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Date : 20061016

Dossier : T-426-04

Référence : 2006 CF 1228

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

SHMUEL HERSHKOVITZ,

SYSTÈMES DE SÉCURITÉ PARADOX

LTÉE - PARADOX SECURITY SYSTEMS LTD., et

PINHAS SHPATER

 

demandeurs (défendeurs reconventionnels)

et

 

 

TYCO SAFETY PRODUCTS CANADA LTD.

 

défenderesse (demanderesse reconventionnelle)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel d’une ordonnance interlocutoire du protonotaire Morneau qui porte sur les circonstances dans lesquelles une personne qui n’est pas partie à l’instance peut être interrogée au préalable et être contrainte à produire des documents susceptibles d’être pertinents dans l’action.

 

[2]               L’action sous-jacente est fondée sur la contrefaçon de brevets. Les demandeurs, que j’appellerai « Paradox », allèguent que la défenderesse a volontairement et délibérément produit un coupleur de ligne téléphonique pour des systèmes résidentiels de sécurité qui contrefait deux de ses brevets. La défenderesse a été interrogée au préalable, mais par suite de la réorganisation de la société, son représentant et un grand nombre des employés actuels de la société ne travaillaient pas pour cette dernière lorsque les événements cruciaux se sont produits dans les années 1990. La personne qui n’est pas partie à l’instance que Paradox veut interroger est John Peterson, qui était dirigeant de la société défenderesse à ce moment‑là.

 

[3]               Une partie à une action intentée devant la présente Cour a le droit d’interroger une autre partie au préalable avant l’instruction. L’interrogatoire permet à celle‑ci d’avoir un meilleur aperçu de la preuve de la partie adverse, il lui donne la possibilité d’évaluer un témoin qui est peut‑être crucial, il a pour effet de limiter ce que cette partie pourrait dire à l’instruction et il permet parfois d’obtenir des aveux importants. Si la partie à interroger est une société, la société choisit en règle générale son représentant, et ce, parce que les réponses données lient la société. Néanmoins, la Cour peut autoriser une partie à interroger une personne qui n’est pas partie à l’instance. Les conditions auxquelles elle peut le faire sont énoncées à l’article 238 des Règles de la Cour fédérale, qui est libellé comme suit :

238. (1) Une partie à une action peut, par voie de requête, demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas une partie, autre qu’un témoin expert d’une partie, qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action.

 

 (2) L’avis de la requête visée au paragraphe (1) est signifié aux autres parties et, par voie de signification à personne, à la personne que la partie se propose d’interroger.

 

(3) Par suite de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut autoriser la partie à interroger une personne et fixer la date et l’heure de l’interrogatoire et la façon de procéder, si elle est convaincue, à la fois :

 

a) que la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;

 

b) que la partie n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables;

 

c) qu’il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction;

 

 

d) que l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

238. (1) A party to an action may bring a motion for leave to examine for discovery any person not a party to the action, other than an expert witness for a party, who might have information on an issue in the action.

 

 

 

 

(2) On a motion under subsection (1), the notice of motion shall be served on the other parties and personally served on the person to be examined.

 

(3) The Court may, on a motion under subsection (1), grant leave to examine a person and determine the time and manner of conducting the examination, if it is satisfied that

 

 

 

(a) the person may have information on an issue in the action;

 

 

(b) the party has been unable to obtain the information informally from the person or from another source by any other reasonable means;

 

(c) it would be unfair not to allow the party an opportunity to question the person before trial; and

 

(d) the questioning will not cause undue delay, inconvenience or expense to the person or to the other parties.

 

[4]               Compte tenu de la preuve dont il disposait, dont l’élément crucial était la transcription de l’interrogatoire par le demandeur d’un représentant de la défenderesse, interrogatoire qui a duré trois jours, le protonotaire Morneau n’était pas convaincu que M. Peterson ait possédé des renseignements et il était également d’avis qu’il ne serait pas injuste de ne pas permettre à Paradox d’interroger M. Peterson avant l’instruction. Le protonotaire n’a pas précisé s’il était satisfait aux deux autres critères, énoncés aux alinéas 238(3)b) et d) des Règles. Étant donné que la demande de production des documents susceptibles d’être sous le contrôle de M. Peterson était accessoire à l’interrogatoire, le protonotaire ne voyait pas pourquoi il était nécessaire de le faire. Je partage son avis.

 

[5]               Dans le présent appel, Paradox soutient que l’ordonnance rendue par le protonotaire Morneau était entachée d’une erreur flagrante et elle cherche également à soumettre de nouveaux éléments de preuve afin de renforcer l’argument selon lequel M. Peterson posséderait des renseignements pertinents.

 

POINTS LITIGIEUX

[6]               Les questions en litige sont énoncées ci‑après :

a.       L’ordonnance du protonotaire était‑elle de nature discrétionnaire?

b.      Dans l’affirmative, l’ordonnance a‑t‑elle eu pour effet de mettre fin à l’affaire?

c.       Dans l’affirmative, l’ordonnance est-elle entachée d’une erreur flagrante pour le motif :

                                                               i.      qu’elle est fondée sur un mauvais principe;

                                                             ii.      qu’elle est fondée sur une mauvaise appréciation des faits?

d.      L’ordonnance du protonotaire était‑elle fondée sur une conclusion de fait?

e.       Dans l’affirmative, le protonotaire a‑t‑il commis une erreur manifeste ou dominante?

f.        La nouvelle preuve dans cet appel est‑elle réellement nouvelle? Aurait‑elle raisonnablement pu être découverte avant l’audience qui a eu lieu devant le protonotaire Morneau? Dans la négative, existe‑t‑il des circonstances spéciales ayant pour effet d’atténuer la règle selon laquelle la présentation d’une nouvelle preuve n’est habituellement pas permise dans le cadre d’un appel ou d’un contrôle judiciaire?

 

[7]               Avant de procéder à mon analyse, je ferai l’historique de l’affaire et je parlerai de l’interrogatoire préalable de Tyco, de la requête dont le protonotaire Morneau a été saisi et de la décision de celui‑ci.

 

HISTORIQUE DE L’INSTANCE

[8]               Dans sa déclaration modifiée, Paradox, comme on peut s’y attendre dans les actions de ce genre, sollicite des déclarations portant que, entre les parties, les deux brevets en question qu’elle possède sont valides et que Tyco a contrefait et a incité d’autres personnes à contrefaire certaines revendications y afférentes. En plus de demander une injonction permanente et la remise, Paradox sollicite des dommages‑intérêts, ou subsidiairement la remise des bénéfices, une indemnité à l’égard du préjudice subi par suite des présumées activités de contrefaçon de Tyco, à compter de la date à laquelle les demandes de brevet pouvaient être consultées jusqu’à la date de délivrance des brevets, ainsi que des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires. Tyco nie avoir contrefait les brevets qui, selon elle, sont de toute façon invalides. Elle présente également une demande reconventionnelle en vue d’obtenir les déclarations appropriées.

 

[9]               Avant que Tyco soit interrogée au préalable, le protonotaire Morneau a ordonné, sur consentement, que l’action se déroule par étapes, un renvoi étant au besoin effectué après l’instruction quant aux dommages‑intérêts et à la remise des bénéfices et notamment quant au droit à des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires et à leur quantum. Le protonotaire a en outre ordonné aux parties de poursuivre sans qu’il y ait communication préalable orale ou documentaire sur ces points.

 

[10]           Dans le cours de l’instance, le nom de la défenderesse est passée de Digital Security Controls Ltd. à Tyco Safety Products Canada Ltd. Comme il a été expliqué pendant l’interrogatoire préalable, les actions de John Peterson, le dirigeant de Digital Security, ont été achetées par la société mère de Tyco. La société a été fusionnée avec Tyco Safety Products Canada Ltd. et elle a poursuivi ses activités sous ce nom.

 

INTERROGATOIRE PRÉALABLE

[11]           À la suite de l’acquisition, M. Peterson et plusieurs autres employés ont quitté la société. Le représentant de Tyco, lors de l’interrogatoire préalable, était Joseph Buccino, vice‑président, Génie, M. Buccino ne travaillait pas pour Tyco lorsque les événements qui ont initialement donné lieu au litige se sont produits. Il s’est préparé en examinant les dossiers de Tyco et en parlant aux employés qui travaillaient encore pour la société. Il a clairement dit qu’il n’avait pas parlé aux anciens employés, et notamment à M. Peterson.

 

[12]           M. Buccino a témoigné qu’au mieux de ses connaissances et selon ses impressions, le composeur de Tyco avait été mis au point par son ingénieur électricien principal, Reinhard Pildner, lorsque la société était encore connue sous le nom de Digital Security Controls Ltd. et avant qu’elle soit acquise par la société mère de Tyco. M. Pildner avait informé le témoin qu’il connaissait bien les brevets de Paradox et qu’il connaissait également ses produits, pendant que les brevets étaient en instance. Toutefois, M. Pildner a nié les avoir copiés. M. Peterson, en sa qualité de dirigeant de la société, lui avait demandé de mettre au point un composeur, mais il n’avait joué aucun rôle. Quant à cette invention particulière, M. Pildner faisait « cavalier seul ».

 

[13]           On a demandé à M. Buccino de s’engager à obtenir des renseignements complémentaires et à vérifier certains points auprès des employés existants, ce qu’il a fait. Malheureusement, il n’a pas pu obtenir d’autres renseignements de M. Pildner, qui était tombé malade. M. Pildner fait l’objet de soins intensifs et il n’est pas en mesure de fournir d’autres renseignements. Toutefois, en vertu des Règles de la Cour fédérale, si M. Pildner est dans l’avenir capable de communiquer, Tyco a une obligation continue de chercher à obtenir les renseignements et d’informer Paradox en conséquence. Durant l’interrogatoire préalable, on n’a jamais demandé à M. Buccino de se renseigner auprès de M. Peterson.

 

REQUÊTE PRÉSENTÉE DEVANT LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[14]           L’ordonnance que Paradox cherchait à obtenir du protonotaire Morneau, qui est également responsable de la gestion de l’instance, visait à obliger M. Peterson à se présenter à un interrogatoire préalable pour répondre à des questions concernant la mise au point des produits de Tyco et à la question de savoir si la défenderesse, ou l’un quelconque des employés, agents ou administrateurs de la défenderesse, était au courant de l’existence des brevets de Paradox, des demandes y afférentes, des droits afférents aux brevets à l’étranger, ou des produits de Paradox. Paradox cherchait accessoirement à obtenir une ordonnance obligeant M. Peterson à produire tout document en sa possession, en son pouvoir et sous son contrôle.

 

[15]           Dans la requête qu’elle a présentée devant le protonotaire, Paradox a réitéré l’allégation selon laquelle la défenderesse s’était délibérément et volontairement livrée à la contrefaçon et qu’elle était redevable de dommages‑intérêts punitifs et exemplaires. Étant donné que la question des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires avait été scindée, comme le protonotaire Morneau l’a noté dans ses motifs, Paradox a identifié, au cours de l’argumentation, trois autres points litigieux, dont je suis ici saisi :

a.                   Incitation;

b.                  Indemnisation raisonnable pour une contrefaçon entre le moment où les demandes de brevet ont pu être consultées et le moment où les brevets ont été accordés;

c.                   Choix entre la remise des bénéfices ou des dommages‑intérêts. Il appartient au juge du procès de permettre ou de ne pas permettre à la partie qui a gain de cause de faire pareil choix.

 

[16]           Paradox affirme également avoir tenté, pendant l’interrogatoire préalable de Tyco, d’obtenir des renseignements au sujet de la participation de M. Peterson à la mise au point du composeur, mais que Tyco a répondu qu’elle ne possédait pas ces renseignements. Les avocats de Paradox ont communiqué avec M. Peterson, mais ils ont été informés, par l’entremise d’un avocat, que celui‑ci ne consentirait pas volontairement à être interrogé étant donné qu’il était assujetti à une clause de confidentialité figurant dans la convention d’achat d’actions par laquelle il avait vendu la participation qu’il avait dans la société.

 

[17]           Paradox se fonde fortement sur l’un des documents que Tyco a fournis, à savoir une lettre en date du mois de juillet 1998 adressée à M. Peterson dans laquelle les agents de brevets et de marques de commerce déclarent avoir découvert un brevet américain en faveur du demandeur Pinhas Shpater, ainsi qu’une demande de brevet canadien correspondante (il s’agit du brevet visé par le présent litige). Leur opinion préliminaire était qu’il existait des différences fondamentales entre le circuit décrit dans ce brevet et celui qui était visé par la propre demande de brevet de Digital Security Controls.

 

DÉCISION DU PROTONOTAIRE MORNEAU

[18]           Quant à la question de savoir si M. Peterson était au courant de l’existence des brevets et des produits de Paradox, le protonotaire Morneau était d’avis que cela se rapportait à la question de savoir si Tyco aurait délibérément et volontairement contrefait les brevets. Le protonotaire a dit que ce point devrait peut‑être être éventuellement réglé si Paradox obtenait des dommages‑intérêts punitifs et exemplaires. Toutefois, cette question a été scindée à une deuxième étape et la requête était donc prématurée.

 

[19]           Le protonotaire Morneau a ajouté ce qui suit :

[12]         Quant aux autres questions possibles mentionnées par Paradox à l’audition de la requête et au sujet desquelles la connaissance de M. Peterson devrait faire l’objet d’un examen, à savoir l’incitation, l’indemnisation raisonnable pour une contrefaçon de brève durée et le choix par Tyco entre la remise des bénéfices ou des dommages‑intérêts, je considère que ces questions devaient principalement être examinées pendant l’interrogatoire préalable de M. Buccino. De plus, les documents relatifs à la requête de Tyco n’indiquent pas d’une manière suffisamment claire que M. Peterson possède peut‑être sur ces questions des renseignements qui permettraient à la Cour d’autoriser une mesure extraordinaire telle que l’interrogatoire prévu à l’article 238 des Règles.

 

[13]         Quant à l’autre question soulevée dans la requête, à savoir la mise au point du composeur DSC, les documents relatifs à la requête de Tyco indiquent que Paradox a obtenu, grâce à l’interrogatoire préalable de M. Buccino, de nombreux documents concernant le rôle et le fonctionnement du composeur. Il est donc difficile pour la Cour de considérer, en vertu de l’alinéa 238d) des Règles, qu’il serait injuste de ne pas permettre à Paradox d’interroger M. Peterson avant l’instruction.

 

[14]         De plus, en ce qui concerne la mise au point du composeur, la Cour n’est pas convaincue, après avoir examiné la question, que Paradox s’est acquittée de l’obligation qui lui incombait d’établir que M. Peterson possède peut‑être des renseignements sur ce point. À cet égard, je conviens avec M. Peterson et avec Tyco que l’interrogatoire préalable de M. Buccino (voir les pages 160, 187 et 188 de la transcription de l’interrogatoire préalable de M. Buccino) tend plutôt à indiquer que M. Peterson n’a pas réellement de renseignements pertinents au sujet de la conception du composeur, et que M. Pildner était le seul chez Tyco (autrefois DSC) qui ait été en cause dans la conception du composeur. M. Pildner a été décrit comme faisant « cavalier seul » pour ce qui est de la conception du composeur.

 

ANALYSE

[20]           J’examinerai d’abord les nouveaux éléments de preuve.

 

[21]           Dans le présent appel, qui a été interjeté par voie de requête, Paradox a déposé un affidavit établi par un technicien juridique travaillant pour ses avocats, dans lequel sont indiqués les résultats des recherches effectuées à l’égard des brevets canadiens et américains et des demandes de brevets. Ces recherches montrent que John Peterson était désigné à titre d’inventeur dans plusieurs brevets, que M. Reinhard Pildner était souvent désigné à titre de co‑inventeur, et que dans un cas John Peterson et Reinhard Pildner étaient tous deux désignés à titre d’inventeurs. Ce renseignement vise à réfuter la position prise par Tyco lors de l’interrogatoire préalable, à savoir que M. Pildner faisait « cavalier seul ».

 

[22]           Les soi‑disant nouveaux éléments de preuve étaient tous publiquement accessibles et auraient pu être inclus dans les documents soumis au protonotaire Morneau. Étant donné que ces éléments auraient raisonnablement pu être découverts avant cette audience‑là, et en l’absence de circonstances spéciales, je ne suis pas prêt à tenir compte de l’affidavit de Nancy Doherty (Amchem Products Inc. c. Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897. Voir également Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Macdonald, 2002 CAF 48, [2002] A.C.F. no 197 (QL); Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, [2004] A.C.F. no 2083 (QL) et Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2005 CAF 293, [2005] A.C.F. no 1532 (QL)).

 

[23]           Le protonotaire Morneau n’était pas convaincu que M. Peterson ait eu des renseignements pertinents. Or, c’était l’une des quatre conditions nécessaires aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 238 des Règles, lorsqu’il s’agissait de décider si Paradox devait être autorisée à procéder à l’interrogatoire. Selon moi, cette partie de la décision du protonotaire n’était pas de nature discrétionnaire, mais elle était plutôt fondée sur une appréciation de la preuve. Je serais peut‑être arrivé à une appréciation différente. Toutefois, les conclusions du protonotaire ne doivent pas être modifiées en l’absence d’une erreur manifeste et dominante. La conclusion de fait doit être clairement erronée (Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235). Il importe peu que la preuve soit sous une forme documentaire et qu’il me soit tout aussi facile d’en prendre connaissance qu’il ne l’était pour lui. Dans l’arrêt N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247, la Cour suprême a statué que la portée de l’examen de conclusions de fait, en appel, telle qu’elle était énoncée dans l’arrêt Kathy K., s’appliquait, bien que la preuve soit par sa nature constituée de témoignages d’experts et de preuves documentaires permettant à la Cour d’appel d’être « presque en position de procéder à un procès de novo et de faire [sa] propre analyse des preuves administrées ». La décision du protonotaire devrait être maintenue.

 

[24]           Le protonotaire Morneau était également d’avis qu’il ne serait pas injuste de ne pas permettre à Paradox d’interroger M. Peterson avant l’instruction. Bien sûr, M. Peterson peut être contraint à témoigner à l’instruction, mais Paradox aimerait savoir d’avance ce qu’il a à dire. Cette appréciation peut également être fondée sur la preuve, auquel cas je ne puis constater aucune erreur manifeste et dominante. Toutefois, dans la mesure où la décision peut avoir été fondée sur un pouvoir discrétionnaire, elle ne devrait être modifiée que dans les cas suivants : a) les questions soulevées avaient une influence déterminante sur l’issue du principal ou l’ordonnance était entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le pouvoir discrétionnaire était fondé : i) sur un mauvais principe ou ii) sur une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc. 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, (2003), 30 C.P.R. (4th) 40). Voir également Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) et Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450.

 

[25]           Les questions soulevées n’avaient pas une influence déterminante sur l’issue du principal. Quant à la question de savoir si la décision du protonotaire était entachée d’une erreur flagrante, Paradox soutient que le protonotaire n’aurait pas dû scinder l’affaire en trois groupes de questions et n’aurait pas dû examiner séparément ces questions, qui étaient les suivantes : 1) connaissance qu’avait M. Peterson des brevets ou des produits de Paradox; 2) contrefaçon, indemnisation raisonnable pour une contrefaçon antérieure et choix entre la remise des bénéfices et les dommages‑intérêts, et 3) mise au point du composeur de Digital Security. Paradox affirme que ces questions se rapportent toutes à la même question.

 

[26]           Je ne puis constater aucune erreur flagrante dans l’approche adoptée par le protonotaire Morneau. Il importe de noter que, selon le protonotaire, l’incitation, l’indemnisation raisonnable pour une contrefaçon antérieure et le choix étaient des questions à aborder durant l’interrogatoire préalable de M. Buccino. Je suis d’accord.

 

[27]           Toutefois, au cas où je me tromperais sur ce point, je dirai que je suis arrivé de mon propre chef à la même conclusion.

 

[28]           L’article 244 des Règles de la Cour fédérale prévoit que lorsque le représentant qui est interrogé au préalable est incapable de répondre à une question, la partie qui procède à l’interrogatoire peut exiger qu’il se renseigne davantage. Or, pendant l’interrogatoire préalable, M. Buccino a révélé qu’il n’avait pas parlé à M. Peterson. Toutefois, on ne lui a pas demandé de se renseigner auprès de ce dernier. Or, c’est ce que Paradox aurait dû faire. Paradox ne peut pas soigneusement éviter de demander un engagement et demander ensuite à interroger M. Peterson à titre de personne qui n’est pas partie à l’instance. Eu égard aux circonstances, Paradox aurait uniquement dû avoir le droit de demander, en vertu de l’article 238 des Règles, si M. Buccino refusait de s’engager à communiquer avec M. Peterson, ou si M. Peterson refusait de coopérer avec M. Buccino.

 

[29]           Paradox soutient que M. Buccino n’était pas en mesure de fournir des renseignements satisfaisants parce qu’il ne travaillait pas pour Tyco pendant la période pertinente, et parce qu’il n’y avait personne d’autre travaillant pour Tyco à ce moment‑là à qui M. Buccino aurait pu s’adresser. Paradox soutient que c’est exactement ce pourquoi elle cherche à interroger M. Peterson au préalable.

 

[30]           Toutefois, il est bien établi que le simple fait qu’une personne ne travaille plus pour une partie ne dispense pas cette partie d’essayer d’obtenir des renseignements de cette personne (Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp. (1987), 10 F.T.R. 153, 13 C.P.R. (3d) 546). Si l’on avait demandé à M. Buccino de s’engager à communiquer avec M. Peterson, il aurait dû le faire. Si M. Peterson refusait de fournir les renseignements, ou si la société mère de Tyco n’était pas prête à libérer M. Peterson de l’engagement qu’il avait pris au sujet de la confidentialité, Paradox aurait dû en être informée. Elle aurait alors été en mesure de se présenter devant la Cour non simplement pour dire qu’elle n’avait pas pu obtenir de façon informelle les renseignements de M. Peterson, mais aussi qu’elle n’avait pas pu obtenir les renseignements d’une autre source par des moyens raisonnables. Cette autre source était M. Buccino, qui aurait été obligé de s’engager à demander les renseignements en question.

 

[31]           Par conséquent, la requête sera rejetée. Tyco et M. Peterson proposent tous deux que les dépens soient payables immédiatement, selon la colonne V du tarif B. La requête est rejetée avec dépens, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait donner des directives spéciales, si ce n’est que les dépens doivent être basés sur la colonne III, qu’ils doivent se situer au milieu de la fourchette, et que Tyco a droit aux honoraires d’un second avocat à l’audience, ces honoraires correspondant à 50 p. 100 de ceux de l’avocat principal.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel de l’ordonnance rendue par le protonotaire Morneau le 26 juillet 2006 soit rejeté avec dépens.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-426-04

 

INTITULÉ :                                                   SHMUEL HERSHKOVITZ, SYSTÈMES DE SÉCURITÉ PARADOX LTÉE – PARADOX SECURITY SYSTEMS LTD. et PINHAS SHPATER

                                                                        c.

                                                                        TYCO SAFETY PRODUCTS CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 25 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 OCTOBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

George R. Locke

Ron Toledano

POUR LES DEMANDEURS (DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS)

 

Marek Nitoslawski

Alain Dussault

 

 

Jennifer Dolman

 

POUR LA DÉFENDERESSE (DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

POUR JOHN PETERSON,

NON-PARTIE À L’INSTANCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault s.m.l.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS (DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS)

 

Fasken Martineau DuMoulin s.m.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

Osler, Hoskin et Harcourt LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

POUR JOHN PETERSON,

NON-PARTIE À L’INSTANCE

 

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