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Date : 20061006

Dossier : T-2125-05

Référence : 2006 CF 1199

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

FRANCO PETRILLO, MUSCLE MEDIA ULTIMATE INC.,

CENTRE DE NUTRITION BODY BUILDING B.N.C. INC.,

9103-7788 QUEBEC INC., 9084-7856 QUEBEC INC.

et 9121-6606 QUEBEC INC.

 

demandeurs

et

 

 

ALLMAX NUTRITION INC., HEALTHY BODY SERVICES INC.,

RICHARD GLOVER et MICHAEL KICHUK

défendeurs

 

ET ENTRE :

 

ALLMAX NUTRITION INC. ET

HEALTHY BODY SERVICES INC.

 

demanderesses reconventionnelles

 

et

 

FRANCO PETRILLO, MUSCLE MEDIA ULTIMATE INC.,

CENTRE DE NUTRITION BODY BUILDING B.N.C. INC.,

9103-7788 QUEBEC INC., 9084-7856 QUEBEC INC.

ET 9121-6606 QUEBEC INC.

 

défendeurs reconventionnels

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Richard Glover et Michael Kichuk, défendeurs personnels dans la présente action fondée sur l’usurpation d’une marque de commerce, ont présenté une requête en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant la demande que les demandeurs ont présentée contre eux.

 

[2]               Les intimés concèdent qu’il n’existe aucune preuve à l’appui de la demande personnelle qu’ils ont déposée à l’encontre de M. Glover et qu’un jugement sommaire rejetant l’action intentée contre lui devrait être rendu. Une ordonnance sera donc rendue en ce sens.

 

[3]               Dans la présente requête, il s’agit de savoir s’il existe une véritable question litigieuse à l’égard de la responsabilité personnelle de M. Kichuk par suite de la présumée usurpation de la marque de commerce « ISO‑FLEX » par les sociétés défenderesses.

 

Historique

[4]               Frank Petrillo est le propriétaire inscrit de la marque de commerce « ISO‑FLEX » et du dessin y afférent, enregistrés en vue de leur emploi en liaison avec des suppléments diététiques et d’autres produits nutritionnels.

 

[5]               La présente action a été intentée au mois de décembre 2005. Dans la déclaration modifiée, il est allégué que M. Petrillo est l’unique actionnaire et administrateur des sociétés demanderesses, qui ont censément employé la marque ISO‑FLEX en liaison avec les marchandises énumérées.

 

[6]               En ce qui concerne M. Kichuk, les passages pertinents de la déclaration modifiée sont rédigés comme suit :

[Traduction] [9]  Le défendeur MICHAEL KICHUK est cadre dirigeant ou administrateur de la défenderesse H.B.S. [...]

 

[10]  Les demandeurs ont tous les motifs de croire qu’ALLMAX et H.B.S. sont une seule et même société [...]

 

[22]  Au mois de janvier 2004 ou vers le mois de janvier 2004, le demandeur PETRILLO a personnellement appelé le défendeur KICHUK pour l’informer qu’il était l’unique propriétaire de la marque de commerce déposée ISO‑FLEX et pour souligner que l’emploi de cette marque par les défenderesses ALLMAX et H.B.S. n’était pas autorisé et qu’il était donc illégal. Le défendeur KICHUK a informé le demandeur PETRILLO qu’il communiquerait avec lui, mais ni le défendeur KICHUK ni quelque autre représentant des défendeurs n’a depuis lors communiqué avec le demandeur PETRILLO.

 

[26]  Au mois de mars 2004, le demandeur PETRILLO a demandé à son avocat, Me David Bounik, de rédiger une lettre de demande et de l’envoyer à ALLMAX afin de prier celle‑ci de cesser d’employer son dessin‑marque similaire créant de la confusion en liaison avec ses produits et ses marchandises. Les défendeurs n’ont jamais répondu à la lettre de demande, et ils ne se sont pas non plus conformés aux demandes que le demandeur faisait dans cette lettre. [...]

 

[28]  Le 7 novembre 2005, une autre mise en demeure a été envoyée à ALLMAX, pour la prier de mettre immédiatement fin à son emploi illégal de la marque de commerce déposée du demandeur PETRILLO et d’envoyer une série d’engagements aux avocats des demandeurs au plus tard le 17 novembre 2005. À ce jour, ni ALLMAX ni l’un quelconque des autres défendeurs n’a répondu aux engagements demandés. [...]

 

[30]  Les défendeurs RICHARD GLOVER et MICHAEL KICHUK, individuellement et en leurs qualités de dirigeants des sociétés défenderesses ALLMAX et H.B.S., ont délibérément, intentionnellement et sciemment adopté un comportement qui a amené ALLMAX à adopter la marque de commerce identique dont le demandeur est propriétaire (...) en liaison avec la même catégorie de marchandises, et ont ainsi manifesté de l’indifférence à l’égard du risque d’usurpation. Les défendeurs MICHAEL KICHUK et RICHARD GLOVER ont en outre constitué H.B.S. en société afin de distribuer et de vendre les marchandises sous la marque de commerce contestée et dans l’emballage similaire créant de la confusion afin de tirer parti, d’une façon inéquitable, de l’achalandage des demandeurs et en vue de tenter de se protéger personnellement contre toute responsabilité. À l’heure actuelle, les demandeurs ne sont au courant d’aucun autre fait concernant le comportement des défendeurs GLOVER et KICHUK;

[souligné dans l’original]

 

Preuve produite dans la présente requête

[7]               Avant d’examiner la substance de la preuve mise à la disposition de la Cour dans le cadre de la présente requête, il faut déterminer avec précision en quoi consiste la preuve, étant donné que cette question était en litige lors de l’audition de la requête.

 

[8]               M. Kichuk a déposé un affidavit à l’appui de la requête en jugement sommaire qu’il avait présentée. Il a par la suite été contre‑interrogé au sujet de cet affidavit; la transcription de ce contre‑interrogatoire fait partie du dossier de la preuve mis à ma disposition.

 

[9]               Les intimés ont décidé de ne pas déposer de preuve en réponse à la requête. Toutefois, au cours de l’argumentation, l’avocat des intimés a tenté de se fonder sur des documents qui avaient de toute évidence été joints à la déclaration de ses clients et déposés auprès de la Cour, apparemment en vue d’essayer de satisfaire aux exigences de l’article 206 des Règles de la Cour fédérale.

 

[10]           La disposition en question exige que des copies des documents mentionnés dans un acte de procédure soient signifiées avec l’acte de procédure, ou qu’elles soient remises à la partie ou aux parties adverses dans les dix jours suivant la signification de l’acte de procédure.

 

[11]           Lors de l’audition de la présente requête, j’ai informé l’avocat des intimés que je n’étais pas prête à examiner la plupart de ces documents, étant donné qu’ils n’avaient pas été produits en preuve d’une façon appropriée, au moyen du contre‑interrogatoire de M. Kichuk, au moyen de l’affidavit d’un autre déclarant ou par quelque autre moyen.

 

[12]           Toutefois, j’ai informé l’avocat que j’était prête à examiner la copie certifiée de l’enregistrement de la marque de commerce « ISO‑FLEX » de M. Petrillo, étant donné qu’un tel document est admissible sans autre preuve, conformément aux dispositions de l’article 24 de la Loi sur la preuve au Canada. De fait, l’avocate de M. Kichuk a concédé que ce document était à juste titre admissible dans le cadre de la requête.

 

[13]           Ce dont est composé le dossier de la preuve étant bien compris, j’examinerai maintenant ce que la preuve démontre.

 

[14]           La preuve soumise par M. Kichuk établit qu’il est dirigeant et administrateur de Healthy Body Services Inc. (HBS) depuis que l’entité a été constituée en société en 1997. À l’heure actuelle, il est l’unique administrateur de la société et il est responsable de la gestion générale de l’entreprise dans son ensemble.

 

[15]           HBS s’occupe de la distribution de suppléments nutritionnels et diététiques, notamment de concentrés de protéines, auprès des détaillants. Les produits offerts par HBS sont fabriqués par diverses sociétés. Depuis 2002, la défenderesse Allmax Nutrition Inc. est l’un de ces fabricants.

 

[16]           Allmax a été constituée en société au mois de novembre 2002. M. Kichuk est également dirigeant et unique administrateur de cette société. Allmax fabrique une ligne de produits et de suppléments nutritionnels, dont l’un s’appelle « ISOFLEX  Whey Protein Isolate ».

 

[17]           M. Kichuk est celui qui a choisi le nom « ISOFLEX » pour le produit nutritionnel qui fait l’objet du présent litige. Il a commencé à mettre au point ce produit à la fin de l’année 2001 et au début de l’année 2002. Il voulait initialement que le produit s’appelle « ISOMAX », mais pendant que l’on était encore en train de mettre au point le produit, un produit similaire portant le nom ISOMAX a été lancé sur le marché. Ce produit était fabriqué par un concurrent, qui avait récemment embauché un ancien employé de HBS.

 

[18]           M. Kichuk affirme avoir alors commencé à chercher un autre nom pour le produit et avoir finalement choisi le nom « ISOFLEX » à un moment donné au cours de l’année 2002. Cela s’est produit avant qu’Allmax soit constituée en société.

 

[19]           M. Kichuk a ensuite effectué une recherche de marque de commerce, laquelle, dit‑il, a révélé qu’il y avait de 10 à 12 enregistrements, dont aucun ne se rapportait à l’industrie alimentaire. M. Kichuk déclare sous serment que sa recherche ne lui a pas permis de découvrir la marque « ISO‑FLEX » de M. Petrillo, laquelle comporte un trait d’union entre les deux syllabes, comme il importe de le noter, contrairement à la marque « ISOFLEX » d’Allmax, qui est composée d’un seul mot.

 

[20]           M. Kichuk déclare également qu’avant de choisir le nom « ISOFLEX » en 2002, il n’avait jamais entendu parler de M. Petrillo, ni d’aucune des sociétés de M. Petrillo ou des produits que M. Petrillo affirme vendre.

 

[21]           M. Kichuk et Allmax n’ont jamais demandé l’enregistrement de la marque « ISOFLEX ».

 

[22]           Après la constitution d’Allmax en société, à la fin de l’année 2002, HBS a commencé à distribuer les produits d’Allmax, et notamment l’« ISOFLEX Whey Protein Isolate ».

 

[23]           M. Kichuk reconnaît avoir reçu une lettre de l’avocat qui représentait M. Petrillo au mois de mars 2004. La lettre elle‑même était l’un des documents qui étaient joints à la déclaration, et elle n’a pas été produite devant la Cour de façon appropriée.

 

[24]           M. Kichuk reconnaît également qu’à un moment donné, au printemps ou pendant l’été 2004, il a reçu un appel téléphonique de M. Petrillo, qui affirmait être propriétaire de la marque de commerce « ISOFLEX ». M. Kichuk déclare avoir demandé à M. Petrillo de lui remettre des copies de la [traduction] « paperasserie » se rapportant à l’enregistrement de sa marque de commerce, mais aucun document ne lui a été fourni.

 

[25]           M. Kichuk affirme qu’après cet appel téléphonique, il a procédé à des recherches additionnelles au sujet de la marque « ISO‑FLEX » et que les recherches ne lui ont encore une fois pas permis de trouver la marque de M. Petrillo. M. Kichuk affirme également avoir demandé à au moins une douzaine de représentants de commerce, de détaillants et de promoteurs de salons professionnels, et notamment à ceux qui exerçaient leurs activités au Québec, s’ils avaient déjà entendu parler de M. Petrillo ou de ses produits. Une seule personne a signalé avoir entendu parler de M. Petrillo, à l’égard d’un gymnase de musculation. Personne n’a déclaré avoir connaissance de l’existence de l’un ou l’autre des produits « ISOFLEX ».

 

[26]           Enfin, l’avocate de M. Kichuk a confirmé, au moyen d’une réponse à un engagement, qu’Allmax et HBS n’avaient pas adopté de politique écrite au sujet de la propriété intellectuelle d’autres sociétés.

 

Responsabilité personnelle des dirigeants et administrateurs en matière de violation de la propriété intellectuelle

 

[27]           En règle générale, les entreprises constituées en société ont une personnalité juridique distincte de celle de leurs administrateurs et dirigeants, qui bénéficient habituellement de la responsabilité limitée qu’offre la constitution en société.

 

[28]           Ceci dit, il y a des cas dans lesquels la conduite de l’administrateur ou du dirigeant en question est telle que sa responsabilité personnelle est déclenchée.

 

[29]           En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles la responsabilité personnelle est en jeu, la Cour d’appel de l’Ontario a statué ce qui suit dans l’arrêt Normart Management Ltd. c. West Hill Redevelopement Co., [1998] O.J. no 391, 37 O.R. (3d) 97, page 102, [1998] O.J. no 391 :

[Traduction] Il est de jurisprudence constante que les têtes dirigeantes des personnes morales ne sont tenues civilement responsables des actes de la personne morale qu’elles contrôlent et qu’elles dirigent que si ces têtes dirigeantes ont elles‑mêmes commis un acte qui est délictueux en lui‑même ou qui témoigne d’une identité distincte ou d’intérêts différents de ceux de la personne morale de telle manière que les actes ou les agissements reprochés à la personne morale peuvent être attribués à ses têtes dirigeantes : [renvois omis].

 

 

[30]           De même, dans l’arrêt Mentmore Manufacturing Co. Ltd. c. National Merchandising Manufacturing Co. Inc. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195, 22 N.R. 161, paragraphe 25, la Cour d’appel fédérale s’est demandé quel genre de participation aux actes d’une société déclenche une responsabilité personnelle de la part de l’administrateur ou du dirigeant de la société. Sur ce point la Cour a dit ce qui suit :

Il semblerait que ce soit lorsque la nature et l'étendue de la participation personnelle de l'administrateur ou du dirigeant fasse de l'acte délictueux leur acte délictueux.  Il s'agit manifestement d'une question de fait qui doit être appréciée à la lumière des circonstances de chaque cas. [...] Mais dans ces causes, il semble que la participation ait eu un caractère conscient, délibéré et intentionnel. [Renvois omis.]

 

[31]           Ce principe s’applique non seulement aux grosses sociétés, mais aussi aux petites sociétés comptant peu d’actionnaires. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans l’arrêt Mentmore, paragraphe 24, il n’existe aucune raison pour laquelle de petites sociétés composées d’une personne ou deux ne devraient pas bénéficier de la même approche que les grosses sociétés, sur le plan de la responsabilité personnelle, simplement parce qu’il existe généralement et nécessairement, en ce qui concerne la gestion, un plus grand degré de participation personnelle directe de la part des actionnaires et administrateurs.

 

[32]           En effet, le simple fait que les défendeurs individuels sont les uniques actionnaires et administrateurs d’une société n’est pas en soi suffisant pour qu’il soit possible d’inférer que la société était leur agent ou instrument dans l’accomplissement des actes de contrefaçon, ou qu’ils ont autorisé de tels actes, de façon à se rendre personnellement responsables : Mentmore, paragraphe 24.

 

[33]           Il s’ensuit nécessairement que la direction ou l’autorisation particulière requises pour qu’il y ait responsabilité personnelle ne sera pas inférée simplement parce qu’une société est étroitement contrôlée : elle ne sera pas non plus inférée de l’orientation générale que les personnes qui exercent un tel contrôle doivent nécessairement donner aux affaires de la société : Mentmore, paragraphe 24.

 

[34]           Dans l’arrêt Mentmore, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit, en ce qui concerne la responsabilité personnelle de l’administrateur ou du dirigeant d’une société :

[I]l existe toutefois certainement des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l'administrateur ou le dirigeant n'était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée d'actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indifférence à l'égard du risque de contrefaçon : paragraphe 28.

 

 

[35]           Étant donné qu’il serait difficile d’énoncer avec précision le critère à appliquer à la responsabilité personnelle, la Cour d’appel fédérale a statué, dans l’arrêt Mentmore, qu’il faut apprécier d’une façon générale les circonstances de chaque cas pour déterminer si, en principe, ces circonstances déclenchent une responsabilité personnelle : paragraphe 28.

 

[36]           Enfin, il ne suffit pas que le demandeur invoque, dans une déclaration, la responsabilité personnelle du dirigeant ou de l’administrateur d’une société dans l’espoir que la preuve à l’appui de l’allégation soit découverte à l’étape de la communication préalable. Une poursuite judiciaire n’est pas engagée à l’aveuglette, car cela constituerait un abus de la procédure de la cour : voir Painblanc c. Kastner, [1994] A.C.F. no 1671, 58 C.P.R. (3d) 502.

 

[37]           Une fois établis les principes juridiques régissant la responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants, il faut également apprécier les principes régissant les requêtes en jugement sommaire présentées devant la Cour fédérale. Ces principes seront maintenant examinés.

 

Principes généraux régissant les jugements sommaires

[38]           Les jugements sommaires sont en partie régis par l’article 216 des Règles de la Cour fédérale, dont les passages pertinents prévoient ce qui suit :

216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

 

(3) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

 

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

 

 

 

 

[39]           Il a été soutenu qu’il existe une certaine ambiguïté entre le paragraphe 216(1) des Règles, qui prévoit qu’une instruction doit être tenue lorsqu’il existe une véritable question litigieuse, et le paragraphe 216(3), qui permet au juge des requêtes de trancher cette question si les faits nécessaires peuvent être dégagés.

 

[40]           Le prononcé le plus récent de la Cour d’appel fédérale sur ce point se trouve dans l’arrêt Trojan Technologies Inc. c. Suntec Environmental Inc. [2004] A.C.F. no 636, 2004 CAF 140, où la Cour d’appel a fait remarquer que cette ambiguïté apparente ne doit pas transformer les requêtes en jugement sommaire en procès sommaires jugés sur affidavits : voir le paragraphe 19.

 

[41]           Un certain nombre d’autres principes peuvent être dégagés de la jurisprudence. Selon l’un de ces principes, lorsqu’il se pose une question de crédibilité, l’affaire ne devrait pas être tranchée au moyen d’un jugement sommaire rendu en vertu du paragraphe 216(3) des Règles, mais elle devrait plutôt faire l’objet d’une instruction, parce que les parties devraient être contre‑interrogées devant le juge du procès : Succession MacNeil c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord) [2004] A.C.F. no 201, 2004 CAF 50, paragraphe 32.

 

[42]           Le juge qui entend une requête en jugement sommaire peut uniquement dégager des conclusions de fait ou de droit dans la mesure où la preuve pertinente figure au dossier et où n’intervient pas une question sérieuse de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer : voir Apotex Inc. c.  Merck & Co., [2002] A.C.F. no 811, 2002 CAF 210.

 

[43]           L’article 215 des Règles est également ici pertinent; il prévoit ce qui suit :

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

215. A response to a motion for summary judgment shall not rest merely on allegations or denials of the pleadings of the moving party, but must set out specific facts showing that there is a genuine issue for trial.

 

 

 

 

[44]           En fait, la partie qui répond à une requête en jugement sommaire ne peut pas s’appuyer sur les seules allégations ou dénégations contenues dans ses actes de procédure. Elle doit plutôt soumettre une preuve, au moyen d’affidavits ou par d’autres moyens, au sujet de faits précis démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse : voir Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc. [1998] A.C.F. no 912, paragraphe 18.

 

[45]           Dans l’arrêt Succession MacNeil, précité, la Cour d’appel fédérale a statué que les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n’ont pas la charge de prouver tous les faits de l’affaire; elles sont uniquement tenues de présenter une preuve montrant qu’il existe une véritable question litigieuse : paragraphe 25.

 

[46]           Il incombe à la partie requérante d’établir qu’il n’existe aucune véritable question litigieuse, mais l’article 215 des Règles exige que la partie qui répond à la requête en jugement sommaire « présente sa cause sous son meilleur jour ». Pour ce faire, la partie qui répond à la requête doit énoncer les faits qui démontrent l’existence d’une véritable question litigieuse : voir Succession MacNeil, paragraphe 37.

 

[47]           Cette exigence a également été décrite comme obligeant la partie qui répond à la requête à « jouer atout ou risquer de perdre » voir Kirkbi AG, précité, paragraphe 18, citant Horton v. Tim Donut Ltd. (1997), 75 C.P.R. (3d) 451, page 463 (Cour de l’Ont. (Div. gén.)), confirmé (1997), 75 C.P.R. (3d) 467 (C.A. de l’Ont.).

 

[48]           Enfin, le critère ne consiste pas à savoir s’il est impossible pour le demandeur d’avoir gain de cause à l’instruction, mais plutôt à savoir si l’affaire est boiteuse au point où son examen par le juge des faits à l’instruction n’est pas justifié : voir Ulextra Inc. c. Pronto Luce Inc. [2004] A.C.F. no 722, 2004 CF 590.

 

[49]           En arrivant à cette conclusion, le juge des requêtes doit se montrer diligent étant donné que l’octroi d’un jugement sommaire aura pour effet d’empêcher une partie de présenter une preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. En d’autres termes, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : voir Apotex Inc. c. Merck & Co., 248  F.T.R. 82, paragraphe 12, (confirmé à 2004 CAF 298).

 

[50]           Une fois établis les principes pertinents régissant les requêtes en jugement sommaire, j’examinerai maintenant le bien‑fondé de la requête présentée par M. Kichuk.

 

Analyse

[51]           En déterminant s’il existe une véritable question litigieuse en l’espèce en ce qui concerne M. Kichuk, il faut examiner la nature des allégations dont celui‑ci fait l’objet.

 

[52]           Le principal paragraphe de la déclaration indiquant la conduite imputée à M. Kichuk qui attirerait censément la responsabilité personnelle de celui‑ci est le paragraphe 38. L’examen de ce paragraphe révèle que les allégations faites à l’encontre de M. Kichuk sont essentiellement de deux types.

 

[53]           Selon le premier type d’allégation, M. Kichuk a délibérément, intentionnellement et sciemment adopté une conduite qui a amené Allmax à adopter la marque de commerce identique à celle dont le demandeur est propriétaire, en liaison avec la même catégorie de marchandises, et il a ainsi démontré de l’indifférence à l’égard du risque d’usurpation.

 

[54]           Selon le second type d’allégation, M. Kichuk a constitué HBS en société en vue de distribuer et de vendre les marchandises sous la marque contestée, dans un emballage similaire créant de la confusion, afin de tirer parti de l’achalandage des demandeurs. Selon la déclaration, la chose visait à protéger M. Kichuk contre une responsabilité personnelle.

 

[55]           J’examinerai d’abord ce dernier type d’allégations.

 

[56]           Premièrement, la Cour ne dispose d’aucune preuve à l’appui de la prétention du demandeur selon laquelle M. Kichuk a constitué HBS en société en vue de distribuer et de vendre des marchandises sous la marque ISOFLEX, ou qu’il l’ait fait en vue d’éviter toute responsabilité personnelle. De fait, la preuve dont dispose la Cour indique que HBS s’occupait de distribution de suppléments nutritionnels et diététiques bien avant qu’Allmax et son produit ISOFLEX aient vu le jour.

 

[57]           Selon la preuve soumise par M. Kichuk, HBS a été constituée en société en 1997. Cette preuve est confirmée par le « Corporate Profile Report » (« rapport sur le profil de la société ») du Ministère des Services aux consommateurs et aux entreprises de l’Ontario, lequel indique que la société a été constituée le 19 février 1997.

 

[58]           Selon la preuve non controversée soumise par M. Kichuk, le produit « ISOFLEX Whey Protein Isolate » d’Allmax n’a été mis au point qu’à un moment donné à la fin de l’année 2001 ou en 2002, et le nom ISOFLEX n’a été choisi qu’à un moment donné en 2002 – environ cinq ans après la constitution de HBS en société.

 

[59]           En outre, la preuve non contestée dont dispose la Cour montre qu’au cours de cet intervalle de cinq ans, HBS distribuait des suppléments nutritionnels et diététiques, notamment des concentrés de protéines, que diverses sociétés fabriquaient. HBS n’a commencé à distribuer le produit « ISOFLEX Whey Protein Isolate » d’Allmax qu’après qu’Allmax eut été constituée en société le 12 novembre 2002.

 

[60]           De plus, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve admissible à l’égard de l’emballage employé par l’une ou l’autre des sociétés en cause dans le présent litige, et il n’existe donc aucun  élément de preuve à l’appui de l’allégation du demandeur selon laquelle M. Kichuk a choisi un emballage similaire créant de la confusion pour le produit « ISOFLEX » d’Allmax.

 

[61]           Enfin, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle M. Kichuk a choisi la marque « ISOFLEX » en vue de tenter de tirer parti de l’achalandage des demandeurs. Selon la preuve non controversée mise à la disposition de la Cour, M. Kichuk n’était pas au courant de l’existence des demandeurs, de leurs produits ou de la marque « ISO‑FLEX » au moment où il a choisi le nom « ISOFLEX » pour ce qui est finalement devenu le produit d’Allmax.

 

[62]           Selon l’autre type d’allégation, M. Kichuk a délibérément, intentionnellement et sciemment adopté une conduite qui a amené Allmax à adopter la marque de commerce identique à celle dont le demandeur était propriétaire, en liaison avec la même catégorie de marchandises, ce qui démontrait de l’indifférence à l’égard du risque d’usurpation.

 

[63]           Encore une fois la Cour ne dispose tout simplement d’aucun élément de preuve à l’appui de ces assertions. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, la preuve non controversée de M. Kichuk montre qu’au moment où il a choisi la marque ISOFLEX, il n’avait pas connaissance de l’existence de la marque du demandeur. On ne peut donc pas dire qu’il a choisi une marque semblable à la marque « ISO‑FLEX » dont le demandeur Petrillo était propriétaire « délibérément, intentionnellement et sciemment », démontrant ainsi une indifférence à l’égard du risque d’usurpation.

 

[64]           En outre, la preuve non contestée présentée par M. Kichuk montre qu’avant d’employer le nom « ISOFLEX », celui‑ci a fait preuve d’une diligence raisonnable en procédant à une recherche au sujet de la marque de commerce, recherche qui ne lui a pas permis de découvrir l’existence de la marque des demandeurs. Si les demandeurs voulaient contester la preuve fournie par M. Kichuk sur ce point, il aurait certes était fort simple de procéder à une recherche dans le registre des marques de commerce, en utilisant le nom « ISOFLEX » en vue d’essayer de démontrer qu’une telle recherche aurait permis de découvrir l’existence de la marque des demandeurs, malgré le fait qu’un trait d’union figure dans la marque de ces derniers. Puisqu’ils ont omis de soumettre une preuve en vue de contredire la preuve de M. Kichuk sur ce point, les demandeurs doivent en subir les conséquences.

 

[65]           Il importe en outre de noter que les demandeurs n’ont pas contesté la preuve de M. Kichuk sur ce point et qu’au cours de l’argumentation, l’avocat des demandeurs a de fait concédé que l’engin de recherche applicable au registre des marques de commerce était peut‑être défectueux du fait qu’il n’a pas permis de découvrir la marque de ses clients.

 

[66]           Enfin, les demandeurs disent qu’ayant admis la réception de la mise en demeure de leur avocat au mois de mars 2004, et en laissant Allmax continuer à vendre son produit « ISOFLEX » après avoir expressément pris connaissance de l’existence de leur marque, M. Kichuk a démontré de l’indifférence à l’égard du risque d’usurpation, de sorte que cela attire sa responsabilité personnelle.

 

[67]           Cet argument comporte un certain nombre de problèmes. Premièrement, ces événements sont mentionnés dans la déclaration, mais la déclaration n’est pas basée sur des événements postérieurs à l’adoption de la marque par Allmax comme fondement de la responsabilité personnelle de M. Kichuk.

 

[68]           Ce qui est peut‑être encore plus important, le fait que M. Kichuk a en réalité été avisé de l’existence de la marque du demandeur au mois de mars 2004 ne constitue pas en soi une preuve permettant de conclure à la responsabilité personnelle.

 

[69]           En arrivant à cette conclusion, je ferai d’abord remarquer que bien que M. Kichuk ait reconnu être responsable de la gestion générale de HBS dans son ensemble, il n’a fait aucun aveu de ce genre en ce qui concerne Allmax. Par conséquent, toute responsabilité personnelle de sa part devrait découler de sa situation à titre d’unique actionnaire et administrateur d’Allmax.

 

[70]           Toutefois, comme la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Mentmore précité, le simple fait qu’un défendeur individuel est l’unique actionnaire et administrateur d’une société n’est pas en soi suffisant pour qu’il soit possible d’inférer que la société était l’agent ou l’instrument de ce défendeur dans l’accomplissement des actes de contrefaçon, ou que le défendeur a autorisé de tels actes, de façon à déclencher sa responsabilité personnelle : Mentmore, paragraphe 24.

 

[71]           En outre, l’arrêt Mentmore nous enseigne que la direction ou l’autorisation particulière requise à l’égard de la responsabilité personnelle ne doit pas être inférée de l’orientation générale que les personnes qui exercent un tel contrôle doivent nécessairement donner aux affaires de la société : voir le paragraphe 24.

 

[72]           De fait, afin d’attirer la responsabilité personnelle de l’administrateur ou du dirigeant de la société, il doit exister des circonstances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait la personne en cause n’était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de la société mais que cette personne avait délibérément, intentionnellement et sciemment adopté une conduite qui constituait probablement un acte de contrefaçon ou qui indiquait une indifférence à l’égard du risque de contrefaçon : Mentmore, paragraphe 28.

 

[73]           La Cour ne dispose tout simplement d’aucun élément de preuve permettant de conclure que M. Kichuk a agi de la façon délictueuse, délibérée, intentionnelle ou consciente nécessaire, simplement parce qu’il n’a pas demandé à Allmax de cesser de fabriquer ou de vendre le produit ISOFLEX après avoir reçu la mise en demeure, au mois de mars 2004.

 

[74]           De fait, la preuve mise à la disposition de la Cour montre en fait qu’une fois que M. Kichuk a reçu la lettre du mois de mars 2004, il s’est renseigné en vue d’essayer de déterminer si la marque « ISO‑FLEX » était de fait enregistrée, et ce, en vain. De même, il n’a pas réussi à trouver qui que ce soit dans l’industrie qui ait entendu parler des produits ISOFLEX des demandeurs. Cela est incompatible avec l’allégation des demandeurs selon laquelle M. Kichuk a agi d’une façon délibérée, intentionnelle et consciente, ou qu’il a démontré de l’indifférence à l’égard du risque d’usurpation.

 

[75]           Enfin, je ne retiens pas la prétention des demandeurs selon laquelle l’affaire devrait faire l’objet d’une instruction en ce qui concerne la demande présentée contre M. Kichuk. Contrairement à l’argument de l’avocat, il n’existe pas de questions importantes de crédibilité qui puissent uniquement être tranchées dans le cadre d’une instruction. En fait, je ne dispose que d’une version des événements, les demandeurs ayant choisi pour une raison ou une autre de ne pas soumettre de preuve dans le cadre de la présente requête, si ce n’est le document d’enregistrement de la marque de M. Petrillo. Par conséquent, la preuve de M. Kichuk n’a tout simplement pas été contestée, aucune autre version des événements ne m’a été soumise et aucune question de crédibilité nécessitant un règlement au moyen d’une instruction ne se pose dans le dossier.

 

Conclusion

[76]           Pour ces motifs, je suis convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne la responsabilité personnelle de M. Kichuk, et une ordonnance rejetant l’action intentée à l’encontre de celui‑ci sera rendue.

 

[77]           Sur consentement des parties, une ordonnance rejetant l’action intentée contre M. Glover sera également rendue.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la requête en jugement sommaire doit être accueillie et que l’action intentée contre M. Kichuk et contre M. Glover doit être rejetée avec dépens.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2125-05

 

INTITULÉ :                                                   FRANCO PETRILLO et al.

                                                                        c.

                                                                        ALLMAX NUTRITION INC. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 2 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frederick Pinto

POUR LES DEMANDEURS

 

Marguerite Éthier

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

ELBAZ et COHEN s.m.l.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

LENCZER SLAGHT ROYCE SMITH GREEN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

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