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Date : 20061002

Dossier : T-56-06

Référence : 2006 CF 1169

Toronto (Ontario), le 2 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

HELI TECH SERVICES (CANADA) LTD.,

CORPORACION LA CAMPANA DE LA VILLA S.A. et

PHILIP JARMAN

 

demandeurs

et

 

WEYERHAEUSER COMPANY LIMITED /

COMPAGNIE WEYERHAEUSER LIMITÉE,

CASCADIA FOREST PRODUCTS LTD.,

ISLAND TIMBER CONTRACTING LTD.,

TIMBERWEST FOREST CORP.,

BRASCAN TIMBERLANDS MANAGEMENT GP INC.,

550777 B.C. LTD. faisant affaire sous la raison sociale R.E.M. CONTRACTING,

CANADIAN AIR-CRANE LIMITED,

VIH LOGGING LTD. et

INTERNATIONAL FOREST PRODUCTS LIMITED

 

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE CAMPBELL

 

[1]               Dans la présente action, les demandeurs (Heli Tech, La Campana et Jarman) poursuivent de grandes sociétés de l’industrie forestière pour contrefaçon d’un brevet protégeant une nouvelle méthode de débusquage par hélicoptère. Compte tenu du fait que leurs frais de litige estimés s’élèvent à au moins 750 000 $, les défenderesses ont présenté une requête en cautionnement pour les dépens au protonotaire Lafrenière. 

 

[2]               Le protonotaire a conclu que les défenderesses s’étaient acquittées de leur fardeau de présentation en application de l’alinéa 416(1)a) des Règles des Cours fédérales à l’égard de La Campana et de M. Jarman et en application de l’alinéa 416(1)b) à l’égard de Heli Tech. Il a également conclu que les demandeurs s’étaient acquittés de l’obligation de démontrer le bien‑fondé de leur cause, en vertu de l’article 417, si bien que, pour éviter d’avoir à fournir un cautionnement, ils devaient faire la preuve de leur indigence respective, selon la prépondérance des probabilités. Ces conclusions ne sont pas contestées.

 

[3]               Le protonotaire a conclu que les demandeurs n’avait pas réussi à faire la preuve de leur indigence et, par conséquent, il a rendu une ordonnance en faveur des défenderesses. Dans le présent appel interjeté contre l’ordonnance du protonotaire, les demandeurs allèguent que le protonotaire a commis une erreur de principe et mal apprécié les faits. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne suis pas de cet avis.


A.  Considérations juridiques devant le protonotaire

 

1.  Le raisonnement servant de fondement à la règle de l’indigence aux termes de l’article 417

 

[4]               La jurisprudence appuie la règle en maintenant l’accès à la justice même si une partie à un litige pourrait être contrainte de fournir un cautionnement pour les dépens mais n'en a pas les moyens.

 

[traduction] Les juges de la Cour ont affirmé que le pouvoir d’ordonner un cautionnement pour dépens doit être exercé de manière réfléchie afin d’éviter qu'un appelant soit privé de son droit d'appel (Phoenix Transportation Consultants Ltd. c. Pacific Freightways Ltd., [1989] B.C.J. no 2189).

 

[traduction] [...] « la règle générale veut que la pauvreté ne soit pas un obstacle pour une partie ». Le pouvoir d’exiger un cautionnement pour les dépens ne devrait pas être exercé de manière à évincer l’homme le plus pauvre des tribunaux [...] (Kropp c. Swaneset Bay Golf Course Ltd., [1997] B.C.J. no 593, citant l’arrêt‑clé britannique Pearson c. Naydler, [1977] 3 All E.R. 531, au paragraphe 16).

 

[traduction] Il ne peut faire de doute que, s’il était fait obstacle à l’instruction d’une cause bien fondée en raison de la pauvreté d’un demandeur, il en résulterait une injustice. Si l’ordonnance pour dépens avait pour conséquence l’anéantissement de la cause, elle ne devrait pas être prononcée. L’injustice serait encore plus flagrante si l’appauvrissement du demandeur avait pour cause les actes reprochés dans l’action (John Wink Ltd. c. Sico Inc., [1987] O.J. No. 5).

 

2.  La signification de l’indigence

[5]               Un courant jurisprudentiel impose un lourd fardeau de preuve aux parties qui cherchent à éviter d'avoir à fournir un cautionnement pour les dépens en invoquant l’indigence.

 

[6]               Dans Fortyn c. Canada (1re inst.), [2000] 4 C.F. 184, aux paragraphes 19 et 20, le juge Lemieux a estimé que l'article 417 codifie des principes de common law. À ce propos, il a déclaré ce qui suit :

 

Quant à la question de l’indigence, dans la décision Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al. (1996), 118 F.T.R. 154 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a dit ce qui suit, aux paragraphes 17 et 18 [page 158] :

 

Après avoir vérifié les faits concernant la situation financière du demandeur, je suis convaincu que l’allégation selon laquelle il est impécunieux est sans fondement. Selon le New Shorter Oxford English Dictionary On Historical Principles (Oxford: Clarendon Press, 1993), le mot « impecunious » (« impécunieux ») signifie [traduction] « ayant besoin d’argent, pauvre, sans le sou ». D’après l’American Heritage Dictionary, le mot « impecunious » (« impécunieux ») signifie [traduction] « qui manque d’argent; qui n’a pas d’argent ». Le mot « impécunieux » est un adjectif utilisé pour décrire une personne qui est « pauvre », « appauvrie » ou « nécessiteuse ».

 

[...]

 

En Ontario, ce concept a été expliqué comme suit par la Haute Cour dans la décision Smith Bus Lines Ltd. c. Bank of Montreal (1987), 61 O.R. (2d) 688, aux pages 704 et 705 :

 

[traduction] [...]

 

La société demanderesse qui veut être autorisée à poursuivre l’action, sans démontrer qu’elle détient des actifs suffisants ou sans fournir un cautionnement, doit d’abord démontrer l’ « indigence », ce qui signifie non seulement qu’elle ne détient pas elle‑même des actifs suffisants, mais aussi qu’elle ne peut pas se procurer auprès de ses actionnaires et associés les fonds nécessaires en vue de payer le cautionnement pour les dépens, en partie parce que les tribunaux ne veulent pas que le défendeur qui a gain de cause soit de fait privé des dépens lorsque, par exemple, de riches actionnaires ont décidé d’exploiter l’entreprise et d’ester en justice par l’entremise d’une société fictive. Le demandeur qui affirme être indigent doit prouver qu’il ne peut pas se procurer les fonds nécessaires afin de payer le cautionnement pour les dépens parce que, s’il s’agit d’une société privée, ses actionnaires ne détiennent pas des actifs suffisants. Comme le juge Reid l’a dit dans la décision John Wink Ltd. c. Sico Inc. (1987), 57 O.R. (2d) 705, à la page 709, 15 C.P.C. (2d) 187 :  « L’ordonnance prévoyant la remise d’un cautionnement qui empêche le demandeur de poursuivre l’instance règle de fait l’affaire. » Pour invoquer l’indigence, il doit être prouvé que si le cautionnement est exigé, les poursuites prendront fin -- parce que non seulement le demandeur ne possède pas la somme nécessaire aux fins du cautionnement, mais aussi parce qu’il n’a pas cette somme à sa disposition. [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[7]               D’autres décisions de ce courant jurisprudentiel établissent ce qui suit :

[traduction] [...] le demandeur doit démontrer que lui et ses actionnaires ne peuvent pas vendre des biens, emprunter ou autrement réunir les fonds pour fournir le cautionnement : Shadows c. Travelers Canada Corp. (1990), 40 C.P.C. (2d) 118 (H.C.J. Ont.) (Guirmag Investments c. Milan, [1999] O.J. no 3262, au paragraphe 2).

 

[traduction] [...] l’enquête concernant le cautionnement ne devrait pas se limiter au demandeur et devrait également porter sur les créanciers ou les actionnaires ou quiconque exerce des pressions en vue de la poursuite et pourrait en tirer avantage (Sylvester Import & Export Enterprises Ltd. c. Re/Max Real Estate Ltd., [1993] A.J. n91).

 

[traduction] Toutefois, la Cour devrait non seulement examiner la question de savoir si la société demanderesse peut fournir le cautionnement à partir de ses propres ressources pour continuer la procédure, mais aussi celle de savoir si elle peut rassembler la somme nécessaire auprès des directeurs, actionnaires ou autres bailleurs de fonds ou personnes intéressées. Comme il est probable que la société demanderesse soit la mieux placée pour fournir ces renseignements, il lui revient de convaincre le tribunal qu’une ordonnance de cautionnement pour dépens l’empêcherait de continuer la procédure (voir Flender Werft AG c. Aegean Maritime Ltd, [1990] 2 Lloyd's Rep 27). Dans cette affaire, le juge Saville a appliqué par analogie l’approche adoptée dans un autre contexte, celui du versement d’une somme d’argent à la cour comme condition à une autorisation de plaider en défense. Dans M V Yorke Motors (a firm) c. Edwards, [1982] 1 All ER 1024, à la page 1028, [1982] 1 WLR 444, aux pages 449 et 450, Lord Diplock a approuvé les remarques du lord juge Brandon de la Cour d’appel :

 

Le fait que l’homme n’ait aucun capital qui lui appartienne ne signifie pas qu’il ne soit pas en mesure d’en rassembler un; il peut avoir des amis, il peut avoir des associés, il peut avoir des parents, qui peuvent tous l’aider au moment où il en a besoin (Keary Development c. Tarmac Construction, [1995] 3 All E.R. 534).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               En ce qui a trait à la preuve requise pour établir l’indigence, la norme exigée est rigoureuse; une divulgation franche et complète est requise. Le fardeau doit être repoussé [traduction] « de façon particulièrement robuste », afin [traduction] qu' « aucune question importante ne soit laissée sans réponse » (Morton c. Canada (Procureur général) (2005), 75 O.R. (3d) 63 (C.S.J.), au paragraphe 32).

 

B.  La structure de l’entreprise des demandeurs

[9]               Heli Tech est une société de l’Alberta, M. Jarman est l’inventeur du système de récolte de troncs à la verticale (le système de récolte) breveté en 1988 (le brevet) et La Campana est une société dûment constituée et régie suivant les lois du Costa Rica. La Campana est une société familiale appartenant à M. Jarman, son épouse et ses enfants.

 

[10]           Suivant la preuve présentée par les demandeurs, M. Jarman a cédé tous les droits, titres et intérêts afférents au brevet à une société de fiducie, Boaz International (Boaz), en février 1999, qui les a par la suite cédés en mai 2002 à La Campana qui est actuellement le titulaire inscrit du brevet. En mai 2002, La Campana a accordé une licence de brevet à Heli Tech.

 

[11]           M. James King, président de Heli Tech, a créé la société en 1997 en vue de mettre au point le système de récolte, de le faire breveter et d’acheter la licence exclusive du système. M. King a fourni un apport financier important pour soutenir les activités d’Heli Tech. D’après la preuve présentée, Heli Tech, M. King, M. Jarman et La Campana ont travaillé d’arrache‑pied au fil des ans pour s’assurer que le système de récolte devienne un produit commercial viable.

 

[12]           Heli Tech compte trois actionnaires : soixante‑dix pour cent de l’entreprise appartient à Parcatamm Financial, une fiducie familiale dont l’épouse et les enfants de M. King sont les propriétaires bénéficiaires; vingt pour cent de l'entreprise appartient à M. Ed Johnson, un employé de Heli Tech; dix pour cent de l'entreprise appartient à une société albertaine portant le numéro 570410 BC. 

 

C.  La décision à l’étude

[13]           Les arguments et les éléments de preuve présentés au protonotaire étaient abondants. Ils se rapportaient aux demandeurs, aux actionnaires d’Heli Tech et aux bailleurs de fonds du système de récolte et du présent litige. Au bout du compte, le protonotaire a accueilli la requête en cautionnement pour dépens  en invoquant les motifs particuliers suivants :

[traduction]

Toutefois, pour tirer avantage des dispositions de l’article 417 des Règles, les demandeurs avaient également l’obligation d’établir leur indigence suivant la prépondérance des probabilités. Je ne suis pas convaincu qu’ils ont réussi à s’acquitter de cette obligation. À mon avis, les demandeurs n’ont pas divulgué de manière franche et complète leurs revenus, dépenses, biens et dettes et ils ont caché la véritable relation qui existe entre eux et l’identité des autres personnes ou entités derrière cette procédure. Compte tenu de la preuve dont j’ai été saisi, je ne peux que conclure que la demanderesse Heli Tech est tout simplement une société fictive utilisée comme véhicule pour faire passer profits ou sommes d’argent entre les mains de mandants anonymes et créée pour éviter le paiement des dépens des parties défenderesses.

 

Pour répéter, il incombait aux demandeurs d’établir leur indigence. Pourtant, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que la demanderesse, Corporacion La Campanade la Villa S.A. (La Campana) est une société [traduction] « ayant besoin d’argent, pauvre, sans le sou ». Au contraire, La Campana semble être une entreprise pourvue d’un actif important puisqu’elle a été en mesure d’emprunter environ 600 000 $ de la demanderesse Heli Tech, entre mars 2003 et mai 2005. Par surcroît, on ne sait pas trop si La Campana a remboursé ces prêts et, si elle les a remboursés, ce que Heli Tech a fait des fonds exactement. 

 

De plus, le demandeur, Philip Jarman, affirme avoir été constitué partie à l'action parce que, en tant que titulaire du brevet, il était tenu d'être désigné comme demandeur en vertu du paragraphe 55(3) de la Loi sur les brevets, mais la preuve dont j’ai été saisi donne à penser autrement. M. Jarman a admis au contre‑interrogatoire qu’il avait été en mesure de se procurer 200 000 $ pour financer la présente poursuite. Pareille collecte de fonds en coulisses va à l’encontre du rôle de M. Jarman en tant que partie nominale. De plus, le fait que M. Jarman ait réussi à obtenir les fonds d’une même source montre qu’il existe d’autres sources possibles de financement.

 

Même si la Cour conserve en définitive le pouvoir discrétionnaire de refuser le cautionnement pour dépens, les demandeurs n’ont pas réussi à établir qu’il s’agit d’une cause appropriée à l'exercice du pouvoir discrétionnaire en leur faveur.

 

(Décision, aux pages 3 et 4)

 

[14]           Le protonotaire a ordonné le versement d’un cautionnement pour les dépens, d’un montant global de 90 000 $, jusqu’à la fin des interrogatoires préalables, avec la possibilité d’en demander davantage à mesure que l’instance progresse, l’adjudication des dépens de la requête au montant de 21 500 $ et la suspension de la présente action jusqu’à ce que les demandeurs fournissent le cautionnement pour les dépens et paient les dépens de la requête. Le cautionnement pour les dépens et l’adjudication des dépens de la requête font l’objet du présent appel. Le protonotaire a également rendu une ordonnance concernant la modification des actes de procédure qui avait été incluse dans le présent appel, mais l’avocat des demandeurs l'a abandonnée au cours de l’audience.

 

D.  La norme de contrôle

[15]           La Cour doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de l’ordonnance d’un protonotaire.

 

[16]           Dans Trevor Nicholas Construction Co c. Canada (Ministre des Travaux publics), [2006] A.C.F. no 861, au paragraphe 3, le juge Phelan a examiné les circonstances où une cour devrait modifier la décision discrétionnaire d’un protonotaire ordonnant le versement d’un cautionnement pour les dépens et il a déclaré ceci :

L’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425; [1993] A.C.F. no 103 (QL) énonce que le juge saisi de l’appel contre une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir, sauf si a) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir en se fondant sur un mauvais principe ou une mauvais appréciation des faits, ou b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue de la cause.

 

La décision du protonotaire Lafrenière est discrétionnaire. La question du cautionnement pour dépens n’exerce pas en soi une influence déterminante sur l’issue de la cause. La conclusion relative à l’indigence porte sur la question de savoir si une ordonnance d’adjudication des dépens mettrait effectivement fin au litige.

 

Le protonotaire a dûment examiné l’état du droit et tenu compte de ce que l’article 416 des Règles énumère les critères justifiant un cautionnement pour les dépens et impose le fardeau de la preuve à la partie qui sollicite l’ordonnance. Il ne fait aucun doute en l’espèce que la défenderesse a démontré l’existence des critères prescrits à l’article 416. Trois ordonnances d'adjudication des dépens totalisant 14 239,54 $ ont été prononcées contre la demanderesse en faveur de la défenderesse; ces montants n’ont pas été payés.

 

Le protonotaire a ensuite correctement tenu compte de la règle de droit énoncée à l’article 417 des Règles et du fait que, le fardeau de la preuve étant dès lors déplacé, il incombait à la demanderesse de prouver que l’ordonnance de cautionnement devrait être refusée au motif que la demanderesse était sans ressources et la cause avait un certain fondement.

 

Pour les besoins de la requête, le protonotaire a convenu que la cause avait un certain fondement. La demanderesse n’aurait pas dû interpréter ce postulat comme signifiant davantage que le fait que, de l’avis du protonotaire, il était possible de trancher la requête en statuant sur la question de l’indigence sans devoir traiter du bien‑fondé de la cause.

 

En concluant que la demanderesse n’avait pas prouvé être sans ressources, le protonotaire Lafrenière n’a pas jugé convaincantes la nature et la teneur de la preuve relative à la situation financière de la société. Il a émis de sérieux doutes quant à l’état des dossiers financiers et s’est interrogé sur la confusion entre les fonds de l’administrateur et ceux de la société ainsi que sur la manière dont les fonds étaient déboursés. Il a aussi rejeté la prétention selon laquelle la présentation de la requête de cautionnement pour dépens était tardive. Il a finalement refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse.

 

Je conclus que le protonotaire Lafrenière n’a pas mal apprécié les faits. La demanderesse soutient que l’interprétation de ces faits et les conclusions qui en ont été tirées sont erronées. Je ne peux relever aucune erreur, mais surtout, le protonotaire Lafrenière possédait la compétence discrétionnaire requise pour interpréter ainsi les faits et pour tirer ces conclusions.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[17]           En ce qui a trait à l’analyse des conclusions de fait dans un appel comme celui en l’espèce, la Cour suprême du Canada, dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 1 et 23, tranche la question de la norme de contrôle comme ceci :

Il va sans dire qu’une cour d’appel ne devrait modifier les conclusions d’un juge de première instance qu’en cas d’erreur manifeste et dominante. On reformule parfois cette proposition en disant qu’une cour d’appel ne peut réviser la décision du juge de première instance dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision.

 

[...]

 

Si aucune erreur manifeste et dominante n’est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l’inférence du juge de première instance, ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui‑même est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d’appel n’est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n’est pas d’accord, lorsque ce désaccord résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion. Comme nous le verrons plus loin, nous estimons en toute déférence que constitue un exemple de ce genre d’intervention inadmissible à l’égard d’une inférence de fait la conclusion de notre collègue selon laquelle la juge de première instance a commis une erreur en prêtant à la municipalité la connaissance du danger dans la présente affaire.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

E.  Application de la norme de contrôle à la décision contestée

[18]           La question du cautionnement pour les dépens n’exerce pas une influence déterminante sur l'issue de l’action. Par conséquent, je suis d’accord avec l’avocat des défenderesses Island Timberlands, Brascan et Weyerhaeuser lorsqu’il dit que la question en litige dans le présent appel est la suivante :

[traduction] Était‑il loisible au protonotaire d’inférer que les demandeurs n’avaient pas établi suivant la prépondérance des probabilités qu’ils étaient impécunieux, à savoir qu’ils étaient, eux ainsi que les personnes qui, par leur intermédiaire, avaient un intérêt dans l’issue du litige, tous sans le sou, pauvres, appauvris et nécessiteux et ne pouvaient fournir ou réunir des fonds additionnels?

 

(Réponse au dossier de la requête des défenderesses Island Timberlands, Brascan et Weyerhaeuser, page 9.)

 

Dans le seul cas où la réponse à cette question est négative, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire pour décider de la requête des défenderesses. Mais, ce n’est pas ce que je conclus.

 

[19]           Il ressort clairement de la décision que le protonotaire n’a guère été impressionné par la preuve présentée par les demandeurs dans le cadre de la requête. Après avoir examiné cette preuve, j’estime qu'il lui était loisible d'avoir cette opinion.

 

[20]           Le protonotaire Lafrenière est un protonotaire chevronné et il m’apparaît évident qu’il était sensible au courant jurisprudentiel cité précédemment dans sa décision. Même si ses motifs sont brefs, à mon avis, ils dénotent une excellente compréhension des facteurs à prendre en considération pour parvenir à une décision dans une requête en cautionnement pour les dépens. En essence, la décision reflète une préoccupation quant à la fonction et la situation financière de chacun des demandeurs et quant à l’existence et la situation financière d’actionnaires ou de bailleurs de fonds.

 

[21]           Il est admis que la création des liens entre les demandeurs fait partie d’une stratégie d’évitement fiscal légitime pour faire progresser le système de récolte. Selon la preuve, Heli Tech est actuellement une société « fictive », en ce sens que, à l’exclusion des droits de licence qu’elle détient à l’égard du brevet, elle n’a aucun actif. À mon avis, la conclusion tirée par le protonotaire en ce qui concerne Heli Tech est compatible avec ces faits et il possédait la compétence discrétionnaire requise pour conclure ainsi.

 

[22]           La conclusion du protonotaire suivant laquelle La Campana et Jarmen ne sont pas des parties nominales est, à mon avis, une conclusion qu’il était fondé à tirer compte tenu de la preuve relative à la façon d’agir de chacun pour soutenir les activités et les intérêts de Heli Tech.

 

[23]           Il est admis que le protonotaire s’est trompé dans la direction des mouvements de fonds entre La Campana et Heli Tech. Toutefois, j’estime que cette erreur de fait ne constitue pas une erreur manifeste et dominante susceptible d’entraîner l’annulation de la décision.

 

[24]           Les demandeurs King et Johnson allèguent qu’ils ne bénéficient tout simplement pas de ressources suffisantes pour fournir un cautionnement. Par contre, la preuve au dossier démontre qu’ils disposent effectivement de ressources et qu’il existe des bailleurs de fonds potentiels qui disposent effectivement de ressources. Par conséquent, j'estime que le protonotaire avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder de poids aux arguments avancés et de conclure que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de prouver qu’ils étaient impécunieux, tel qu’il est établi dans la jurisprudence citée précédemment.

 

[25]           L’avocat des demandeurs allègue que le protonotaire aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire, en application de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, de ne pas suspendre la présente procédure. La décision de ne pas faire droit à cette demande relevait manifestement du pouvoir discrétionnaire du protonotaire et je ne vois aucune erreur de principe ni mauvaise appréciation des faits dans l’exercice de ce pouvoir.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que, pour les motifs exposés, l’appel est rejeté. Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                               T-56-06

 

INTITULÉ :                                             HELI TECH SERVICES (CANADA) LTD. ET AL.

                                                                  c.

                                                                  WEYERHAEUSER COMPANY LIMITED/        COMPAGNIE WEYERHAEUSER LIMITEÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       VANCOUVER (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LES 25 ET 26 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 2 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Derek C. Creighton

 

POUR LES DEMANDEURS

J. Kevin Wright

 

 

 

 

Mark S. Oulton

 

 

 

 

Mark Fancourt-Smith

 

 

Li Jeen Broshko

POUR LES DÉFENDERESSES

Island Timberlands GP Ltd.,

Brascan Timberlands Management GP Ltd.,

Compagnie Weyerhaeuser ltée

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Cascadia Forest Prodcuts Ltd., Timberwest Forest Corp. et International Forest Products Limited

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Canadian Air Crane Limited

 

POUR LA DÉFENDERESSE

VIH Logging Ltd.

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Access Law Group

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Davis and Company LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Hunter Voith

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Church and Company

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES mentionnées précédemment

 

POUR LES DÉFENDERESSES mentionnées précédemment

 

POUR LES DÉFENDERESSES mentionnées précédemment

 

POUR LES DÉFENDERESSES mentionnées précédemment

 

 

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