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Date : 20061004

Dossier : IMM-7570-05

Référence : 2006 CF 1182

Toronto (Ontario), le 4 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

ZENON BRZEZINSKA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

ET ENTRE :

 

Dossier : IMM-7572-05

 

BARBARA BRZEZINSKA 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DES ORDONNANCES ET ORDONNANCES

 

[1]               Les demandeurs sont des partenaires qui, lors de l'évaluation des risques avant le renvoi (ERAR), ont présenté les mêmes éléments de preuve au sujet de leur crainte d'être persécutés (art. 96 de la IRPA) et d'être exposés à certaines menaces et à certains risques (art. 97) en tant que Roms s'ils devaient retourner en Pologne. L'agent d'ERAR qui a rendu la décision sur chacune des demandes a invoqué les mêmes motifs pour justifier leur rejet. Les motifs qui suivent s'appliquent donc aux deux demandes même si seul le dossier IMM-7570-05 est mentionné.

 

[2]               Dans les décisions à l'examen, l'agent d'ERAR a cité de larges extraits de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) avait rejeté la demande d'asile présentée par l'un et l'autre demandeurs. Dans sa décision, la SPR a tiré des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité après avoir entendu le témoignage donné par les demandeurs au sujet de leur risque personnel d'être persécutés en Pologne en tant que Roms. La SPR n'a donc pas tenu compte des éléments de preuve relatifs au risque personnel de persécution pour déterminer si les demandeurs risquaient d'être persécutés s'ils retournaient en Pologne. Il est d'ailleurs curieux de constater qu'en fin de compte, la SPR a refusé de procéder à une analyse indépendante des risques auxquels les demandeurs seraient éventuellement exposés en Pologne du simple fait de leur origine ethnique rome. Il s'agit probablement d'une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire mais, si je ne m'abuse, cette erreur n'a été signalée dans aucune des instances ultérieures.

 

[3]               Au soutien de leur demande d'ERAR, les demandeurs ont présenté des éléments de preuve solides pour démontrer qu'ils craignaient d'être persécutés et qu'ils risquaient de subir des violences du fait de leur origine ethnique s'ils retournaient en Pologne. L'agent d'ERAR a accepté ces éléments de preuve en les considérant comme de « nouveaux éléments de preuve », même s'ils étaient antérieurs à l'audience de la SPR et qu'aucune conclusion n'avait été expressément tirée au sujet de leur admission au dossier en vertu de l'article 113 de la LIPR. Les éléments de preuve soumis ont néanmoins été versés au dossier de la preuve des demandes d'ERAR sur le fondement desquelles les décisions à l'examen ont été rendues.

 

[4]               Voici quelques-uns des éléments de preuve qui ont été soumis :

[Traduction] Le rapport fait état des préoccupations exprimées par l'ERRC [Centre européen des droits des Roms] au sujet de la Pologne, et notamment de ce qui suit :

 

Violences à caractère raciste : En Pologne, les Roms sont souvent victimes d'agressions commises par des skinheads, d'actes de violence à caractère raciste et à du harcèlement par des non-Roms. Les victimes romes qui dénoncent ces actes de violence et de harcèlement aux autorités font souvent l'objet d'autres agressions et d'autres menaces. Beaucoup de Roms vivent donc dans un climat de peur qui affecte tous les aspects de leur vie, tant en ce qui concerne leurs rapports avec les autorités que leur accès aux lieux et aux services publics et leur capacité de participer pleinement à la vie de la communauté dans laquelle ils vivent. 

 

Refus de protéger les Roms et déni de justice dont font l'objet les victimes romes de crimes à caractère raciste : La police et les tribunaux polonais sont lents à réagir face aux signalements de crimes commis contre des Roms et à reconnaître que des motivations racistes entrent en jeu. Souvent, les enquêtes qui sont ouvertes au sujet de crimes à connotation raciste s'enlisent ou sont tout simplement abandonnées, sous le prétexte que les autorités ne disposent pas de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir lancer un mandat d'arrestation, établir un acte d'accusation ou rendre une décision de justice et ce, même dans les cas où les auteurs présumés des crimes ont été formellement identifiés par les victimes ou par des témoins.

 

Abus de pouvoir de la police : La police et d'autres agents de la force publique commettent fréquemment des abus de pouvoir contre les membres des communautés romes en se livrant carrément à des actes de violence, en procédant à des arrestations, des fouilles, des perquisitions ou des saisies illégales, ou en se livrant à du harcèlement ou en menant des enquêtes entachées de partialité. Les victimes qui signalent des actes à caractère racistes à la police sont parfois elles‑mêmes accusées de crimes qu'elles n'ont pas commis.

 

(Dossier de la demande, aux pages 46 et 47)

 

[…]

 

L'Association [« Plus jamais » (Stowarzyszenie Nigdy Wiecej)] affirme que le gouvernement [traduction] « n'offre pas aux Roms une protection adéquate contre la violence raciste. Des groupes ouvertement racistes exercent librement leurs activités en dépit des dispositions de la Constitution et du code pénal » et on a laissé entendre que [traduction] « les groupes fascistes les plus violents enregistrés en tant que partis politiques sont le PWN-PSN de Boleslaw Tejkowski, le PFN de Janusz Bryczkowski et la Renaissance nationale polonaise (National Polish Revival-NOP) d'Adam Gmurczk » (16 nov. 1999).

 

[…]

 

Stankiewicz a indiqué que dans les cas où des Roms sont victimes d'agressions, ils sont peu susceptibles de faire appel aux tribunaux ou de communiquer avec des procureurs ou la police parce qu'ils estiment que de telles démarches seraient inutiles. Il a fait observer que des incidents comme celui survenu à Ochotnica (voir plus haut) découragent les Roms d'accorder leur confiance aux autorités (13 janv. 2000). Il est d'avis que les fonctionnaires sont tout aussi susceptibles que le reste de la population d'avoir des stéréotypes à l'endroit des Roms, et que lorsqu'une victime rome fait appel aux autorités, on lui fait bien souvent sentir que c'est elle la coupable (ibid.).

Kwiatkowski a dit qu'à son avis, dans la majorité des cas d'agression contre des Roms, la police essayait simplement d'ignorer l'incident et de ne pas ouvrir d'enquête parce que cela serait trop fastidieux et trop coûteux (18 janv. 2000). Il croit que la police n'a pas confiance dans les témoins roms et qu'il est fort improbable que des Polonais de souche viendraient témoigner contre d'autres Polonais de souche qui auraient agressé un Rom (ibid.). Pour ces raisons, très rares sont les cas qui se rendent au delà de l'étape de l'enquête initiale (ibid.). De plus, Andrasz est d'avis que la police ne s'occupe pas de ces cas très activement et que les enquêtes finissent bien souvent par s'enliser, ce qui empêche les tribunaux d'intenter des poursuites (18 janv. 2000). Kwiatkowski se rappelait d'un seul incident en particulier au cours des deux dernières années − l'incendie criminel de 1998 à Bytom − qui avait donné lieu à l'application de toutes les procédures judiciaires, mais il pensait qu'il y avait peut-être eu un autre cas de ce genre (18 janv. 2000).

 

(Dossier de la demande, aux pages 87 et 88)

 

 

[5]               Dans chacune des demandes d'ERAR, les demandeurs soutiennent que, s'ils retournaient en Pologne, ils seraient exposés à une menace à leur vie, au risque de subir des violences à caractère raciste dirigées expressément contre la minorité rome, à des attaques fréquentes de la part de skinheads et à du harcèlement et à des agressions physiques répétées (dossier de la demande, à la page 31). Dans chacune des décisions à l'examen, l'agent d'ERAR a admis les éléments de preuve et les arguments soumis par les demandeurs (dossier du tribunal, à la page 3). 

 

[6]               Le processus d'ERAR engagé par les demandeurs exigeait donc de l'agent d'ERAR qu'il examine de façon équitable les éléments de preuve et les arguments qu'ils lui avaient soumis, c'est‑à‑dire qu'il tire des conclusions précises sur la question de savoir si, du seul fait de leurs origines ethniques romes, les demandeurs seraient exposés à plus qu'une simple possibilité de persécution et, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'ils devaient retourner en Pologne. À mon avis, l'agent d'ERAR ne s'est pas acquitté de cette obligation.

 

[7]               Dans ses décisions, l'agent d'ERAR n'aborde pas les éléments de preuve et les arguments présentés par les demandeurs. Après avoir répété les conclusions de la SPR, l'agent d'ERAR se lance dans une description du caractère démocratique de la Pologne et des mesures prises par ce pays − notamment l'adoption de lois interdisant la violence − pour faire face au problème de la discrimination généralisée contre les Roms. L'agent d'ERAR a négligé d'analyser l'efficacité des mesures prises en fonction de la question du risque que les demandeurs voulaient faire trancher. 

 

[8]               L'agent d'ERAR a estimé à juste titre que, comme la Pologne est un État démocratique, la présomption de la protection de l'État obligeait les demandeurs à présenter des éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter cette présomption. J'estime toutefois que les éléments de preuve soumis par les demandeurs pour réfuter la présomption obligeaient l'agent d'ERAR à décider si la présomption avait effectivement été réfutée et, dans la négative, pourquoi elle ne l'était pas. Or, l'agent ne s'est pas acquitté de cette obligation. Voici en effet la seule analyse à laquelle il s'est livré au sujet de la protection de l'État :

[Traduction] Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve objectifs pour pouvoir conclure que le gouvernement polonais ferme les yeux sur la discrimination exercée contre les Roms. La preuve démontre plutôt que le gouvernement prend des mesures pour améliorer la situation des Roms au sein de la société polonaise.

 

Le demandeur ne s'est pas déchargé de son obligation de démontrer qu'il ne pourrait compter sur la protection de l'État s'il retournait en Pologne.

 

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. (M.E.I. c. Villafranca, (C.A.F.) (1992, à la page 3 (Quicklaw)).

 

Le demandeur n'a pas démontré, par des éléments de preuve clairs et convaincants, que l'État n'était pas en mesure de le protéger.

 

L'avocat a cité des documents faisant état des difficultés éprouvées par les Roms en Pologne. Il existe toutefois aussi des éléments de preuve qui indiquent que le gouvernement polonais a pris des mesures pour résoudre les problèmes des minorités.

 

Vu l'ensemble de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincu qu'il y a lieu d'en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR en ce qui concerne les facteurs énumérés à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur et son avocat n'ont pas dissipé de façon satisfaisante les réserves exprimées par la SPR.

 

(Dossier du tribunal, aux pages 10 et 11)

 

[9]               Ainsi que je l'ai déjà souligné, un des facteurs invoqués par l'agent d'ERAR dans les motifs précités est la décision de la SPR. Voici ce que l'agent d'ERAR déclare un peu plus tôt au sujet de la décision de la SPR :

[Traduction] La question du risque soulevée par le demandeur et son avocat a été examinée lors de l'audience sur la demande d'asile.

 

En ce qui concerne l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le demandeur a eu l'occasion de soumettre de nouveaux éléments de preuve pour me persuader d'en arriver à une conclusion différente de celle de la SPR.

 

(Dossier du tribunal, à la page 6)

 

[10]           Pour résumer, dans sa décision, la SPR n'a tiré aucune conclusion au sujet des risques auxquels les demandeurs seraient exposés au sens des articles 96 et 97 parce qu'elle n'a pas ajouté foi au témoignage des demandeurs au sujet de leur expérience personnelle en ce qui concerne la violence fondée sur l'origine ethnique. Il semble qu'en tenant les propos précités, l'agent d'ERAR ait mal compris la nature des demandes d'ERAR présentées par les demandeurs, ce qui a influencé sa décision. La preuve et les arguments que les demandeurs ont soumis à l'appui de leur demande d'ERAR reposaient exclusivement sur les risques auxquels ils seraient éventuellement exposés en tant que Roms en cas de retour en Pologne, et non sur leur expérience passée en tant que Roms. Il semble que cette nuance ait échappé à l'agent d'ERAR, qui n'a donc pu s'acquitter de l'obligation qui lui incombait d'examiner la preuve et les arguments qui lui étaient présentés.

 

[11]           J'estime que la lacune constatée dans les décisions rendues par l'agent d'ERAR peut à juste titre être considéré comme un déni de justice naturelle. Les demandeurs avaient droit à une décision motivée sur la protection de l'État au vu des éléments de preuve qu'ils avaient soumis. Or, ils n'ont pas obtenu une telle décision. J'estime donc que les décisions rendues étaient entachées d'erreurs justifiant notre intervention.

 

ORDONNANCE

IMM-7570-05

Par conséquent, pour les motifs exposés, la décision d'ERAR à l'examen est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

IMM-7572-05

Par conséquent, pour les motifs exposés, la décision d'ERAR à l'examen est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7570-05

                                                            IMM-7572-05

 

 

INTITULÉ :                                       ZENON BRZEZINSKA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et                                                        

                                                            BARBARA BRZEZINSKA

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 3 octobre 2006

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford D. Luyt                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Gordon Lee                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Clifford D. Luyt                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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