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Date : 20061013

Dossier :  IMM-1232-06

Référence :  2006 CF 1202

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

SEYIDNA ALY CHEIKHNA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée du 8 février 2006. Le tribunal a conclu que le demandeur n'était pas « un réfugié au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » puisque, depuis qu'il avait quitté la Mauritanie le 8 mars 1991, la situation dans son pays avait changé.

 

I.          Question en litige

[2]               Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les conditions en Mauritanie ont changé à ce point que la crainte de persécution du demandeur n’était plus justifiée?

 

[3]               Pour les motifs suivants, la réponse à cette question est négative et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Contexte factuel

[4]               Citoyen de la Mauritanie, le demandeur est un Maure noir, né le 25 juillet 1954.

 

[5]               Il termine ses études post-secondaires en 1979, et participe à deux stages de formation en France en 1981. Il débute ses activités politiques en Mauritanie en 1986 auprès du Mouvement National pour la Démocratie (MND). Il participe à plusieurs manifestations de lutte pour la démocratie et pour la revendication des droits de ses compatriotes noirs. Par la suite, il devient membre actif du Mouvement pour la Libération des Africains en Mauritanie (FLAM) et de l’Alliance Nationale pour la Démocratie (AND).

 

[6]               Le demandeur est arrêté, humilié et torturé à deux reprises à cause de sa race et de ses activités politiques. En septembre 1986, il est incarcéré et torturé pendant une semaine et libéré par la suite, sans accusation. En avril 1989, lors de la campagne sanglante contre les citoyens d’origine africaine perpétrée par le régime du dictateur Ould Taya, la police l’arrête de nouveau et a recours à la torture pour l’interroger.

 

[7]               Vers la fin de 1990, le pays connaît une très grosse vague d’arrestations de personnes associées à la lutte pour la démocratie, beaucoup de noirs sont arrêtés et torturés. C’est alors que le demandeur est averti par un ami militaire que sa vie est en danger et il s’enfuit aux États-Unis, le 8 mars 1991. Sa demande d’asile aux États-Unis est refusée et son appel de la décision est rejeté en 2001. 

 

[8]               Pendant ses dix années passées aux États-Unis, le demandeur poursuit ses activités politiques contre les abus du régime sanglant du général Taya. Il milite pour la liberté et l’égalité dans son pays. En 2000, il devient membre de l’organisation Conscience et Résistance, dont les membres sont recherchés par le gouvernement Taya. Il participe à des manifestations publiques notamment à Cincinnati, Ohio et à Washington, D.C. 

 

[9]               En décembre 2004, le demandeur se présente à la frontière canadienne et dépose une demande d’asile. C’est le rejet de cette demande qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

III.       Décision contestée

[10]           Le tribunal conclut que le demandeur n’a pas établi qu’il serait persécuté et /ou menacé, lors de son retour au pays parce qu’il est un négro-africain. En outre, le tribunal déclare qu’il ne croit pas que le demandeur courre un danger quelconque advenant son retour dans son pays. Les motifs du  tribunal sont les suivants :

·        le demandeur a quitté son pays avant l’arrivée du multipartisme;

·        le demandeur n’est plus membre du FLAM depuis 1989;

·         le parti politique (l’AND) dont il fut membre avant sa fuite, n’existe plus;

·        en tant que fonctionnaire du gouvernement mauritanien, le demandeur n’a pas eu de problèmes pendant les deux années qui ont précédé son départ de la Mauritanie, sauf qu’il soutient s’être caché durant les trois mois précédant son voyage, après avoir été informé que sa vie était en danger;

·        il y a eu un changement de gouvernement le 3 août 2005; le nouveau président de la Mauritanie a offert l’amnistie en septembre 2005 à tous les mauritaniens condamnés pour crimes et délits politiques.

 

[11]            Le tribunal n’a pas tiré de conclusions négatives concernant la crédibilité du demandeur. Au contraire, le tribunal a conclu que le demandeur avait rendu un témoignage crédible et digne de foi lorsqu’il alléguait avoir vécu en Mauritanie en 1986 et 1989 des événements pénibles. Par ailleurs, à l'égard des événements de 1989, le tribunal accepte que le demandeur ait pu être arrêté et détenu, alors qu’il cherchait à savoir ce qu’était advenu de son ami, militaire négro-africain.

 

IV.       Législation pertinente

[12]           L’alinéa 108(1)(e) de la Loi se lit comme suit :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

[…]

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

[…]

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

V.        Analyse

Norme de contrôle

[13]           La Cour fédérale d’appel dans Fernandopulle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 91, [2005] A.C.F. no 412 (C.A.F.) (QL), a déterminé la norme de contrôle applicable dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire qui soulève une question de changement de circonstances dans un pays. Aux paragraphes 22 et 23, elle souligne que la reconnaissance des changements dans un pays est une question de fait :

La même idée est reprise dans l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.) où le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, explique ce qui suit, au paragraphe 2 :

Nous ajouterions que la question du "changement de situation" risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun "critère" juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme "important", "réel" et "durable" n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté ? Étant donné qu'en l'espèce il existe des éléments de preuve appuyant la décision défavorable de le tribunal, nous n'interviendrons pas.

 

Le principe établi par ces décisions est bien résumé en l'espèce au paragraphe 10 des motifs du juge de première instance :

Je conviens avec le défendeur [le ministre] que la persécution passée n'est pas suffisante en soi pour établir une crainte de persécution future, même si cette persécution peut constituer la base de la crainte actuelle. Quant aux répercussions d'un changement de situation au pays, la Cour d'appel fédérale a dit qu'il n'y avait aucun critère juridique distinct à appliquer dans l'examen d'une demande de statut de réfugié au sens de la Convention lorsque la situation a changé dans le pays d'origine du demandeur et que la seule question à résoudre est celle de savoir si, au moment de l'audition de la demande, le demandeur a raison de craindre d'être persécuté en cas de renvoi (Yusuf c. Canada (M.E.I.) (1995), 179 N.R. 111, à la page 12 (C.A.F.). [...]

 

[14]           Pour réussir, le demandeur doit démontrer l'existence d’une erreur manifestement déraisonnable.

 

[15]           Le demandeur prétend que le tribunal n'avait aucune raison valable pour en arriver à la conclusion que les conditions de son pays avaient à ce point changé lui permettant de retourner dans son pays sans risque de persécution. Il allègue que le coup d'État a eu lieu que quatre mois avant son audition. Dans une cause similaire, Thiaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2006 CF 965, [2006] A.C.F. no 1233 (C.F.) (QL), le juge Blais avait à décider si le tribunal avait erré en concluant que les conditions en Mauritanie avaient changé. L'audition dans cette cause avait eu lieu seulement deux mois après le coup d'État. Le juge Blais a décidé de ne pas intervenir.

 

[16]           Une analyse de la décision dans notre cas révèle que le tribunal a apprécié le témoignage du demandeur et a également été sensible aux événements atroces qui ont marqué le peuple négro-africain en Mauritanie. Il a cependant constaté que la situation a toutefois connu une évolution positive, à tel point que les réfugiés mauritaniens sont maintenant nombreux à retourner dans leur pays volontairement.

 

[17]           Il était loisible pour le tribunal en se référant à la preuve de décider que le changement de gouvernement par un coup d’État paisible le 3 août 2005 a pu écarter toutes raisons de la part du demandeur de craindre la persécution en retournant dans son pays. Or, il n’était pas déraisonnable pour le tribunal d’accepter des preuves telles que les entrevues médiatiques du nouveau chef d’État et l’amnistie générale prononcée par ce dernier quelques semaines après avoir pris le pouvoir.

 

[18]           Le tribunal ne s'est pas uniquement basé sur les déclarations du nouveau chef d'État mais aussi sur de la preuve documentaire que l'on retrouve à la fin de la décision.

 

[19]           L'intervention de la cour n'est pas requise ici.

 

[20]           Les parties n'ont soumis aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1232-06

 

INTITULÉ :                                       SEYIDNA ALY CHEIKHNA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ  ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 3 octobre 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Éveline Fiset                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Suzanne Trudel                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Éveline Fiset                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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