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Date : 20061005

Dossier : IMM-7503-05

Référence : 2006 CF 1194

Toronto (Ontario), le 5 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

STELLA ROMILUYI

DANIEL ONI

CHRISTINE ONI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans la présente demande, la demanderesse principale fait reposer sa demande d'asile sur son témoignage suivant lequel son conjoint de fait a été violent envers elle et sur le fait que, si elle retourne au Nigéria, elle craint d'être de nouveau victime de violences.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d'asile de la demanderesse sur le fondement des conclusions vivement contestées qu'elle a tirées au sujet des contradictions qu'elle avait relevées entre le témoignage de la demanderesse et celui de sa sœur et de ses constatations d'invraisemblance en ce qui concerne la conduite de la demanderesse. La SPR a effectivement conclu que la demanderesse mentait au sujet d'aspects importants de sa demande, notamment en ce qui concerne les violences dont elle affirmait avoir été victime. La SPR a pour cette raison exclu deux éléments de preuve indépendants qui tendaient à corroborer le témoignage de la demanderesse au motif que, comme la SPR avait déjà conclu que la demanderesse mentait, les éléments de preuve en question étaient sans valeur.

 

[3]               Ainsi que la Cour l'a expliqué dans le jugement R.E.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1339, au paragraphe 9, il faut examiner tous les éléments de preuve se rapportant à la demande d'asile avant de tirer une conclusion générale au sujet de la crédibilité du demandeur d'asile :

D'abord, il n'est que juste et raisonnable pour des parties à un litige d'espérer que le décideur étudiera la preuve dans son intégralité, avec un esprit ouvert, avant de tirer des conclusions sur la valeur à accorder aux éléments critiques de la preuve. Quant au principe général selon lequel la preuve doit être étudiée dans son intégralité, voir l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). En l'espèce, je crois que la SPR a commis une erreur parce que, avant d'affirmer que le demanderesse principale n'était pas crédible, elle s'est dispensée d'étudier l'ensemble de la preuve, notamment le récit du viol de l'épouse ainsi que la preuve indépendante et convaincante portant sur les effets évidents de la torture et du viol, preuve qui était constituée de photographies et de rapports (voir aussi la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 422, et la décision Herabadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n° 1729).

 

[4]               Dans le cas qui nous occupe, la SPR a commencé par tirer une conclusion défavorable globale pour ensuite écarter des éléments de preuve corroborants indépendants par suite de cette première conclusion, ainsi qu'il ressort du passage suivant de la décision de la SPR :

         La demandeure d’asile n’a pas produit la lettre et n’a pas expliqué pourquoi. Le tribunal ne croit pas son explication quand elle dit qu’elle a dû démissionner parce que son conjoint voulait qu’elle perde son emploi. Le tribunal rejette donc sa preuve à ce sujet. Le tribunal n’accorde aucune valeur au message électronique d’Adekunle Adegbite et conclut que cette lettre est intéressée et incompatible avec la conclusion du tribunal selon laquelle cet incident ne s’est jamais produit.

 

         Le tribunal a également examiné un rapport psychologique présenté par la demandeure d’asile qui indique qu’elle souffre de troubles de stress post-traumatique. Le tribunal n’accepte pas la conclusion du psychologue selon laquelle son état résulte de violences familiales subies pendant qu’elle cohabitait avec son conjoint, car le tribunal a conclu, en ce qui concerne la crédibilité, qu’elle n’était pas victime de violence familiale comme elle le prétend. Le tribunal conclut que, si la demandeure d’asile souffre de ces troubles, ce doit être pour d’autres raisons que celles qu’elle avance, et il ne peut accorder aucune valeur au rapport sur la question relative à l’état résultant de violences familiales telles qu’elles sont décrites.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

(Décision du tribunal, aux pages 8 et 9)

 

 

[5]               Le psychologue qui a formulé l'avis qui a été écarté par la SPR commence par relater les violences dont la demanderesse avait été victime dans le passé et donne ensuite son avis d'expert sur son état psychologique par rapport aux antécédents de violence. Il est acquis aux débats que la version des faits que la demanderesse a donnée au psychologue ne constitue pas une preuve de la véracité de ses dires, mais que l'avis fondé sur ce récit constitue une preuve convaincante qui appuie la demande d'asile de la demanderesse. Autrement dit, il est possible de conclure que les éléments de preuve relatifs aux symptômes psychologiques de la demanderesse peuvent appuyer la conclusion que la demanderesse dit la vérité au sujet des violences qu'elle a subies étant donné que ces symptômes s'accordent avec ceux auxquels on peut s'attendre dans le cas d'une femme victime de violences. Voici un extrait de cet avis :

[Traduction]

 

Fonctionnement psychologique

 

Mme Romiluyi est une femme qui souffre de symptômes résiduels du syndrome de stress post-traumatique et de symptômes de dépression par suite des violences conjugales qu'elle a subies sur une longue période. Son diagnostic repose sur les symptômes suivants :

 

-         Humeur parfois dépressive (se sent mieux en présence de ses enfants)

-         Crises de larmes (lorsqu'elle est seule)

-         Perte d'intérêt face à certaines activités (notamment faire la cuisine)

-         Perte d'intérêt sexuel

-         Cauchemars à l'occasion (portant sur la mort de personnes)

-         Ruminations de son passé

-         Sentiments de culpabilité (au sujet de sa relation avec son conjoint de fait)

-         Évite les hommes (évite de rencontrer des hommes et fuit l'intimité physique de crainte de subir d'autres violences)

-         Hypervigilance, à l'occasion (sentiment que son conjoint peut la retrouver et lui faire du mal; sinon, elle se sent en sécurité au Canada)

-         Malaise face à son schéma corporel (en raison de l'abus sexuel; évite de se regarder nue; la situation semblerait en voie de s'améliorer au Canada au fur et à mesure qu'elle acquiert de la confiance en elle‑même)

-         Problèmes de concentration

Il vaut la peine de signaler que les symptômes de Mme Romiluyi ont été corroborés par les résultats qu'elle a obtenus en répondant aux questionnaire Beck-II sur la dépression et au questionnaire Beck sur l'anxiété, deux outils fiables généralement utilisés pour mesurer la présence et l'intensité des symptômes de dépression et d'anxiété.

 

Observations finales

 

Mme Romiluyi est toujours terrifiée à l'idée de retourner au Nigéria, elle craint énormément son conjoint de fait. […]

                

(Dossier du tribunal, aux pages 163 et 164)

 

[6]               Je conclus que la décision de la SPR est entachée d'une erreur justifiant notre intervention étant donné que la SPR a exclu certains éléments de preuve contrairement à la loi.

 

 

 

ORDONNANCE

 

J'annule donc la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7503-05

                                                           

 

 

INTITULÉ :                                       STELLA ROMILUYI et al.

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 5 octobre 2006

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johnson Babalola                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Me Martin Anderson                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Johnson Babalola                                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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