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Date : 20061018

Dossier : IMM-5310-06

Référence : 2006 CF 1250

Toronto (Ontario), le 18 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

LEILA BREHELIA TRIMMINGHAM BROWN

OMAR TRIMMINGHAM

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, la mère et son enfant, ont reçu l’ordre de se présenter à leur renvoi dans leur pays d’origine, c’est‑à‑dire Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines. Leur examen des risques avant renvoi (ERAR) a établi qu’ils ne risquaient pas d'être persécutés ou d'être soumis à la torture ou d’être exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine. Ils ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision et, dans l’intervalle, ils ont demandé à la Cour d’ordonner que l’on sursoit à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

[2]               Mme Brown vivait une relation fortement marquée par la violence avec le père de son fils. La situation était à ce point difficile que, elle et son fils, Omar, se sont enfuis au Canada. Son conjoint de fait l’a suivi, puis ils se sont réconciliés pendant un certain temps. Toutefois, le conjoint s’est à nouveau comporté de façon violente. Mme Brown a obtenu une injonction restrictive. Le conjoint a été accusé, déclaré coupable, emprisonné et, ultérieurement, expulsé vers Saint‑Vincent. L’agent d’ERAR a estimé que Mme Brown était crédible. Il ne fait aucun doute qu’elle serait exposée à des risques si elle retournait à Saint‑Vincent. La question qui se pose en contrôle judiciaire, si jamais il y a contrôle judiciaire, consiste à savoir si la protection de l’État existe (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Toutefois, malgré les observations éloquentes et tenaces des avocats des deux parties, il ne s’agit pas de la question dont je suis saisi. La question dont je suis présentement saisi consiste à savoir si le status quo devrait être maintenu en attendant l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[3]               La Cour a récemment traité un certain nombre de cas de violence familiale mettant en cause des personnes originaires de Saint‑Vincent. J’ai été pratiquement invité à admettre d’office que bien que les autorités de Saint‑Vincent aimeraient protéger les victimes de violence familiale, elles en sont incapables. La Cour ne peut pas admettre d’office la situation de fait qui prévaut à Saint‑Vincent. Des décisions comme Myle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 871 et Henry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1060 n’appuient pas cet argument. La situation qui règne dans le pays, souvent constituée à partir de diverses sources, est, dans une certaine mesure du moins, une affaire d’opinion en ce qui a trait aux documents annexés au dossier et à la manière selon laquelle ils sont soumis. On a pu ne pas tenir compte d’autres documents ou minimiser leur importance. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR), bien que présentée comme une conclusion de fait est également, pour l’essentiel, une affaire d’opinion. La Cour doit tenir compte de la retenue dont elle doit faire preuve à l’égard de la décision de la CISR, puis décider si cette décision outrepassait les limites fixées par l’approche pragmatique et fonctionnelle applicable au contrôle judiciaire. Les décisions Myle et Henry n’ont aucune force obligatoire en ce qui a trait à la situation qui règne à Saint‑Vincent. Elles sont fondées sur les documents en cause dans un dossier particulier, notamment l’histoire du demandeur. Comme le juge Shore l’a souligné dans Myle, chaque cas est un cas d’espèce. Le ministre invoque ce point énergiquement car le dossier en l’espèce concernant la situation qui règne dans le pays est plus récent que celui dont il est question dans Myle et Henry et il prétend que la situation s’est grandement améliorée.

 

[4]               Toutefois, il s’agit en l’espèce d’une demande de sursis, ce qui signifie que, en vertu de RJR - MacDonald c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 et Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), il y a trois questions auxquelles le demandeur doit répondre. La première question consiste à savoir s’il y a vraiment une question sérieuse à trancher sur le fond, la deuxième question a trait au préjudice irréparable et la troisième question a trait à la prépondérance des inconvénients.

 

[5]               En ce qui concerne la première question, la règle générale selon l’arrêt RJR – MacDonald, précité, est qu’il y a une question sérieuse à trancher si la question n’est ni futile, ni vexatoire. Ce critère est moins exigeant que le critère exigé quant à la question de savoir si l’autorisation devrait être accordée, lequel est fondé sur la cause raisonnablement défendable (Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317, 109 N.R. 239 (C.A.F.)) ou que le critère exigé quant à savoir si un contrôle judiciaire devrait être accordé, lequel est fondé sur la prépondérance des probabilités que le décideur n’a pas satisfait à la norme de contrôle appropriée.

 

[6]               En l’espèce, je suis convaincu que les demandeurs ont satisfait au critère de la question sérieuse à trancher. Ils ont certainement soulevé la possibilité que Saint‑Vincent n’est peut‑être pas capable de les protéger et que le décideur a été trop sélectif lorsqu’il a rendu une décision fondée sur de « bonnes nouvelles ».

 

[7]               Quant au tort irréparable, en attendant que l’on statue sur les demandes sous‑jacentes, voici ce que Mme Brown, laquelle a été jugée crédible, a affirmé : [traduction] « C’est le 10 juin 2004 que j’ai vu Oriel pour la dernière fois, il a passé en tout quatre mois en prison et au centre de détention, puis il a été renvoyé à Saint‑Vincent. Bien que Saint‑Vincent soit situé dans les Caraïbes, il a tout de même trouvé le moyen de me proférer des menaces. Il m’a notamment dit ce qui suit : [traduction] « Espèce de salope, tu m’as envoyé en prison et tu vas payer. N’oublie pas que tu as un fils ici et que lorsqu’on te renverra, ce sera la fin pour toi. Si jamais tu reviens à Saint‑Vincent, même si ce n’est que pour une visite, j’attendrai ». Dans l’arrêt RJR – MacDonald, précité, le tort irréparable était les coûts que les sociétés de tabac devraient assumer afin de se conformer aux lois qu’elles contestaient sur le plan constitutionnel. Dans Toth, précité, la question sérieuse à trancher était également de nature économique, c’est‑à‑dire la faillite possible d’une entreprise familiale. Cela n’a rien à voir avec la situation de Mme Brown.

 

[8]               Comme il a été souligné dans l’arrêt RJR – MacDonald, précité, le critère de la prépondérance des inconvénients a été décrit par le juge Beetz dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, au paragraphe 35, comme un critère qui consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond ». Si aucun sursis n’est accordé, que la demande sous‑jacente est rejetée, l’inconvénient subi par le ministre est un léger retard dans l’exécution du renvoi. Si un sursis n’est pas accordé et que la demande sous‑jacente est accueillie et que la tenue d’une nouvelle audience est ordonnée, cela peut devenir sans portée pratique car, entre‑temps, Mme Brown aura pu se faire assassiner à Saint‑Vincent.

 

[9]               Pour ces motifs, un sursis sera accordé. Dans l’arrêt RJR – MacDonald, précité, on fait observer que des décisions de ce genre doivent être rendues rapidement, et ce, en se fondant sur un examen très limité d’un dossier limité. L’accueil de la demande de sursis ne signifie pas que la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire sera accueillie et le cas échéant, que la demande de contrôle judiciaire sera également accueillie.


ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue quant à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-5310-06

 

INTITULÉ :                                             Leila Brehelia Trimmingham Brown

                                                                  Omar Trimmingham

                                                                  c.

le ministre de la citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 16 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 18 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

 

POUR LES DEMANDEURS

Michael Butterfield

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

POUR L’INTIMÉ

 

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