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Date : 20061018

Dossier : T-777-05

Référence : 2006 CF 1242

Montréal (Québec), le 18 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS

une corporation dûment constituée selon les lois

de la province du Nouveau-Brunswick,

et

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS,

une association dûment immatriculée selon les lois

de la province du Québec

et

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association dûment immatriculée selon les lois

de la province du Québec

 

demanderesses 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Suite à l’adoption par le ministre des Pêches et Océans Canada (le ministre) de son plan de gestion du crabe des neiges (la ressource halieutique) pour l’année 2005 dans le sud du golfe Saint-Laurent, les demanderesses recherchent une déclaration à l’effet que le ministre n’avait pas compétence ou a autrement excédé celle-ci :

a)      en réservant une allocation de 480 tonnes métriques (tm) du total autorisé de capture (TAC) de la ressource halieutique pour l’année 2005 pour financer des activités du ministère des Pêches et Océans Canada (MPO) (la première question);

b)      en imposant l’obligation à chaque détenteur de permis pour la pêche du crabe des neiges dans les zones de pêche du crabe (ZPC) 12, 18, 25 et 26 d’installer en 2005 sur leur bateau un système de suivi des navires (SSN) (la deuxième question).

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. En ce qui a trait à la première question, pour les motifs rendus ce jour même dans le dossier T-775-05, Association des crabiers acadiens inc. et al. c. Procureur général du Canada, 2006 CF 1241, je suis d’avis que le ministre a excédé sa compétence en réservant une allocation de 480 tm du TAC de 2005 pour financer des activités du MPO. En ce qui a trait à la deuxième question pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision du ministre d’imposer l’obligation aux pêcheurs de crabe d’installer sur leur bateau un SSN n’est pas arbitraire ou capricieuse, ou autrement manifestement déraisonnable selon la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce (Comeau’s Sea Foods Ltd.  c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997] 1 R.C.S. 12 au para. 36; Tucker c. Canada (Ministre des pêches et océans), (2001) 288 N.R. 10, 2001 CAF 384 au para. 2, confirmant (2000), 197 F.T.R. 66; Fennelly c. Canada (P.G.), 2005 FC 1291 au para. 21; Recherches Marines Inc. c. Canada (P.G.), 2005 CF 1287 au para. 17; Area Twenty Three Snow Crab Fisher’s Association c. Canada (Attorney General), 2005 FC 1190 au para. 22).

 

[3]               Le SSN – dans le langage vernaculaire, les pêcheurs se réfèrent aux « boîtes noires » - est un système d’aide à la navigation qui permet de suivre le trajet d’un navire sur l’eau. Il permet, en temps réel, de localiser un ou plusieurs bateaux sur l’eau. Le SSN est utile pour guider l’achalandage du trafic et permet d’éviter des collisions entre les navires. En ce sens, en tant qu’outil de navigation, l’imposition du SSN relève donc à première vue de la compétence du ministre des Transports en vertu des dispositions applicables de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, c. 26. Mais cette conclusion n’est pas déterminante dans le présent dossier.

 

[4]               En l’occurrence, le ministre est chargé de la gestion et de la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, c. F-14 (la Loi). Or, les demanderesses soutiennent qu’il n’existe aucun règlement d’application de la Loi qui autorise le ministre à imposer les boîtes noires aux détenteurs de permis pour des fins de gestion et de surveillance judicieuses des pêches. Au contraire, le défendeur soutient ici que le ministre a le pouvoir en vertu de l’article 7 de la Loi de délivrer les permis de pêche et que l’alinéa 22(1)l) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le Règlement) autorise celui-ci à indiquer sur un permis toute condition concernant « les renseignements que le capitaine du bateau doit transmettre en mer au ministère, ainsi que leur mode de transmission, le moment de leur transmission et leur destinataire ».

 

[5]               En l’espèce, je suis d’avis qu’une interprétation large et libérale comme il se doit de l’alinéa 22(1)l) du Règlement permet effectivement au ministre d’indiquer sur un permis de pêche que le détenteur installe une « boîte noire » sur le navire si, bien entendu, cette condition est requise « pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson », ainsi qu’il est précisé dans l’introduction du paragraphe 22(1) du Règlement.

 

[6]               À ce sujet, je note que l’expert des demanderesses considère le SSN comme un outil de surveillance peu efficace (puisque celui-ci ne possède aucun attribut visuel tel qu’une caméra qui permettrait au MPO d’utiliser ce système pour observer et faire la preuve qu’un navire est en train de pêcher illégalement ou d’enfreindre un quelconque règlement sur les pêches). L’expert des demanderesses est également d’avis que le SSN ne fournira pas des données additionnelles pour appuyer la recherche scientifique (puisque la réglementation du MPO exige déjà la tenue d’un livre de bord par chaque pêcheur). D’autre part, bien qu’il existe sans doute des méthodes de contrôle plus efficaces (on pourrait penser à un appareil de transmission placé sur chaque casier laissé au fond de l’eau), le défendeur soumet que la Cour n’a pas à se prononcer à ce sujet, d’ailleurs à l’audition, la procureure du défendeur a suggéré que ces méthodes alternatives ne sont peut-être pas au point technologiquement ou sont peut-être trop coûteuses pour être imposées aujourd’hui aux pêcheurs de crabe.

 

[7]               Qu’il s’agisse de la discrétion du ministre d’élaborer des politiques de gestion et de surveillance des pêches ou de sa discrétion de délivrer des permis de pêche aux conditions qu’il estime appropriées, il est acquis que celui-ci doit agir de bonne foi et qu’il doit se fonder sur des considérations pertinentes, tout en respectant le cas échéant les règles d’équité procédurale (Comeau, ci-dessus aux pp. 25-26). C’est le cas en l’espèce.

 

[8]               En effet, selon la preuve documentaire, il appert que diverses consultations ont été menées auprès de l’industrie du crabe des neiges avant l’annonce de l’imposition des boîtes noires. Le ministre a conclu à cet égard que le SSN lui permettra « de mieux effectuer son travail de surveillance des pêches et d’application des règlements (surveillance aérienne, patrouille en mer, et déploiement des observateurs en mer) et d’améliorer la gestion de la pêche du crabe des neiges tout en fournissant des données additionnelles pour appuyer la recherche scientifique ». Je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce.

 

[9]               Je n’ai pas à me prononcer au sujet de l’efficacité de la méthode ici retenue par le ministre. En effet, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il n’appartient pas à cette Cour de dicter au ministre ce qui est plus approprié ni de substituer mon opinion personnelle à celle du ministre dans l’évaluation et le choix des mesures qui sont prises pour ce dernier pour réaliser les objectifs poursuivis et les fins autorisées par la Loi et le Règlement. Il suffit que la décision d’ordre discrétionnaire et politique prise ici par le ministre soit prise pour les fins autorisées par la Loi et le Règlement et que sa décision soit fondée sur des considérations pertinentes. C’est le cas en l’espèce. En effet, la décision du ministre d’imposer un SSN ne m’apparaît pas capricieuse, arbitraire ou autrement manifestement déraisonnable dans les circonstances.

 

[10]           Compte tenu du résultat partagé, dans l’exercice de ma discrétion, je n’accorderai pas de dépens aux demanderesses ou au défendeur.


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

 

2.                  Le ministre a excédé sa compétence en réservant une allocation de 480 tm du TAC de 2005 pour financer des activités du MPO;

 

3.                  Le ministre a compétence pour imposer l’obligation à chaque détenteur de permis de pêche du crabe dans les ZPC 12, 18, 25 et 26 d’installer un SSN sur leur bateau;

 

4.                  Il n’y aura aucuns dépens.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-777-05

 

INTITULÉ :                                       ASSOCIATION DES CRABIERS ACADIENS,

une corporation dûment constituée selon les lois

de la province du Nouveau-Brunswick,

et

ASSOCIATION DES CRABIERS GASPÉSIENS,

une association dûment immatriculée selon les lois

                                                            de la province du Québec

                                                            et

ASSOCIATION DES CRABIERS DE LA BAIE,

une association dûment immatriculée selon les lois

                                                            de la province du Québec

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 octobre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Martineau

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Brigitte Sivret                                                         POUR LES DEMANDERESSES

 

Me Dominique Gallant                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Brigitte Sivret                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Avocate

Bathurst (Nouveau-Brunswick)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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