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Date : 20061011

Dossier : IMM-6469-05

Référence : 2006 CF 1206

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

HAJI DIADAMA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle M. Clive Joakim, membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, (le tribunal) a statué, le 5 octobre 2005, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention conformément à l'article 96 de la LIPR et qu'il n'était pas une personne à protéger conformément à l'article 97 de la LIPR.

 

[2]               M. Haji Diadama est un citoyen libérien âgé de 34 ans; il demande l'asile du fait de sa religion et de son appartenance à un groupe social. M. Diadama est un musulman Mandingo; il affirme que ses parents veulent le forcer à épouser une femme qu'il n'a pas choisie. M. Diadama a une amie chrétienne, Mme Nyima Konteh; or, ses parents désapprouvent les relations interconfessionnelles. En 1999, les parents de M. Diadama ont amené chez lui une femme musulmane – Mme Nato Camara – et ont dit à celui‑ci qu'il devait épouser cette femme et avoir avec elle des relations sexuelles afin de prouver sa virilité. M. Diadama a refusé; il allègue que sa famille l'a alors battu et qu'on lui a cassé le poignet et le pouce.

 

[3]               En l'an 2000, M. Diadama a rompu ses relations avec son amie chrétienne, Mme Konteh. Entre l'an 2000 et l'année 2003, la famille de M. Diadama n'a pas harcelé celui‑ci au sujet de ses relations. Toutefois, en 2004, M. Diadama a recommencé à fréquenter Mme Konteh. Au mois de mai 2004, M. Diadama s'est présenté dans une église chrétienne avec Mme Konteh pour être témoin du mariage de la soeur de cette dernière. En quittant l'église, M. Diadama a été vu par des membres de la communauté musulmane, qui croyaient qu'il allait se convertir au christianisme et qui l'ont ensuite agressé chez lui et lui ont cassé le nez. M. Diadama a mis fin à l'agression en consentant à épouser une femme musulmane que ses parents avaient choisie. M. Diadama ne s'est pas adressé à la police car il craignait qu'on refuse de l'aider et qu'on aide même à le torturer. M. Diadama s'est enfui du Libéria avant que la future mariée puisse lui être amenée; il craignait d'être tué s'il refusait encore une fois de l'épouser.

 

[4]               M. Diadama est arrivé au Canada au mois d'octobre 2004 après être passé par la Gambie, le Sénégal, la France, le Mexique et les États‑Unis. Il n'a demandé l'asile dans aucun de ces pays.

 

[5]               Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention puisque celui‑ci n'était pas sérieusement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels ou inusités ou encore au risque d'être soumis à la torture, et ce, pour les motifs ci‑après énoncés.

 

[6]               Le tribunal a accepté les rapports sur la situation du pays, qui établissaient que les relations entre musulmans et chrétiens au Libéria, sont généralement considérées comme [Traduction] « bonnes ».

 

[7]               De plus, le tribunal a examiné la preuve documentaire; il  n'a rien trouvé qui puisse étayer la thèse selon laquelle les mariages arrangés existaient au Libéria. Cette omission, dans la preuve documentaire libérienne, était particulièrement apparente étant donné que d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest – à savoir le Nigéria et le Ghana – traitaient expressément des mariages forcés dans leurs rapports sur la situation du pays. De plus, dans les pays où il y a des mariages forcés, ce sont habituellement les femmes qui sont contraintes de se marier, et non les hommes.

 

[8]               Le tribunal a clairement dit qu'il reconnaissait que le témoignage du demandeur était crédible, en ce sens qu'il ne renfermait aucune incohérence interne. Toutefois, le tribunal a remis en question la crédibilité du demandeur compte tenu du fait qu'aucune preuve documentaire susceptible d'étayer les énoncés de la demande n'avait été présentée, notamment des rapports sur la situation du pays. Le tribunal a fait remarquer que le demandeur était représenté par un avocat et qu'il avait disposé de suffisamment de temps pour obtenir la documentation à l'appui.

 

[9]               La seule preuve corroborante fournie par le demandeur était une lettre dans laquelle un ami, au Libéria, parlait de la situation de celui‑ci. Toutefois, le tribunal a conclu que cette lettre n'avait aucune valeur probante étant donné qu'elle semblait avoir été rédigée dans le but de renforcer l'histoire du demandeur. Le tribunal est arrivé à cette conclusion parce que la lettre expliquait des choses dont le demandeur était déjà au courant, ce qui donnait à entendre qu'il y avait déjà eu contact entre le demandeur et l'auteur de la lettre.

 

[10]           Étant donné l'absence de preuve documentaire à l'appui, et puisque les rapports sur la situation du pays ne traitaient pas des mariages arrangés [étant donné en particulier que les autres pays traitaient expressément de la chose lorsque cette pratique était courante], le tribunal a conclu que l'histoire du demandeur n'était pas crédible. Le tribunal a conclu à l'existence de circonstances appropriées permettant de réfuter la présomption de véracité du témoignage du demandeur.

 

[11]           Le tribunal a donc décidé que le demandeur ne serait pas en danger s'il retournait au Libéria.

 

[12]           Les dispositions pertinentes de la LIPR prévoient ce qui suit :

 

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

(a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

(a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; ou

 

(b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i)                   elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii)                 elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii)                la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv)               la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i)                   the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country;

(ii)                 the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country;

 

(iii)                the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

 

(iv)               the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

[13]           Le demandeur signale que la conclusion défavorable tirée par le tribunal au sujet de la crédibilité n'est pas fondée sur des incohérences internes, mais plutôt sur l'absence de documentation à l'appui des assertions factuelles qu'il avait faites. Selon lui, cela n'est pas rationnel puisqu'il existe une présomption de véracité du témoignage d'un demandeur et que l'absence de documentation à elle seule ne permet pas de surmonter cette présomption.

 

[14]           De plus, le demandeur reproche au tribunal de s'être fondé sur les rapports sur la situation du pays [à savoir les rapports du Nigéria et du Ghana qui montraient que des mariages arrangés sont contractés dans ces pays] à l'appui de la conclusion selon laquelle il n'y a pas de mariages arrangés au Libéria étant donné que les rapports sur la situation du Libéria ne disent rien à ce sujet. Le demandeur affirme que cette analyse ne tient pas compte des différentes religions, des manoeuvres politiques ou de la fiabilité des rapports sur les droits de la personne de ces différents pays, et que le tribunal ne pouvait donc pas faire l'inférence à laquelle il est arrivé.

 

[15]           Le défendeur soutient que le tribunal n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

 

[16]           Le défendeur affirme que le tribunal a eu raison de conclure que le demandeur n'était pas réellement exposé à une menace ou à un risque. Il était tout à fait raisonnable pour le tribunal de s'attendre à ce que les rapports sur la situation au Libéria fassent mention des mariages forcés et des problèmes de persécution liés aux mariages interconfessionnels dans la culture libérienne. Le tribunal a noté que les rapports sur la situation au Libéria traitent de la liberté de religion, de la discrimination, de la mutilation génitale féminine dans certaines sociétés et du traitement différent infligé à des groupes isolés – à savoir les femmes et les homosexuels.

 

[17]           Par conséquent, étant donné la gamme de sujets traités dans les rapports sur la situation au Libéria, il n'était pas manifestement déraisonnable pour le tribunal de s'attendre à y trouver des renseignements sur les mariages forcés, si de tels mariages étaient de fait contractés au Libéria, et ce, d'autant plus que les rapports sur la situation d'autres pays traitent expressément du mariage forcé et des pressions qui peuvent être exercées en cas d'inobservation de cette coutume.

 

[18]           Je suis d'accord avec le défendeur. Il n'est pas déraisonnable de supposer que si une personne était forcée de se marier, sous peine de faire face à un danger physique ou à la mort, et ne pouvait pas demander l'aide des autorités, cette pratique serait mentionnée dans un rapport impartial sur la situation du pays. Selon moi, étant donné que le demandeur est forcé de se marier, [ce qui est probablement plus rare que dans le cas d'une femme], cela indique également que les mariages forcés seraient le genre de choses qui seraient mentionnées dans un rapport sur la situation du pays si une telle pratique était courante.

 

[19]           Je ne comprends pas comment le demandeur peut dire qu'il était déraisonnable pour le tribunal d'avoir recours aux rapports sur la situation au Nigéria et au Ghana. Les trois pays sont situés dans la même région géographique et il semble parfaitement logique selon moi que lorsqu'une question est abordée dans le rapport sur la situation d'un pays, elle le soit également dans les autres rapports si la situation est la même. Il est vrai qu'il peut y avoir différentes cultures et différentes religions dans ces trois pays, mais je ne vois pas comment cela étaye la thèse du demandeur selon laquelle le rapport sur la situation au Libéria n'est pas exact pour ce qui est de l'omission de traiter des mariages forcés.

 

[20]           Le défendeur se fonde sur la décision Attia c. Canada, 2005 CF 690 pour soutenir que le tribunal peut à bon droit faire une inférence défavorable par suite de l'absence, dans la documentation, de renseignements que l'on peut raisonnablement s'attendre à trouver eu égard aux circonstances.

 

[21]           Dans l'affaire Attia, le demandeur égyptien alléguait avoir été enlevé et contraint de se convertir à l'Islam afin d'épouser une femme musulmane. Il n'y avait pas de preuve documentaire – et notamment pas de rapport sur la situation du pays – à l'appui de la thèse selon laquelle ce type de chose se produit en Égypte. La juge Layden‑Stevenson a statué que le tribunal n'avait pas fait une « lecture sélective » du rapport sur la situation du pays et que la conclusion défavorable que le tribunal avait tirée au sujet de la crédibilité n'était pas déraisonnable. Dans cette affaire‑là, la juge Layden‑Stevenson a reconnu que l'absence de preuve documentaire à l'appui était suffisante pour réfuter la présomption de véracité du témoignage du demandeur.

 

[22]           À mon avis, il est fort difficile de faire une distinction entre l'affaire Attia et celle qui nous occupe – tant sur le plan juridique que sur le plan factuel –, ce qui a effectivement pour effet de régler le présent contrôle judiciaire, à moins de ne pas souscrire à la conclusion tirée dans la décision Attia.

 

[23]           De plus, le juge Hugessen est arrivé à la même conclusion dans la décision Adu c. Canada, [1995] A.C.F. no 114, où le demandeur, qui alléguait qu'il existait une loi en vertu de laquelle il était persécuté, n'avait pas pu présenter de preuve de l'existence de la loi. Le juge Hugessen a statué que si le fait allégué existait, il serait raisonnable d'avoir une preuve documentaire à l'appui de l'allégation. L'omission de la preuve documentaire de mentionner ce à quoi on s'attendrait normalement permet de réfuter la présomption de véracité.

 

[24]           Le défendeur invoque également la décision King c. Canada, [2003] CF 1120 à l'appui de la thèse selon laquelle on ne peut se fonder sur l'absence de documents corroborants pour tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. Dans la décision King, le tribunal avait commis une erreur en faisant une inférence défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse étant donné que cette dernière n'avait pas soumis de documentation indiquant que les femmes étaient enlevées et forcées de subir une mutilation génitale. Toutefois, la Cour a statué qu'il existait bon nombre d'éléments de preuve – au moyen des rapports sur la situation du pays – montrant que la mutilation génitale féminine existait au Libéria et qu'il n'était pas nécessaire pour le tribunal d'exiger une preuve documentaire précise de la situation exacte que la demandeure craignait – à savoir le fait d'être enlevée. Il suffisait que les rapports sur la situation du pays démontrent que la mutilation génitale féminine existait; il n'est pas nécessaire de soumettre de la documentation au sujet de la méthode exacte de torture employée dans chaque cas. La chose imposerait un fardeau trop lourd au demandeur.

 

[25]           Toutefois, à mon avis, eu égard aux faits de l'espèce, la documentation manquante touche au coeur même de la demande – à savoir si les hommes sont forcés de contracter un mariage au Libéria – et la présente affaire est donc semblable aux affaires Attia et Adu, de sorte que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que la question soit mentionnée dans la documentation.

 

[26]           Je suis d'avis, eu égard à ces faits, que le tribunal pouvait à bon droit faire une inférence défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur. Selon moi, le fait que les rapports sur la situation au Libéria ne traitent pas des mariages forcés – en particulier dans le cas des hommes – constitue une preuve forte indiquant qu'il ne s'agit pas d'une pratique courante dans ce pays. Le fait que d'autres pays de l'Afrique de l'Ouest – le Nigéria et le Ghana – traitent expressément des mariages forcés dans leurs rapports sur la situation du pays ne fait que renforcer la logique utilisée par le tribunal en l'espèce.

 

[27]           Pour les motifs susmentionnés, je ne puis voir comment la conclusion défavorable qui a été tirée au sujet de la crédibilité, et par conséquent le refus de reconnaître le statut de réfugié, peuvent être considérés comme manifestement déraisonnables.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6469-05

 

INTITULÉ :                                                   HAJI DIADAMA

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 OCTOBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

416-862-0000

POUR LE DEMANDEUR

 

Marianne Zoric

416-954-8046

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

MAMANN ET ASSOCIÉS

Avocats

74, rue Victoria, bureau 303

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

POUR LE DEMANDEUR

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

130, rue King ouest, bureau 3400

Exchange Tower, boîte postale 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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