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Date : 20061018

Dossier : IMM-7441-05

Référence : 2006 CF 1222

Ottawa, Ontario le 18 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

Maria Concepciбn ANGUIANO ACUNA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le 22 novembre 2005, la Section de la protection des réfugiés (le « tribunal ») a conclu que Maria Concepciбn Anguiano Acuna (la « demanderesse ou la revendicatrice »), citoyenne du Mexique, n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle d’une personne à protéger.  Cette décision est contestée par la demanderesse au moyen de cette demande de contrôle judiciaire.

 

[2]               Le tribunal souligne que la demanderesse a « témoigné en général de façon crédible ». Il rejette sa demande d’asile étant d’avis qu’il existe une possibilité de refuge interne (PRI) pour celle-ci.

 

[3]               Elle invoque deux moyens pour casser la décision du tribunal :

1.      Elle a une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal aux motifs que celui-ci a manqué à son devoir de donner une audition juste et impartiale.  Il a été ironique et sarcastique, et a manqué de respect envers elle;

 

2.      Le tribunal a mal analysé la preuve quant à la possibilité d’un refuge interne pour madame Acuna.

 

 

[4]               L’histoire de la demanderesse n’est pas contestée. Elle est psychologue et enseignante. En 1999, elle était professeure à l’emploi de l’université de Tijuana, à La Paz, en Baja California

« l'université »).

 

[5]               Cette institution est une université privée qui n’était pas accréditée par le Ministère de l’Éducation, ne satisfaisant pas les critères établis par celui-ci.  D’après le tribunal, la demanderesse, qui s’est fait poser des questions par les parents des élèves sur le processus d’obtention de l’accréditation en cours, s’est vu dans l’obligation de leur dire que malgré les prétentions de la direction de l’université, cette dernière ne faisait rien pour l’obtenir.

 

[6]               En mai 2002, la demanderesse aurait vu le recteur de l’université s’adonner au trafic de la drogue sur le terrain de l’université; il l’aurait reconnue.

 

[7]               Quelques mois après cet événement, le recteur part pour la ville de Tijuana afin de se présenter aux élections comme député; il a été élu. Par la suite, la secrétaire de l’université aurait averti la demanderesse de ne rien dire à qui que ce soit du comportement déviant du recteur.

 

[8]               En juillet 2002, la demanderesse a appris par des ouvriers que son bureau à l’université n’était plus le sien.  Elle en a conclu qu’elle avait perdu son emploi et a porté plainte à la Commission de la conciliation et de l’arbitrage (la « Commission »).

 

[9]               Elle prétend qu’en novembre et décembre 2002 elle aurait reçu des menaces anonymes de mort si elle n’arrêtait pas ses démarches devant la Commission. Dans un certain nombre d’appels téléphoniques, on lui aurait dit que jamais elle ne pourrait continuer à travailler comme psychologue et enseignante dans n’importe laquelle des régions du Mexique.

 

[10]           La demanderesse ainsi que l’avocat de l’université qui l’aurait menacée de graves ennuis à la suite de sa plainte contre l’université ont comparu devant la Commission le 21 avril 2003. Semble-t-il qu’à ce jour, la décision de la Commission soit encore en delibérée.

 

[11]           Le 26 juin 2004, la demanderesse, engagée comme psychologue dans une école primaire, est avisée que son contrat prendra fin le 30 du même mois et que son poste avait été aboli. En septembre 2004, elle a appris de sa sœur que son poste avait été comblé par une autre personne.  Selon le tribunal, elle a conclu que tout cela était de la faute de l’ancien recteur de l’université, maintenant député.

 

[12]           Elle prétend, qu’à la suite de ces événements, elle aurait été marginalisée dans sa profession pour toujours. Elle aurait fait 6 demandes d’emploi infructueuses à d’autres universités au Mexique et croit que des mauvaises références de l’université l’auraient écartée.

 

[13]           Le tribunal exprime de la façon suivante sa conclusion sur l’existence d’une possibilité de refuge interne pour la demanderesse :

La preuve documentaire déposée en preuve fait état qu’il y a au Mexique 4,183 institutions de haut-savoir fréquentées par 2,147,100 étudiants. En 2002, on y comptait aussi 56 universités.

 

La demanderesse a eu une carrière impressionnante reliée à son domaine de la psychologie. Elle est membre de l’Ordre des psychologues de Guadalajara puisqu’un tel ordre n’existe pas dans sa province de Baja California.

 

Interrogée sur la possibilité de trouver refuge dans une autre ville du Mexique, villes de plus d’un million d’habitants, la demanderesse a affirmé que son présumé persécuteur […] serait responsable du non-renouvellement de son emploi ainsi que du non-accusé de réception qu’elle dit avoir subi dans quelques applications qu’elle avait faites auprès d’autres institutions d’enseignement au Mexique. Ce n’est qu’une fois arrivée au Canada que la demanderesse apprend que le poste d’enseignante au primaire qu’elle occupait, qui aurait été aboli, avait été accordé à une autre personne en septembre. La demanderesse y voit alors un motif de persécution.

 

La demanderesse témoigne que, depuis qu’elle a appris que son poste a été donné à une autre personne, elle ne s’est nullement préoccupée de trouver un emploi. Si le droit de gagner sa vie est fondamental, il n’y a pas nécessité d’en trouver dans son domaine ou à l’endroit où elle vit.

 

La demanderesse a témoigné qu’elle n’aurait, entre autres, aucune difficulté à se rendre dans une ville telle Guadalajara et y trouver un emploi mais que c’est une ville où le coût de la vie est cher. Elle n’a pas démontré, aux yeux du tribunal, que la possibilité de refuge interne était déraisonnable pour elle.

 

La demanderesse n’a pas fait la preuve que son présumé persécuteur puisse être à l’origine de ses frustrations à ne pas obtenir les quelques postes sur lesquels elle prétend avoir appliqués. [je souligne]

 

ANALYSE

(a) Principes

[14]           Les principes juridiques applicables en l’espèce sont très bien connus.

 

[15]           Sur la notion d’une crainte raisonnable de partialité, je cite les propos de mon collègue le juge Beaudry, dans l’arrêt Fenanir c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) 2005 CF 150, aux paras 10, 11, 12 et 14 de sa décision :

[10] La Cour suprême s'est penchée sur la question d'impartialité dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259 au paragraphe 59. Elle énonce ce qui suit :

 

[...] "[l]'impartialité est la qualité fondamentale des juges et l'attribut central de la fonction judiciaire" (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. [...] Comme l'ont signalé les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, précité, par. 32, cette présomption d'impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l'autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. (Je souligne)

 

 

[11] Le juge de Grandpré s'est exprimé aussi dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et  395 :

 

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » [Je souligne]

 

[...] Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui d'une personne de nature scrupuleuse et tatillonne.

 

 

[12] Dans l'arrêt Arthur c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. no 1091 (C.A.F.) (QL), 2001 CAF 223, on y lit ce qui suit au paragraphe 8 :

 

[...] Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme.

 

 

[14] Dans l'ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada (Brown et Evans, Toronto : Canvasback Publishing, 1998) aux pages 11-31 et 11-32, on peut lire :

 

[TRADUCTION] Les interrogatoires approfondis et "énergiques" par les membres d'une formation ne susciteront pas, à eux seuls, une crainte raisonnable de partialité. De plus, il est probable qu'on accordera une latitude particulière aux formations qui prennent part à un processus non accusatoire, telles les auditions de revendication du statut de réfugié, dans lesquelles personne ne comparaît pour s'opposer à la revendication. Par ailleurs, une expression d'impatience ou une perte de sang-froid momentanée de la part d'un membre d'une formation ne le rendra pas incapable d'entendre l'affaire dans les cas où il s'agit d'une simple tentative visant à contrôler la façon dont l'instance se déroule. De la même façon, une remarque sarcastique qui suit le refus d'une partie de témoigner, ou une phrase mal choisie ou dénotant un manque de sensibilité, n'entraînera pas, à elle seule, l'incapacité. [Notes en bas de page omises.]

 

[16]           Quant à la question du fardeau de preuve dans le contexte d’un PRI, je cite la décision du juge Blais dans E.H.S. c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) 2005 CF 1325, aux paras. 13 et 14 :

[13] La question de savoir à qui appartient le fardeau de preuve pour démontrer qu'il existe un risque partout dans le pays quand une PRI est soulevée, a été abordée par le juge Linden dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589. Le juge Linden, au paragraphe 5, reprend les paroles du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 en disant :

 

Le juge Mahoney a conclu qu'il incombait au demandeur, puisque la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité faisait partie intégrante de la décision portant sur son statut de réfugié au sens de la Convention, de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risquait sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge.

 

 

[14] C'est donc le fardeau de la demanderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe un risque sérieux pour elle d'être persécutée partout dans le pays, y compris dans l’endroit prétendu être un refuge interne.

 

[17]           Quant au contenu du principe de la possibilité de refuge interne, je cite encore le juge Blais dans l’arrêt E.H.S., précité aux paras 11 et 12 :

[11] Pour qu'une personne soit réfugiée au sens de la Convention, l'option d'une PRI ne peut pas être présente. La Cour fédérale a affirmé que le concept de la PRI est inhérent à la définition de réfugié. Le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706, s'est exprimé ainsi au paragraphe 8 :

 

[…] le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine partie ou région d’un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s’il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

 

 

[12] La Cour d'appel fédérale a développé un test à deux volets pour déterminer si quelqu'un qui réclame le statut de réfugié a un PRI dans un autre endroit de son pays. Le test a été réitéré clairement par le juge Beaudry dans l'arrêt Dillon c. (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2005] A.C.F. no 463, au paragraphe 11 :

 

Dans Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.) paragraphe 2, la Cour d'appel fédérale a mentionné deux éléments à être considérés lorsqu'il s'agit d'établir une PRI : la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté à l'endroit proposé comme PRI, et compte tenu de toutes les circonstances, dont celles propres au demandeur, la situation à l'endroit proposé est telle qu'il n'est pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge.

 

 

 

[18]           Comme on peut le constater, l’arrêt clé est celui du juge Linden de la Cour d’appel fédérale dans Thirunavukkarasu c. Canada, Ministre de l’emploi et de l’immigration [1994] 1 .C.F. 589.

 

[19]           J’aimerais citer quelques extraits des motifs de ce jugement du juge Linden sur la notion de déraisonnabilité dans le contexte d’un PRI :

[12] Le juge Mahoney, J.C.A., a donné une explication plus exacte dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 711:

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

 

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

 

[13] Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c'est raisonnable, il ne s'agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d'un tel déménagement. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu'un nouveau pays. Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci: serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

 

[14] La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

 

[15] En conclusion, il ne s'agit pas de savoir si l'autre partie du pays plait ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s'attendre à ce qu'il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d'aller chercher refuge dans un autre pays à l'autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j'ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s'il n'est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

(b) La Norme de contrôle

[20]           Lorsque cette Cour est appelée à réviser la décision d’un tribunal administratif qui porte sur la question d’une PRI, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable quand il s’agit, comme en l’espèce,  de l’application de principes juridiques reconnues à un ensemble de faits, ce qui constitue une question mixte de faits et de droit (voir le jugement du juge Shore dans Gilgorri c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) 2006 CF 559.

 

[21]           Le concept de norme de contrôle semble inapplicable lorsque la Cour doit décider si une crainte raisonnable de partialité résulte du comportement du premier décideur.  En l’espèce, le procureur de madame Acuna n’a soulevé aucune crainte de partialité devant le tribunal durant l’audience et aucune demande de récusation n’a été faite.  Par conséquent, le tribunal n’a rendu aucune décision sur cette question. Dans ce contexte, il est de la responsabilité de cette Cour de statuer sur cette question  en appliquant les principes juridiques pertinents aux faits décelés par une étude de la transcription.

 

(c) Crainte de partialité

[22]    Deux affidavits ont été déposés au soutien de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité : l’affidavit de madame Acuna et l’affidavit de monsieur Carlos Hoyos-Tello, un consultant en immigration, qui a représenté la demanderesse devant le tribunal.

 

[23]     L’affidavit de madame Acuna comporte plusieurs pièces dont :

 

1.   Un extrait du début de l’audience du 5 octobre 2005 démontrant que le tribunal a nié à madame Acuna le droit de faire sa déclaration sous serment avec la Bible, le tribunal affirmant « on ne jure plus sur la Bible, nous sommes un gouvernement laïc » L’affidavit fait aussi référence à l’avis de convocation envoyé à madame Acuna à l’effet que « à l’audience, vous devez faire une déclaration avant de témoigner. Si vous préférez faire une déclaration sous serment, vous devez apporter un livre saint à l’audience .. »;

 

2.   Une affirmation au sujet du traitement accordé par le tribunal à deux lettres d’appui que son représentant avait remis au tribunal. La demanderesse affirme que le tribunal « nous a montré un grand manque de respect. Une fois faite la lecture de la première lettre, il a carrément jeté la lettre […] depuis son bureau jusqu’au bureau de mon conseiller en immigration, en la passant par-dessus l’ordinateur […] il a fait de même pour la deuxième lettre. Dans les deux cas, les lettres jetées ont atterri dans le bureau de monsieur Hoyos, mon conseiller en immigration »;

 

3.   Une lettre de sœur Agnès Bouchard, observatrice à son audition, dans laquelle sœur Bouchard affirme « pendant l’audience, j’ai eu l’impression qu’on la traitait comme une personne de la rue pour ne pas dire délinquante »;

 

4.   Certains extraits de la transcription démontrant que la demanderesse était justifiée d’avoir une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal. [Je souligne]

 

 

 

[24]     Dans son affidavit, monsieur Hoyos-Tello affirme qu’il a été « témoin direct de l’audition injuste que ma cliente, madame Aguiano Acuna a eue devant le commissaire, …. Il a été ironique, sarcastique et il a manqué à son devoir de bien analyser la preuve ». Monsieur Carlos Hoyos-Tello affirme également que le tribunal et l’agent de protection des réfugiés (le « APR ») ont été désignés à la dernière minute. Il cite certains extraits du procès-verbal au soutien de ses affirmations.

 

[25]     Du procès-verbal de l’audition du 5 octobre 2005, j’ai répertorié les extraits suivants dans le but d’apprécier la justesse de l’affirmation de madame Acuna, selon laquelle les commentaires du tribunal justifient sa prétention, qu’ils soulèvent une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal, c’est-à-dire une crainte raisonnable que le tribunal n’a pas tranchée équitablement :

1.   Le tribunal avait demandé à madame Acuna si elle avait des accusés de réception pour ses demandes d’emploi à plusieurs universités. Elle témoigne que seulement une personne a répondu par courriel et que les autres refus étaient de vive voix et qu’elle n’avait pas enregistré l’appel téléphonique. Le tribunal lui demande « vous connaissez le proverbe latin? Vous avez fait du latin déjà? Non? » madame Acuna répond « non » le tribunal fait le commentaire suivant :

 

O.k. « scripta valente, verba volente »; les mots s’envolent, les écrits demeurent. Alors, c’est pour ça que je vous dis […] je vous demandais si vous aviez des preuves écrites de vos refus. Alors, vous en avez seulement qu’une vous dites? (Dossier certifié, page 312).

 

2.   Madame Acuna témoigne que durant la période 2002-2003 lorsqu’elle comblait des postes temporaires à deux universités à La Paz, on lui indiquait qu’il n’y avait pas de travail pour elle, ajoutant « pourtant j’ai vu qu’il y avait d’autres personnes qui avaient eu un poste » à quoi le tribunal remarque « […] oui, se sont des choses qui arrivent dans la vie » (Dossier certifié, page 313).

 

3.   Répondant au tribunal à savoir combien à Tijuana il existait des universités accrédités, madame Acuna en énumère plusieurs, après quoi le tribunal s’exclame « mon Dieu, ça fait beaucoup d’universités pour une petite ville » (Dossier certifié, page 321).

 

4.   En réponse à une question du tribunal, pouquoi elle n’avait rien dit sur l’échange de drogue, madame Acuna répond « parce que je suis restée tellement étonnée » après quoi le tribunal rajoute « oui, mais on en revient le lendemain matin de son étonnement, puis on court à la police ou on fait une dénonciation anonyme, comme il est possible de le faire au Mexique, par internet » (Dossier certifié, page 326).

 

5.   Madame Acuna a témoigné qu’à l’université où elle enseignait il y avait 2 professeurs pour 250 élèves et que le département était petit, à quoi le tribunal rétorque « bien, 200 élèves pour 2 professeurs, je trouve que c’est gros, moi » (Dossier certifié, page 337).

 

6.   Suite au témoignage de madame Acuna qu’un avocat au Mexique « peut rester, si jamais il gagne, il peut rester avec la moitié de ce qu’il gagne de la personne » le tribunal s’exclame « mon Dieu, les services juridiques canadiens pourraient s’inspirer de ça » (Dossier certifié, page 348).

 

7.   Madame Acuna témoigne que devant la Commission elle ne recherchait pas sa réintégration à l’université et a admis que trois mois de salaire, l’équivalent de

      1600,00 $ qu’elle réclamait n’était pas beaucoup (Dossier certifié, pages 349 et 350). Le tribunal plus tard exprime « ce que je trouve curieux, moi, c’est que des personnages aussi importants dont un est député, vont s’occuper d’une cause semblable qui coûte dans le fond 1 600.00 $ dollars canadiens. Je trouve ça bizarre qu’un type qui […] qui occupe […] une haute position puisse demander à des gens de vous menacer de mort parce que vous les poursuivez pour 1 600,00 $, vous ne trouvez pas ça un peu bizarre? ».(dossier certifié, page 356)

 

8.   Le tribunal avait demandé à madame Acuna si elle avait tenté d’enregistrer les menaces de mort anonymes qu’elle avait reçues par téléphone, elle a répondu qu’elle ne pouvait pas s’acheter un répondeur. Après une discussion sur le prix d’achat d’un répondeur au Mexique, madame Acuna maintient qu’elle ne pouvait en acheter un parce qu’elle gagnait moins. Le tribunal rétorque « non, surtout quand sa vie est en danger, n’est-ce pas? » (Dossier certifié, page 358).

 

9.   Le tribunal a demandé à madame Acuna si elle avait appliqué pour son ancien poste à l’école primaire privée et catholique quand le poste a été ré-ouvert, à quoi elle a répondu, non parce qu’elle était au Canada, réponse à laquelle le tribunal ajoute « bien oui, naturellement, si on ouvre le poste puis vous êtes pas là, on peut pas vous engager. Um-hum? » (Dossier certifié, page 360)

 

10. À un certain moment durant son témoignage il s’agissait de savoir quel était le nom des missionnaires pour lesquels elle avait fait de la psychologie communautaire en Afrique. Madame Acuna dit « c’est disons comme les Jésuites, mais on les appelle les comboniens, » à quoi le tribunal réplique « o.k. attention, là parce que je suis un ancien des Jésuites, moi » (Dossier certifié, page 370). [Je souligne]

 

11. Madame Acuna s’est mariée au mois de septembre 1997 en France où elle avait poursuivi des études à l’université catholique de Lille mais s’est divorcée en avril 1999. Elle a témoigné que le couple habitait à Fayence dans le Sud de la France. Le tribunal s’exclame en disant « chanceuse », à quoi madame Acuna dit « du côté du […] du climat, oui » auquel le tribunal affirme « oui, oui, là je parle pas de votre […] de votre vie matrimoniale » auquel madame Acuna ajoute « oui, oui, oui, du côté du climat, oui, c’est bon » (Dossier du tribunal, page 373).[Je souligne]

 

12. Durant l’audience, le tribunal a voulu savoir si une fois madame Acuna rentrée au Mexique de la France via l’aéroport de la ville de Mexico il y avait un obstacle pour se rendre à Guadalajara et que l’APR lui avait demandé : « vous pourriez donc continuer votre chemin pour rendre à Guadalajara? Le tribunal a ajouté « en autobus, en voiture, à pied, à dos d’âne? » (Dossier du tribunal, page 379). [Je souligne]

 

13. Dans son formulaire de renseignements personnels, madame Acuna a écrit qu’en juin 2004, elle a rencontré le président de la Commission et que celui-ci l’a informé que son cas était difficile, très difficile, et même qu’elle allait perdre. Madame Acuna confirme cette rencontre durant son témoignage. Le tribunal exprime qu’il est très surpris de cette rencontre, ce à quoi madame Acuna répond que c’était le père de famille d’un petit enfant de l’école où elle travaillait. Le tribunal s’exclame comme ceci :

 

Oui, oui, mais ce que je veux dire, madame, c’est que c’est […] si vous avez été le voir pour parler de crème glacée avec lui, ça je suis d’accord, mais si vous allez le voir avant que la décision soit rendue pour savoir où va votre affaire, mais c’est bien de valeur, je vais me retourner de bord tout de suite.

 

Vous n’avez pas le droit d’intervenir dans le processus judiciaire. Alors, quand vous dites que vous êtes allez voir le président pour savoir où en était rendu votre cause, vous savez, il y a des politiciens ici qui sont très bien (inaudible), là, seulement pour avoir parlé au juge. Alors […] (Dossier certifiée, page 380). [ Je souligne]

 

15. Durant le témoignage de madame Acuna, il était question du propriétaire de l’université de Tijuana qui avait nommé son fils comme recteur. Elle témoigne que le père avait beaucoup de pouvoir et avait participé à des fraudes et que l’attitude de ce monsieur était « c’est si tu n’es pas avec moi et tu es contre moi, je vais faire quelque chose » auquel le tribunal lance le commentaire suivant « oui, c’est comme le Seigneur l’a dit, ceux qui sont pas avec moi seront contre moi » (Dossier du tribunal, page 384). [Je souligne]

 

16. Durant son interrogatoire de madame Acuna, le tribunal s’est toujours adressé à la revendicatrice en utilisant le terme madame. Vers la fin de l’audience, le tribunal lui dit « bon, alors, j’ai pas d’autres questions. Mademoiselle […] » auquel madame Acuna dit « oui, j’aimerais […] le tribunal l’interrompt en disant « non, non, je ne dis pas ça pour vous rajeunir la, je vous appelle mademoiselle au lieu de madame » (Dossier du tribunal, page 402). [Je souligne]

 

 

[26]     La jurisprudence reconnaît que les interventions d’un tribunal durant une audience peuvent faire naître chez un demandeur d’asile une crainte raisonnable de partialité. Chaque cas est un cas d’espèce.

 

[27]     Plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale et de notre Cour ont condamné les interventions d’un tribunal durant l’audience comme indice d’un manque d’impartialité :

1.   Les interventions gênantes et intimidantes du tribunal durant l’interrogatoire principal du demandeur qui lui nie l’opportunité de présenter adéquatement sa cause (Kumar c. Canada, [1988] 2 C.F. 14 (C.A.F.)).

 

2.   Un harcèlement du tribunal durant un contre-interrogatoire par le tribunal, « un contre-interrogatoire digne d’un procès criminel » (De Leon c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), IMM-6251-98, 9 juin 2000).

 

3.   Les interventions ou commentaires intimidants, méprisants, hostiles, sarcastiques, inappropriés ainsi que les commentaires gratuits et déplacés (Mohammad c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2000 ACF 319] et Guermache c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2004 ACF 1058]).

 

4.   Les remarques faites par un tribunal durant l’audience qui donne l’impression d’une agressivité excessive et injuste ou les remarques non pertinentes pour lesquelles il n’y a aucune raison valable.

 

5.   Les remarques sexistes, déplacées et fort mal à propos de la part du tribunal. Dans Yusuf c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992] 1 C.F. 629, le juge Hugessen, alors membre de la Cour d’appel fédérale, écrivait au paragraphe 23 « le jour est passé où on tolérait une condescendance, le ton d’une supériorité inhérente et les « compliments » insultants, qu’on offrait trop souvent aux femmes qui osaient pénétrer le sanctuaire mâle des tribunaux de justice. Le juge qui se le permet aujourd’hui perd son manteau d’impartialité, la décision ne peut pas tenir. » En l’espèce, le juge Hugessen notait que le tribunal s’était adressé à la demanderesse en l’adressant « ma chère dame » et l’avait décrite comme « une femme, et toute petite ».

 

6.   D’autre part, un interrogatoire d’intervention énergétique visant à clarifier des éléments de preuve ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité (Mahendran c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1991] A.C.F. 549 (C.A.F.)).

 

[28]     Ma lecture du procès-verbal de l’audience ne me permet pas de conclure que les interventions du tribunal ont empêché la demanderesse de présenter toute la preuve qu’elle voulait afin de démontrer une crainte bien fondée de persécution si elle retournait au Mexique.

 

[29]     Tel que mentionné, la demanderesse était représentée par un consultant en immigration qui détient une maîtrise en droit international de l’université du Québec à Montréal et qui représentait des clients depuis plus de 5 ans à la CISR. Ce consultant est d’origine mexicaine et connaît très bien les dossiers mexicains. Qui plus est, un agent de la protection des refugies (APR) était aussi présent à l’audience.  

 

[30]     La demanderesse a été interrogée par le tribunal en premier. Cet interrogatoire a été suivi d’une séance de questions posées par l’APR, dont l’interrogatoire fut souvent interrompu par l’unique commissaire. Le représentant de la demanderesse est intervenu quelques fois et, vers la fin de l’audience, a posé plusieurs questions à sa cliente (voir Dossier certifié, page 391 à 396).

 

[31]     L’interrogatoire de la demanderesse, en l’espèce, est analogue à celui que j’ai commenté dans l’arrêt Burianski c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 826, au paragraphe 30 :

« Il ressort de mon examen de la transcription que les commissaires saisis de l'affaire avaient déjà tenu avec l'avocat des demandeurs deux conférences préalables au cours desquelles les points litigieux avaient été précisés et les questions projetées avaient été suggérées. Il est vrai que le président du tribunal est intervenu considérablement, mais l'avocat des demandeurs n'a rien trouvé à redire au sujet de ces interventions et ne s'y est jamais opposé. Dans les cas où il a jugé nécessaire de compléter les réponses de ses clients, l'avocat a posé des questions complémentaires. À mon sens, l'avocat des demandeurs travaille au sens le plus réel du terme de concert avec les commissaires saisis de l'affaire et, lors de la première audience à laquelle un agent chargé de la revendication était présent, il cherchait à connaître l'histoire des demandeurs. »

 

 

[32]      Quoique je doive admettre que certaines des remarques formulées par le commissaire et certains des gestes qu’il a posés étaient non pertinents et sarcastiques, je ne suis pas convaincu que le comportement du commissaire était, en l’espèce, de nature à amener une personne bien renseignée à croire que celui-ci n’a pas rendue une décision juste, étant donné que la demanderesse a été en mesure de présenter toute la preuve qu’elle a jugée pertinente et que sa crédibilité n’a pas été mise en doute.  J’ajoute que, même si je considère que le comportement du commissaire s’explique par son désir de faire de l’humour et par sa nature théâtrale, les commissaires se doivent de faire preuve d’un certain décorum considérant qu’ils entendent des demandes d’une grande importance pour les personnes concernées.

 

[33]     Je ne crois pas qu’il y ait lieu de sanctionner le refus du tribunal de lui permettre de jurer sur la Bible dans la mesure où la preuve au dossier est insuffisante : la demanderesse a produit une transcription incomplète.  Par voie de conséquence, il est impossible d’établir les circonstances entourant le déni dont madame Acuna prétend avoir été victime et cette Cour ne peut pas fonder ses conclusions sur des spéculations. 

 

[34]      Par ailleurs, même en prenant pour acquis que le comportement du commissaire démontre une crainte raisonnable de partialité, le défaut pour le conseiller de Mme Acuna d’avoir soulever cette objection durant l’audience constitue une renonciation implicite au droit de l’invoquer.

 

[35]      Le principe voulant qu’une objection fondée sur ce motif doive être soulevée en temps utile est bien ancré dans la jurisprudence. Voir les décisions : Ghirardosi c. Minister of Highways for British Columbia, 4[1966] R.C.S. 367, Abdalrithah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. 117 et Ithubu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. 499.

 

[36]      Pour conclure qu’il y a eu renonciation implicite au droit d’invoquer la crainte raisonnable de partialité, il faut que la partie ou son représentant sache qu’il a le droit de s’objecter, comme l’a d’ailleurs rappelé le juge Nadon dans la décision Khakh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 548. Dans cette décision, la Cour a décidé que, compte tenu du fait que le représentant du demandeur n’était pas avocat, on ne pouvait pas conclure à la renonciation implicite.

 

[37]      Dans le cas qui nous occupe, le conseiller de la demanderesse n’est pas avocat. Il allègue, dans son affidavit, qu’il détient une maîtrise en droit international de l’Université du Québec à Montréal et qu’il  représente des requérants devant la Commission depuis plus de cinq ans. Il ne soutient pas devant cette Cour qu’il ignorait qu’il avait la possibilité de s’objecter à la poursuite de l’audition devant le commissaire au motif de crainte de partialité.  Par conséquent, je suis d’avis que son omission de soulever une telle objection devant le commissaire constitue une renonciation valide au droit d’invoquer la crainte de partialité, et ce malgré la décision Khakh.

 

[38]      En effet, les propos du juge Nadon dans Khakh ne signifient pas que la Cour doit conclure que, étant donné que le représentant de Mme Acuna devant la Commission n’était pas avocat, il ignorait qu’il bénéficiait du droit de soulever une objection pour crainte raisonnable de partialité. Les propos du juge Reed, aux paragraphes 9 et 10 de l’arrêt Johnpillai c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. 194, abondent d’ailleurs en ce sens :  

« Bien que la représentante du requérant n'ait pas été avocate, il est clair qu'elle représentait un cabinet juridique.  Il est raisonnable de supposer qu'en se présentant comme une auxiliaire d'un cabinet juridique, elle avait discuté de la cause du requérant avec un membre de ce cabinet qui avait une formation juridique.  Ce qui est plus important, toutefois, c'est que je ne pense pas que les remarques formulées par M. le juge Nadon dans l'affaire Khakh puissent avoir une portée aussi étendue que celle suggérée par l'avocat du requérant.  Dans le contexte des audiences tenues par de nombreux tribunaux administratifs, y compris les audiences en matière de statut de réfugié, un requérant a le choix : il peut parler en son propre nom, retenir les services d'un conseiller juridique ou demander à un représentant qui n'a pas de formation juridique de comparaître en son nom.  Je ne suis pas prête à reconnaître que Monsieur le juge Nadon a énoncé une règle selon laquelle un demandeur qui choisit un représentant qui n'a pas de formation juridique ou qui comparaît en son propre nom se trouve dans une situation plus avantageuse que celui qui est représenté par un avocat lorsque vient le temps de faire valoir qu'il n'a pas renoncé à ses droits au cours d'une audience.  On s'attend habituellement à ce que les personnes qui comparaissent devant les tribunaux judiciaires ou administratifs sans se faire représenter par un avocat connaissent le droit.  Elles n'ont normalement pas le droit de faire annuler, par la suite, une décision qui leur est défavorable au motif qu'elles ne connaissaient pas bien les règles de droit.

 

Par ailleurs, dans certaines situations, il peut arriver que le manque de connaissance mène effectivement à une conclusion selon laquelle la renonciation implicite est viciée parce que la partie en cause ne connaissait pas suffisamment ses droits.  Monsieur le juge Nadon a conclu que c'était le cas dans les circonstances qui lui ont été soumises.  Je ne peux cependant conclure que c'est le cas en l'espèce.  En effet, aucun élément de preuve n'établit que la représentante du requérant en l'espèce ignorait que les objections fondées sur une prétendue violation de la justice naturelle doivent être présentées sans délai.  On suppose simplement qu'il en était ainsi parce qu'elle n'avait pas les qualités requises formellement pour devenir avocate.  Je ne suis pas disposée à faire pareille supposition et, quoi qu'il en soit, elle a effectivement consenti au dépôt préalable, comme je l'ai déjà mentionné. »

 

 

(d) Possibilité de refuge interne

[39]      La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur dans son analyse de la preuve quant à la possibilité de refuge interne.  Comme je l’ai mentionné précédemment, la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision manifestement déraisonnable.  Or, je considère que la preuve qu’une telle erreur a été commise n’a pas été faite devant cette Cour. 

 

[40]     La demanderesse avait le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risquait d’être persécutée dans tout le pays, et ce, même dans le refuge interne. Dans la mesure où elle a reconnu devant la Commission qu’elle pourrait se trouver un emploi à Guadalajara où elle est membre de l’ordre des psychologues, la Commission était bien fondée de conclure à l’existence d’un refuge interne. La jurisprudence reconnaît qu’il n’est pas déraisonnable d’identifier un refuge interne dans lequel il est possible que le demandeur ne puisse pas obtenir l’emploi qui lui convient (Thirunavukkarusu c. Canada, Ministre de l’emploi et de l’immigration, ci-dessus). Dans la mesure où on peut s’attendre à ce que la demanderesse puisse se débrouiller à Guadalajara, il n’est pas possible de conclure que la Commission a erré en identifiant cette ville comme refuge interne. Je dois ajouter que cette conclusion est supportée par le fait que la demanderesse a déclaré dans son FRP avoir résidé à cet endroit du 1er juin 1993 au 30 août 1995. 


JUGEMENT

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucune question d’importance a été proposée. 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                 IMM-7441-05

 

INTITULÉ :                                MARIA CONCEPCION ANGUIANO ACUNA

                                                                                                                        demanderesse

 

                                                     et

 

                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                     ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

 

LIEU DE L'AUDIENCE :         Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :        le 18 JUILLET 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                   L’HONORABLE JUGE LEMIEUX 

 

DATE DES MOTIFS :              le  18 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me ROSA RICOLO VACCARO                                     POUR LE DEMANDERESSE

 

Me STEVE BELL                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me  ROSA RICOLO VACCARO                                    POUR LE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

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