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Date : 20061018

Dossier : T-775-05

Référence : 2006 CF 1241

Montréal (Québec), le 18 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS,

une corporation dûment constituée selon les lois

de la province du Nouveau-Brunswick,

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association dûment immatriculée selon les lois

de la province du Québec et

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS,

une association dûment immatriculée selon les lois

de la province du Québec

 

demanderesses 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demanderesses contestent la légalité de la décision du ministre des Pêches et Océans Canada (le ministre) de délivrer pour l’année 2005 un permis de pêche du crabe des neiges (la ressource halieutique) à l’Association des pêcheurs de poissons de fond acadiens (APPFA) l’autorisant à pêcher 480 tonnes métriques (tm) de la ressource halieutique.

 

[2]               L’APPFA est une personne morale. Celle-ci ne possède aucun navire et, d’ailleurs, ses membres ne sont pas des pêcheurs de crabe des neiges. En outre, celle-ci ne répond pas aux critères de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans la région du Golfe (la politique d’émission des permis), qui prévoit  depuis 1996 que les nouveaux permis pour les pêches limitées aux bateaux de moins de 19,8 m (65 pi) de longueur hors tout ne peuvent être délivrés à des sociétés. Toutefois, si un permis a déjà été émis au nom d’une société, il peut continuer d’être émis au nom de cette société en vertu d’une clause de droits acquis. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[3]               En 2005, le total autorisé de capture (TAC) dans les zones de pêche du crabe (ZPC) 12, 18, 25 et 26 dans le sud du golfe du Saint-Laurent a été fixé par le ministre à 32 336 tm. Or, le contingent total comprend une allocation de 480 tm que le ministre a réservée pour financer les activités supplémentaires du ministère des Pêches et Océans Canada (MPO) ayant été annoncées en avril 2005. Il s’agit ici des activités suivantes : surveillance et contrôle du crabe à carapace molle, relevé scientifique au chalut, analyse scientifique, communication d’information, surveillance accrue des prises, discussions sur une approche de gestion à long terme de la ressource halieutique (les activités supplémentaires du MPO). L’embauche de personnes, l’achat d’équipements, la conclusion de contrats et les dépenses associées à ces activités supplémentaires relèvent exclusivement du MPO. Cependant, aux termes de l’entente que le ministre a conclue en avril 2005 avec l’APPFA, cette dernière s’engage à verser au ministre un montant total de 1 900 000 $, qui servira à défrayer les salaires des employés du MPO, l’achat d’équipement, les dépenses de voyage, les dépenses opérationnelles et les dépenses de laboratoire, les coûts de la formation, les coûts reliés aux marchés de service et les coûts administratifs associés aux activités supplémentaires du MPO. Aux fins de permettre à l’APPFA d’exécuter ses obligations financières à l’endroit du MPO, un permis de pêche a en conséquence été délivré à l’APPFA par le ministre en avril 2005.

 

[4]                Suite à la délivrance de son permis, l’APPFA a offert en 2005 aux pêcheurs une part de son allocation de 480 tm, et ce au prix de 2 $ la livre, et à diverses autres conditions (comme l’obligation de vendre la ressource halieutique à un transformateur désigné par l’APPFA). Les pêcheurs qui ont accepté cette offre ont par la suite été désignés comme « opérateurs » sous le permis de l’APPFA (qui a été modifié en conséquence par le ministre).

 

[5]               Selon les demanderesses, aucune disposition dans la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, c. F-14 (la Loi) n’autorise le ministre à se réserver ou à allouer à quiconque la ressource halieutique pour obtenir du financement additionnel pour certaines activités du MPO. L’outil le plus important qu’il possède dans l’exécution de ses fonctions se retrouve à l’article 7 de la Loi, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’activité de pêche en octroyant des permis de pêche. Les demanderesses soumettent que le ministre a cependant excédé son pouvoir en l’espèce. Le pouvoir d’émettre des permis est un outil de gestion devant être utilisé pour contrôler principalement l’effort de pêche relativement aux espèces pour lesquels le ministre a choisi d’autoriser la pêche. Il serait déraisonnable de conclure que le législateur a voulu conférer un pouvoir au ministre de vendre de la ressource halieutique, qu’il a l’obligation de gérer, pour se procurer du financement.

 

[6]               Les demanderesses soumettent en outre que le MPO est assujetti à la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11 (la LGFP), tout comme les autres ministères fédéraux. Par conséquent, les coûts associés aux mesures de bonne gestion des pêches envisagées par le MPO doivent faire partie du budget accordé par le Parlement. Les demanderesses soutiennent que si le ministre manquait de fonds, c’était au ministre des Finances qu’il devait adresser ses demandes de financement. La décision du ministre de réserver une allocation de crabe des neiges dans le but de recevoir 1,9 million de dollars pour financer les activités supplémentaires du MPO n’est fondée sur aucun pouvoir et elle n’est conforme à aucune fin prévue dans la Loi (Aucoin c. Canada (ministre des Pêches et des Océans), [2001] A.C.F. no 1157 (QL), 2001 CFPI 800 aux paras. 43, 45). Ainsi, en retranchant une allocation de 480 tm du TAC, le ministre a privé chaque détenteur de permis de cette part du TAC et leur a imposé indirectement une redevance additionnelle.

 

[7]               Je suis d’accord avec les demanderesses. La décision du ministre de se réserver un contingent de 480 tm et de délivrer un permis de pêche en avril 2005 à l’APPFA est contraire à la Loi et ultra vires de pouvoirs accordés à ce dernier.

 

[8]               Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur le fait que la délivrance d’un permis de pêche à une société qui ne dispose pas d’un droit acquis n’est pas envisagée par la politique d’émission des permis. Tel qu’il a été décidé récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Larocque c. Canada (ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 237, le ministre n’a tout simplement pas le pouvoir en vertu de la Loi de financer les recherches scientifiques du MPO à même la vente de crabe des neiges, et je ne vois aucune raison particulière pour ne pas arriver à la même conclusion dans le cas du financement des activités supplémentaires du MPO ayant fait l’objet de l’entente conclue en avril 2005 avec l’APPFA. En l’espèce, le ministre a alloué à l’APPFA le contingent de 480 tm de crabe des neiges qu’il s’est illégalement approprié pour financer les activités supplémentaires du MPO. Il s’ensuit que le ministre a outrepassé sa compétence en vertu de la Loi en délivrant pour l’année 2005 un permis de pêche au crabe des neiges à l’APPFA en échange du versement d’une somme de 1 900 000 $ devant servir à financer les activités supplémentaires du MPO, à même les sommes d’argent que l’APPFA a, à son tour, obtenu des détenteurs de permis ayant été désignés comme opérateurs sous le permis de l’APPFA.

 

[9]               Ni l’article 7 de la Loi, qui confère au ministre le pouvoir de délivrer des permis de pêche, ni l’alinéa d) de la définition de « fonds publics » à l’article 2 et le paragraphe 21(1) de la LGFP, qui permettent au ministre de recevoir et d’utiliser des fonds pour les fins particulières d’un traité, d’une loi, d’une fiducie, d’un contrat ou d’un engagement, qui sont invoquées en l’espèce par le défendeur, ne confèrent le pouvoir légal au ministre de délivrer un permis de pêche, de conclure un contrat ou de recevoir toute somme d’argent à des fins impropres ou non autorisées par la loi. Pour reprendre les mots mêmes utilisés par le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Larocque, précitée, au paragraphe 26, le ministre a financé les activités supplémentaires du MPO « sans avoir approprié à l’avance les fonds nécessaires et en pillant à toutes fins utiles des ressources qui ne lui appartiennent pas ». Ainsi, le ministre « a confondu fonds publics et domaine public. À défaut d’appropriation de fonds publics, il s’est approprié le domaine public. Cela ne peut être ».

 

[10]           En conséquence, j’ai décidé d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Il est donc déclaré que le ministre n’a pas compétence pour s’approprier la ressource halieutique aux fins de financement. De plus, la délivrance d’un permis de pêche autorisant la capture de 480 tm de crabe des neiges en échange d’un montant de 1 900 000 $ pour financer des activités du MPO est contraire à la Loi, et le permis de pêche émis en avril 2005 par le ministre à l’APPFA est déclaré invalide. Les demanderesses auront droit à leurs dépens contre le défendeur.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens en faveur des demanderesses contre le défendeur;

 

2.                  Le ministre n’a pas compétence pour s’approprier la ressource halieutique aux fins de financement;

 

3.                  La délivrance d’un permis de pêche autorisant la capture de 480 tm de crabe des neiges en échange d’un montant de 1 900 000 $ pour financer des activités du MPO est contraire à la Loi, et le permis émis en avril 2005 par le ministre à l’APPFA est déclaré invalide.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-775-05

 

INTITULÉ :                                       ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS,

une corporation dûment constituée selon les lois

de la province du Nouveau-Brunswick,

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association dûment immatriculée selon les lois

de la province du Québec et

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS,

une association dûment immatriculée selon les lois

                                                            de la province du Québec

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 octobre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Brigitte Sivret                                                         POUR LES DEMANDERESSES

 

Me Dominique Gallant                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Brigitte Sivret                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Avocate

Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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