 

Cliente déclare s’être levée en premier aujourd’hui vers 6 à 7 heures, son époux / répondant déclare qu’il s’est levé en premier vers 8 hres comme toujours et que la cliente s’est levée vers 9 :30- 10 :00hres.

 

Cliente déclare que son époux n’a pas déjeuné avec elle et elle croit qu’il a grignoté des arachides, son époux déclare qu’ils ont déjeuné ensemble et qu’ils ont mangé des bagels avec de la crème et du café.

 

Cliente déclare qu’hier quand elle est arrivée à la maison, son époux aurait quitté par la suite et lui aurait dit : je pars au travail. Son époux déclare ne pas avoir vu la cliente durant la journée hier.

 

[16]      L’avocat de la demanderesse soutient que les éléments de preuve documentaires soumis en l’instance, tels que le certificat de mariage, le bail de logement et les comptes d’électricité, sont suffisants pour établir la validité du mariage. Faut-il le rappeler, lorsqu’un agent d’immigration doit déterminer de la bonne foi d’un mariage, c’est l’intention des parties qu’il doit examiner. En d’autres termes, un examen comme celui-là repose sur la crédibilité des époux, la preuve documentaire ne pouvant à elle seule en décider. À ce sujet, monsieur le juge Rouleau établi justement ce qui suit au paragraphe 10 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Agyemang, [1999] A.C.F. no 776 (QL), au sujet du rôle de l’agent des visas :

L'agent des visas qui procède à une évaluation doit examiner l'authenticité du mariage en fonction de la perception et des motivations du conjoint parrainé. Il importe peu qu'il s'agisse d'un mariage légitime; voir l'affaire Horbas c. Canada (M.E.I.), [1985] 2 C.F. 359 (C.F. 1re inst.).

 

Une telle façon de procéder à l’examen s’applique aussi à l’agent d’immigration, bien qu’il faille garder à l’esprit que ce dernier jouit d’un pouvoir discrétionnaire dont ne bénéficie guère l’agent des visas, et qu’en conséquence, son rôle ne se limite pas à l’application systématique du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés précité.

 

[17]      Or, la conclusion en faveur de la mauvaise foi du mariage de madame Wandja Djeukoua est éminemment raisonnable. Dès l’instant où la crédibilité de la demanderesse a été jugée insatisfaisante, il n’était plus nécessaire de prendre en considération la preuve documentaire. Contrairement à l’affaire Awuah c. Canada (ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1873, la décision de l’agente d’immigration est étayée par la preuve tel qu’il appert du dossier, et il serait faux de prétendre que les conclusions qu’elle en a tirées sont illogiques.

 

[18]      En ce qui a trait au deuxième volet de la décision contestée, soit la demande de résidence permanente pour motif d’ordre humanitaire, l’agente d’immigration a tout d’abord évalué les rapports familiaux qu’entretenait la demanderesse dans les deux coins de pays au moment de l’examen de la demande, soit le Canada et le Cameroun. La vie professionnelle et les aspirations futures de madame Wandja Djeukoua ont ensuite été prises en considération par l’agente d’immigration. Ses parents, ses deux sœurs, ses trois frères et ses enfants jumeaux restés derrière elle à Yaoundé habitent toujours au Cameroun. Alors qu’au Canada, la demanderesse a un emploi et un mariage de complaisance. Dans les notes au dossier, l’agent d’immigration conclut sur cet aspect de la demande de la façon suivante :

                        En prenant en considération le fait que le mariage ne semble pas de bonne foi, j’en conclu qu’il ne serait pas injustifié ni excessif de demander à la cliente de présenter une demande de résidence à l’extérieur du Canada.

 

                        [(…)]

 

                        Les difficultés que subiraient la cliente si elle devait présenter une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada son[t] directement liées à l’application de la loi sur l’immigration et elles ne sont pas disproportionnées ou inhabituelles.

 

Donc la dispense selon L25(1) est refusée.

 

[19]      Cette décision est raisonnable. L’agente d’immigration n’a commis aucune erreur susceptible d’ouvrir la porte à la révision de la décision contestée. Dans le cas en l’instance, les conclusions de l’agente d’immigration relatives aux considérations humanitaires sont étayées par la preuve et elles le sont logiquement.

 

[20]      Il est important de garder en tête que la décision à deux volets de l’agente d’immigration a pour objet une demande s’inscrivant dans un régime d’exception et que le rôle de cette Cour n’est pas de substituer son appréciation à celle de l’agente. Cette Cour doit agir avec déférence.

 

[21]      Pour tous ces motifs, je rejette la demande.

 

[22]      Aucune question grave de portée générale n’a été adressée à la Cour pour fin de certification.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1880-06

 

INTITULÉ :                                       Yannick Wandja Djeukoua c.

                                                            Le MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 septembre 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stéphane Dulude

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sylviane Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphane Dulude

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-Procureur Général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.