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Date : 20061012

Dossier : IMM-1437-06

Référence : 2006 CF 1219

Calgary (Alberta), le 12 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

MUHAMMAD IQBAL

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]   En l'espèce, le demandeur fonde en grande partie sa demande d'asile sur le fait qu'il craint, s'il retourne au Pakistan, d'être exposé à un risque de violences et, éventuellement, à une menace à sa vie de la part d'un membre d'un parti politique du Pakistan et des autorités gouvernementales pakistanaises en raison des accusations de fraude qui ont été portées contre lui au Pakistan.

 

[2]   La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d'asile du demandeur sur le fondement de la conclusion défavorable qu'elle avait tirée au sujet de la crédibilité et de son rejet de la preuve documentaire soumise pour prouver le risque, preuve qu'elle n'a pas considérée comme authentique. J'estime que la façon dont la SPR s'y est prise pour en arriver à ces conclusions constitue une erreur qui justifie l'annulation de sa décision.

 

[3]               Ainsi que la Cour l'a expliqué dans le jugement R.E.R. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1339, au paragraphe 9, il faut examiner tous les éléments de preuve se rapportant à la demande d'asile avant de tirer une conclusion générale au sujet de la crédibilité du demandeur d'asile :

D'abord, il n'est que juste et raisonnable pour des parties à un litige d'espérer que le décideur étudiera la preuve dans son intégralité, avec un esprit ouvert, avant de tirer des conclusions sur la valeur à accorder aux éléments critiques de la preuve. Quant au principe général selon lequel la preuve doit être étudiée dans son intégralité, voir l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). En l'espèce, je crois que la SPR a commis une erreur parce que, avant d'affirmer que la demanderesse principale n'était pas crédible, elle s'est dispensée d'étudier l'ensemble de la preuve, notamment le récit du viol de l'épouse ainsi que la preuve indépendante et convaincante portant sur les effets évidents de la torture et du viol, preuve qui était constituée de photographies et de rapports (voir aussi la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n° 422, et la décision Herabadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n° 1729).

 

 

[4]   Dans le cas qui nous occupe, la SPR a commencé par tirer une conclusion défavorable globale pour ensuite écarter d'importants éléments de preuve corroborants indépendants par suite de cette première conclusion, ainsi qu'il ressort du passage suivant de la décision de la SPR :

[Traduction] Les allégations du demandeur d'asile suivant lesquelles il fait l'objet de fausses accusations criminelles qui sont motivées par des considérations politiques et qui ont été portées par Ashan Saman et le SSP constituent un élément important de sa demande d'asile et elles sont graves. Le demandeur d'asile a expliqué qu'il avait été mis au courant des fausses accusations portées contre lui environ un mois après que le premier rapport d'information (le PRI) eut été enregistré le 18 mai 2004. La Commission n'a toutefois reçu ces documents que le 22 juin 2005, environ un an plus tard et après la première audience sur l'octroi de l'asile tenue le 1er mars 2004. Les documents administratifs de la Commission indiquent que le conseiller juridique qui avait représenté le demandeur d'asile lors de sa première audience sur l'octroi de l'asile a continué à le représenter au moins jusqu'au 11 juillet 2005. Le demandeur d'asile n'a entrepris aucune démarche pour fournir à la Commission un FRP ou un exposé circonstancié à jour au sujet des présumées fausses accusations criminelles à caractère politique qui avait été portées contre lui, même s'il était au courant de ces présumées fausses accusations en juin 2004. Je considère par conséquent déraisonnable le délai que le demandeur d'asile a laissé s'écouler avant de produire ces documents très importants qui témoignaient de l'intérêt que la police et gouvernement lui portaient.

 

[…]

 

Compte tenu des conclusions défavorables que j'ai tirées au sujet de la crédibilité en ce qui concerne les allégations du demandeur d'asile au sujet des problèmes que lui et les membres de sa famille ont eus dans le passé avec Ahsan Saman et ses associés du SSP, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que tous les documents judiciaires susmentionnés, les mandats d'arrestation et la proclamation ne sont pas authentiques et que le demandeur d'asile les a fabriqués et les a obtenus pour embellir sa demande d'asile. Pour tirer cette conclusion, je me fonde sur la preuve documentaire qui m'a été soumise au sujet de la facilité avec laquelle on peut se procurer des documents contrefaits au Pakistan, notamment de faux documents de police, de faux documents judiciaires et de la correspondance d'avocats.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[5]   Il ressort de cet extrait que la SPR avait trois raisons de rejeter les éléments de preuve corroborants du demandeur : la preuve avait été soumise en retard, le demandeur n'était pas crédible et la preuve elle-même n'était pas fiable.

 

[6]   J'estime tout d'abord que la preuve versée au dossier ne permet pas de conclure à un retard. La présente demande porte sur une décision relative à un nouvel examen. Le demandeur affirme qu'il n'a été mis au courant des fausses accusations portées contre lui qu'en juin 2004, environ un mois après que le premier rapport d'information eut été enregistré contre lui. Il a donc été mis au courant de ces faits après sa première audience sur l'octroi de l'asile, laquelle a eu lieu le 1er mars 2004 et après que, saisie d'une demande de contrôle judiciaire, notre Cour eut ordonné, le 24 février 2005, que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour réexamen. Il n'est pas contesté que le demandeur a soumis sa preuve documentaire conformément à l'article 29 des Règles de la SPR, qui précise que les documents doivent être reçus au plus tard 20 jours avant l'audience. Les documents ont été soumis le 22 juin 2005, soit 20 jours avant l'audience, qui a eu lieu le 12 juillet 2005. J'estime donc que la conclusion tirée par la SPR au sujet du retard n'est pas justifiée et, partant, qu'elle est arbitraire.

 

[7]    Deuxièmement, la Commission a commis deux erreurs justifiant notre intervention dans la façon dont elle a rejeté les éléments de preuve corroborants.

 

[8]   Il semble que la conclusion défavorable au sujet de la crédibilité ait joué un rôle important dans la décision de la Commission de rejeter les documents soumis pour défaut d'authenticité. Ainsi qu'il ressort du jugement précité, il incombait à la SPR d'examiner la preuve dans son intégralité avant de tirer des conclusions générales sur la valeur à accorder à la preuve. Pour ce faire, la SPR devait d'abord examiner l'authenticité de la preuve documentaire elle-même. Or, elle ne l'a pas fait. En réalité, indépendamment de la question de la crédibilité du demandeur, la SPR ne disposait d'aucun élément de preuve sur lequel fonder sa conclusion que les documents soumis étaient des faux. Elle n'avait que des soupçons. La « facilité avec laquelle on peut se procurer des documents contrefaits au Pakistan » ne permettait pas de conclure que les documents précis soumis à la SPR étaient effectivement des faux. Pour ce seul motif, je conclus que le rejet de la preuve documentaire constitue une conclusion arbitraire.

 

[9]   Je conclus que la SPR a commis une erreur de droit en tirant sa conclusion générale au sujet de la crédibilité parce qu'elle ne s'est pas fondée sur l'ensemble des éléments de preuve qu'elle avait à juste titre déclarés admissibles.

 

 

 

ORDONNANCE

 

J'annule donc la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1437-06

                                                           

 

 

INTITULÉ :                                       MUHAMMAD IQBAL

 

                                                                                                demandeur

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

                                                                                                défendeur

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 12 OCTOBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE CAMPBELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jolene Fairbrother                                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Me Camille Audain                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sherritt Greene                                                             POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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