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Date : 20061012

Dossier : T‑66‑86

Référence : 2006 CF 1218

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

LA BANDE DE SAWRIDGE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

 

                                                                          - et -

 

            LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),

LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

et L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

intervenants

 

 

 

Dossier : T‑66‑86‑B

ENTRE :

LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

- et -

 

LE CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA),

LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

et L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

intervenants

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LA REQUÊTE

 

[1]               Les demanderesses demandent que l’instruction des actions qu’elles ont intentées (qui doit commencer le 24 janvier 2007) soit reportée au 12 mars 2007.

 

[2]               Les demanderesses demandent cet ajournement uniquement parce qu’elles veulent que la Cour attende la décision qui sera rendue relativement à la demande qu’elles ont présentée afin d’être autorisées à porter en appel à la Cour suprême du Canada l’arrêt prononcé par la Cour d’appel fédérale le 19 juin 2006. Elles disent que, si l’autorisation est accordée et que la Cour suprême entend leur appel, la décision que celle‑ci rendra pourrait redéfinir considérablement les questions dont la Cour est saisie dans le cadre de leurs actions.

 

[3]               Le 19 juin 2006, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par les demanderesses à l’encontre de mes décisions des 7 et 8 novembre 2005.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le contexte dans lequel s’inscrit la présente requête est litigieux et compliqué. Je l’ai décrit à plusieurs reprises dans les motifs de mes décisions concernant les requêtes préliminaires. Le problème vient d’une divergence d’opinions fondamentale entre les demanderesses et les autres participants sur la question de savoir ce que les actions en question impliquent au regard de l’autonomie gouvernementale. Cette divergence d’opinions est apparue en 2004, peu de temps avant le procès qui devait débuter initialement le 10 janvier 2005.

 

[5]               La Couronne et les intervenants affirment que la seule question en litige qui ressort des actes de procédure est de savoir si le projet de loi C‑31 porte atteinte au droit ancestral des demanderesses de décider de l’appartenance à leurs effectifs. Ils reconnaissent que, s’il est établi, un tel droit pourrait être un accessoire du droit des demanderesses à l’autonomie gouvernementale.

 

[6]               De leur côté, les demanderesses font valoir qu’elles ont soutenu dans leurs actes de procédure que la preuve du droit de décider de l’appartenance à leurs effectifs peut être faite non seulement directement (à l’aide d’éléments de preuve se rapportant à leurs lois, traditions, coutumes et pratiques), mais également par la preuve d’un droit général à l’autonomie gouvernementale qui est inhérent, ancestral, reconnu par les traités et protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Elles disent aussi qu’elles y ont soutenu subsidiairement que leur droit de décider de l’appartenance à leurs effectifs est un accessoire de leur droit général à l’autonomie gouvernementale.

 

[7]               Ce désaccord tumultueux sur l’étendue de l’autonomie gouvernementale revendiquée dans les actes de procédure des demanderesses dans leur forme actuelle a atteint son point culminant lorsqu’on m’a demandé de statuer sur des requêtes présentées par la Couronne en 2004 et en 2005 concernant la pertinence et le caractère adéquat des résumés de témoignage anticipé des témoins et d’un rapport d’expert produits par les demanderesses conformément à l’ordonnance préliminaire rendue par le juge Hugessen le 26 mars 2004. Le juge Hugessen était responsable de la gestion de l’instance entre 1997 (année au cours de laquelle les actions ont été renvoyées par la Cour d’appel fédérale pour faire l’objet d’une nouvelle instruction) et 2004 (année au cours de laquelle j’ai été désigné juge du procès). Malgré sa longue expérience de ce genre d’affaires, le juge Hugessen a vu ses efforts pour faire avancer ces actions se buter à une forte résistance. Il ressort du dossier que le juge Hugessen a formulé des avertissements et des critiques à maintes reprises – et pas uniquement à l’égard des demanderesses – à cause des retards inutiles et du manque de coopération des parties. Somme toute, comme le montre la période d’environ neuf ans qui s’est écoulée depuis que la Cour d’appel fédérale a ordonné une nouvelle instruction, il aura été très difficile d’en arriver à cette étape. Et malgré le fait que le juge Hugessen ait ordonné qu’un nouveau procès ait lieu le 10 janvier 2005, les disputes et la résistance ont continué, même après que j’eus été désigné juge du procès en 2004, de sorte que, pour une raison ou pour une autre, le procès a dû être reporté au 24 janvier 2007.

 

[8]               Depuis ma nomination à titre de juge du procès, les principaux points en litige ont été la portée des actes de procédure et la mesure dans laquelle les demanderesses ont revendiqué un droit général à l’autonomie gouvernementale. En d’autres termes, après sept ans au cours desquels il y a eu gestion de l’instance, communication de la preuve et préparation du procès, les parties ont soudainement découvert qu’il existait un fossé énorme entre elles au sujet de l’objet réel du litige. Ce problème a été mis en évidence lorsque l’on m’a demandé d’examiner et d’exclure certains des témoins que les demanderesses avaient l’intention d’appeler.

 

[9]               Les participants m’ont demandé, dans le cadre de l’examen des résumés de témoignage anticipé des témoins et du rapport d’expert du docteur Martinez produits par les demanderesses, d’examiner la portée des actes de procédure afin de déterminer si les demanderesses revendiquaient effectivement un droit général à l’autonomie gouvernementale qui justifierait la preuve volumineuse qu’elles se proposaient de produire sur cette question.

 

[10]           Mes décisions des 7 et 8 novembre 2005 portaient sur ces questions. J’ai conclu pour différentes raisons que les demanderesses ne devaient pas faire témoigner le docteur Martinez et certains des autres témoins qu’elles voulaient assigner et que certains des éléments contenus dans les résumés de témoignage anticipé des témoins n’étaient pas pertinents au regard de mon interprétation des actes de procédure parce que je ne pouvais pas accepter, après avoir examiné ces documents, l’historique du litige, les observations faites à la Cour par l’ancien avocat des demanderesses et la jurisprudence pertinente, que ces actes faisaient état du droit plus large à l’autonomie gouvernementale que les demanderesses veulent maintenant revendiquer.

 

[11]           Les demanderesses ont interjeté appel de mes décisions sur ces questions à la Cour d’appel fédérale, laquelle a conclu que je n’avais commis aucune erreur susceptible de contrôle en interprétant les actes de procédure ou en excluant des témoins et des témoignages sur la foi des résumés de témoignage anticipé ou de l’opinion d’expert du docteur Martinez. La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision le 19 juin 2006.

 

[12]           La Cour suprême du Canada est actuellement saisie d’une demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale, présentée par les demanderesses. Nous ignorons quand cette demande sera entendue, mais, si l’on se fie à l’expérience des avocats, la décision ne sera probablement pas rendue avant le début du procès, le 24 janvier 2007. Évidemment, si l’autorisation est accordée, les demanderesses demanderont à la Cour d’ajourner de nouveau l’instruction jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada entende leur appel et rende sa décision. Ce qui pourrait retarder de manière importante l’action intentée devant la Cour.

 

[13]           Un autre facteur important est le fait que les demanderesses ont maintenant avisé les autres participants et la Cour qu’elles étudient plusieurs possibilités dans l’éventualité où leur demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada serait rejetée, notamment la possibilité de se désister des actions en cours et d’intenter de nouvelles actions devant la Cour fédérale ou devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.

 

[14]           Il y a eu certains signes laissant croire que cela pourrait se produire. À la conférence de gestion de l’instruction le 23 août 2006, l’avocat des demanderesses a émis ouvertement des hypothèses sur les différentes possibilités qui s’offraient à ses clientes. Il a aussi été question du transfert possible de l’instance en Alberta lors de l’examen de la requête concernant l’existence d’une crainte de partialité que les demanderesses m’ont soumise en 2005. Mais il ne s’agit plus d’une simple hypothèse. Depuis que la présente requête a été déposée, les autres participants et la Cour savent clairement que les demanderesses pourraient se désister de leurs actions.

 

[15]           En fait, les demanderesses veulent que la Cour ajourne l’instruction jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada. Si l’autorisation leur est accordée, elles pourraient poursuivre leurs actions devant la Cour fédérale. Dans le cas contraire, elles pourraient se désister. Les demanderesses ont évidemment d’autres possibilités qui s’offrent à elles, comme elles l’ont fait savoir avec franchise à la Cour et aux autres participants. C’est cependant la possibilité qu’elles se désistent des actions qui me semblent avoir le plus d’incidence sur la requête en ajournement dont je suis saisi actuellement. Inutile de dire que cette possibilité complique considérablement la préparation des autres participants et de la Cour en vue d’un procès auquel du temps et des ressources ont été consacrés depuis environ neuf ans et qui pourrait ne pas avoir lieu si les demanderesses décidaient de se désister.

 

[16]           Dans la demande d’autorisation qu’elles ont présentée à la Cour suprême du Canada, les demanderesses ont soulevé les questions suivantes relativement à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale le 19 juin 2006 :

1.      Comment les actes de procédure dans lesquels sont revendiqués des droits à l’autonomie gouvernementale ancestraux et issus de traités doivent‑ils être interprétés?

2.      Les droits ancestraux des Autochtones à l’autonomie gouvernementale sont‑ils reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

3.      Les revendications d’autonomie gouvernementale autochtone relèvent‑elles de la compétence des cours de justice du Canada?

4.      Chaque droit de compétence concernant l’autonomie gouvernementale autochtone doit‑il être prouvé à l’aide des critères de l’arrêt Van der Peet?

5.      Les droits des Autochtones à l’autonomie gouvernementale sont‑ils des « droits ancestraux », des « droits issus de traités » ou des droits afférents au titre aborigène aux fins du paragraphe 35(1)?

6.      De quelle façon les droits ancestraux à l’autonomie gouvernementale peuvent‑ils être prouvés?

7.      Des droits particuliers, par exemple le droit d’une bande de décider de l’appartenance à ses effectifs, peuvent‑ils être établis comme des [traduction] « accessoires » d’un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale ou comme des droits [traduction] « nécessairement afférents » à ce droit?

8.      Le droit d’une Première nation de décider de l’appartenance à ses effectifs est‑il afférent au droit ancestral à l’autonomie gouvernementale qui est reconnu et confirmé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

 

[17]           Nous ne savons évidemment pas, actuellement, pour quels motifs l’autorisation pourrait être accordée, et l’interprétation que font les demanderesses de ce que la Cour d’appel fédérale a décidé est largement ouverte au débat. Nous ne savons pas non plus comment la Cour suprême du Canada traitera les autres motifs que j’ai donnés dans mes décisions, qui n’ont pas été infirmés par la Cour d’appel, pour exclure des témoins et des éléments de preuve parce que les demanderesses ne s’étaient pas conformées aux ordonnances antérieures de la Cour. Ainsi, la situation est encore très conjecturale.

 

[18]           Les demanderesses veulent garder leur liberté de choisir et elles disent craindre de subir un préjudice si le procès commence le 24 janvier 2007. La Cour peut évidemment voir que les demanderesses pourraient tirer un avantage stratégique d’un ajournement, mais la question est de savoir si elles satisfont aux critères établis par les tribunaux pour le report d’un procès alors qu’environ neuf ans se sont écoulés depuis que la Cour d’appel fédérale a ordonné le renvoi des actions pour qu’elles soient instruites à nouveau et environ 20 ans depuis que ces actions ont été intentées la première fois.

 

ANALYSE

 

Ajournement ou suspension?

 

[19]           Les demanderesses disent que la présente requête a été déposée en vertu du paragraphe 36(1) des Règles des Cours fédérales :

36 (1) La Cour peut ajourner une audience selon les modalités qu’elle juge équitables.

36 (1) A hearing may be adjourned by the Court from time to time on such terms as the Court considers just.

 

[20]           Cette règle semble suffisamment claire, mais la Couronne affirme que, comme les demanderesses me demandent en fait de modifier ma directive fixant la date du procès au 24 janvier 2007, c’est l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales qui devrait s’appliquer :

399 (2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

 

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

399 (2) On motion, the Court may set aside or vary an order

 

 

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

 

(b) where the order was obtained by fraud.

 

[21]           Fait encore plus intéressant, la NSIAA dit que tant les demanderesses que la Couronne font erreur : en fait, la présente requête vise à obtenir une suspension d’instance jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada statue sur la demande d’autorisation. Or, une telle demande doit être présentée à la Cour d’appel fédérale suivant l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême :

65.1 (1) La Cour, la juridiction inférieure ou un de leurs juges peut, à la demande de la partie qui a signifié et déposé l’avis de la demande d’autorisation d’appel, ordonner, aux conditions jugées appropriées, le sursis d’exécution du jugement objet de la demande.

 

65.1 (1) The Court, the court appealed from or a judge of either of those courts may, on the request of the party who has served and filed a notice of application for leave to appeal, order that proceedings be stayed with respect to the judgment from which leave to appeal is being sought, on the terms deemed appropriate.

 

[22]           Ce désaccord n’est évidemment pas simplement théorique. Si la requête dont je suis saisi vise en fait à obtenir une suspension d’instance, il est possible que je ne puisse pas l’examiner sur le fond. En effet, les demanderesses pourraient devoir la soumettre à la Cour d’appel fédérale. Si j’ai compétence pour l’entendre, je dois décider si elle devrait être considérée comme une demande de suspension ou comme une requête visée au paragraphe 36(1) ou à l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, chacune de ces possibilités ayant ses propres critères, normes et jurisprudence.

 

[23]           Il faut donc tout d’abord décider si la présente requête est réellement une requête en suspension que les demanderesses auraient dû présenter à la Cour d’appel fédérale.

 

[24]           Pour démontrer que la présente requête est une requête en suspension, la NSIAA s’appuie en particulier sur D & B Companies of Canada Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) (1994), 58 C.P.R. (3d) 342 (C.A.), et sur les décisions plus récentes rendues par le juge Blais dans Re Zundel, 2004 CF 198, et par le juge Nadon dans Commission canadienne des droits de la personne c. Malo, 2003 CAF 466.

 

[25]           Dans D & B, la Cour d’appel fédérale devait décider s’il y avait lieu de suspendre les procédures devant le Tribunal de la concurrence jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait entendu un appel visant une ordonnance rendue par ce tribunal.

 

[26]           Le juge en chef Isaac a décrit la situation dans les termes suivants aux paragraphes 15 à 18 de ses motifs :

Le 28 septembre, l’appelante a déposé et signifié un appel de cette décision du Tribunal.

 

N’ayant pu obtenir le consentement de l’intimé ni celui de l’intervenante à sa demande de renvoi de l’audition de la demande soumise au Tribunal, l’appelante a présenté au Tribunal une demande de renvoi de l’audience en attendant l’audition et le règlement de l’appel interjeté par l’appelant à la Cour. La demande a été entendue le 5 octobre 1994 et a été rejetée. Les motifs de la décision ont été prononcés par M. le juge Rothstein en sa qualité de juge du Tribunal. Après avoir entendu les arguments, M. le juge Rothstein a conclu que sa décision concernant la demande serait fondée sur les principes énoncés à l’arrêt Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] R.C.S. 110 et confirmés dans l’arrêt RJR ‑ MacDonald Inc. c. Procureur général du Canada, [1994] 1 R.C.S. 311. En vertu de ces principes, M. le juge Rothstein a conclu, tout d’abord, que l’appelante l’avait convaincu que la demande n’était ni futile ni vexatoire. Il a ensuite conclu que l’appelante n’avait pas démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si sa demande n’était pas accordée. Compte tenu de cette conclusion, le juge a estimé qu’il n’était pas nécessaire de décider si la prépondérance des inconvénients était en faveur de l’appelante.

 

Par suite de cette décision, l’appelante a déposé la présente requête appuyée par des affidavits de Randall T. Hughes et de Donald G. Easter. L’un et l’autre ont souligné notamment le préjudice et l’inconvénient que subirait l’appelante si elle était dans l’obligation de prendre part à l’audience du Tribunal avant l’audition de l’appel et la décision de la Cour. Le directeur n’a pas déposé d’affidavits en opposition; toutefois, il a présenté des arguments qui s’opposent à la requête. L’intervenante a appuyé son opposition par un affidavit de Gian M. Fulgoni, président du conseil d’administration de l’intervenante et les arguments des avocats.

 

Bien que fondés sur des faits récents, les arguments des parties ont été essentiellement les mêmes que ceux présentés devant le Tribunal sur la demande de renvoi. J’ai lu les motifs de M. le juge Rothstein et je suis essentiellement d’accord avec son analyse fondée sur les arrêts Metropolitan Stores et R.J.R. MacDonald. Je souscris donc à ses motifs dont j’annexe une copie à l’espèce. Je voudrais seulement ajouter que, ayant pris note des éléments de preuve déposés et des arguments qui ont été présentés, j’estime que l’appelante ne m’a pas convaincu que la prépondérance des inconvénients était en sa faveur. À cet égard, j’ai été influencé, dans une large mesure, par la disposition impérative du paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence qui prévoit que l’audition d’une requête devrait se faire sans formalisme, de façon expéditive, dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent.

 

[27]           Le juge en chef Isaac a ensuite rejeté l’appel. Il a joint à ses motifs ceux du juge Rothstein, le juge qui avait présidé l’audience du Tribunal de la concurrence. Le juge Rothstein a écrit ce qui suit aux pages 2, 3 et 6 de ses motifs :

La première question soulevée porte sur le critère que retiendra le Tribunal en examinant l’opportunité d’accorder ou de refuser un ajournement de l’instance en attendant l’issue d’un appel interjeté contre une ordonnance interlocutoire du Tribunal. L’avocat de l’intimée soutient que le critère utilisé n’est pas le même que dans le cas d’une suspension d’instance par laquelle on demande à une cour de surseoir aux procédures engagées auprès d’un tribunal ou auprès d’une cour d’instance inférieure. Tout en admettant que les principes applicables sont similaires à ceux qui régissent les cas d’une suspension d’instance, il fait valoir que la véritable question en jeu est la capacité du Tribunal à contrôler ses propres procédures.

 

L’avocat du directeur ainsi que les avocats de l’intervenante soutiennent que le critère dans le cas d’un ajournement en attendant l’appel en instance est le même que dans le cas d’une suspension d’instance.

 

Je suis d’accord avec l’avocat du directeur et les avocats de l’intervenante. Bien que les principes régissant les suspensions d’instance ne puissent être appliqués pour statuer sur toute requête en ajournement, un ajournement en attendant l’appel a certainement le même effet qu’une suspension d’instance en attendant l’appel. L’avocat de l’intimée a admis qu’il lui restait la possibilité de demander une suspension à la Cour d’appel fédérale. Je ne vois pas pourquoi le Tribunal, en examinant cette demande d’ajournement, appliquerait des principes distincts de ceux de la Cour fédérale à propos de la demande de suspension, étant donné que, dans l’un et l’autre cas, il s’agit des mêmes procédures. J’estime que les principes applicables aux suspensions d’instance, qui sont les mêmes que ceux régissant les injonctions interlocutoires doivent être appliqués dans le cas d’une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel.

 

[...]

 

Dans le cas présent, j’ai indiqué aux avocats que si la demande d’ajournement devait être accueillie, il se pourrait bien que le Tribunal soit en mesure d’entendre l’affaire au fond à compter du 16 janvier 1995. Ce délai n’est pas très long et ne serait pas en soi suffisant pour causer un préjudice irréparable. Toutefois, comme l’ont indiqué les avocats de l’intervenante, il n’existe aucune garantie que l’affaire puisse être entendue à partir de cette date. La Cour d’appel fédérale n’aura peut‑être pas rendu sa décision à la date en question. La partie qui n’aura pas obtenu gain de cause interjettera peut‑être appel à la Cour suprême du Canada. Évidemment, ces possibilités relèvent, pour l’instant, de la spéculation, mais elles soulèvent la question du délai qui peut fort bien dépasser trois mois. Si tel est le cas, un délai plus long peut occasionner un préjudice irréparable à l’intérêt public, de la manière indiquée dans l’arrêt RJR ‑ MacDonald Inc.

 

 

[28]           Le point important au regard de la question de la compétence que je dois trancher est la conclusion du juge Rothstein selon laquelle « [b]ien que les principes régissant les suspensions d’instance ne puissent être appliqués pour statuer sur toute requête en ajournement, un ajournement en attendant l’appel a certainement le même effet qu’une suspension d’instance en attendant l’appel ».

 

[29]           Ces propos semblent signifier que, si je décide d’examiner la requête en l’espèce, je dois me rappeler que « les principes applicables aux suspensions d’instance, qui sont les mêmes que ceux régissant les injonctions interlocutoires doivent être appliqués dans le cas d’une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel ». Ces principes sont bien connus. Ils ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans P.G. du Manitoba c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., Manitoba Food and Commercial Workers, section locale 832 et Manitoba Labour Board, puis dans RJR ‑ MacDonald Inc. c. P.G. du Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334.

 

[30]           Si j’applique ces principes à la présente requête, alors les demanderesses doivent être déboutées parce qu’elles n’ont produit aucune preuve concernant les aspects pertinents. Plus particulièrement, je ne dispose d’aucune véritable preuve d’un préjudice irréparable ou du fait que la prépondérance des inconvénients favorise les demanderesses.

 

[31]           Les demanderesses soutiennent qu’[traduction] « il n’y a aucune raison » de considérer leur requête comme une demande de suspension. Il y en a manifestement une, cependant. Les demanderesses demandent un ajournement uniquement pour que leurs deux actions soient suspendues jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada examine leur demande d’autorisation. Il ne s’agit pas d’une demande d’ajournement fondée, par exemple, sur des problèmes de préparation. En fait, les demanderesses ont pris soin de séparer les questions touchant la préparation en vue de l’instruction des questions relatives à l’autorisation dans leur argumentation devant la Cour, et les problèmes de préparation pourraient bien éventuellement constituer le fondement d’une nouvelle requête en ajournement de l’instruction.

 

[32]           Aussi, il me semble qu’on demande en fait à la Cour d’examiner une demande de suspension en l’espèce. Et les demanderesses n’ont pas tenté, dans leurs documents ou leur argumentation, de satisfaire aux critères et à la jurisprudence concernant les suspensions d’instance.

 

[33]           Pour surmonter ce problème afin que je puisse examiner la présente requête comme s’il s’agissait d’une simple demande d’ajournement visée au paragraphe 36(1) des Règles, les demanderesses ont attiré mon attention sur les décisions rendues par le juge Rouleau dans Schreiber c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1301 (1re inst.), au paragraphe 9, conf. par 1998 CarswellNat 440 (C.A.), et par le juge MacKay dans Alberta c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] A.C.F. no 450 (1re inst.), au paragraphe 35.

 

[34]           Dans Schreiber, le juge Rouleau était saisi d’une requête en ajournement alors que la Cour suprême du Canada avait déjà accordé l’autorisation dans une instance connexe. La situation est différente en l’espèce. Aucune autorisation n’a encore été accordée aux demanderesses, et une telle autorisation ne leur sera peut‑être jamais accordée. Dans Schreiber, une autre requête en ajournement, présentée avant que l’autorisation soit accordée, avait été rejetée.

 

[35]           De plus, rien dans la décision Schreiber ne permet de croire que l’on avait demandé au juge Rouleau de décider s’il devait traiter la requête comme une demande de suspension. La question ne semble pas avoir été abordée, de sorte que je ne peux pas considérer que cette décision décrit ce que la Cour devrait faire lorsque la jurisprudence relative aux demandes de suspension d’instance est invoquée et que la Cour doit trancher une telle demande.

 

[36]           Je pense toutefois que les demanderesses ont raison lorsqu’elles disent que la décision Schreiber montre que le juge Rouleau a examiné une simple requête en ajournement et y a fait droit dans la situation suivante :

10. Compte tenu des questions sur lesquelles la Cour d’appel fédérale a statué et des motifs d’appel sur lesquels la Cour suprême du Canada se prononcera ultérieurement, je suis convaincu que ces questions et ces motifs d’appel se rapportent à la présente demande au point qu’on pourrait presque qualifier la présente demande de demande sub judice. Je suis convaincu que le refus d’accorder l’ajournement imposerait un fardeau injustifié aux ressources de la Cour.

 

[37]           Je ne me prononce pas pour le moment sur la question de savoir si, compte tenu de la preuve dont je dispose en l’espèce, un tel ajournement serait justifié. Le juge Rouleau a toutefois, dans Schreiber, accordé un ajournement parce que « la décision que prononcera la Cour suprême du Canada sur la question qui lui a été soumise rendra la présente demande théorique ».

 

[38]           On ne fait pas valoir en l’espèce qu’une question dont est actuellement saisie la Cour suprême du Canada rendra les actions théoriques, mais cela ne change rien à l’argument des demanderesses selon lequel le juge Rouleau était disposé à accorder un ajournement dans un cas où, selon les intervenants en l’espèce, il aurait dû appliquer la jurisprudence relative aux demandes de suspension.

 

[39]           Cette situation est quelque peu troublante car c’est le juge Rouleau qui, dans AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. (1995), 64 C.P.R. (3d) 362 (C.F. 1re inst.), a refusé d’entendre une demande de suspension d’un renvoi concernant les dommages, ordonné à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale, jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada ait décidé si elle était disposée à entendre l’appel visant cet arrêt. Dans cette affaire, le juge Rouleau a clairement dit que, selon la jurisprudence, « cette question aurait dû être portée devant la Cour d’appel fédérale » (au paragraphe 3). Il a refusé d’examiner la requête pour différentes raisons, entre autres parce que, « [à] l’évidence, [l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême] appuie la thèse de l’intimée/demanderesse [...] » (au paragraphe 9). Le fait peut‑être le plus révélateur : le juge Rouleau a appliqué, au paragraphe 6, à la demande dont il était saisie, l’expression « dommages irréparables » employée à l’égard des demandes de suspension d’instance :

Je reconnais qu’en l’espèce les dépenses et les inconvénients résultant de la référence seront importants et aussi que cela, en soi, ne suffit pas à justifier l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire d’y surseoir. Des « dommages irréparables » au sens ordinaire, cela veut dire des dommages qui ne peuvent être compensés par une indemnité pécuniaire.

 

[40]           En ce qui concerne la question de la compétence, les faits d’AlliedSignal ressemblent beaucoup à ceux de l’espèce, en ce sens qu’aucune autorisation n’avait encore été accordée par la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Le juge Rouleau était clairement d’avis qu’il était saisi d’une demande de suspension d’instance qui aurait dû être présentée à la Cour d’appel fédérale, et ses motifs montrent également qu’il estimait que la jurisprudence pertinente était celle qui avait trait aux demandes de suspension.

 

[41]           La seule différence entre Schreiber et AlliedSignal est peut‑être le fait que, dans cette dernière affaire, la requête était formulée comme une demande de suspension et les parties l’ont plaidée ainsi, alors que, dans Schreiber, la requête a été considérée comme une demande d’ajournement et les parties semblent l’avoir plaidée ainsi. Cette question ne peut cependant pas être tranchée sur la foi de la terminologie et des notions employées par les parties. Ce qui est plus important, c’est que, dans AlliedSignal, le juge Rouleau était nettement d’avis, lorsque l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême a été invoqué, que la requête n’aurait pas dû lui être présentée, mais qu’elle aurait dû être soumise à la Cour d’appel fédérale.

 

[42]           Cela m’amène à croire que la position adoptée par le juge Rouleau après avoir entendu tous les arguments sur la question dans AlliedSignal appuie clairement les arguments mis de l’avant par la NSIAA en l’espèce. La requête des demanderesses est véritablement une demande de suspension qui aurait dû être présentée à la Cour d’appel fédérale.

 

[43]           Les demanderesses s’appuient sur la décision rendue par le juge MacKay dans Alberta pour affirmer que [traduction] « le critère à trois volets ne s’applique pas lorsqu’un ajournement est demandé au tribunal de première instance en raison d’une procédure en cours devant la Cour suprême du Canada ». Elles soutiennent que le juge MacKay a fait droit, dans cette affaire, à [traduction] « une demande d’ajournement de l’instance ayant lieu devant lui, en raison d’une procédure séparée mais connexe en cours devant la Cour suprême du Canada. Le juge MacKay a rendu cette décision en tenant compte de tous les faits et de toutes les circonstances de l’instance se déroulant alors devant la Cour. »

 

[44]           Il est toutefois très difficile d’établir un rapport entre la décision Alberta et les faits en l’espèce. Les demanderesses accordent une importance particulière aux motifs du juge MacKay figurant au paragraphe 35 :

L’avocat de la Province a fait valoir que le critère énoncé dans l’affaire Metropolitan Stores ne s’appliquait pas en l’espèce. Dans les motifs de mon ordonnance que j’ai exposés verbalement à l’audience, j’ai déclaré que j’examinerais de façon plus approfondie cette prétention. Cela étant fait, j’ai la conviction que ce critère s’applique davantage aux cas où il est demandé au tribunal de suspendre ou d’ajourner les procédures d’un autre organisme, la Commission par exemple, comme désirait l’obtenir la Province en demandant un redressement interlocutoire, y compris une injonction suspendant les travaux de la Commission, demande que le juge Rouleau a rejetée. Le critère énoncé dans l’affaire Metropolitan Stores ne convient pas autant lorsque l’on examine une requête de suspension ou d’ajournement de procédures qui a pour effet de différer l’accès aux mesures de redressement qui sont habituellement disponibles auprès de la présente Cour. Dans les cas de ce genre, le critère qui convient mieux est celui qu’a appliqué le juge en chef adjoint dans l’affaire Association of Parents Support Groups in Ontario (Using Toughlove) Inc. v. York et al., à savoir que la partie qui demande une suspension doit faire la preuve que l’intérêt de la justice justifie clairement une telle mesure et l’emporte sur le droit qu’a l’intimé de poursuivre son action. La Cour hésite à contrecarrer le droit de recours dont jouit une partie quelconque.

 

[45]           Dans Alberta, le ministre fédéral de l’Environnement cherchait à faire suspendre ou ajourner la demande que la province de l’Alberta avait présentée pour faire interrompre l’étude par une commission d’examen et d’évaluation en matière environnementale qu’il avait constituée du projet de construction d’un barrage sur la rivière Oldman. La suspension ou l’ajournement de la demande de la province était demandée parce que la Cour suprême du Canada était saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale, dans le cadre duquel certaines questions constitutionnelles pertinentes seraient examinées.

 

[46]           Ainsi, dans Alberta, le ministre voulait que la demande que la province avait présentée pour faire interrompre l’étude du projet par la commission soit suspendue jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada ait examiné des questions pertinentes soulevées dans des procédures connexes.

 

[47]           Il ne s’agissait pas, dans Alberta, de demandeurs dans une action qui voulaient faire interrompre leur action jusqu’à ce que la Cour suprême ait entendu leur propre demande d’autorisation d’en appeler d’une décision de la Cour d’appel fédérale.

 

[48]           De plus, on n’a pas, dans Alberta, demandé au juge MacKay d’examiner l’effet de l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême. Le ministre demandait que la demande de la province soit suspendue en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale ou, subsidiairement, qu’elle soit ajournée en vertu de l’article 323 des Règles de la Cour jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada se prononce sur un appel qui avait déjà été entendu et pour lequel une décision devait être rendue dans les mois suivants.

 

[49]           Le juge MacKay a rejeté la requête en suspension présentée par le ministre en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale au motif que la demande de la province n’était pas une « demande [...] en instance devant un autre tribunal au sens de l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale » (au paragraphe 30).

 

[50]           Le juge MacKay a aussi mentionné clairement dans Alberta que, peu importe le critère qu’il appliquait, « la question sérieuse est certainement celle qu’a soulevée la Province au sujet de la validité des attributions de la Commission ». Il a convenu qu’il s’agissait d’une question sérieuse et que « la question dont la présente Cour est saisie est celle de savoir s’il faut accorder une suspension ou un ajournement, mesure qui aurait pour effet de différer le règlement du litige » (au paragraphe 31).

 

[51]           Encore une fois, il n’existe aucune analogie entre cette affaire et la situation dont je suis saisi en l’espèce. Les actions en l’espèce ont été intentées par les demanderesses, qui demandent maintenant que l’instruction de ces actions soit ajournée. L’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada n’a pas été accordée. La Cour suprême du Canada n’a pas entendu l’affaire et on ne s’attend pas à ce qu’elle rende bientôt une décision.

 

[52]           Dans Alberta, les deux camps prétendaient qu’ils subiraient un « préjudice irréparable ». Le ministre et la commission alléguaient qu’ils subiraient un tel préjudice si la demande de la province était accueillie (au paragraphe 32) et la province, qu’un préjudice irréparable serait causé à ses intérêts si la commission était autorisée à poursuivre son étude (au paragraphe 33). Le juge MacKay a conclu sur cette question que, même si « n’importe laquelle des parties en l’espèce subira vraisemblablement un préjudice quelconque, quelle que soit l’issue de l’affaire [...] je ne suis pas convaincu que dans l’un ou l’autre cas le préjudice appréhendé serait irréparable » (au paragraphe 34).

 

[53]           Dans Alberta, la province demandait au juge MacKay de ne pas appliquer le critère établi dans Metropolitan Stores. Le juge MacKay a convenu au paragraphe 35 que ce critère ne convenait pas dans le cas dont il était saisi.

 

[54]           La situation est manifestement différente en l’espèce. On ne demande pas à la Cour de limiter le droit d’accès de l’une des parties dans une demande particulière présentée par elles ou par les intervenants. Aussi, il est difficile de voir pourquoi, compte tenu des faits en l’espèce, je devrais, en quelque sorte, pour cette raison, avoir recours à « l’intérêt de la justice » comme critère. À la lumière du raisonnement du juge MacKay dans Alberta, il n’y a aucune raison pour laquelle je devrais m’écarter du critère établi dans Metropolitan Stores, au motif que ce critère « ne convient pas autant lorsque l’on examine une requête de suspension ou d’ajournement de procédures qui a pour effet de différer l’accès aux mesures de redressement qui sont habituellement disponibles auprès de la présente Cour », comme l’a dit le juge MacKay.

 

[55]           La décision Alberta ne semble appuyer la thèse des demanderesses en l’espèce que si l’on prend dans leur sens général des propos du juge MacKay selon lesquels le critère de Metropolitan Stores « s’applique davantage aux cas où il est demandé au tribunal de suspendre ou d’ajourner les procédures d’un autre organisme [...] ».

 

[56]           Si je comprends bien la thèse des demanderesses, je ne devrais pas appliquer le critère établi dans Metropolitan Stores parce qu’il n’est pas demandé à la Cour en l’espèce de suspendre ou d’ajourner les procédures d’un autre organisme. Les demanderesses demandent simplement à la Cour d’ajourner leurs propres actions. Selon elles, la décision Alberta étaie leur position selon laquelle je devrais appliquer le critère d’« intérêt de la justice » mentionné par le juge MacKay dans cette décision.

 

[57]           À mon avis, il ressort clairement du reste de la décision du juge MacKay que, lorsqu’il a déterminé s’il convenait d’appliquer le critère de Metropolitan Stores, au paragraphe 35, il faisait simplement référence au volet « préjudice irréparable » de ce critère. J’arrive à cette conclusion parce que le juge MacKay n’a pas écarté complètement ce critère lorsqu’il a décidé de faire droit à la demande de suspension, comme l’indique le paragraphe 39 de ses motifs :

S’il est peu courant de suspendre ou d’ajourner une affaire dans des circonstances qui font effectivement différer l’accès à un redressement qu’une partie a, autrement, le droit de poursuivre, je suis convaincu que l’affaire dont il est question en l’espèce justifie la prise de cette mesure inhabituelle. La demande qu’a présentée le Ministre pour que soit ajourné tout autre examen de la demande de la Province, en attendant que la Cour suprême du Canada rende sa décision, devrait être accordée pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

1) Dans la mesure où le critère exposé dans l’affaire Metropolitan Stores peut servir de norme en l’espèce, je reconnais qu’il existe une question sérieuse à juger, soit celle qu’a soulevée la Province au sujet de la validité constitutionnelle des attributions de la Commission, mais il est dans l’intérêt du public d’en différer l’examen à ce stade‑ci. D’après moi, selon la prépondérance des inconvénients, il est vraisemblable que le fait d’examiner la requête de la Province pendant que la Cour suprême du Canada étudie des questions qui y sont étroitement liées occasionnera plus d’inconvénients aux intimés que ceux que subiraient la Province si l’on ajournait cet examen. À ce stade‑ci, des procédures qui mettent en doute la façon d’agir de la Commission, de même que toute ordonnance de la part de la présente Cour qui pourrait suspendre ou interrompre le processus d’examen de la Commission, perturberaient davantage les choses et seraient plus préjudiciables au processus d’examen environnemental public que le fait de poursuivre ce processus en attendant la décision de la Cour suprême. Je prends judiciairement connaissance du fait que la poursuite de l’examen obligera la Province à prendre part à d’autres travaux et que, plus cet examen se poursuivra, plus la Province aura à en supporter les coûts. Il y a toutefois des chances que la Cour suprême rende sa décision d’ici à quelques mois. L’audience ayant été tenue rapidement, nous pouvons tous espérer que la décision sera prononcée probablement bien avant le mois de novembre 1991, date à laquelle la majorité des questions sur lesquelles se penche la Commission seront peut‑être mûres pour être débattues en public et soumises à un examen définitif de la part de la Commission.

 

2) En raison des questions générales que le juge en chef adjoint Jérôme a exposées dans la transcription des procédures relatives aux demandes concernant le projet Daishowa, il me semble juste et convenable d’ajourner l’examen de la demande de la Province en attendant la décision de la Cour suprême. Lesdites questions s’appliquent davantage aux demandes examinées en l’espèce qu’aux demandes relatives au projet Daishowa car les points qu’étudie actuellement la Cour suprême, même s’ils diffèrent de la question soulevée ici, sont étroitement liés à cette dernière et découlent de procédures antérieures relatives au projet de construction d’un barrage sur la rivière Oldman. Ces questions comprennent les facteurs exposés ci‑dessous, qui, lorsqu’on les évalue par rapport au droit qu’a la Province d’entamer des procédures, font pencher la balance en faveur de l’intérêt de la justice.

 

3) Selon moi, il est préférable, pour l’intérêt de la justice et l’efficacité du système judiciaire, d’ajourner l’examen de la demande de la Province, parce que :

 

a)                  on peut s’attendre à ce que la Cour suprême se prononce bientôt sur la validité constitutionnelle du Décret sur les lignes directrices auquel sont subordonnés les processus de la Commission. Presque n’importe quelle décision sur le bien‑fondé de la demande de redressement définitif dont la présente Cour est saisie sera vraisemblablement touchée par la décision de la Cour suprême, qui, on peut s’y attendre, influencera la décision que cherche ici à obtenir la Province.

 

b)                  Même si la décision de la Cour suprême ne porte pas directement sur la question soulevée en l’espèce, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il peut être plus facile de la régler, et aussi de la soutenir de façon plus définitive, à la lumière de la décision, maintenant attendue, de la Cour suprême. Dans ces circonstances, n’importe quel juge des requêtes hésiterait à rendre une décision sur la demande de la Province avant que la Cour suprême rende son jugement, car celui‑ci pourrait avoir une grande incidence sur cette décision et occasionner d’autres difficultés aux parties. Si un juge des requêtes remettait le prononcé de son jugement jusqu’au moment où l’on saurait clairement quel effet la décision de la Cour suprême pourrait avoir, la Province se trouverait alors dans la même position que si un ajournement était accordé, ce qui n’est pas mieux mais certainement pas pire. Comme l’a dit le juge en chef adjoint Jérôme au sujet des demandes relatives au projet Daishowa, il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’un juge des requêtes se prononce sur un point étroitement lié à des questions qu’étudie déjà la Cour suprême.

 

c)                  L’avocat de la Province a reconnu avec franchise que même si la Cour suprême du Canada a refusé d’ajouter une question constitutionnelle précise sur les attributions de la Commission, l’argumentation présentée à la Cour au mois de février faisait valoir que lesdites attributions sont inconstitutionnelles, qu’elles englobent des questions qui relèvent de la compétence législative des provinces. L’avocat a exprimé l’espoir que la Cour suprême traite de la validité constitutionnelle des attributions de la Commission, soit le sujet même de la demande dont il est question en l’espèce. Selon moi, il serait malvenu d’examiner la demande à ce stade‑ci et dans ces circonstances, étant donné que des tribunaux de niveaux différents au sein du système judiciaire sont saisis de questions étroitement liées à la demande. Par ailleurs, à ce stade‑ci, il serait présomptueux de ma part d’examiner et de trancher une question que la requérante espère voir tranchée par la Cour suprême.

 

 

[58]           Ainsi, le juge MacKay semble avoir conclu que, dans la situation inusitée dont il était saisi, l’ajournement demandé par le ministre devait être accordé parce qu’une question sérieuse existait (même s’il s’agissait de la question de la province et non de celle du ministre) et que la prépondérance des inconvénients était favorable au ministre. Toutefois, au lieu de prendre en considération le préjudice irréparable (aucune partie ne l’avait convaincu sur ce point), il a pensé qu’il devait, vu les circonstances, examiner l’« intérêt du public » et déterminer si la suspension ou l’interruption du processus d’examen de la Commission « perturber[ait] davantage les choses et ser[ait] plus préjudiciables au processus d’examen environnemental public que le fait de poursuivre ce processus en attendant la décision de la Cour suprême ».

 

[59]           Après avoir procédé de cette façon, il a conclu qu’« il est préférable, pour l’intérêt de la justice et l’efficacité du système judiciaire, d’ajourner l’examen de la demande de la Province ».

 

[60]           S’il avait appliqué strictement le critère de Metropolitan Stores, il aurait dû rejeter la requête parce qu’il n’était pas convaincu que l’une des parties allait subir un préjudice irréparable. Il a cependant estimé qu’une application stricte de Metropolitan Stores ne répondait pas aux besoins de la situation, alors que les droits et les prétentions opposés exigeaient un examen de l’intérêt du public dans son sens large dans le cadre du processus général d’examen environnemental public.

 

[61]           S’il y a une analogie entre le raisonnement du juge MacKay dans Alberta et les intérêts opposés (dont l’intérêt du public dans son sens large) soulevés dans la présente requête, alors que des mois s’écouleront avant que la Cour suprême du Canada examine seulement la demande d’autorisation, les demanderesses ne l’ont pas fait ressortir devant la Cour. Elles s’efforcent plutôt d’affirmer qu’Alberta établit un principe général selon lequel Metropolitan Stores n’est pas applicable en l’espèce et que je devrais appliquer un critère d’« intérêt de la justice » général. Puis‑je le faire?

 

[62]           Il convient de mentionner d’abord que, peu importe ce qu’Alberta établit comme jurisprudence, cette décision ne règle pas les questions relatives à l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême qui sont soulevées en l’espèce.

 

[63]           Ensuite, il ressort assez clairement de la décision Alberta que le juge MacKay ne pensait pas que les principes à appliquer devaient dépendre du fait que la requête était appelée une demande de suspension ou une demande d’ajournement. Il a examiné la complexité de l’affaire et a élaboré des principes propres à cette réalité au lieu de se fonder sur une simple formule ou sur des facteurs purement sémantiques. La décision Alberta ne m’oblige donc pas à considérer la présente requête comme s’il s’agissait d’une demande d’ajournement plutôt que d’une demande de suspension.

 

[64]           Finalement, la remarque générale du juge MacKay selon laquelle le critère de Metropolitan Stores « s’applique davantage aux cas où il est demandé au tribunal de suspendre ou d’ajourner les procédures d’un autre organisme » ne représente plus l’opinion de la Cour. La décision Alberta a été rendue en 1991. Depuis ce temps, nous avons eu (pour ne nommer que les affaires qui ont été portées à mon attention dans le cadre de la présente requête) la décision rendue par le juge Rothstein en tant que membre du Tribunal de la concurrence dans D & B, selon laquelle « un ajournement en attendant l’appel a certainement le même effet qu’une suspension d’instance en attendant l’appel » et « les principes applicables aux suspensions d’instance, qui sont les mêmes que ceux régissant les injonctions interlocutoires doivent être appliqués dans le cas d’une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel ». Le juge en chef Isaac a fait sienne cette opinion et l’a appliquée dans l’appel interjeté dans cette affaire. Le même point de vue a été adopté par le juge Blais dans Zundel (2004) et par la Cour d’appel fédérale dans Malo (2003).

 

[65]           Les demanderesses ne m’ont présenté aucun argument ni aucun précédent réfutant ou même remettant en doute l’idée que, même dans un cas où une requête est qualifiée par un demandeur de demande d’ajournement, la Cour est obligée d’appliquer la décision du juge Rothstein et de traiter cette requête comme une demande de suspension d’instance s’il ne s’agit de rien de plus qu’« une demande d’ajournement en attendant l’issue de l’appel », ce qu’est certainement la requête en l’espèce. Les demanderesses s’appuient simplement sur la décision du juge Rouleau d’accorder un ajournement dans Schreiber (où la question de la suspension n’a pas été soulevée ou débattue) et sur certains propos très généraux du juge MacKay dans Alberta, une affaire quelque peu atypique qui ne présente aucune véritable analogie en ce qui concerne les questions soulevées dans la présente requête, ou à tout le moins aucune analogie mise en évidence par les demanderesses.

 

[66]           Compte tenu de cette jurisprudence, je crois que je suis obligé de traiter la présente requête comme s’il s’agissait d’une demande de suspension, avec toutes les conséquences que cela entraîne. Les demanderesses n’ont produit aucune preuve et n’ont avancé aucun argument me permettant de conclure qu’elles peuvent satisfaire aux facteurs concernant le préjudice irréparable ou la prépondérance des inconvénients du critère à trois volets habituel.

 

[67]           Par ailleurs, l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême m’empêche peut‑être de considérer la présente demande comme une demande de suspension.

 

L’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême et la compétence pour connaître de la présente requête

 

[68]           Selon les demanderesses, [traduction] « il n’y a rien dans l’article 65.1 qui prive le tribunal de première instance du pouvoir d’ajourner un procès ou qui ait priorité sur ce pouvoir ». Elles demandent simplement un ajournement [traduction] « du procès en raison de faits nouveaux survenus depuis la directive par laquelle la Cour a fixé le procès à janvier 2007 ».

 

[69]           Cette prétention pose plusieurs difficultés, selon moi. D’abord, comme je l’ai mentionné précédemment, il ne m’apparaît pas important que la présente requête soit considérée comme une demande d’ajournement visée à l’article 36 des Règles par les demanderesses. C’est la réalité qui importe. C’est exactement ce qui s’est passé dans Zundel et, malgré le fait que M. Zundel eût demandé un ajournement en vertu de cette disposition, le juge Blais a examiné la requête comme s’il s’agissait d’une demande de suspension. Il s’est alors fondé sur les propos formulés par le juge Rothstein dans D & B que j’ai cités plus haut. Aussi, comme j’ai déjà conclu que je suis saisi dans les faits d’une demande de suspension et non d’une simple demande d’ajournement, les demanderesses ne m’ont présenté aucun précédent ou argument concernant l’incidence de l’article 65.1 sur la décision que je dois rendre – soit, le fait que l’article 65.1 (et la jurisprudence connexe relative aux suspensions) prévoit qu’une demande de suspension doit être présentée à la Cour d’appel fédérale m’empêche‑t‑il d’examiner la présente requête comme s’il s’agissait d’une demande de suspension? Les décisions invoquées par les intervenants (Imperial Oil Limited c. Eric S. Lloyd et al., [2000] S.C.C.A. no 58, et Re: Pacific Paper Inc., [2001] S.C.C.A. no 400) ne font que confirmer que les demandes de suspension visées à l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême doivent être entendues par la cour d’appel compétente. La seule affaire portant directement sur la question qui m’ait été présentée est AlliedSignal, où le juge Rouleau a déclaré assez clairement que « [l]a jurisprudence semble appuyer la proposition voulant que cette question aurait dû être portée devant la Cour d’appel fédérale » et où il a rejeté la demande. Les demanderesses ne m’ont présenté aucun précédent ni aucun argument me convainquant que les conclusions tirées par le juge Rouleau dans AlliedSignal étaient erronées. Aussi, je ne vois aucune raison de m’écarter de ces conclusions. Qui plus est, il m’apparaît, dans un cas comme celui‑ci où les demanderesses demandent dans les faits que leurs actions soient suspendues jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada se penche sur la décision de la Cour d’appel fédérale (à tout le moins, sur la demande d’autorisation), qu’il serait tout à fait inapproprié que j’examine une telle demande dans les circonstances. Même si je dispose d’une certaine compétence concurrente et que je pourrais, malgré l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême, examiner la présente requête, je dois conclure non seulement que les demanderesses n’ont pas satisfait aux critères bien connus qui sont préalables à l’octroi d’une suspension, mais également que, de toute façon, il ne conviendrait pas que j’entende une demande de suspension soulevant le genre de questions qui sont soulevées en l’espèce et qui auraient dû être soumises à la Cour d’appel fédérale.

 

[70]           Il y a de très bonnes raisons pour lesquelles les demanderesses auraient dû soumettre la présente affaire à la Cour d’appel fédérale plutôt qu’à la Cour, la principale étant que la Cour d’appel fédérale sait ce qu’elle a décidé et pour quelles raisons. Les motifs invoqués par les demanderesses dans leur demande d’autorisation à la Cour suprême sont très problématiques et discutables; ils extrapolent l’arrêt de la Cour d’appel fédérale de manière très contestable et ils sont assurément incomplets quant à la portée et aux incidences de cet arrêt. La Cour n’est pas bien placée pour examiner la jurisprudence concernant les requêtes en suspension en tenant compte des nuances apportées par l’arrêt de la Cour d’appel fédérale et l’interprétation de cet arrêt proposée par les demanderesses dans leur demande d’autorisation. Je soupçonne qu’il s’agit là d’une partie de l’objet visé par l’article 65.1 de la Loi sur la Cour suprême.

 

[71]           Aussi, je dois conclure que la présente requête est, en réalité, une demande de suspension et que c’est à la Cour d’appel fédérale de l’entendre. Si j’ai compétence pour examiner cette demande, alors je dois conclure que les demanderesses n’ont produit aucun argument ou élément de preuve concernant le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients, deux facteurs du critère à trois volets, même si je serais disposé à reconnaître qu’elles ont soulevé une question sérieuse.

 

[72]           Pour ce seul motif, je dois rejeter la présente requête. Toutefois, dans l’éventualité où j’aurais tort à cet égard, et parce que je pense qu’il serait utile en l’espèce que j’examine aussi la requête comme s’il s’agissait d’une simple demande d’ajournement, je vais essayer d’examiner la requête du point de vue proposé par les demanderesses.

 

Les questions relatives à l’ajournement

 

[73]           Il faut prendre en compte tout l’historique des actions ayant opposé les parties si l’on considère que la requête en l’espèce est une simple demande d’ajournement, parce que les demanderesses disent avoir été étonnées par les conclusions auxquelles je suis arrivé – qui ont été confirmées par la Cour d’appel fédérale – concernant la portée des actes de procédure et l’exclusion de témoins et d’éléments de preuve relatifs à un droit général à l’autonomie gouvernementale, et parce qu’elles croient qu’on les empêche de plaider les aspects plus généraux de l’autonomie gouvernementale. Dans la requête pour partialité qu’elles m’ont présentée en 2005, les demanderesses alléguaient une crainte raisonnable de collusion entre la Cour fédérale, la Couronne et les intervenants visant à les empêcher de revendiquer un droit général à l’autonomie gouvernementale; cette crainte semble subsister en partie. Il est évident que, dans la présente requête en ajournement, la principale préoccupation reste la crainte des demanderesses que le fait qu’il ne soit pas question, dans les actes de procédure, d’un droit général à l’autonomie gouvernementale empêche l’instruction complète de toutes les questions qui opposent actuellement les parties au regard de la constitutionnalité du projet de loi C‑31 et le sentiment que la Cour doive donner plus de temps aux demanderesses pour leur permettre de mettre en état et de poursuivre leurs revendications à cet égard, devant la Cour fédérale ou ailleurs.

 

[74]           Par conséquent, en considérant la présente requête comme une simple demande d’ajournement, je crois qu’il est nécessaire que je résume et que je prenne en compte quelques‑unes des principales conclusions auxquelles je suis arrivé dans le cadre des requêtes précédentes qui sont pertinentes au regard des questions et des arguments soulevés par les demanderesses en l’espèce :

 

1.      Personne n’a empêché les demanderesses de revendiquer un droit général à l’autonomie gouvernementale semblable à celui qu’elles souhaitent maintenant soumettre à la Cour suprême du Canada dans leur demande d’autorisation. Les demanderesses ont toujours été libres de présenter une telle revendication depuis que le litige a commencé en 1986, à la condition de se conformer aux règles et à la jurisprudence applicables.

2.      Ni la Cour ni la Cour d’appel fédérale n’ont statué que les revendications générales d’autonomie gouvernementale ne relèvent de la compétence des tribunaux. Dans mes motifs du 7 novembre 2005, j’ai passé en revue la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la question de l’autonomie gouvernementale et j’ai conclu que le caractère justiciable des revendications générales d’autonomie gouvernementale était une question complexe. J’en suis cependant arrivé à cette conclusion uniquement à cause de ce que l’ancien avocat des demanderesses, M. Henderson, avait voulu dire en 1998 lorsqu’il avait déclaré, au sujet des modifications que les demanderesses voulaient apporter à leurs actes de procédure à l’époque, [traduction] « [j]e ne peux le faire de manière trop générale », et du fait que les demanderesses faisaient valoir seulement qu’elles avaient [traduction] « droit à cet aspect fondamental de notre autonomie gouvernementale », et non qu’elles avaient [traduction] « un droit à l’autonomie gouvernementale de manière générale [...] ». De la même façon, lorsqu’elle a été saisie de cette affaire, la Cour d’appel fédérale a écrit aux paragraphes 43 et 44 :

Néanmoins, le juge Russell a aussi reconnu que la Cour suprême ne s’était pas encore exprimée sur la question de savoir si une revendication d’autonomie gouvernementale selon le paragraphe 35(1) procède de droits particuliers (par exemple le droit pour une bande de décider de l’appartenance à ses effectifs), ou s’il s’agit d’un droit plus général d’où peut être inférée l’existence de droits particuliers.

 

Les avocats ne m’ont pas convaincu que la manière dont le juge Russell a analysé la jurisprudence de la Cour suprême sur ce point est juridiquement fautive. Selon moi, il n’incombait pas au juge Russell, dans le présent contexte, de trancher formellement une question très difficile sur laquelle la Cour suprême ne s’est pas encore prononcée. Il serait tout aussi imprudent pour la Cour, dans un appel interlocutoire, de prendre position en affirmant qu’une revendication générale d’autonomie gouvernementale ne saurait en aucun cas être jugée selon le paragraphe 35(1). Ce sont là des questions qui seront tranchées en temps et lieu. [...]

 

 

3.      La seule raison pour laquelle la Cour n’est pas saisie de revendications générales d’autonomie gouvernementale dans le cadre des présentes actions, dans la mesure où la Cour et la Cour d’appel fédérale sont concernées, c’est parce que les demanderesses n’en ont pas parlé dans leurs actes de procédure. Or, les demanderesses sont responsables du contenu de leurs actes de procédure.

4.      Dans le cadre de la nouvelle instruction, les demanderesses n’étaient pas limitées aux actes de procédure qu’elles avaient rédigés en vue de la première instruction. En conformité avec les arrêts de la Cour suprême du Canada auxquels j’ai fait référence dans ma décision du 7 novembre 2005, les demanderesses ont apporté des modifications particulières aux actes de procédure qu’elles avaient présentés au juge Hugessen en 1998. Les modifications ont été autorisées à l’époque et, en les proposant, l’avocat des demanderesses a dit à la Cour que tous droits à l’autonomie gouvernementale que les demanderesses souhaitaient mettre de l’avant [traduction] « conservent un lien suffisamment étroit avec ce que les demanderesses font actuellement valoir pour qu’une seconde et nouvelle action ne soit pas nécessaire », que les demanderesses alléguaient [traduction« un droit de compétence dans sa formulation la plus étroite possible » et que [traduction] « nous ne disons pas que nous disposons d’un droit à l’autonomie gouvernementale de manière générale. Ce n’est pas de ça qu’il s’agit en l’espèce ». Les demanderesses ont assuré la Cour et les autres participants que [traduction« le nouvel acte de procédure est simplement une explication se fondant sur l’ancien ». Les actions ont ensuite poursuivi leur cours tortueux, et ce conformément aux modifications autorisées en 1998 et sur la foi des garanties que les demanderesses avaient de nouveau données à la Cour et aux autres participants au sujet du caractère limité de leur revendication d’autonomie gouvernementale.

5.      En 2004, après que le procès eut été fixé au 10 janvier 2005 et qu’elles eurent fait savoir qu’elles étaient prêtes à procéder à l’instruction ce jour‑là, les demanderesses ont proposé d’autres modifications que j’ai examinées dans ma décision du 29 juin 2004. J’ai autorisé certaines de ces modifications, mais j’en ai refusé d’autres pour différentes raisons, notamment parce que j’estimais qu’il était trop tard pour revendiquer le droit général à l’autonomie gouvernementale que les demanderesses tentaient alors de faire reconnaître, non seulement pour elles‑mêmes, mais également pour d’autres Premières nations qui n’étaient même pas parties ou participantes à ces actions, et parce que ces revendications causeraient un préjudice grave à la Couronne en la forçant à subir un procès sur la foi de revendications générales dont il n’avait pas été question jusque‑là et à l’égard desquelles il n’y avait pas eu de communication préalable et de préparation. Les demanderesses ont accepté ce refus qui les empêchait d’élargir les revendications d’autonomie gouvernementale contenues dans leurs actes de procédure. Elles n’ont pas porté en appel mon ordonnance du 29 juin 2004.

6.      Ainsi, les demanderesses ont toujours su : a) que, dans leur version initiale, les actes de procédure ne mettaient de l’avant aucune revendication générale d’autonomie gouvernementale; b) que les modifications acceptées par le juge Hugessen en 1998 ne leur permettaient que de faire valoir un droit de compétence dans sa formulation la plus étroite possible et non [traduction] « un droit à l’autonomie gouvernementale de manière générale »; c) que leurs demandes visant à élargir les aspects relatifs à l’autonomie gouvernementale de leurs revendications après que la date du procès eut été fixée ont été rejetées et que ce rejet n’a pas été porté en appel.

7.      Au lieu de demander de nouvelles modifications ou d’interjeter appel de mon ordonnance du 29 juin 2004 par laquelle j’ai refusé qu’elles élargissent leurs revendications, les demanderesses ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à procéder à l’instruction de leurs revendications. Elles ont aussi produit des résumés de témoignage anticipé de témoins qui, dans certains cas, n’étaient pas conformes aux ordonnances rendues précédemment par la Cour ou n’étaient pas pertinents au regard des actes de procédure tels qu’ils étaient rédigés.

 

[75]           Les demanderesses se disent maintenant surprises de se retrouver dans la situation où elles se trouvent aujourd’hui. Elles ont retenu les services d’un nouvel avocat et elles affirment qu’elles devraient être autorisées à présenter des revendications générales d’autonomie gouvernementale qui, selon ce qu’on dit deux cours de justice, ne sont pas contenues dans leurs actes de procédure et qui, d’après ce qu’elles ont elles‑mêmes dit au juge Hugessen, ne s’y trouvaient pas. Elles demandent maintenant l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada pour voir si celle‑ci les aidera à faire valoir ces revendications. Elles pourraient évidemment avoir gain de cause, mais, aux fins de la requête dont je suis saisi en l’espèce, je ne peux que conclure que la seule raison pour laquelle les actes de procédure ne renferment pas de revendications générales d’autonomie gouvernementale, c’est parce que les demanderesses ont choisi de ne pas y mettre pareilles revendications et, lorsqu’elles ont essayé d’élargir ces actes en 2004, elles ont accepté ma décision selon laquelle il était trop tard à l’époque pour apporter un changement aussi radical dans une poursuite judiciaire qui était en instance depuis 18 ans et dans le cadre de laquelle il n’y avait eu ni communication préalable ni préparation à l’époque concernant de telles revendications.

 

[76]           Il faut se rappeler également que j’ai expressément demandé à l’avocat qui représente maintenant les demanderesses de m’expliquer la divergence entre les remarques formulées par l’ancien avocat en 1998 au sujet de la formulation étroite d’un droit de compétence et l’approche large que les demanderesses voulaient dorénavant mettre de l’avant et qui, selon ce qu’elles disent, était incorporé dans leurs actes de procédure. La seule réponse que j’aie obtenue est la suivante : [traduction] « Pour ce qui est des commentaires de M. Henderson sur ces questions, ce que je voudrais vous dire, c’est de tout simplement les oublier. Oubliez‑les. » Or, comme le dossier le montre, je ne pouvais pas les oublier, et la Cour d’appel fédérale a aussi pensé qu’ils étaient pertinents. L’avocat actuel des demanderesses possède une longue expérience et une habilité considérable. S’il me dit d’oublier des commentaires qui sont manifestement importants pour interpréter les actes de procédure, alors je suis certain que rien n’explique pourquoi, après avoir dit une chose en 1998, les demanderesses adoptent maintenant une position totalement différente sur la question des revendications générales d’autonomie gouvernementale dans leurs actes de procédure. Ce qui est plus révélateur, à mon avis, c’est que les demanderesses n’ont jamais dit à la Cour que M. Henderson avait tort lorsqu’il avait dit au juge Hugessen ce qu’elles espéraient obtenir en modifiant leurs actes de procédure en 1998. Les demanderesses ont commencé à revendiquer un droit plus général à l’autonomie gouvernementale en 2004 seulement, après que la date du procès eut été fixée et à un moment où la Couronne aurait subi un préjudice énorme si on leur avait donné raison.

 

[77]           Les demanderesses font valoir qu’elles sont forcées de demander un ajournement parce qu’elles ne s’attendaient pas aux décisions rendues par la Cour et par la Cour d’appel fédérale sur la portée de leurs actes de procédure. Je pourrais le comprendre si l’équipe d’avocats des demanderesses était entièrement nouvelle. Or, Mme Twinn fait partie de l’équipe depuis le début et les divergences concernant la portée des actes de procédure ont été le principal problème depuis que j’ai été désigné juge du procès. La Couronne a fait état de ces divergences lors de la première conférence de gestion de l’instruction en septembre 2004 et elles expliquaient évidemment une très grande partie des propositions de modification qui m’ont été présentées en 2004. Aussi, je ne peux accepter l’allégation que la situation dans laquelle se trouvent maintenant les demanderesses était imprévisible. En fait, compte tenu du choix qu’elles ont fait de ne pas revendiquer un droit général à l’autonomie gouvernementale dans leurs actes de procédure et de le faire valoir plutôt en produisant des témoignages et des éléments de preuve qui, comme je l’ai déjà mentionné, concernaient également d’autres Premières nations qui ne sont pas parties aux présentes actions, il était pratiquement inévitable qu’elles se retrouvent dans la situation où elle sont actuellement.

 

[78]           Tout cela pour dire que les problèmes auxquels les demanderesses se heurtent maintenant parce que la date du procès approche rapidement et qu’elles souhaitent demander l’aide de la Cour suprême pour faire valoir leurs revendications générales d’autonomie gouvernementale sont entièrement de leur faute et découlent de la façon dont elles ont choisi de procéder. Si elles avaient revendiqué un droit général à l’autonomie gouvernementale devant le juge Hugessen en 1998, cette question aurait pu être abordée dans la demande de modification qu’elles ont présentée à l’époque. De même, si les demanderesses pensaient que j’avais tort de refuser les modifications visant à revendiquer un droit général à l’autonomie gouvernementale en 2004, après que la date du procès eut été fixée, elles auraient pu facilement soumettre l’affaire directement à la Cour d’appel fédérale. Or, elles ont choisi de n’en rien faire et de plutôt aller de l’avant avec les actes de procédure tels qu’ils étaient rédigés et qui, pour les motifs que j’ai expliqués, ne renfermaient manifestement aucune revendication générale d’autonomie gouvernementale.

 

[79]           Je ne blâme pas les demanderesses à cet égard, mais elles ont fait leurs propres choix et elles ont eu la possibilité de présenter leurs arguments, y compris toute revendication qu’elles pouvaient avoir concernant des droits généraux à l’autonomie gouvernementale et des droits accessoires d’un droit général à l’autonomie gouvernementale. La Cour d’appel fédérale a fait référence au fait que ce litige est ancien et compliqué et aux innombrables contestations élevées à l’encontre de décisions interlocutoires, dont aucune n’a cependant abouti. Tous ces appels ont entraîné des retards et dissipé les ressources des autres participants et de la Cour. Tout cela doit être gardé à l’esprit et fait partie du contexte dans lequel la présente requête doit être examinée. L’ajournement demandé par les demanderesses pourrait préparer la voie à un autre retard de plusieurs mois ainsi qu’à des disputes, alors que les modifications mineures qu’il pourrait être nécessaire de faire à la portée de l’instruction par suite de la décision que rendra la Cour suprême du Canada sur l’appel des demanderesses pourront être faites une fois que cette décision aura été rendue.

 

[80]           Les demanderesses demandent maintenant à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 36(1) des Règles et de reporter la date du procès au 12 mars 2007. Si la Cour suprême du Canada accueille leur demande d’autorisation, elle se présenteront de nouveau devant la Cour pour obtenir un autre ajournement. Au soutien de leur demande d’ajournement, elles citent différentes décisions, dont celles rendues par la juge Heneghan dans Tucker c. Canada, [2004] A.C.F. no 1939 (1re inst.), et par le juge Harrington dans Timis c. Canada (MCI), [2004] A.C.F. no 1691 (1re inst.).

 

[81]           Dans Tucker, la juge Heneghan a passé en revue la jurisprudence relative aux ajournements et est arrivée aux conclusions suivantes aux paragraphes 5 et 6 :

Quelques facteurs entrent en ligne de compte lorsque la cour examine une demande d’ajournement. Premièrement, il y a la question du préjudice causé à l’une ou plusieurs des parties; voir Martin c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1999), 162 F.T.R. 127 (1re inst.). Deuxièmement, il faut tenir compte de la question du préjudice causé à la cour vu la perte du temps autrement dévolu à l’audience; voir Ismail c. Canada (Procureur général) (1999), 177 F.T.R. 156 (C.F. 1re inst.). Un troisième facteur veut qu’il soit dans l’intérêt public d’arriver à une conclusion diligente du litige et de faire une utilisation rationnelle des ressources judiciaires; voir Markestyn c. Canada, [2001] 1 C.F. 345.

 

Par ailleurs, la question de l’ajournement pour permettre la tenue d’une audience à une certaine date a été étudiée par l’ancien juge en chef adjoint Jerome dans une directive de pratique datée du 17 février 1993. Selon cette directive, un ajournement ne sera accordé qu’en présence de circonstances exceptionnelles.

 

 

[82]           Le juge Harrington a fait ressortir le caractère exceptionnel d’une telle mesure au paragraphe 5 de Timis :

Les ajournements sont gérés par l’article 36 des Règles de la Cour fédérale (1998). Le paragraphe 36(1) indique que la Cour peut ajourner une audience selon les modalités qu’elle juge équitables. Selon les instructions relatives à la pratique distribuée par la division de première instance de la Cour Fédérale en 1993, les parties qui avaient reçu une date d’audience, recevraient seulement un ajournement dans des cas exceptionnels (Martin v. Canada (MEI) (1999), 162 F.T.R. 127 (C.F. 1re inst.); Ismail v. Canada (PG) (1999), 177 F.T.R. 156 (C.F. 1re inst.).

 

 

[83]           Si j’applique la jurisprudence qu’elles citent et que je traite la présente requête comme s’il s’agissait d’une simple demande d’ajournement, les demanderesses soumettent à la Cour les arguments suivants :

a)                  un bref ajournement d’environ six semaines n’est pas déraisonnable dans les circonstances. Ce délai leur permettra de recevoir le jugement de la Cour suprême du Canada concernant leur demande d’autorisation et d’explorer les solutions de rechange décrites par leur avocat le 23 août 2006;

b)                  ce bref délai ne causera de préjudice ni à la Couronne ni aux intervenants parce que la Cour d’appel fédérale a accordé une injonction provisoire, qui est toujours en vigueur et qui fait en sorte que toutes les personnes ayant des [traduction] « droits acquis » qui sont touchées par la loi en cause sont des membres des Premières nations demanderesses jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les actions. Ainsi, elles sont les seules parties qui pourraient subir un préjudice si un autre ajournement était accordé;

c)                  l’importance de la demande d’autorisation qui est actuellement en instance devant la Cour suprême du Canada justifie un ajournement parce que les questions en litige sur lesquelles je me suis prononcé dans les ordonnances des 7 et 8 novembre 2005 sont au cœur des actions en cause et définissent les théories juridiques fondamentales qu’elles pourraient avancer dans leur déclaration d’ouverture et pendant le procès. Si l’instruction a lieu et que leur appel est accueilli, il y aura un gaspillage de ressources judiciaires et des ressources de tous les participants;

d)                  l’absence d’une revendication d’autonomie gouvernementale dans les actes de procédure empêche une instruction complète de toutes les questions concernant le projet de loi C‑31 qui sont actuellement en litige dans les actions. Par conséquent, elles ne sont pas en mesure actuellement de faire valoir que le droit particulier de décider de l’appartenance à leurs effectifs est un accessoire du droit plus général à l’autonomie gouvernementale ou de prouver l’existence d’un tel droit;

e)                  un autre problème qu’elles éprouvent est le fait que la Couronne a fait valoir que les questions en litige entre elle et les demanderesses concernant la constitutionnalité du projet de loi C‑31 seront considérées chose jugée une fois que les questions soulevées dans les actes de procédure seront tranchées. Cela signifie que, si une décision est rendue à la suite du procès en l’absence d’une revendication fondée sur l’autonomie gouvernementale autochtone, la Couronne fera valoir que les demanderesses ne peuvent pas soulever ce motif pour contester le projet loi C‑31 dans une autre poursuite. Un tel résultat ne devrait pas leur être imposé tant que la Cour suprême du Canada n’a pas statué de façon définitive sur la demande qui lui a été présentée;

f)                    tout cela signifie qu’elles doivent évaluer leur position et prendre une décision éclairée, sur les conseils d’un avocat, concernant la conduite future de leurs actions. Une telle décision ne peut être prise tant que l’issue de la demande d’autorisation n’est pas connue;

g)                  il est possible qu’une décision soit rendue relativement à la demande d’autorisation avant la date fixée pour le procès, ou peu de temps après. L’ajournement demandé sera donc de courte durée. Cependant, si l’autorisation est accordée, elles demanderont un autre ajournement du procès jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada aura statué sur leur appel. Si l’autorisation est refusée, elles seront en mesure de décider, en consultation avec leurs avocats, laquelle des possibilités qui s’offrent à elles elles souhaitent mettre à profit.

 

[84]           On peut répondre assez brièvement à ces arguments compte tenu de la façon dont les actions ont évolué depuis qu’elles ont été intentées il y a des années et du fait que la Cour doit être conséquente avec les décisions qu’elle a rendues dans le passé.

 

[85]           Tout d’abord, un ajournement de courte durée n’est pas réellement la solution. Il n’est pas nécessaire d’examiner les effets des rapports des demanderesses avec la Cour suprême du Canada tant que nous ne savons pas que l’autorisation a été accordée et quelles en sont les modalités. Ce n’est que lorsqu’elle le saura que la Cour sera en mesure d’évaluer l’effet de la demande d’autorisation sur les actions et de déterminer les modifications qui devront être apportées au calendrier de l’instruction et à la procédure pour protéger les droits des demanderesses. Ces modifications devront tenir compte de tout le temps qu’il faudra à la Cour suprême du Canada pour rendre une décision sur le fond de l’appel. La présente requête est donc, à tout le moins, prématurée.

 

[86]           Ensuite, les demanderesses ne subiront aucun préjudice si l’ajournement de l’instruction demandée n’est pas accordé. Elles ne savent même pas si leur demande d’autorisation sera accueillie. Le seul véritable préjudice surviendra si cet ajournement est accordé, et ce seront les autres participants et la Cour qui en seront les victimes. Neuf ans environ s’étant écoulés depuis que les actions ont été renvoyées pour être instruites à nouveau, il est maintenant impératif qu’elles soient instruites le plus tôt possible.

 

[87]           Il ne fait aucun doute que la demande d’autorisation qu’elles ont présentée à la Cour suprême du Canada est importante pour les demanderesses, mais toutes les demandes d’autorisation sont importantes pour ceux qui les présentent, sauf si elles sont frivoles. Le simple fait qu’une demande d’autorisation a été présentée ne justifie pas un ajournement. Les questions que j’ai tranchées dans mes décisions des 7 et 8 novembre 2005 découlaient inévitablement des modifications apportées en 1998 et de ma décision du 29 juin 2004 portant sur d’autres modifications. Ces décisions n’ont pas été contestées ou portées en appel par les demanderesses. Si les questions faisant l’objet de mes décisions des 7 et 8 novembre 2005 sont fondamentales pour la conduite des actions, elles l’étaient tout autant pour les décisions concernant les modifications qui ont été rendues en 1998 et en 2004 et elles auraient pu être examinées dans le cadre de ces décisions ou immédiatement après que celles‑ci furent rendues. Les demanderesses avaient sûrement leurs raisons de ne pas aborder ces questions à l’époque, mais le fait qu’elles essayent maintenant de les soulever indirectement, après que la date du procès a été fixée, n’est pas une raison de reporter le début du procès, et tout désavantage subi par les demanderesses par suite de leur décision de ne pas parler de la portée des actes de procédure plus tôt ne devrait pas maintenant être utilisé pour retarder encore une fois un procès qui aurait dû débuter depuis longtemps.

 

[88]           Si les demanderesses voulaient soumettre à la Cour la question du droit général à l’autonomie gouvernementale ou faire valoir que le droit particulier de décider de l’appartenance à leurs effectifs est un accessoire du droit à l’autonomie gouvernementale, elles auraient pu le faire dans le cadre des modifications aux actes de procédure qu’elles ont demandées en 1998, et elles n’auraient pas dû dire à la Cour et aux autres participants à l’époque qu’elles présentaient seulement une revendication limitée et que les actions n’avaient pas trait à des revendications générales d’autonomie gouvernementale. Subsidiairement, elles auraient pu contester ma décision du 29 juin 2004 par laquelle j’ai refusé des modifications importantes parce que la date du procès approchait. C’est à cause de leur décision de ne pas aborder ces questions avant que des décisions importantes soient rendues qu’elles se retrouvent dans la situation difficile dont elles se plaignent maintenant. Si les demanderesses ont raison de dire qu’elles ne sont pas actuellement en mesure de faire valoir certains points ou d’en faire la preuve, c’est de leur faute et cela ne devrait pas être une raison de retarder encore plus la procédure au préjudice des autres participants et de la Couronne.

 

[89]           Si les demanderesses se heurtent maintenant au principe de la chose jugée, c’est également à cause de la façon dont elles ont choisi de conduire leurs actions au cours des neuf dernières années. Il s’agit en outre d’une conséquence inévitable des décisions relatives aux modifications auxquelles elles ont pleinement participé. Les demanderesses ont accepté ces décisions et ne les ont pas portées en appel. Si elles ne peuvent pas maintenant soumettre à la Cour la question de l’autonomie gouvernementale dans toute la mesure qu’elles voudraient, c’est à cause des choix qu’elles ont faits il y a plusieurs années, et cela ne justifie pas que l’instruction soit de nouveau retardée.

 

[90]           L’opinion de la Cour sur ces questions s’inscrit tout simplement et inévitablement dans la foulée des conclusions précédemment tirées et des décisions précédemment rendues.

 

[91]           De plus, il n’y a rien dans les arguments ou dans la preuve que les demanderesses m’ont présentés au soutien de la présente requête qui permette de croire que ce qui pourrait découler de la demande d’autorisation qu’elles ont soumise à la Cour suprême du Canada ne pourrait pas être incorporé ultérieurement dans les actions si cette autorisation est accordée et si la Cour suprême du Canada décide que la Cour d’appel fédérale s’est fourvoyée, en particulier si l’on tient compte du fait que presque tous les témoins que j’ai exclus par mon ordonnance du 7 novembre 2005 l’ont été parce que les demanderesses ne s’étaient pas conformées aux ordonnances rendues par la Cour précédemment. Si les demanderesses obtiennent l’autorisation qu’elles demandent et ont gain de cause en appel, je ne vois pas ce qui empêcherait les témoins en question d’être entendus au cours du procès.

 

[92]           Il ne sert à rien de tenter de deviner, à ce moment‑ci, ce que la Cour suprême du Canada pourrait dire ou éventuellement ordonner si elle accordait l’autorisation et entendait l’appel. Et il n’y a aucune raison, jusqu’à ce que l’autorisation soit accordée, de reporter le procès au motif que l’autorisation pourrait être accordée. Si l’autorisation est accordée, la situation pourra être réglée à ce moment‑là, et je ne vois pas quel préjudice serait causé aux demanderesses si la date du procès actuel était maintenue, alors qu’un ajournement à cette étape‑ci nuirait fortement à la Cour et porterait atteinte à l’intérêt du public.

 

[93]           Mon examen de la liste des témoins, des résumés de leurs témoignages anticipés et des experts que les demanderesses entendent présenter me porte à croire qu’aucune partie ne subira réellement d’inconvénients si l’instruction a lieu sur la foi de l’interprétation stricte des actes de procédure et si l’on attend de voir ce qui se passera devant la Cour suprême. Les demanderesses n’ont pas dit qu’elles ne voulaient pas aller plus loin avec les actes de procédure dans leur forme actuelle, et l’interprétation stricte des droits revendiqués est l’une des choses à l’égard desquelles la Cour devra, de toute façon, prendre connaissance de la preuve. Contrairement à ce qui s’est passé dans Scheiber par exemple, si les demanderesses ont gain de cause devant la Cour suprême du Canada, la revendication étroite que j’ai dit que les actes de procédure contenaient ne deviendra pas théorique. Il faudra seulement que la Cour prenne connaissance d’autres éléments de preuve.

 

[94]           Le véritable problème pour les demanderesses – et c’est là qu’entre en jeu la possibilité qu’elles se désistent – est que, à moins qu’elles n’obtiennent l’autorisation de la Cour suprême, elles pourraient décider de ne pas aller de l’avant avec les actions telles qu’elles sont actuellement en instance devant la Cour. Elles ne veulent pas commencer le procès tant que la décision concernant leur demande d’autorisation ne sera pas rendue et elles ont eu la possibilité de décider si elles veulent réellement aller de l’avant avec les actions dans leur forme actuelle.

 

[95]           La décision de se désister a toutefois toujours appartenu aux demanderesses. Si elles avaient agi plus rapidement, leur demande d’autorisation aurait même pu être tranchée par la Cour suprême du Canada avant le début du procès, le 24 janvier 2007. Encore une fois cependant, elles ont choisi d’agir d’une manière particulière qui rend maintenant peu probable un tel résultat. Mais c’était leur choix. On ne devrait pas demander à la Cour et aux autres participants d’attendre parce que les demanderesses ont choisi de ne pas présenter leur demande d’autorisation plus rapidement.

 

[96]           En ce qui concerne les préoccupations des demanderesses au regard de la question de la chose jugée, je ne vois pas comment elles surgissent à cette étape‑ci s’il est possible que les témoins exclus témoignent dans l’éventualité où la Cour suprême du Canada accorde aux demanderesses ce qu’elles demandent. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà souligné, tout problème causé par le principe de la chose jugée auquel les demanderesses se heurtent maintenant découle uniquement des décisions qu’elles ont prises dans le passé. Par exemple, en décidant de ne pas porter en appel ma décision concernant les modifications qu’elles ont demandées en juin 2004, les demanderesses ont, dans les faits, exclu des actions les questions plus générales concernant l’autonomie gouvernementale qui auraient pu être soumises à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême du Canada à l’époque. L’une des choses les plus difficiles à comprendre en l’espèce, c’est pourquoi les demanderesses, après avoir choisi de ne pas porter en appel ma décision du 29 juin 2004 qui avait trait à leur dernière tentative de faire incorporer les aspects plus généraux de l’autonomie gouvernementale à la procédure, tentent maintenant de le faire de manière indirecte en interjetant appel de mes décisions des 7 et 8 novembre 2005 concernant les témoins et les résumés de leurs témoignages anticipés. Les demanderesses ne sont évidemment pas obligées de fournir une explication, mais, si elles ne le font pas, il est difficile pour la Cour de prendre au sérieux leur argument concernant la chose jugée. C’est en juin 2004 qu’il fallait aborder ces questions. C’est maintenant loin derrière. Sans véritable explication, les demanderesses supposent simplement qu’elles ont encore le droit de faire instruire des revendications générales d’autonomie gouvernementale à cette étape‑ci de la procédure, après avoir préféré, il y a des années, ne pas contester ma décision de refuser tout élargissement important des revendications d’autonomie gouvernementale contenues dans leurs actes de procédure.

 

[97]           Les demanderesses disent maintenant qu’elles n’ont pas porté en appel ma décision du 29 juin 2004 sur les modifications qu’elles se proposaient d’apporter à leurs actes de procédure, parce qu’elles ont conclu que ces actes, tels qu’ils étaient rédigés à l’époque, englobaient les revendications générales d’autonomie gouvernementale à l’égard desquelles elles souhaitent produire les éléments de preuve que j’ai exclus dans mes décisions des 7 et 8 novembre. Cette affirmation, faite pour la première fois lors de l’audition de la présente requête, est très difficile à comprendre et à accepter.

 

[98]           En premier lieu, elle n’explique pas pourquoi, si les demanderesses avaient l’impression que les revendications plus générales d’autonomie gouvernementale étaient déjà incluses dans leurs actes de procédure, elles auraient cherché à leur apporter des modifications particulières qui avaient clairement pour but de les élargir.

 

[99]           En deuxième lieu, dans ma décision du 7 novembre 2005, j’ai exclu explicitement la preuve relative aux autres Premières nations au motif qu’elle n’était pas pertinente. S’il en fut ainsi, c’est que j’avais expressément refusé, dans ma décision du 29 juin 2004, les modifications demandées qui auraient introduit d’autres Premières nations dans les actions. Les paragraphes 26 à 28 de ma décision du 29 juin 2004 renferment des conclusions particulièrement importantes :

[...]

 

26. Il y a plusieurs objections à apporter aux aspects litigieux des modifications proposées par la bande :

 

a) certaines des modifications proposées au paragraphe 8 sont contraires à des décisions de notre Cour qui portent que la demanderesse en l’instance est la bande elle‑même; et

 

b) certaines des modifications auraient pour conséquence d’élargir la portée de l’action et introduiraient une nouvelle réclamation d’autodétermination; et

 

c) certaines des modifications viendraient élargir encore plus les réclamations en soulevant des allégations au sujet d’autres premières nations.

 

27. Selon moi, les modifications contestables dont je ferai état plus tard ne viennent pas clarifier les questions litigieuses présentées à la Cour. Elles soulèvent de nouvelles questions litigieuses qui exigeraient d’autres interrogatoires, retardant à nouveau le procès. Le fait que ces modifications soient proposées si tard, leur nombre et importance, la mesure dans laquelle des positions antérieures sont modifiées et le préjudice inévitable qui serait causé à la Couronne (voir Maurice c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] A.C.F. no 670, 2004 CF 528, au paragr. 10), me convainquent que ces modifications ne doivent pas être autorisées. De plus, certaines d’entre elles ne sont pas pertinentes aux questions en litige. Comme la NSIAA le fait remarquer, la conséquence de certaines des modifications proposées par la bande serait de [traduction] « mettre la Couronne en cause pour sa conduite globale dans ses relations avec les premières nations au Canada. Un procès qui est prévu durer des mois pourrait maintenant prendre des années à régler ». De plus, certaines autres modifications auraient pour effet de [traduction] « étendre considérablement la portée de cette action et soulever des questions qui n’ont pas fait l’objet d’interrogatoires [dans un contexte où] les modifications n’ajoutent aucun élément de fond à la prétention de la demanderesse qu’elle a un droit autochtone de décider à qui elle reconnaît le statut de membre [...] » . En fait, il me semble que les termes « première nation » s’appliquent exclusivement à la bande demanderesse. Le fait d’utiliser deux expressions différentes (« demanderesses » et « première nation ») lorsqu’on parle de la bande n’ajoute rien, bien que je n’aie aucune objection de fond à ce que la bande utilise ces deux expressions.

 

28. La Cour partage aussi les préoccupations soulevées par la NSIAA au sujet de certaines des modifications non techniques proposées par la bande, qui ne sont pas acceptables parce qu’elles constituent une tentative d’introduire une preuve de faits semblables sans démontrer l’existence d’un lien entre ces faits et la prétention au cœur de la présente espèce, savoir que la Couronne a enfreint le droit de la bande de décider à qui elle reconnaît le statut de membre. Comme le déclare la NSIAA, le [traduction] « retard qui sera inévitablement causé par ces modifications considérables créera un préjudice qu’on ne peut compenser ».

 

[...]

 

[100]       Les demanderesses disent maintenant à la Cour que, malgré ces exclusions très importantes, elles n’ont pas porté en appel ma décision du 29 juin 2004 parce qu’elles avaient l’impression que les actes de procédure étaient suffisants et que cette décision ne les empêcherait pas de produire des éléments de preuve qui y étaient manifestement décrits comme non pertinents. La Cour ne peut accepter cette ultime tentative des demanderesses d’échapper aux conséquences de leurs propres décisions et des positions que la Cour a adoptées dans ses ordonnances précédentes.

 

[101]       Finalement, si les revendications générales se trouvaient déjà dans les actes de procédure, c’est qu’elles avaient dû y être incorporées par les modifications de 1998, quand les demanderesses ont dit à la Cour qu’elles faisaient valoir le droit en question dans sa formulation la plus étroite possible et que les actions n’avaient pas trait à l’autonomie gouvernementale comme telle. Encore une fois, la Cour considère la position actuelle des demanderesses comme une tentative d’opportunisme difficile à concilier avec le libellé clair des décisions antérieures.

 

[102]       Mais par‑dessus tout, je ne pense pas qu’il soit approprié que la Cour accorde un ajournement à cette étape‑ci pour les raisons invoquées par les demanderesses ou parce qu’elles souhaitent préserver les possibilités qui s’offrent à elles sur le plan de la stratégie, alors que je suis convaincu que, si les demanderesses sont autorisées à interjeter appel à la Cour suprême du Canada et que leur appel est accueilli, rien n’empêchera la Cour d’entendre les témoignages des témoins qui ont été exclus par mes décisions des 7 et 8 novembre 2005.

 

[103]       Il faut se rappeler que les actions devaient être instruites en janvier 2005. Cette instruction n’a pas eu lieu en grande partie à cause des actions des demanderesses et des délais additionnels que la Cour leur a accordés pour leur permettre de se préparer en vue du procès. La Cour leur a notamment :

a)                  accordé un délai additionnel pour qu’elles puissent proposer une solution raisonnable aux problèmes causés par leur non‑respect de l’ordonnance préliminaire rendue par le juge Hugessen en mars 2004;

b)                  laissé le temps qu’elles demandaient pour corriger leur liste de témoins et les résumés de leurs témoignages anticipés;

c)                  accordé le délai supplémentaire qu’elles demandaient pour présenter par requête une récusation pour partialité qui s’est révélée sans fondement et injustifiée;

d)                  accordé le délai supplémentaire dont elles avaient besoin pour que leurs nouveaux avocats puissent se préparer en vue du procès de janvier 2007.

 

Les demanderesses ont déjà profité de délais additionnels importants devant leur permettre de se préparer en vue du procès et de décider de leur stratégie. L’équité exige qu’elles se soumettent maintenant à l’instruction au moment prévu.

 

[104]       Les parties ont encore énormément de travail à faire avant que le procès débute en janvier 2007, et tout ce travail pourrait n’aboutir à rien si les demanderesses décidaient de se désister de leurs actions. Cette possibilité préoccupe énormément la Cour.

 

[105]       Il me semble qu’il serait logique de discuter d’un ajournement à cette étape‑ci seulement si les demanderesses disaient clairement qu’elles n’ont pas l’intention de faire instruire ces actions devant la Cour si leur demande d’autorisation est rejetée. Il pourrait alors être raisonnable de déterminer si des efforts et des dépenses additionnels devraient être faits avant que la Cour suprême du Canada examine la demande d’autorisation. Il appartient évidemment exclusivement aux demanderesses et à leurs avocats d’en décider, mais je leur demande de tenir compte des dépenses que tous les participants devront engager pour se préparer en vue du procès et, si les choses se précisent, de soumettre l’affaire à la Couronne et d’alerter la Cour le plus tôt possible.

 

[106]       Je ne veux évidemment pas dire que les demanderesses n’ont pas parfaitement le droit d’examiner les possibilités qui s’offrent à elles et de décider à quel moment les mettre à profit, mais je ne vois aucune raison d’ajourner le procès maintenant en raison d’une demande d’autorisation qui ne sera peut‑être pas accueillie et dont l’issue est totalement hypothétique. Je demande aux demanderesses de faire tout ce qu’elles peuvent, à la mesure de la préservation de leurs droits, pour clarifier la situation à l’intention de la Cour et des autres participants de façon qu’il n’y ait aucun gaspillage de temps et de ressources.

 

[107]       Tout l’historique des actions (la Cour d’appel fédérale a ordonné une nouvelle instruction en 1997) et l’extrême difficulté avec laquelle la Cour les a fait avancer depuis ce temps me portent à croire que la justice, la limitation des coûts, l’efficacité et la simple équité exigent que l’instruction débute le 24 janvier 2007 comme prévu et que les demanderesses examinent les possibilités qui s’offrent à elles en tenant compte de ce fait.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La requête est rejetée.

2.                  Les parties et les intervenants sont libres de s’adresser à la Cour au sujet des dépens.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                      T‑66‑86‑A et T‑66‑86‑B

 

INTITULÉ :                                                       BANDE DE SAWRIDGE

                                                                            c.

                                                                            SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

                                                           

LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA (autrefois la bande indienne de Sarcee)

    c.

    SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 28 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 12 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

                                                                            Edward H. Molstad, c.r.       POUR LES DEMANDERESSES

Nathan Whitling

 

Catherine Twinn                                                   POUR LES DEMANDERESSES

 

Wayne M. Schafer                                               POUR LA DÉFENDERESSE

 

Janet Hutchison                                                    POUR L’INTERVENANT LE CONGRÈS

                                                                            DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

Derek A. Cranna                                                 POUR L’INTERVENANT LE CONSEIL

Jeremy Taylor                                                      NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

 

Mary Eberts                                                         POUR L’INTERVENANTE L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Michael Donaldson                                              POUR L’INTERVENANTE LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                                                            Parlee McLaws LLP POUR LES DEMANDERESSES

Edmonton (Alberta)

 

Cabinet d’avocats Twinn                                      POUR LES DEMANDERESSES

Slave Lake (Alberta)

                                                                           

                                                                            John Sims     POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                            Sous‑procureur général du Canada

 

                                                                            Chamberlain Hutchison          POUR L’INTERVENANT LE CONGRÈS

                                                                            Edmonton (Alberta)  DES PEUPLES AUTOCHTONES

                                                                           

                        Field LLP                                     POUR L’INTERVENANT LE CONSEIL

                                                                            Edmonton (Alberta)              NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

 

Cabinet de Mary Eberts                                       POUR L’INTERVENANTE

Toronto (Ontario)                                                L’ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

                                                                            Burnet Duckworth & Palmer LLP     POUR L’INTERVENANTE

                                                                            Calgary (Alberta)      LA NON‑STATUS INDIAN ASSOCIATION

                                                                OF ALBERTA

 

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