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Date : 20061018

Dossier : IMM-523-06

Référence : 2006 CF 1237

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

SABIR ARAZ NAJAT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Araz Najat Sabir est un citoyen kurde de l'Irak âgé de 23 ans qui a demandé à résider en permanence au Canada en tant que membre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de celle des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières. Sa demande a été rejetée par un agent des visas.

 

[2]               M. Sabir demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent; il affirme que l'agent a commis une erreur en concluant qu'il pouvait retourner en Irak en toute sécurité lorsqu'il a tenu compte de la situation générale en Irak plutôt que de sa situation personnelle. Selon M. Sabir, l'agent a en outre commis une erreur en faisant des conjectures, en se livrant à des inférences déraisonnables et en tirant des conclusions de fait sans tenir compte de la totalité de la preuve.

 

[3]               Pour les motifs ci‑après énoncés, je suis d'avis que l'agent a de fait commis une erreur et que la demande doit donc être accueillie.

 

Historique

[4]               M. Sabir dit que, pendant qu'il effectuait ses études secondaires dans la région kurde de l'Irak, il a commencé à participer aux activités de l'Union patriotique du Kurdistan (l'UPK) et qu'il a été élu représentant étudiant de l'UPK.

 

[5]               M. Sabir affirme que par suite de ses convictions politiques, il était en conflit avec les partis politiques islamiques intégristes de la région, qui cherchaient à mettre en oeuvre les pratiques islamiques au sein de la structure administrative de son école. M. Sabir allègue que lorsque des discours et débats publics étaient tenus, des membres de ces partis l'affrontaient souvent et que des discussions et des altercations verbales survenaient entre les participants et les membres des partis religieux.

 

[6]               M. Sabir a par la suite assumé différentes fonctions au sein de l'UPK; il a été élu chef de l'organisation des membres étudiants de l'UPK, à Sulaymaniyah, en 1999. Il a par la suite été réélu à titre de représentant étudiant de l'UPK de son école en l'an 2000.

 

 

[7]               M. Sabir affirme qu'en l'an 2000, il a commencé à faire l'objet de menaces de mort. Les menaces ont commencé à peu près au moment où des membres des partis islamiques se sont présentés à son école afin d'essayer de forcer les étudiants à joindre leur parti.

 

[8]               M. Sabir affirme que l'on a continué à le menacer de mort pendant les deux années suivantes, les menaces augmentant en nombre et en intensité. Sur les conseils de son père, il a décidé de quitter l'Irak, et il est finalement arrivé en Suisse, en passant par l'Iran, par la Turquie, par la Grèce et par l'Italie. M. Sabir a présenté en vain une demande d'asile à titre de réfugié en Suisse.

 

[9]               Un groupe de cinq citoyens canadiens ont ensuite offert d'aider M. Sabir à demander l'asile à titre de réfugié au Canada; au mois de juin 2004, ce groupe a présenté une demande en vue de parrainer M. Sabir. La demande de parrainage soumise par le groupe a été approuvée par Citoyenneté et Immigration Canada peu de temps après.

 

[10]           M. Sabir a ensuite envoyé sa demande de résidence permanente à l'ambassade du Canada, à Paris. Dans sa demande, il déclarait craindre de retourner en Irak à cause du nombre croissant de partis politiques de nature islamique.

 

[11]           Dans le cadre de sa demande, M. Sabir devait se présenter à une entrevue devant l'agent des visas; l'entrevue a eu lieu en Suisse le 9 décembre 2005.

 

Décision de l'agent des visas

[12]           Par une lettre datée du 6 janvier 2006, M. Sabir a été informé qu'il ne remplissait pas les conditions nécessaires pour immigrer au Canada. Le dispositif de la lettre de l'agent est rédigé comme suit :

[traduction] [...] Je ne suis pas convaincu de votre appartenance à l'une des catégories prescrites, et ce, pour les raisons suivantes : vous venez de la région kurde de l'Irak où le reste de votre famille (vos frères et votre soeur) habite encore. Depuis que vous avez quitté l'Irak en 2002, la situation politique a changé; le peuple kurde n'est plus persécuté par le régime irakien en place depuis 2002. Par conséquent, vous ne répondez pas aux exigences [du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés].

 

[13]           Dans les notes qu'il a prises lors de l'entrevue, telles qu'elles sont consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration, l'agent dit ce qui suit :

DIT QU IL A ETE REFUSE CAR LES SUISSES ESTIMENT QUE L'IRAQ EST DESORMAIS SECURISE POUR LES KURDES… SUJ N A PRESENT AUX AUTORITES SUISSES AUCUN ELEMENT DE PREUVE SATISFAISANT CONCERNANT UNE EVENTUELLE PERSECUTION DE LA PART DES AUTORITES DE SON PAYS D ORIGIN. [sic

 

[14]           Les notes du STIDI se poursuivent comme suit :

NOUS AVONS REVU EN DETAIL LES RAISONS POUR LESQUELLES SUJET SE SENTIRAIT PERSECUTE OU EN DANGER S IL RETOURNAIT DANS SON PAYS MAIS CES RAISONS NE M ONT SEMBLES NI CREDIBLES NI SATISFAISANTES. [sic]

 

 

[15]           Après un examen du fondement de la demande soumise par M. Sabir, l'agent a consigné les notes suivantes dans le STIDI : « SUJ N'A APPORTE AUCUNE PREUVE CONVAINCANTE. N'A APPORTE AUCUN DOCUMENT AVEC LUI DE KURDISTAN. »

 

[16]           L'agent des visas ajoute ensuite que l'ethnie kurde n'est plus persécutée en Irak. Sur ce point, il a noté que la région d'où vient M. Sabir est principalement kurde. L'agent fait ensuite remarquer que depuis que la guerre a commencé en Irak, en 2003, il y a eu un changement de régime et que la minorité kurde, en Irak, est maintenant protégée par les forces américaines. L'agent a en outre conclu que certains membres de la famille de M. Sabir habitaient dans la région kurde de l'Irak et que M. Sabir ne serait donc pas isolé à son retour.  

 

[17]           L'agent a ensuite conclu que M. Sabir avait quitté l'Irak pour des raisons d'ordre économique, en disant que les craintes que ce dernier avait exprimées au sujet de son retour en Irak ne correspondaient pas à la réalité actuelle dans ce pays.

 

[18]           Essentiellement, il semble donc que l'agent des visas ait conclu que la situation s'était énormément améliorée et qu'étant donné que la famille de M. Sabir était encore en Irak, M. Sabir pouvait retourner dans ce pays et vivre en toute sécurité avec sa famille.

 

[19]           L'agent des visas a donné des raisons additionnelles pour refuser la demande de M. Sabir dans un affidavit établi à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire. Avant d'examiner les arguments avancés par les parties au sujet du bien‑fondé de la demande, il faut se demander dans quelle mesure les motifs de décision énoncés dans l'affidavit de l'agent doivent être pris en considération.

 

L'affidavit de l'agent 

[20]           Il est bien établi que les motifs figurant dans la lettre de décision d'un agent des visas peuvent être complétés par renvoi aux notes contemporaines que l'agent a consignées dans le STIDI.

 

[21]           Toutefois, lorsque, comme c'est ici le cas, l'affidavit de l'agent vient s'ajouter aux motifs, il s'agit de savoir quel poids il convient d'accorder aux motifs invoqués par l'agent à l'appui de sa décision, tels qu'ils sont énoncés dans l'affidavit.

 

[22]           À mon avis, il faut accorder fort peu d'importance aux motifs énoncés dans l'affidavit de l'agent en l'espèce. En arrivant à cette conclusion, j'adopte les remarques figurant dans la décision Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 209, 2004 CF 182, paragraphe 19, où, dans un cas similaire, j'ai dit ce qui suit :

[...] Il ressort de l'affidavit qu'au moment où l'agente l'a signé, elle se souvenait encore très bien de son entrevue avec M. Alam. Cependant, l'affidavit a été signé plusieurs mois après l'entrevue, probablement quand l'agente a constaté que sa décision était contestée. Dans les circonstances, je préfère m'en tenir essentiellement aux motifs exprimés dans les notes du STIDI et n'accorder que très peu de poids à l'explication fournie par l'agente après coup.

 

 

À ce sujet, voit également Kalra c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1199, 2003 CF 941.

 

[23]           Dans le cas de M. Sabir, l'affidavit de l'agent a également été établi plusieurs mois après que la décision ici en cause eut été rendue. En outre, dans l'intervalle, l'agent avait sans aucun doute eu à examiner d'autres demandes de visa, ce qui aurait inévitablement eu un effet négatif sur sa capacité de se rappeler les détails précis de l'entrevue qu'il avait eue avec M. Sabir.

 

[24]           Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel l'agent donne simplement des précisions au sujet de brefs motifs énoncés dans les notes du STIDI dans le cadre d'un examen. Dans son affidavit, l'agent a fait toute une série de raisonnements qui ne se trouvent nulle part dans les notes qu'il avait prises lors de l'entrevue.

 

[25]           En outre, dans son affidavit, l'agent attribue certaines déclarations à M. Sabir, comme la présumée déclaration selon laquelle ce dernier ne pouvait pas retourner en Irak parce que la situation économique, dans son pays, était difficile. Dans les notes du STIDI, il n'est nulle part fait mention d'une telle déclaration.

 

[26]           De même, il n'est pas mentionné, dans les notes du STIDI, que M. Sabir aurait censément dit que sa demande d'asile, en Suisse, avait été rejetée parce que les autorités suisses ne le croyaient pas.

 

[27]           Dans ces conditions, je suis convaincue qu'il faut attribuer peu de poids à l'explication que l'agent a donnée dans son affidavit à l'appui de la décision et qu'il faut limiter l'analyse aux motifs énoncés dans la lettre de refus et dans les notes du STIDI.

 

Analyse

[28]           Peu de choses, dans les notes du STIDI ou dans la lettre de décision, expliquent pourquoi l'agent a conclu que les raisons pour lesquelles M. Sabir craignait d'être persécuté en Irak n'étaient ni crédibles ni suffisantes.

 

[29]           Il n'y a dans le dossier aucune copie de la décision rendue en Suisse au sujet du statut de réfugié, et on ne peut donc pas savoir précisément pourquoi la demande que M. Sabir a présentée à cet endroit a été refusée, mise à part l'explication donnée par M. Sabir lui‑même. Par conséquent, la décision suisse ne pouvait pas avoir raisonnablement servi de fondement à la conclusion de l'agent selon laquelle M. Sabir n'était pas crédible.

 

[30]           Il reste la conclusion de l'agent selon laquelle M. Sabir n'a pas fourni de preuve documentaire à l'appui de l'allégation voulant qu'il ait été un partisan de l'UPK comme fondement possible de la conclusion de non‑crédibilité tirée par l'agent. Sur ce point, la jurisprudence montre clairement que le témoignage de l'intéressé ne peut pas être discrédité simplement parce qu'aucune preuve documentaire ne le corrobore : Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 705 (1re inst.). Il me semble qu'il est particulièrement dangereux de le faire lorsque, comme c'est ici le cas, l'intéressé vient d'une région du monde qui est dans le chaos.

 

[31]           En outre, l'agent ne semble pas s'être rendu compte de la nature du danger invoqué par M. Sabir. En effet, l'agent a conclu que par suite du changement de régime en Irak, M. Sabir n'aurait plus à craindre les autorités irakiennes. Cela est peut‑être bien vrai. Toutefois, le danger auquel M. Sabir affirme être exposé en Irak n'était pas imputable aux représentants du régime de Saddam Hussein, mais plutôt aux militants islamiques. Dans sa décision, l'agent ne se penche pas sur la question de savoir si la violence sectaire en Irak a diminué au point où M. Sabir n'a plus à craindre les militants islamiques. 

 

[32]           Par conséquent, je suis convaincue que l'agent a conclu que M. Sabir n'était pas en danger en Irak sans tenir compte de la preuve dont il disposait et que cette conclusion était donc manifestement déraisonnable.

 

[33]           Enfin, la mention par l'agent du fait que des membres de la famille de M. Sabir continuent à habiter en Irak prête à confusion. Le dossier ne donne pas à entendre que quelqu'un d'autre, dans la famille de M. Sabir, se livrait à des activités politiques; par conséquent, le fait que la famille de M. Sabir continue à vivre en Irak semble avoir une pertinence restreinte, pour ce qui est de l'examen du risque auquel M. Sabir lui‑même est exposé.

 

Conclusion

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Certification

[35]           Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question, et aucune question ne se pose en l'espèce.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un agent des visas différent pour nouvelle décision;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                       

 

                                                                                                            « Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-523-06

 

INTITULÉ :                                                   SABIR ARAZ NAJAT

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shirzad S. Ahmed

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shirzad S. Ahmed

Avocat

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Région de la Colombie-Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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