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Date : 20061018

Dossier : T-4-05

Référence : 2006 CF 1244

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

Cecil Brooks ET

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

défendeurs

 

 

 

Dossier :  T-534-05

ENTRE :

Cecil Brooks

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 


MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Cette affaire se rapporte à deux demandes connexes de contrôle judiciaire de décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Ces décisions découlent d'une plainte de discrimination raciale déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi) contre le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) par M. Cecil Brooks. Le Tribunal a d'abord décidé que le MPO avait agi de façon discriminatoire envers son employé, M. Brooks, du fait de la race de celui‑ci. Dans la seconde décision, le Tribunal a refusé d'examiner les redressements demandés par M. Brooks, à savoir la réintégration et l'octroi d'une rémunération rétroactive. Le procureur général du Canada (le PGC) sollicite l'annulation de la première décision et M. Brooks demande l'examen de la seconde décision. Ces motifs s'appliquent aux deux demandes.

 

Historique

[2]               Cecil Brooks est un homme de race noire qui a initialement été embauché sur une base temporaire par la Garde côtière par l'entremise du MPO en 1988. Il a continué à travailler à divers moments pour la Garde côtière jusqu'en 1997. En 1997, M. Brooks a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte fondée sur l'article 7 de la Loi, qui est rédigé comme suit :

PARTIE I

MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE

[...]

Actes discriminatoires

[...]

Emploi

 

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

PART I

PROSCRIBED DISCRIMINATION

[...]

Discriminatory Practices

[...]

Employment

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

[3]               Dans la plainte qu'il avait déposée devant le Tribunal, M. Brooks faisait trois allégations. Premièrement, il alléguait avoir fait l'objet d'un traitement injuste depuis 1988, dans le cours de son emploi auprès de la Garde côtière. La deuxième allégation avait trait à une liste d'éligibilité qui avait été dressée en 1989. M. Brooks prétendait que le MPO avait nommé deux stewards dont les noms figuraient sur la liste, et ce, après que celle‑ci fut expirée. Les deux stewards étaient de race blanche. La troisième allégation avait trait à un concours qui avait eu lieu en 1992, dans lequel M. Brooks s'était classé treizième. Seuls les trois premiers candidats, lors du concours de 1992, avaient obtenu des postes permanents. Or, les trois premiers candidats étaient de race blanche.

 

La décision visée par l'examen

 

[4]               Le Tribunal a procédé à l'audition de la plainte de M. Brooks sur une période de 20 jours entre le 22 mars et le 8 juillet 2004. À la demande de M. Brooks, l'audience a été scindée entre les questions de responsabilité et de redressement. Le Tribunal a fait connaître sa décision le 3 décembre 2004 quant à la question de la responsabilité. Il a rejeté les première et deuxième allégations, mais quant à la troisième allégation il a conclu que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal a ensuite conclu, en se fondant sur son appréciation de la contre‑preuve soumise par le MPO, que la plainte de discrimination déposée par M. Brooks n'avait pas été réfutée. Voici ce qu'il a dit aux paragraphes 119 et 122 :

[119] La preuve étaye la prétention du plaignant que la question de la race est entrée en considération dans le processus de l'emploi. Ce n'était peut-être pas le facteur le plus important, mais c'était là, à l'arrière-plan. La jurisprudence a décidé, depuis Holden c. Canadian National Railway Co. (1990) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), page 397, que cela suffit pour établir la discrimination.

[...]

 

[122] M. Brooks a attendu longtemps pour que l'on commence à reconnaître les problèmes qui existaient en 1992. Il existe peut-être toujours des différences quant à sa version des évènements. Le point fondamental est néanmoins clair. Le plaignant a établi qu'il a été victime de discrimination.

[Non souligné dans l'original.]

 

Avant de passer à la question du redressement, le Tribunal a informé les parties que la preuve n'établissait pas que M. Brooks aurait obtenu un poste permanent si le concours de 1992 avait été tenu d'une façon non discriminatoire. Le Tribunal a donc statué que la décision qu'il avait rendue en matière de responsabilité l'empêchait d'accorder un redressement tel que la réintégration ou l'octroi d'une rémunération rétroactive.

[5]               À la suite de la décision, le Tribunal a organisé une téléconférence, le 15 décembre 2004, en vue de fixer les dates de la seconde partie de l'audience relative aux redressements. Le 3 février 2005, le Tribunal a rendu une décision au sujet des questions dont il faudrait traiter dans le cadre de l'examen du redressement. Lors de la téléconférence et dans sa décision, le Tribunal a fait des commentaires au sujet de la preuve. Par conséquent, la Cour examine ici la décision principale datée du 3 décembre 2004, les commentaires faits par le Tribunal lors de la téléconférence et la décision du Tribunal en date du 3 février 2005.

 

Points litigieux

[6]               L'affaire soulève les questions litigieuses suivantes :

1.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination?

2.         Le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant que le MPO avait omis de réfuter la preuve prima facie de discrimination?

3.         Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination?

4.         Le Tribunal a‑t‑il violé les règles d'équité procédurale et a‑t‑il manqué à l'obligation qui lui incombait d'assurer à M. Brooks une audience équitable au sujet de la question du redressement?

 

Législation pertinente

[7]               La législation pertinente en l'espèce est la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6. Les passages pertinents de cette loi sont reproduits à l'appendice A des présents motifs.

 

La norme de contrôle

[8]               En l'espèce, la Cour doit se pencher sur la question de l'équité procédurale assurée aux parties lors de l'audience tenue par le Tribunal. De plus, la Cour doit procéder à un examen au fond de la décision finale du Tribunal. La norme de contrôle applicable à l'examen au fond variera selon la nature de la question particulière dont le Tribunal était saisi.

1.         Équité procédurale

[9]               L'analyse pragmatique et fonctionnelle ne s'applique pas aux questions d'équité procédurale : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphes 100 à 103; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphes 52 à 55. Lorsqu'elle examine une décision contestée pour des motifs d'équité procédurale, la cour doit isoler les actes ou omissions qui touchent l'équité procédurale. Cet élément est examiné en tant que question de droit. Aucune déférence n'est nécessaire. La question de l'observation par le Tribunal de l'obligation d'équité sera donc examinée selon la norme de la décision correcte.

2.         Examen au fond

a)         Présence ou absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi

[10]           Le premier facteur, dans l'analyse pragmatique et fonctionnelle, se rapporte à la présence ou à l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi. La Loi ne donne aucune directive au sujet des examens ou des appels portant sur les décisions du Tribunal. Le premier facteur de l'analyse pragmatique et fonctionnelle commande donc un degré peu élevé de déférence.

b)         Expertise relative

[11]           Le deuxième facteur se rapporte à l'expertise relative du décideur. Comme le juge LaForest l'a expliqué dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, paragraphe 45 :

L'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne porte sur l'appréciation des faits et sur les décisions dans un contexte de droits de la personne. Cette expertise ne s'étend pas aux questions générales de droit [...] Ces questions relèvent de la compétence des cours de justice et font appel à des concepts d'interprétation des lois et à un raisonnement juridique général, qui sont censés relever de la compétence des cours de justice. Ces dernières ne peuvent renoncer à ce rôle en faveur du tribunal administratif.

 

 

Le deuxième facteur milite donc en faveur d'une grande déférence quant aux conclusions de discrimination, les questions de droit ne donnant lieu à aucune déférence.

 

c)         Objet de la loi dans son ensemble et de la disposition en particulier

 

[12]           Le troisième facteur se rapporte à l'objet de la Loi dans son ensemble et de la disposition particulière en cause. En ce qui concerne l'objet de la Loi, j'adopte les motifs que le juge Linden a énoncés dans l'arrêt Sketchley, précité, paragraphe 74 :

L=objet de la Loi, décrit à l=article 2, est essentiellement d=empêcher les pratiques discriminatoires fondées sur une série de motifs de distinction illicite. La protection des droits humains et individuels est une valeur fondamentale au Canada et les institutions, organismes ou personnes qui ont reçu le mandat, en vertu de la loi, d=examiner ces questions sont assujettis à un certain contrôle de la part des autorités judiciaires.

 

 

Les dispositions particulières qui sont ici en cause sont l'article 7 de la Loi, qui interdit la discrimination fondée sur les motifs énumérés à l'article 3, ainsi que l'article 53, qui énumère les redressements que le Tribunal peut accorder à la suite d'une plainte justifiée de discrimination. À mon avis, l'objet de la Loi dans son ensemble et des dispositions particulières ici en cause donne à entendre qu'une déférence moindre est accordée aux conclusions de discrimination, alors qu'il faut faire preuve de plus de déférence à l'égard du choix final des redressements effectué par le Tribunal.

 

d)         Nature de la question

[13]           Le quatrième facteur se rapporte à la nature de la question particulière qui est en litige devant le Tribunal. Les demandes soulèvent trois questions distinctes aux fins d'un examen au fond; j'en parlerai séparément.

(i)         Preuve prima facie de discrimination

[14]           Le PGC affirme que le Tribunal a commis une erreur en concluant que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination. La question de savoir si la discrimination prima facie a été établie dans une plainte particulière sera, dans certains cas, une question mixte de fait et de droit et, dans d'autres, une question de droit : Sketchley, précité, paragraphe 59. En l'espèce, la question de savoir ce qui constitue une discrimination prima facie n'est pas considérée dans l'abstrait; elle exige une application de principes juridiques à un ensemble particulier de faits tels que ces faits ont été constatés par le Tribunal. Il s'agit donc d'une question mixte de fait et de droit. Eu égard aux quatre facteurs, la détermination par le Tribunal de la question de savoir si une discrimination prima facie a été établie devrait être assujettie à la norme de la décision raisonnable.

(ii)        Omission de réfuter la preuve prima facie

[15]           Subsidiairement, le PGC soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que le MPO n'avait pas réfuté la preuve prima facie de discrimination. Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit, quoique fortement axée sur les faits. Eu égard aux quatre facteurs, je conclus que la norme de la décision raisonnable s'applique à la conclusion du Tribunal selon laquelle le MPO n'a pas réfuté la preuve prima facie de discrimination.

(iii)       Possibilité d'obtenir un redressement

[16]           M. Brooks soutient que le Tribunal a commis une erreur en statuant que la décision qu'il avait rendue au sujet de la responsabilité l'empêchait d'accorder la réintégration et une rémunération rétroactive. En particulier, il affirme que le Tribunal a commis une erreur en appliquant la doctrine du dessaisissement d'office. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, le choix final du redressement accordé par le Tribunal dans le cas d'une plainte justifiée devrait donner lieu à une certaine retenue de la part de la cour de révision. Toutefois, la question de savoir si le Tribunal était autorisé à accorder un redressement particulier, compte tenu de l'ensemble précis de faits constatés par le Tribunal, suscite une question mixte de fait et de droit, quoique fortement axée sur le droit. La décision que le Tribunal a rendue au sujet de l'étendue des redressements possibles sera donc examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

Analyse

Première question :    Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination?

[17]           Le PGC affirme que le Tribunal a commis une erreur en concluant que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination.

[18]           Le PGC soutient que le Tribunal a commis une erreur en incorporant des conclusions générales de discrimination dans le milieu de travail en vue de présumer certaines conséquences dans le concours de 1992, et ce, malgré l'absence de preuve de comportement discriminatoire dans le concours lui‑même. Le PGC fait en outre valoir que le Tribunal a commis une erreur en fondant ses conclusions générales sur un avis et sur une preuve par ouï‑dire non recevables et en faisant des inférences de fait manifestement déraisonnables. Si ce n'était de ces erreurs, affirme le PGC, la plainte déposée par M. Brooks aurait été rejetée.

[19]           Le Tribunal a conclu à l'existence d'irrégularités dans le processus du concours de 1992. Le Tribunal a également conclu à l'existence d'une certaine discrimination dans le milieu de travail de la Garde côtière lors du concours. La conclusion tirée par le Tribunal – laquelle est contestée par le PGC – est qu'il y avait un élément discriminatoire dans les irrégularités commises lors du concours de 1992. Au paragraphe 112 de sa décision, le Tribunal dit ce qui suit :

Il y a le contexte dans lequel le concours s'est déroulé et ce contexte est rempli d'une appréhension que la race était un facteur dont tenait compte [le MPO] dans ses décisions en matière d'emploi. Personne n'a donné à penser que cela était particulièrement explicite. Il s'agissait néanmoins d'une partie intégrale de la sociologie de la situation.

 

 

Indépendamment de la sociologie de la situation, le Tribunal a rejeté l'assertion de M. Brooks selon laquelle le concours lui‑même était discriminatoire. Le 15 décembre 2004, le Tribunal a déclaré ce qui suit au cours d'une audience tenue par téléconférence :

[Traduction] Il me semble – et je parle peut‑être ici d'une façon informelle – mais il me semble que vous aviez une théorie au sujet de l'affaire, et cette théorie était que M. Brooks aurait essentiellement dû gagner le concours, ou du moins qu'il aurait dû se classer à un rang suffisamment élevé dans le concours pour se voir offrir un poste pour une période indéterminée.

 

Et le concours posait des problèmes, et puisqu'il aurait dû obtenir un poste, vous vouliez essentiellement soutenir que le concours était discriminatoire.

 

J'ai rejeté cette théorie. Je n'ai pas accepté cette façon de voir les choses. Je ne crois pas que vous l'ayez établi.

 

Ma décision était fondée sur la conclusion selon laquelle on avait fait preuve de favoritisme lors du concours et qu'il y avait un élément résiduel de racisme dans ce favoritisme, et j'ai fondé cela sur un bon nombre d'éléments de preuve circonstancielle qui, à mon avis, indiquaient une chose, à savoir qu'il y avait un problème sérieux de racisme – en disant ceci, je vais peut‑être trop loin – mais il y avait un élément racial dans ce qui se passait dans le milieu de travail à ce moment‑là.

 

[20]           M. Brooks soutient que la conclusion de discrimination tirée par le Tribunal est compatible avec la preuve et avec la jurisprudence pertinente. Il affirme, en particulier, que le Tribunal a le droit de conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion possible : Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. d/5029, 88 C.L.L.C. 17,006, paragraphe 38491 (Trib. can. des droits de la personne). M. Brooks soutient en outre qu'il suffit d'établir que le motif de distinction illicite constituait l'un d'un certain nombre de facteurs menant à la conclusion faisant l'objet de la plainte : Almeida c. Chubb Fire Security Division of Chubb Industries Ltd. (1984), 5 C.H.R.R. D/2104, page 2105.

[21]           M. Brooks identifie deux faits constatés par le Tribunal qui donnent à entendre que des critères subjectifs ont été utilisés dans le processus de sélection. En premier lieu, le concours a pris fin le 15 juin 1992. Malgré tout, les candidats qui se sont classés aux premier et second rangs ont soumis leurs demandes le 8 décembre 1992 et le 23 juin 1992 respectivement. En second lieu, le Tribunal a conclu que les candidats qui s'étaient classés aux premier et deuxième rangs ne remplissaient pas les conditions énoncées pour le poste. Ces faits, selon M. Brooks, ont pour effet de déclencher une preuve prima facie de discrimination parce que les candidats qui se sont classés aux cinquième et treizième rangs appartenaient à une minorité visible; ils avaient présenté leur candidature à temps et remplissaient les conditions voulues.

[22]           Le critère juridique permettant d'établir une preuve prima facie de discrimination est énoncé dans l'arrêt Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons‑Sears Ltd., de la Cour suprême du Canada, [1985] 2 R.C.S. 536, paragraphe 28 [O'Malley] :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

 

[23]           La Commission d'enquête de l'Ontario a appliqué le critère prima facie dans le contexte de l'emploi dans la décision Florence Shakes c. Rex Pak Limited, [1982] C.H.R.R. D/1001. Dans l'arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, paragraphe 18, la Cour d'appel fédérale a cité en l'approuvant le critère énoncé dans la décision Shakes. Au paragraphe 8918 de la décision Shakes, la Commission a statué ce qui suit :

[TraductionLa discrimination est presque toujours établie par preuve circonstancielle. Ce n'est qu'exceptionnellement qu'il y aura, devant une commission d'enquête, un aveu de l'intimé ou un autre élément de preuve directe. Dans une plainte en matière d'emploi, la Commission établit habituellement la preuve prima facie en montrant a) que le plaignant avait les compétences voulues pour l=emploi concerné; b) que le plaignant n=a pas été engagé; c) qu=une personne qui n=était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique qui constitue le fondement de la plainte concernant les droits de la personne (c.‑à‑d. la race, la couleur de la peau, etc.) a par la suite obtenu le poste. Si ces éléments sont prouvés, il incombe au défendeur de fournir une explication des faits qui est également compatible avec la conclusion que la discrimination pour un motif prohibé par le Code n=est pas une explication valable de ce qui s=est produit. [...]

[Non souligné dans l'original.]

 

[24]           En l'espèce, M. Brooks a allégué avoir été victime de discrimination raciale dans le processus du concours de 1992. Le résultat de la discrimination, selon ce que M. Brooks a allégué, était qu'il s'était vu refuser un poste permanent auprès de la Garde côtière.

[25]           Le Tribunal a tenu compte du critère énoncé dans l'arrêt O'Malley et il a noté, au paragraphe 99 de sa décision, que « cette description semble avoir été empruntée au critère du non‑lieu, étant donné qu'elle donne à penser que la preuve ne devrait pas être appréciée ». Le MPO a soutenu devant le Tribunal qu'il n'existait aucune preuve positive de discrimination et qu'il n'y avait donc pas de preuve à réfuter. À l'appui de cet argument, le MPO s'est fondé sur la décision antérieure que le Tribunal avait rendue dans l'affaire Kibale c. Transport Canada (1985), 6 C.H.R.R. D/3033, à l'appui de la thèse selon laquelle il n'est pas possible d'inférer la discrimination « lorsqu'il y a irrégularité ou même illégalité absolue dans l'administration du processus de dotation en personnel de la fonction publique du Canada » en l'absence de quelque preuve établissant un lien entre l'irrégularité et un motif de discrimination. Le MPO a également renvoyé le Tribunal aux décisions Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social) (no 5) (2001), 40 C.H.R.R. D/396 (T.C.D.P.) et Singh c. Statistique Canada (1998) 34 C.H.R.R. D/203 (T.C.D.P.) à l'appui de ce principe.

[26]           Il ressort clairement du dossier du Tribunal que M. Brooks a présenté une preuve prima facie de discrimination compte tenu des exigences énoncées dans la décision Shakes, précitée. Il était loisible au Tribunal de chercher une preuve additionnelle de discrimination dans le milieu pertinent ou, comme l'avocat de M. Brooks l'a dit dans son argumentation orale, [traduction] « là où les poissons nagent ».

[27]           Comme il en a ci‑dessus été fait mention, il est bien établi que la preuve circonstancielle peut être prise en considération dans le règlement de plaintes de discrimination. Le Tribunal, qui avait conclu que le concours « a[vait] manifestement été injuste », a mis l'accent sur la question de savoir s'il y avait « un aspect discriminatoire dans le comportement fautif ». Le Tribunal a considéré en tant que preuve la façon dont M. Brooks, Mme Howe – une femme de race noire qui s'était classée cinquième dans le concours – et de nombreux employés appartenant à une minorité percevaient les choses. Ils croyaient tous que l'on faisait couramment preuve de racisme dans le milieu de travail.

[28]           Au paragraphe 110 de sa décision, le Tribunal conclut que « les impressions, même de simples impressions, peuvent avoir une certaine valeur probante ». En particulier, le Tribunal a attaché de l'importance à la preuve présentée par Mme Howe pace qu'elle n'était pas partie à la plainte déposée par M. Brooks et qu'elle avait continué à travailler pour la Garde côtière. Voici ce que le Tribunal a dit : « Elle n'a pas laissé ses sentiments brouiller ses relations avec son employeur. J'ai jugé son témoignage crédible et convaincant. » Cela étant, le Tribunal a conclu, au paragraphe 112 de sa décision, que le témoignage de Mme Howe, qui était étayé par les témoignages de M. Brooks et d'autres employés appartenant à une minorité, fournissait une certaine preuve de discrimination.

[29]           Au paragraphe 113, le Tribunal a conclu que la Garde côtière partageait les craintes des employés appartenant à une minorité au sujet du racisme. Cette conclusion était fondée sur diverses mesures que la Garde côtière avait prises en vue d'améliorer la situation des employés appartenant à une minorité, notamment l'utilisation d'une liste d'éligibilité, la nomination d'une agente de l'équité aux comités de sélection et le fait qu'un rapport concernant la discrimination dans le milieu de travail avait été commandé. L'argument du PGC selon lequel cette preuve ne devrait pas être considérée comme un aveu de discrimination est un argument convaincant; toutefois, il était loisible au Tribunal de conclure que ces mesures constituaient une reconnaissance de la part de la Garde côtière qu'il existait un problème dans le milieu de travail.

[30]           Le Tribunal a qualifié de circonstancielle la preuve à l'appui de la plainte de discrimination de M. Brooks. Au paragraphe 114, le Tribunal a parlé de la façon dont il traitait la preuve circonstancielle :

Il existe une règle concernant la preuve circonstancielle. Si je comprends bien, il ne suffit pas que la preuve circonstancielle soit compatible avec une inférence de discrimination. Cela ne fait qu'établir la possibilité de discrimination, ce qui ne suffit pas à prouver le bien-fondé de la cause. La preuve doit être incompatible avec d'autres possibilités.

 

Le MPO a soutenu que [traduction] l'« autre possibilité » était que le processus était corrompu par le favoritisme plutôt que par la discrimination raciale. Toutefois, le Tribunal a dit ce qui suit au paragraphe 115 : « Il n'y a rien dans le fait du favoritisme qui écarte la possibilité de discrimination. En effet, il est dans l'ordre du favoritisme d'avantager certaines personnes au détriment d'autres personnes ». Le Tribunal a ensuite conclu, au paragraphe 116, que la preuve était « plus que suffisante » pour satisfaire au critère de la preuve prima facie.

 

[31]           Il est certain que le processus du concours était vicié. Les candidats étaient « sélectionnés » même s'ils avaient soumis leurs demandes après la date limite et même s'ils ne remplissaient pas les conditions énoncées pour le poste de steward. Afin de présenter une preuve prima facie, M. Brooks doit fournir une certaine preuve montrant que le MPO a agi d'une façon discriminatoire à son endroit dans le processus du concours, et ce, en raison de sa race.

[32]           Il ressort clairement du dossier du Tribunal qu'il existait certains éléments de preuve circonstancielle qui, si l'on y ajoutait foi, prouvaient l'allégation de M. Brooks selon laquelle le processus du concours était entaché de discrimination raciale. Je suis donc convaincu qu'il était avec raison loisible au Tribunal de conclure que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination.

 

Deuxième question :  Le Tribunal a-t-il commis une erreur en statuant que le MPO avait omis de réfuter la preuve prima facie de discrimination?

[33]           Le PGC affirme subsidiairement que le Tribunal a commis une erreur en concluant que le MPO n'avait pas réfuté la preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal a énoncé quelles étaient ses conclusions de discrimination aux paragraphes 118 à 122 de sa décision :

[118] L'intimé est le mieux placé pour fournir une explication quant à ce qui s'est produit. Il ne l'a tout simplement pas fait. La seule explication que j'ai vraiment entendue est qu'il y avait du favoritisme au ministère. Cela déplace tout simplement l'objet principal de l'instruction. S'il y a eu favoritisme, comme ce fut clairement le cas, la question est de savoir s'il y avait un élément racial dans ce favoritisme. Je crois que c'est là que le fardeau incombe à l'intimé.

 

[119] La preuve étaye la prétention du plaignant que la question de la race est entrée en considération dans le processus de l'emploi. Ce n'était peut-être pas le facteur le plus important, mais c'était là, à l'arrière-plan. La jurisprudence a décidé, depuis Holden c. Canadian National Railway Co. (1990) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), page 397, que cela suffit pour établir la discrimination.

 

[120] L'intimé n'a fourni aucune véritable explication des circonstances en l'espèce. La preuve présentée par l'intimé a essentiellement été constituée de démentis. Les témoins de l'intimé ont rejeté les allégations de racisme. Mais, évidemment, ils ont également rejeté l'idée que le concours de 1992 avait été faussé par les politiques qui prévalaient au sein du ministère. M. Savoury n'a pas fait part de ses motifs.

 

[121] L'intimé ne s'est pas acquitté de l'obligation qui lui incombait en l'espèce. La plainte est par conséquent fondée.

 

[122] M. Brooks a attendu longtemps pour que l'on commence à reconnaître les problèmes qui existaient en 1992. Il existe peut-être toujours des différences quant à sa version des évènements. Le point fondamental est néanmoins clair. Le plaignant a établi qu'il a été victime de discrimination.

[Non souligné dans l'original.]

 

[34]           Le PGC affirme que le Tribunal a commis une erreur sur deux points. En premier lieu, le Tribunal a tiré une conclusion déraisonnable, à savoir que la preuve ne constituait pas une réfutation de la preuve prima facie et il a imposé un fardeau trop lourd au MPO à cet égard. En second lieu, le Tribunal a commis une erreur de droit en ne faisant aucun cas d'éléments de preuve importants et a omis de tenir compte des explications données par le MPO.

[35]           Le PGC a renvoyé la Cour à de nombreux faits et arguments qui, selon lui, n'ont pas été pris en compte par le Tribunal lorsque celui‑ci a tiré sa conclusion :

                            [Traduction

                                1.             On a communiqué avec M. Brooks et on lui a expressément demandé de se présenter au concours;

                2.             M. Brooks a été « sélectionné » aux fins du concours, et il était alors sur un pied d'égalité avec tous les autres candidats étant donné qu'aucune irrégularité n'avait été constatée aux stades de l'entrevue et de la cotation;

                3.             Toute erreur commise dans la sélection des deux premiers candidats avait une incidence sur tous les autres candidats, et notamment sur les dix candidats qui s'étaient classés avant M. Brooks qui étaient tous de race blanche, sauf dans un cas;

                4.             Les erreurs avaient touché le candidat qui s'était classé quatrième, un homme de race blanche, encore plus qu'elles n'avaient touché M. Brooks;

                5.             La preuve selon laquelle des personnes qui n'appartenaient pas à un groupe minoritaire étaient de la même façon touchées par le présumé comportement fautif indique l'absence d'élément discriminatoire;

                6.             La Garde côtière a nommé Rose Lucas, une femme de race noire, au comité de sélection en vue d'assurer l'égalité de traitement entre les candidats;

                7.             Rose Lucas connaissait personnellement Mme Howe, la candidate qui s'était classée cinquième, avec qui elle avait « à toutes fins utiles été élevée » et elle connaissait M. Brooks, avec qui elle avait partagé des repas à bord du navire;

                8.             Le concours était un processus coté formel fondé sur des questions et sur des réponses préparées d'avance;

                9.             Le rang occupé par M. Brooks dans le processus du concours résultait de son rendement lors de son entrevue et d'une vérification des références;

                10.           Dans ses conclusions finales, le MPO a expressément rejeté la thèse du Tribunal selon laquelle le processus du concours était entaché de favoritisme.

[36]           Il faut rejeter les arguments du PGC selon lesquels le Tribunal avait admis d'une façon irrégulière certains éléments de preuve non dignes de foi et avait omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents. La décision du Tribunal traite de chacun des faits et arguments qui, selon le PGC, n'auraient pas été pris en compte. Le Tribunal peut à bon droit soupeser la preuve mise à sa disposition et en tirer des conclusions raisonnables.

[37]           Le PGC reproche également au Tribunal d'avoir reçu en preuve [traduction] « de simples impressions » qu'avaient certains employés de la Garde côtière. En particulier, le PGC déplore le fait que le Tribunal a tenu compte d'un rapport de 1991 préparé par Joan Jones, ainsi que des [traduction] « impressions » dont Lisa Howe et M. Brooks avaient fait part au moyen de leurs témoignages.

[38]           L'objection soulevée par le PGC en ce qui concerne le fait que le Tribunal a admis certains éléments de preuve ne peut pas être retenue compte tenu du pouvoir discrétionnaire conféré au Tribunal à l'alinéa 50(3)c) de la Loi :

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5) [les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires, et le témoignage d’un conciliateur], des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire;

 

(c) subject to subsections (4) and (5) [the law of privilege and testimony from conciliators], receive and accept any evidence and other information, whether on oath or by affidavit or otherwise, that the member or panel sees fit, whether or not that evidence or information is or would be admissible in a court of law;

 

 

 

Le Tribunal, qui avait entendu la preuve et les arguments sur une durée de vingt jours, n'était pas convaincu que le MPO eût réfuté la plainte de discrimination de M. Brooks. Il était loisible au Tribunal de soupeser la preuve. Or, en se fondant sur la preuve dont il disposait au sujet des questions de racisme dans le milieu de travail de M. Brooks, le Tribunal a conclu que la race était entrée en ligne de compte dans le processus de l'emploi.

[39]           La décision du Tribunal selon laquelle le MPO avait agi de façon discriminatoire à l'endroit de M. Brooks, en violation de l'article 7 de la Loi, était donc raisonnable.

 

Troisième question :  Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en concluant que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination?

[40]           M. Brooks affirme que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu'il n'aurait pas obtenu un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination, et en l'empêchant ainsi de soulever la question du redressement, pour ce qui est de la réintégration ou de l'octroi d'une rémunération rétroactive. Au paragraphe 81 de sa décision, voici ce que le Tribunal a dit :

Je ne suis pas en mesure de déterminer avec précision le classement des candidats. La preuve n'étaye toutefois pas l'opinion de M. Brooks qu'il aurait obtenu un rang suffisamment élevé sur la liste d'éligibilité pour se voir accorder une nomination à durée indéterminée.

 

Le Tribunal a ajouté ce qui suit au paragraphe 124 de sa décision :

Les parties sont invitées à formuler des observations quant à la réparation. Il est peut-être utile d'affirmer que je suis convaincu, compte tenu de la preuve qui m'a été soumise, que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste à durée indéterminée, même si le concours s'était déroulé de façon régulière. Il est également clair qu'il a refusé de signer le projet d'entente de conciliation. Je crois donc que la question principale a trait au préjudice moral. Il y a également la question des dépens.

 

[41]           M. Brooks soutient que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a appliqué le mauvais critère juridique en déterminant s'il pouvait obtenir un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination. L'avocat a mentionné l'arrêt Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401, de la Cour d'appel fédérale et la décision Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (C.F. 1re inst.), juge Rothstein (tel était alors son titre). Au paragraphe 36 de l'arrêt Morgan, précité, le juge Marceau a dit ce qui suit :

Il me semble qu'il ne faut pas confondre la preuve d'une perte véritable et de son lien avec l'acte discriminatoire avec la preuve de l'ampleur de la perte. Pour démontrer l'existence du préjudice donnant droit à l'indemnité, il n'était pas nécessaire de démontrer que, n'eût été l'acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. De plus, aux fins d'établir le préjudice, point n'est besoin de démontrer la probabilité de celui-ci. À mon avis, la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse, suffit à démontrer l'existence du préjudice. Par contre, pour connaître l'ampleur du préjudice et les dommages-intérêts qu'il entraîne, il m'apparaît impossible de rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé. La présence de cet élément d'incertitude empêcherait le tribunal d'accorder les dommages-intérêts qu'il accorderait en l'absence de celui-ci. L'indemnité fixée par le tribunal serait réduite en fonction du degré d'incertitude.

[Non souligné dans l'original.]

 

[42]           Selon l'arrêt Morgan, précité, en établissant qu'il a subi une perte réelle à cause de la discrimination, le plaignant est uniquement tenu de prouver l'existence d'une possibilité sérieuse, pour lui, d'obtenir le poste recherché, si ce n'était de la discrimination. Les passages de la décision du Tribunal figurant aux paragraphes 81 et 124, précités, révèlent que le Tribunal exigeait une preuve probable tendant à montrer que M. Brooks « aurait » obtenu un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination. Les différents degrés de probabilité sont uniquement pertinents lorsqu'il s'agit d'apprécier l'étendue du préjudice subi, ce qui est une question de redressement.

[43]           Lors de la téléconférence tenue le 15 décembre 2004, l'avocat de M. Brooks a informé le Tribunal qu'il avait appliqué le mauvais critère en déterminant si son client devait être réintégré. Le membre du Tribunal a répondu qu'il était parfaitement au courant du critère à appliquer en rédigeant sa décision. Même si la Cour pouvait examiner la transcription de la téléconférence en vue d'apporter une réserve à la décision, il n'est pas clair que le membre du Tribunal ait compris ou appliqué le bon critère.

[44]           En se prononçant, le 3 février 2005, sur les questions dont il fallait tenir compte quant à la question du redressement, le membre du Tribunal ne s'est pas là non plus exprimé en des termes clairs lorsqu'il a examiné ce point. Aux paragraphes 5 et 9 de la décision, le membre du Tribunal a dit ce qui suit :

¶5.           M. Brooks devrait être conscient du fait que je dois me limiter à la preuve dont je dispose. Lorsque je m’en tiens à cette preuve, et que j’évite de faire des hypothèses, je suis convaincu qu’il était trop à la fin de la liste pour que je puisse de façon réaliste conclure qu’il aurait obtenu un poste permanent. La jurisprudence du Tribunal et de la Cour fédérale sur la question du traitement perdu n’est pas utile en l’espèce. La preuve ne suggère pas, sérieusement ou autrement, que M. Brooks aurait obtenu un poste permanent. Elle suggère qu’il n’aurait pas obtenu un tel poste.

 

[...]

 

¶9.           Quant à la demande de directive, je pense que le Tribunal doit envoyer un message clair selon lequel il ne sera pas influencé par le refus plutôt obstiné du plaignant d’accepter sa décision à l’égard de la responsabilité. Ma position demeure fermement la même et je suis convaincu, selon la preuve dont je dispose, qu’un poste permanent n’aurait pas été donné à M. Brooks. Les faits ont été tranchés, la conclusion a été tirée et la doctrine du dessaisissement d’office s’applique. Je n’ai rien d’autre à ajouter sur la question.

 

 

 

[45]           La Cour doit conclure que le Tribunal a appliqué le mauvais critère juridique en concluant que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste pour une durée indéterminée en l'absence de discrimination. La conclusion factuelle en résultant est donc déraisonnable et doit être annulée.

 

Quatrième question : Le Tribunal a‑t‑il violé les règles d'équité procédurale et a‑t‑il manqué à l'obligation qui lui incombait d'assurer à M. Brooks une audience équitable au sujet de la question du redressement?

[46]           M. Brooks a soutenu que le Tribunal lui avait refusé la possibilité de présenter une preuve et de traiter de la question du redressement pour ce qui est de la réintégration ou de la rémunération rétroactive. Étant donné que la Cour a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en décidant que la décision qu'il avait rendue au sujet de la responsabilité avait pour effet d'empêcher l'octroi d'un redressement, à savoir la réintégration et l'octroi d'une rémunération rétroactive, il est inutile de s'attarder à cette question.

[47]           M. Brooks n'a pas eu la possibilité de soutenir que le concours au complet devait être annulé parce qu'il était vicié et qu'il était donc impossible de déterminer s'il existait une « possibilité sérieuse » pour M. Brooks d'obtenir un poste pour une période indéterminée. Je suis convaincu que M. Brooks n'a pas bénéficié d'une audience équitable quant à la question du redressement.

 

Conclusion

[48]           Pour les motifs susmentionnés, la demande que le PGC a présentée dans le dossier T‑4‑05 sera rejetée, la demande que M. Brooks a présentée dans le dossier T‑534‑05 sera accueillie, la décision du Tribunal, lorsque ce dernier dit que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination, sera annulée et cette décision sera renvoyée à un tribunal différemment constitué avec la directive selon laquelle il faut appliquer le critère de la « possibilité sérieuse » énoncé dans l'arrêt Morgan, précité, compte tenu du dossier mis à la disposition du Tribunal. La décision du Tribunal de ne pas traiter du redressement, à savoir de la réintégration ou de l'octroi d'une rémunération rétroactive, sera également annulée et une décision sera à nouveau rendue à la suite de l'examen de la question de savoir s'il existait une possibilité sérieuse pour M. Brooks d'obtenir un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination.

[49]           Les conclusions tirées par la Cour sont énoncées ci‑dessous :

1.                  Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en statuant que M. Brooks avait présenté une preuve prima facie de discrimination;

2.                  Le Tribunal n'a pas commis d'erreur en statuant que la Garde côtière n'avait pas réfuté cette preuve prima facie de discrimination. Par conséquent, la conclusion du Tribunal figurant au paragraphe 122 : « [...] le plaignant a établi qu'il a été victime de discrimination » résiste à l'examen judiciaire, de sorte que la demande que le procureur général du Canada a présentée dans le dossier T‑4‑05 doit être rejetée, les dépens étant adjugés à M. Brooks;

3.                  Le Tribunal a appliqué le mauvais critère juridique en concluant que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste permanent en l'absence de discrimination. Par conséquent, cette conclusion doit être annulée et le dossier du Tribunal doit être renvoyé à un membre différent du Tribunal pour nouvelle décision;

4.                  Avant que la question soit à nouveau tranchée, les parties devraient avoir la possibilité de soumettre des observations au sujet du redressement à accorder. M. Brooks n'a jamais eu la possibilité de soutenir que le concours au complet devait être annulé parce qu'il était entaché de discrimination et qu'il était donc impossible de savoir s'il existait une « possibilité sérieuse » pour M. Brooks d'obtenir un poste pour une période indéterminée. Par conséquent, la demande que M. Brooks a présentée dans le dossier T‑534‑05 est accueillie, les dépens étant adjugés à M. Brooks.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T‑4‑05 est rejetée;

 

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T‑534‑05 est accueillie, la décision par laquelle le Tribunal a conclu que M. Brooks n'aurait pas obtenu un poste pour une période indéterminée est annulée et renvoyée pour qu'un membre différent du Tribunal rende à nouveau une décision sur dossier, la directive lui étant donnée d'appliquer le critère de la « possibilité sérieuse » décrit dans les motifs du jugement après avoir donné aux parties la possibilité de soumettre des observations;

 

  1. La décision du Tribunal de ne pas s'arrêter à la question du redressement, à savoir la réintégration ou l'octroi d'une rémunération rétroactive, est également annulée et elle est renvoyée pour qu'un autre membre du Tribunal rende à nouveau une décision à la suite de l'examen de la question de savoir s'il existait une possibilité sérieuse pour M. Brooks d'obtenir un poste pour une période indéterminée en l'absence de discrimination;

 

  1. Les frais des deux demandes sont adjugés à M. Brooks.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

APPENDICE « a »

 

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6

 

 

PARTIE I

MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE

Dispositions générales

Motifs de distinction illicite

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[...]

Actes discriminatoires

[...]

Emploi

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[...]

PARTIE III

ACTES DISCRIMINATOIRES ET DISPOSITIONS GÉNÉRALES

[...]

Instruction des plaints

[...]

Fonctions

50. [...]

Pouvoirs

(3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir : [...]

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire;

[...]

Restriction

(4) Il ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires.

Le conciliateur n’est ni compétent ni contraignable

(5) Le conciliateur n’est un témoin ni compétent ni contraignable à l’instruction.

PART I

PROSCRIBED DISCRIMINATION

General

Prohibited grounds of discrimination

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

[...]

Discriminatory Practices

[...]

Employment

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[...]

PART III

DISCRIMINATORY PRACTICES AND GENERAL PROVISIONS

[...]

Inquiries into Complaints

[...]

Conduct of inquiry

50. [...]

Additional powers

(3) In relation to a hearing of the inquiry, the member or panel may [...]

(c) subject to subsections (4) and (5), receive and accept any evidence and other information, whether on oath or by affidavit or otherwise, that the member or panel sees fit,

whether or not that evidence or information is or would be admissible in a court of law;

[...]

Limitation in relation to evidence

(4) The member or panel may not admit or accept as evidence anything that would be inadmissible in a court by reason of any privilege under the law of evidence.

Conciliators as witnesses

(5) A conciliator appointed to settle the complaint is not a competent or compellable witness at the hearing.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-4-05

 

INTITULÉ :                                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU Canada

                                                                        c.

CECIL BROOKS et la COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Scott E. McCrossin

Melissa R. Cameron

POUR LE DEMANDEUR

 

Davies Bagambiire

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR,

CECIL BROOKS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Davies Bagambiire et associés

Toronto (Ontario)

 

Dan Pagowski

Commission canadienne des droits de la personne

 

POUR LE DÉFENDEUR,

CECIL BROOKS

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-534-05

 

INTITULÉ :                                                   CECIL BROOKS

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Davies Bagambiire

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Scott E. McCrossin

Melissa R. Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davies Bagambiire et associé

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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