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Date : 20061016

Dossier : IMM‑4293‑05

Référence : 2006 CF 1226

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 16 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

 

ENTRE :

YOUSSEF DIB SAMHAT

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 28 juin 2005, qui lui a refusé le statut de réfugié au sens de la Convention et le statut de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur sollicite la délivrance d’un bref de certiorari annulant la décision de la Commission.

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur, de nationalité libanaise, est né en 1946 à Ainatah, un village du sud du Liban. Alors qu’il était encore adolescent, il s’est rendu au Koweït, où il a passé la majeure partie de sa vie à travailler. Il travaillait comme monteur électricien.

 

[4]               En 1972, le demandeur s’est marié avec une Libanaise qui vivait elle aussi au Koweït. Ils ont eu six enfants. En 1990, l’Iraq envahissait le Koweït, et la famille décida de retourner au Liban, en voiture. À la frontière entre l’Iraq et le Koweït, le demandeur fut impliqué dans une rixe avec un inconnu qui tentait de passer avant son tour. L’homme a dit au demandeur qu’il le lui ferait payer une fois arrivé au Liban. Le demandeur croit que l’homme a plus tard découvert qui il était et qu’il lui a causé des ennuis auprès des autorités syriennes.

 

[5]               Le demandeur et sa famille ont poursuivi leur route vers le Liban et furent détenus à la frontière syrienne. Le demandeur fut mis dans une petite cellule où il fut interrogé sur son rôle dans le service de renseignement iraquien, puis battu et torturé durant plus de 20 jours. Il leur a dit qu’il n’avait rien à voir avec l’Iraq. Après avoir été relâché en novembre 1990, il s’est rendu chez sa sœur à Beyrouth. Il est allé ensuite rejoindre son épouse et ses enfants à Ainatah, au Liban Sud, alors sous occupation israélienne. Le Liban Sud était une zone de sécurité tenue par les forces israéliennes et par l’Armée du Liban Sud (ALS). Les personnes vivant dans la zone de sécurité n’étaient pas autorisées à en sortir sans un laissez‑passer.

 

[6]               En octobre 1990, le fils aîné du demandeur, Khalil, fut enrôlé dans l’ALS. Khalil, qui ne voulait pas être dans l’armée, s’est donc arrangé pour obtenir un visa d’étudiant pour les États‑Unis. Il a déserté et quitté le Liban en avril 1991. Il s’est rendu au Canada, via Israël et les États‑Unis. Il a demandé l’asile au Canada et l’a obtenu le 19 juin 1991. Il est maintenant citoyen canadien.

 

[7]               Après que Khalil eut quitté le Liban, le demandeur fut détenu durant deux mois et demi par l’ALS, et interrogé sur les activités de son fils Khalil et sur l’endroit où il se trouvait. Le demandeur fut harcelé par l’ALS et ne fut pas autorisé à quitter la zone de sécurité. Il apprit aussi de sa sœur, à Beyrouth, que les autorités syriennes s’étaient informées à son sujet. Il ne savait pas pourquoi elles le recherchaient.

 

[8]               Le demandeur a été contraint de travailler pour l’ALS. Il faisait un travail de surveillance et délivrait les messages. Il était payé pour son travail.

 

[9]               En 1993, le second fils du demandeur, Nabil, fut enrôlé dans l’armée, à l’âge de 15 ans. Il n’avait pas beaucoup d’instruction et, contrairement à son frère aîné Khalil, il ne lui fut donc pas possible d’obtenir un visa d’étudiant pour se rendre aux États‑Unis. Nabil a servi dans l’armée jusqu’à sa désertion en 1997.

 

[10]           En 1995, la fille du demandeur, Hanan, a quitté le Liban avec son mari. Ils sont allés au Canada et ont réussi à obtenir l’asile. Ils sont maintenant citoyens canadiens.

 

[11]           En 1997, le demandeur s’est rendu au Koweït, où il a obtenu un permis de travail et où il est resté durant un an.

 

[12]           En octobre 1998, le demandeur s’est rendu au Canada grâce à un visa de visiteur pour assister au mariage de son fils Khalil. Il est resté au Canada durant deux mois, puis il est allé aux États‑Unis car il ne voulait pas causer de difficultés pour avoir excédé son visa de visiteur au Canada. Il est resté aux États‑Unis jusqu’en 2003, mais il n’a pas demandé l’asile dans ce pays.

 

[13]           En avril 1999, l’épouse du demandeur, Amal, leurs deux filles, Khadigah et Fatima, ainsi que leur fils cadet, Mohamed, sont arrivés au Canada. En septembre 1999, leur fils Nabil réussit également à venir au Canada. Leur intention était de demander l’asile et, s’ils y réussissaient, ils pourraient alors parrainer le demandeur pour qu’il vienne au Canada. Malheureusement, leurs demandes d’asile furent refusées le 10 avril 2001.

 

[14]           Nabil était marié à une Canadienne lors du rejet de sa demande d’asile. Les autorités de l’immigration lui ont dit que, s’il retournait au Liban, son épouse pourrait le parrainer pour qu’il vienne au Canada. Il a consenti à quitter le Canada. À son arrivée à Beyrouth, il a été arrêté et condamné à un an d’emprisonnement pour avoir appartenu à l’ALS. Il devait être relâché en mai 2004, mais, jusqu’à maintenant, aucun membre de la famille n’a entendu parler de lui ni ne sait où il est. Nabil et son épouse ont une fille, qui est née après son départ du Canada.

 

[15]           Le demandeur est arrivé au Canada en juillet 2003 et y a demandé l’asile. Il craint d’être emprisonné et torturé par le renseignement syrien ou par le Hezbollah pour son rôle dans l’ALS.

 

[16]           Le 28 juin 2005, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

 

Motifs de la décision de la Commission

 

[17]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une demande d’asile au Canada ou aux États‑Unis à la première occasion, et, pour elle, cela ne s’accordait pas avec le comportement de quelqu’un qui craint la persécution dans son pays d’origine. Le demandeur a expliqué que, s’il n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis durant son séjour de cinq ans dans ce pays, c’est parce qu’il prévoyait retourner au Koweït et qu’il attendait que son épouse mène à bien sa propre demande d’asile au Canada et y joigne son nom à lui. La Commission a conclu que cette explication n’était pas acceptable et que le demandeur semblait uniquement chercher du travail pour gagner sa vie, d’où ses efforts pour retourner au Koweït.

 

[18]           La Commission a conclu que la détention et l’interrogatoire du demandeur par l’ALS constituaient un harcèlement, non une persécution.

 

[19]           S’agissant de l’allégation du demandeur selon laquelle il serait persécuté par le Hezbollah et par les Syriens pour son implication dans l’ALS, la Commission s’est exprimée ainsi, aux pages 6 et 7 du dossier du tribunal :

Nabil, le fils du demandeur d’asile, est retourné au Liban, a subi un procès pour avoir fait partie de l’ALS et a été condamné à une année d’emprisonnement. Une fois sa peine complétée, il a été libéré. Comme le demandeur d’asile a allégué lors de l’audience que son fils était un membre en règle de l’ALS alors que ce n’était pas le cas, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile recevrait un traitement semblable à celui de son fils pour les périodes où il a été garde dans la milice s’il retournait au Liban. Il est fort probable qu’il ne subisse même pas de procès si sa participation dans la milice de l’ALS a effectivement été aussi limitée qu’il l’a affirmé. La preuve documentaire indique que le Hezbollah a été clément envers la plupart des anciens membres de l’ALS et que, bien que certains aient reçu l’amnistie sans procès, plusieurs ont été condamnés à des peines légères de moins de deux ans d’emprisonnement. Ce document indique que seuls les membres très haut gradés ont reçu des peines plus sévères. Je conclus que le rôle du demandeur d’asile à titre de garde substitut, selon son propre témoignage, a bien peu d’importance sur l’échelle de la collaboration avec l’ALS ou les Israéliens. Même s’il subissait un procès pour son implication comme garde substitut dans l’ALS, j’estime que ce serait suivant une loi d’application générale et qu’il ne s’agirait pas de persécution pour un motif prévu dans la Convention. Le demandeur d’asile n’a pas indiqué que son fils avait été maltraité pendant qu’il purgeait sa peine. Je crois donc, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas traité différemment de son fils s’il devait subir un procès et être condamné à une peine d’emprisonnement.

 

En ce qui concerne la crainte des Syriens qu’éprouve le demandeur d’asile, j’estime que, selon le profil que je viens de décrire, il n’existe guère plus qu’une simple possibilité que les agents du renseignement syriens restés derrière au Liban continuent de s’intéresser à lui. Le conseil du demandeur d’asile a déposé des éléments de preuve après l’audience concernant le ciblage et les meurtres de Libanais commis par des agents du renseignement après le départ des Syriens. J’estime que Samir Qaseer, le journaliste anti‑Syrien au franc parler, et d’autres Libanais dont la sécurité est compromise de l’avis des États‑Unis et d’autres membres de la communauté internationale sont des personnes beaucoup plus en vue que le demandeur d’asile. Je ne dispose d’aucune preuve crédible et fiable m’indiquant que le demandeur d’asile serait exposé au risque que représentent les Syriens s’il était renvoyé au Liban.

 

[20]           La Commission a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur serait persécuté s’il devait retourner au Liban.

 

Les points en litige

 

[21]           L’exposé du demandeur soulève les points suivants :

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas demandée si le fait d’être poursuivi pour avoir transgressé une loi d’application générale équivalait à persécution?
  2. La Commission s’est‑elle livrée à un raisonnement incohérent?
  3. La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas demandé si le harcèlement subi par le demandeur équivalait à persécution?
  4. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’absence de crainte subjective chez le demandeur parce qu’il avait tardé à présenter une demande d’asile au Canada et n’en avait présenté aucune aux États‑Unis?
  5. La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas tenu compte de la disparition de Nabil?

 

Les prétentions du demandeur

 

[22]           Selon le demandeur, la preuve montre que le Liban poursuit systématiquement les anciens membres de l’ALS pour collaboration avec Israël. Il soutient que la Commission n’a pas fait l’analyse prescrite dans l’arrêt Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540, où la Cour d’appel fédérale a jugé que le fait d’être poursuivi pour transgression d’une loi d’application générale peut équivaloir à persécution si les poursuites ne sont pas neutres au regard des cinq motifs pouvant justifier l’octroi du statut de réfugié. Selon le demandeur, le fait d’être poursuivi pour collaboration avec Israël n’est pas neutre au regard des motifs prévus par la Convention, car cela équivaut à une persécution fondée sur de présumées opinions politiques.

 

[23]           Le demandeur soutient que la Commission s’est livrée à un raisonnement incohérent lorsqu’elle a estimé, selon la prépondérance de la preuve, qu’il subirait le même traitement que son fils, pour ajouter ensuite que tout probablement il ne serait même pas poursuivi. Selon le demandeur, ce raisonnement montre que la Commission n’a pas compris la notion de prépondérance de la preuve.

 

[24]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit parce qu’elle ne s’est pas demandé si le harcèlement subi par lui équivalait cumulativement à persécution (voir l’arrêt Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (C.A.F.)). D’après lui, la Commission a admis qu’il avait été détenu et interrogé en 1990 à la frontière syrio‑libanaise, détenu durant deux mois et demi par l’ALS après la désertion de son fils Khalil, puis harcelé par l’ALS, enfin qu’il était susceptible d’être emprisonné, à son retour au Liban, pour son rôle de garde auprès de l’ALS. Selon le demandeur, le critère de la persécution ne requiert pas que tous les actes passés émanent du même agent de persécution, bien que ce point n’ait pas été expressément décidé par la Cour. Pour cette question, le demandeur s’est fondé sur des extraits du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, un guide du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

 

[25]           Selon le demandeur, la Commission a été insensible à sa demande quand elle a conclu à une absence de crainte subjective de sa part parce qu’il n’avait pas demandé l’asile au Canada en 1998 ou aux États‑Unis avant 2003. Il soutient que sa demande d’asile est fondée dans une grande mesure sur l’arrestation et l’emprisonnement de son fils Nabil à son retour au Liban et qu’il a présenté sa demande moins de deux mois après la condamnation de Nabil.

 

[26]           Le demandeur soutient que la disparition involontaire ou forcée d’une personne alors qu’elle est sous la garde de l’État équivaut à persécution de la part de l’État. Selon lui, aucun membre de la famille n’a entendu parler de Nabil depuis la date à laquelle il était censé avoir été relâché. Il dit que le commissaire n’a fait aucune mention de la disparition de Nabil et qu’il a donc tiré une conclusion sans se soucier de la preuve dont il disposait.

 

Les prétentions du défendeur

 

[27]           Selon le défendeur, la question de savoir si des faits de discrimination ou de harcèlement équivalent à persécution est une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle étant celle de la décision raisonnable simpliciter (voir la décision Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 470, au paragraphe 10, et aussi l’arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.)). Selon le défendeur, pour que des faits de harcèlement soient assimilables à une persécution, ils doivent être suffisamment graves et se produire au cours d’une longue période au point que l’on puisse dire que l’intégrité physique ou morale du demandeur d’asile est menacée (voir la décision N.K. c. Canada (Solliciteur général) (1995), 107 F.T.R. 25, au paragraphe 21). Le défendeur soutient qu’il était raisonnable en l’espèce pour la Commission de conclure que le traitement subi par le demandeur ne constituait pas une persécution.

 

[28]           Le défendeur soutient que la poursuite à laquelle est exposé le demandeur en cas de retour au Liban résulte d’une loi d’application générale. Il déclare que l’arrêt Zolfagharkhani invoqué par le demandeur mentionne, au paragraphe 21, qu’« une loi ordinaire d’application générale, même dans des sociétés non démocratiques, devrait être présumée valide et neutre, et le demandeur devrait être tenu, comme c’est généralement le cas dans les affaires de réfugiés, de montrer que les lois revêtent, ou bien en soi ou pour une autre raison, un caractère de persécution ». Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas produit de preuves propres à réfuter la présomption de neutralité. Il ajoute qu’en l’absence d’une telle preuve, la Commission n’est pas tenue de procéder, de sa propre initiative, à l’analyse d’une loi d’application générale. Il soutient aussi que la transcription montre que le demandeur ne craignait pas d’être poursuivi par le gouvernement pour son rôle au sein de l’ALS, ce qui fut confirmé par l’avocat du demandeur dans sa plaidoirie finale devant la Commission.

 

[29]           Selon le défendeur, la Commission n’a pas commis d’erreur en disant que la première détention du demandeur (à la frontière syrienne) avait été un incident isolé qu’il ne fallait pas considérer cumulativement avec les ennuis qu’il avait eus par la suite dans sa ville d’origine, à Ainatah, au Liban. Le défendeur dit que le risque qui a pu résulter de l’incident a disparu avec le départ des Syriens du Liban.

 

[30]           Selon le défendeur, il était légitime et raisonnable pour la Commission de dire que la lenteur du demandeur à demander l’asile jetait le doute sur sa crainte subjective, puisque son comportement ne confirmait pas sa crainte (voir l’arrêt Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.)). Pour le défendeur, bien que le demandeur affirme que la détention de son fils a été le fondement de sa demande et qu’il a présenté sa demande d’asile deux mois seulement après cet incident, le demandeur allègue des faits importants qui embrassent plusieurs décennies, notamment certains mauvais traitements subis bien avant la détention de son fils. Le défendeur dit que la demande d’asile présentée par le demandeur n’est tout simplement pas réductible au moment où son fils fut détenu. Le demandeur voyait son cas tout à fait différemment de celui de son fils. Il attribuait son risque d’être persécuté à des faits survenus avant son départ du Liban. Le défendeur a aussi relevé que tous les proches parents du demandeur avaient demandé l’asile avant la détention de son fils.

 

[31]           Selon le défendeur, le demandeur a disséqué le texte en affirmant que la Commission s’est lancée dans un raisonnement incohérent quand elle a affirmé que le demandeur ne serait tout probablement pas persécuté (voir la décision Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1211, au paragraphe 24).

 

[32]           Selon le défendeur, la Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve, y compris de la détention du fils du demandeur, Nabil. Il était établi que le demandeur ne savait pas où se trouvait Nabil lorsque celui‑ci fut relâché, mais absolument rien ne donnait à penser que Nabil avait disparu, que la famille était à sa recherche ou que quelque chose de fâcheux lui était arrivé. Rien dans la preuve ne donnait à penser que le sort de Nabil était au cœur de la demande d’asile présentée par le demandeur, et aucun élément ne rattachait non plus cet incident à une persécution exercée par l’État. Par conséquent, en l’absence d’un tel lien, le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de révision du seul fait qu’elle n’a pas évoqué le sort de Nabil. Le fait pour la Commission de ne pas mentionner chacune des preuves produites ne justifie pas le contrôle judiciaire, et la Commission est présumée avoir apprécié et examiné l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit établi (voir la décision Akram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, au paragraphe 15).

 

Analyse et décision

 

 

[33]           Point n° 1

La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas demandé si le fait d’être poursuivi pour transgression d’une loi d’application générale équivalait à persécution?

Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur parce qu’elle ne s’est pas demandé si des poursuites engagées contre lui pour son rôle antérieur dans l’ALS équivaudraient à persécution. La Commission s’est exprimée ainsi, à la page 7 du dossier du tribunal :

[…] Même s’il subissait un procès pour son implication comme garde substitut dans l’ALS, j’estime que ce serait suivant une loi d’application générale et qu’il ne s’agirait pas de persécution pour un motif prévu dans la Convention. Le demandeur d’asile n’a pas indiqué que son fils avait été maltraité pendant qu’il purgeait sa peine. Je crois donc, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas traité différemment de son fils s’il devait subir un procès et être condamné à une peine d’emprisonnement.

 

 

 

[34]           Dans l’arrêt Zolfagharkhani, précité, la Cour d’appel fédérale exposait les principes suivants, à la page 552, à propos du statut d’une loi ordinaire d’application générale lorsqu’il s’agit de décider s’il y a ou non persécution :

(1)  La définition légale de réfugié au sens de la Convention rend l’objet (ou tout effet principal) d’une loi ordinaire d’application générale, plutôt que la motivation du demandeur, applicable à l’existence d’une persécution.

 

(2)  Mais la neutralité d’une loi ordinaire d’application générale, à l’égard des cinq motifs d’obtention du statut de réfugié, doit être jugée objectivement par les cours et les tribunaux canadiens lorsque cela est nécessaire.

 

(3)  Dans cet examen, une loi ordinaire d’application générale, même dans des sociétés non démocratiques, devrait, je crois, être présumée valide et neutre, et le demandeur devrait être tenu, comme c’est généralement le cas dans les affaires de réfugié, de montrer que les lois revêtent, ou bien en soi ou pour une autre raison, un caractère de persécution.

 

(4)  Il ne suffira pas au demandeur de montrer qu’un régime donné est généralement tyrannique. Il devrait plutôt prouver que la loi en question a un caractère de persécution par rapport à un motif énoncé dans la Convention.

 

 

[35]           J’ai passé en revue la décision de la Commission, et il ne semble pas qu’elle s’est posé la question de savoir si la loi ordinaire d’application générale était neutre par rapport aux motifs d’obtention du statut de réfugié. Selon moi, la Commission était tenue de se poser cette question. Je ne sais pas quelle conclusion elle aurait tirée si elle avait procédé à cette analyse.

 

[36]           Le demandeur a dit qu’il n’avait pas peur du gouvernement libanais, mais il a aussi dit qu’il craignait d’être emprisonné pour avoir soutenu l’ALS.

 

[37]           Vu ma conclusion sur cette question, je ne me prononcerai pas sur les autres points soulevés par le demandeur.

 

[38]           La décision de la Commission est donc annulée, et l’affaire est renvoyée à une autre formation, pour nouvelle décision.

 

[39]           Je ne suis pas disposé à certifier une question de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

[40]           LA COUR ORDONNE : la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission, pour nouvelle décision.

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme           

Alphonse Morissette, LL.L.


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives applicables

 

            L’alinéa 95(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, dispose que l’asile est la protection conférée à toute personne à qui la Commission reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger.

95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

. . .

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

 

. . .

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

 

 

            L’article 96 et le paragraphe 97(1) définissent ainsi les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4293‑05

 

INTITULÉ :                                       YOUSSEF DIB SAMHAT

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

Nalini Reddy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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