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Date : 20061019

Dossier : IMM-5459-05

Référence : 2006 CF 1252

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Mosley   

 

 

ENTRE :

MAGDA AHMED ABDAL RAHIM

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madame Magda Ahmed Abdal Rahim (la demanderesse) demande un contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas (l’agent) » datée du 8 novembre 2005 dans le cadre de laquelle l’agent a rejeté la demande de parrainage des deux fils de la demanderesse, Khalid Faroug Tawfig Khafaga (Khalid) et Omar Faroug Tawfig Khafaga (Omar) en tant que membres de famille (dépendants) pour une résidence permanente au Canada. La demanderesse et ses fils sont citoyens du Soudan.

 

[2]               La demanderesse a obtenu le statut de réfugié en septembre 2003 et a demandé la résidence canadienne pour elle et ses deux fils peu de temps après. La demanderesse a inclus ses fils en tant que 

codemandeurs sur la demande de résidence permanente. 

 

[3]               L’agent a interviewé les fils de la demanderesse le 13 mars 2005 en ce qui concerne sa demande. Les fils de la demanderesse ont présenté des certificats scolaires, des certificats de naissance et des passeports comme preuves d’identité. L’agent a rejeté la demande de parrainage le 23 mars 2005.  

 

[4]               Le dossier certifié du tribunal a été déposé et signifié tel que requis le 30 juin 2006. Les pages 50, 53, 56, 57 et 108 n’ont pas été divulguées. Le 14 août 2006, le protonotaire Lafrenière a rendu une ordonnance autorisant le défendeur à déposer un dossier du tribunal modifié. Des parties de la page 50, la totalité des pages 56 et 57 et des parties de la page 108 n’ont toujours pas été divulguées. 

 

[5]               Par la suite, une requête en vertu de l’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (L.C. 2001, ch. 27) (LIPR) a été déposée par le défendeur afin de d’empêcher la divulgation des renseignements non divulgués. J’ai d’abord entendu le défendeur en privé en ce qui concerne cette requête. Par conséquent, les pages ont été divulguées à la demanderesse et certaines parties étaient caviardées. J’ai ensuite entendu les deux parties publiquement le 12 octobre 2006. À ce moment, l’avocat de la demanderesse a mentionné qu’ils était d’accord avec le dossier certifié modifié. En conséquence, la requête liée à l’article 87 a été accordée et une ordonnance liée à ce qui figure ci-haut a été formulée. 

 

 

DÉCISION

 

[6]               Une lettre datée du 23 mars 2005 de l’agent ainsi que les notes de l’agent dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) prises en relation avec les entrevues avec Omar et Khalid ont été présentées comme constituant les motifs de la décision prise par l’agent.  

 

[7]               L’agent a conclu dans sa lettre que les certificats scolaires présentés par les fils de la demanderesse avaient des timbres frauduleux et qu’il n’était pas convaincu qu’ils avaient fourni les bonnes dates de naissance. L’agent a précisé que les documents qui lui étaient présentés l’empêchaient de déterminer que les fils de la demanderesse correspondaient à la définition de membre de famille en vertu de la LIPR et de son Règlement. L’agent a donc également conclu qu’il n’était pas convaincu que les fils de la demanderesse étaient admissibles. Par conséquent, il a rejeté la demande.

 

[8]               Les notes de l’agent dans le STIDI précisent clairement qu’il a interrogé Khalid au sujet des circonstances qui lui avaient permis d’obtenir un certificat scolaire et un certificat de naissance. Cependant, il n’est pas beaucoup question du passeport de Khalid. Conformément à l’interrogatoire manifeste dans les notes du STIDI, il est clair que Khalid n’a pas obtenu son certificat scolaire grâce aux moyens habituels, car il n’a pas fait son service militaire. Il semble qu’il s’agisse d’une exigence à remplir avant que les écoles soudanaises remettent un certificat. L’agent a exprimé ses préoccupations dans ses notes au sujet de l’authenticité du document, en mettant l’accent sur le fait qu’il estimait qu’il y avait une erreur d’orthographe sur le timbre estampillé sur le document, alors qu’un « v » a été utilisé dans le mot éducation, plutôt qu’un « u ». L’agent a également demandé à Khalid comment il avait obtenu son certificat de naissance. Khalid a expliqué que son oncle l’avait obtenu pour lui, puisqu’il était davantage en mesure de le faire que Khalid.  

 

[9]               Les notes du STIDI précisent clairement que l’agent avait des préoccupations semblables au sujet des documents fournis par Omar.   Après avoir interrogé Omar sur son certificat scolaire et son certificat de naissance, l’agent a formulé ses préoccupations à l’endroit d’Omar de la façon suivante :

 

[traduction]

Laissez-moi vous faire part de mes préoccupations. Votre frère et vous avez présenté des documents scolaires dont les timbres qui sont estampillés sont frauduleux. Vous en savez très peu sur la provenance de votre certificat de naissance. Votre frère a mentionné que votre oncle a obtenu son certificat de naissance pour lui parce qu’il n’avait pas les documents nécessaires pour le faire lui-même. Je soupçonne que vos certificats de naissance et vos passeports ont été soit émis de façon inappropriée soit obtenus de façon inappropriée. Votre mère devait avoir 37 et 38 ans lorsque vous êtes nés; cela n’est pas impossible, mais peu probable, étant donné qu’au Soudan, les femmes se marient à un jeune âge. Vous n’êtes pas en mesure de me dire l’âge de votre mère lorsque vous êtes nés. Vous avez formulé des déclarations contradictoires au sujet des visites de votre père. Votre témoignage n’était pas spontané; vous étiez hésitants et parfois, vous ne répondiez tout simplement pas. Pour toutes ces raisons, j’ai des doutes quant à votre âge véritable. Avez-vous quelque chose à ajouter? [original en MAJUSCULES, erreurs typographiques corrigées].

 

[10]           Conformément aux notes, il semble qu’aucun résumé des préoccupations n’ait été fourni à Khalid au cours de son entrevue.

 

QUESTIONS

 

[11]           Les présentations des parties ont soulevé les questions suivantes :

 

1.      L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de faire part de ses préoccupations ou de faire part de ses préoccupations de façon adéquate aux fils de la demanderesse en ce qui concerne leurs documents?

2.      L’agent a-t-il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose?

 

 

 

 

ANALYSE

           

Norme de contrôle judiciaire

 

[12]           La question à savoir si l’agent a véritablement permis aux fils de la demanderesse de répondre à ses préoccupations est une question d’équité procédurale : Khwaja c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 522, [2006] A.C.F. No 703 (QL) [Khwaja]. Il est clairement établi que les questions d’équité procédurale devraient être évaluées en fonction d’une norme de la décision correcte : Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, 2001 CSC 4 au paragraphe 65. Lorsqu’un manquement au devoir d’agir équitablement est constaté, la décision doit être annulée : Benitez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. No 631 au paragraphe 44 (QL) [Benitez]; Sketchley c. Canada (procureur général), 2005 FCA 404, [2005] F.C.J. No. 2056 au paragraphe 54 (QL).

 

[13]           Dans le contexte des conclusions de fait, la Cour a soutenu que la décision discrétionnaire d’un agent des visas devrait comporter le niveau de défense le plus élevé, soit le caractère manifestement déraisonnable : Shi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1224, [2005] A.C.F. No 1490 au paragraphe 3 (QL) [Shi]; Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Navarrete, 2006 CF 691, [2006] A.C.F. No 878 au paragraphe 17 (QL). En ce qui concerne cette norme, la Cour ne devrait pas intervenir, à moins qu’elle soit en mesure de démontrer que l’agent des visas a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents ou s’est appuyé sur des considérations inappropriées ou étrangères : Shi, ci-haut au paragraphe 3.

 

 

1. Occasion de répondre

 

[14]           Comme la Cour l’a souligné dans Rukmangathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, [2004] A.C.F. No 317 aux paragraphes 22, 23 (QL), [traduction] le devoir d’agir équitablement peut nécessiter que les représentants de l’immigration informent les demandeurs de leurs préoccupations afin qu’ils puissent avoir l’occasion d’« éclaircir les doutes » d’un agent en ce qui concerne de telles préoccupations, même lorsque qu’elles découlent d’éléments de preuve fournis par le demandeur. Cependant, ce principe d’équité procédurale ne peut être étiré au point de nécessiter qu’un agent des visas fournisse à un demandeur une « fiche de pointage » de la faiblesse de sa demande. Cependant, lorsqu’un agent soupçonne qu’un demandeur a présenté des documents frauduleux, l’agent doit lui donner l’occasion de répondre à cette préoccupation : Cornea c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972, [2003] A.C.F. 1225 au paragraphe 8 (QL).

 

[15]           De plus, lorsque l’avis d’une préoccupation donnée n’est fourni que durant l’entrevue en tant que telle, l’agent des visas doit permettre accorder suffisamment de temps au demandeur pour fournir une réponse significative aux allégations : Khwaja, ci-haut au paragraphe 17. Dans un tel cas, le devoir d’informer les demandeurs des affaires qui pèsent contre eux sera rempli lorsque [traduction] « l’agent des visas adopte une série de questions appropriées ou formule des demandes de renseignements raisonnables qui permettent au demandeur de répondre » : Liao c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F No 1926 (1re inst.) (QL) au paragraphe 17.

 

[16]           Par conséquent, tant qu’un demandeur est confronté aux préoccupations de l’agent dans son entrevue et qu’il se voit accorder la possibilité d’y répondre, le devoir d’agir équitablement est respecté. Par ailleurs, le moment auquel cela se produit au cours de l’entrevue est sans importance : Khwaja, ci-haut au paragraphe 18.

 

[17]           Dans le contexte de la présente affaire, l’agent a fourni à Omar un résumé de ses préoccupations à la fin de son entrevue. Dans son résumé, il a souligné qu’il soupçonnait qu’Omar et Khalid avaient fourni des documents scolaires comportant des timbres frauduleux et que leurs passeports et certificats de naissances étaient émis de façon inappropriée ou obtenus de façon inappropriée. L’agent a aussi demandé si Omar avait quelque chose à ajouter. Par conséquent, malgré le fait que la série de questions de l’agent durant l’entrevue ne comportait que des questions sur la façon dont Omar a obtenu son certificat de naissance et son certificat scolaire, on ne peut pas affirmer qu’éventuellement, il n’a pas présenté la pleine portée de ses préoccupations à Omar. De plus, si Omar estimait qu’il avait besoin de plus de temps pour recueillir des éléments de preuve qui permettrait d’éclaircir les doutes quant aux préoccupations de l’agent, il aurait dû le demander. Il incombait à Omar de présenter cette demande et qu’il ne l’ait pas fait ne constitue pas un manquement au devoir d’agir équitablement par l’agent : Khwaja, ci-haut au paragraphe 21.

 

[18]           Dans les notes de l’agent dans le STIDI, il est clair que Khalid n’a pas eu la même occasion de répondre aux préoccupations de l’agent. Au cours de cette entrevue, l’agent n’a pas fourni à Khalid un résumé de ses préoccupations comme celui qu’il a fourni à Omar. L’agent a interrogé Khalid sur l’origine de son bulletin scolaire et de son certificat de naissance. Selon la série de questions qu’il a posées qui figure clairement dans les notes du STIDI, il était évident qu’il avait des préoccupations quant à l’authenticité du certificat scolaire. Cependant, le fait qu’il ait eu d’autres préoccupations au sujet du certificat de naissance de Khalid, après que celui-ci a expliqué pourquoi son oncle avait obtenu ce document pour lui, n’était pas clair. De plus, l’origine du passeport de Khalid n’a pas fait l’objet d’une discussion et son authenticité n’a pas été remise en question par l’agent. Malgré tout, la lettre et les notes de l’agent dans le STIDI mises ensemble, il est évident qu’il s’est appuyé sur ses préoccupations en ce qui concerne les trois documents de Khalid en rejetant la demande. 

 

[19]           En ne formulant pas ses préoccupations à Khalid et en ne lui donnant pas la possibilité raisonnable de répondre, l’agent a manqué à son devoir d’agir équitablement. Par conséquent, la décision sera annulée et sera renvoyée à un autre agent afin que la demande soit examinée de nouveau. 

 

 

 

2.  Conclusions de fait

 

[20]           J’estime que les raisons de l’agent, sans égard au manquement à l’équité procédurale dont il est question ci-dessus, ne sont pas manifestement déraisonnable, dans l’ensemble. Ceci dit, je tiens à mettre l’accent sur deux conclusions de l’agent qui, à mon avis, ne sont pas raisonnables, lorsque je les examine séparément.

 

[21]           Premièrement, l’agent a tiré une conclusion défavorable en ce qui concerne le fait selon lequel Omar et Khalid auraient offert des réponses contradictoires en ce qui concerne « les visites de leur père ». L’agent n’a pas demandé à Khalid à quand remontait la dernière visite de son père; il a demandé où il se trouvait, depuis quand ils étaient séparés et s’ils entretenaient toujours des liens.   Khalid a répondu que son père était en Arabie Saoudite, qu’ils étaient séparés depuis l’école primaire et qu’ils entretenaient toujours des liens. Ces réponses supposent que Khalid a vraisemblablement compris que la question sur la séparation portait sur le moment auquel son père a quitté la maison familiale. L’agent a aussi demandé à Omar depuis combien de temps il était séparé de son père. Omar a répondu que son père [traduction] « avait l’habitude de venir les voir, mais ils ne l’avaient pas pendant un an ». La réponse d’Omar indique qu’il a vraisemblablement estimé que la question portait sur la dernière fois qu’il avait vu son père. L’agent a ensuite dit à Omar que selon Khalid, ils n’avaient pas vu leur père depuis plusieurs années. Omar a répondu que leur dernière visite remontait à deux ans. Par conséquent, l’agent a conclu que les frères avaient fait des déclarations contradictoires au sujet des « visites du père ». Il ne s’agissait pas d’une conclusion raisonnable, dans les circonstances de l’affaire. De plus, l’agent n’a pas fait part à Khalid de sa préoccupation à ce sujet.

 

[22]           Deuxièmement, il était manifestement déraisonnable que l’agent tire une conclusion défavorable en fonction de l’âge de la demanderesse. Aucun élément de preuve au dossier ne justifie cette conclusion. L’agent n’avait aucune raison de conclure qu’il s’agissait des deux seuls enfants de la demanderesse et n’avait aucune preuve que les mères soudanaises cessent d’avoir des enfants à un certain âge.

 

[23]           En conséquence, en fonction du manquement à l’équité procédurale, la demande est accordée. La décision de l’agent est annulée et l’affaire sera renvoyée aux fins de révision à un autre agent.

 

[24]           Aucune question grave de portée générale n’est soulevée et aucune ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accordée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley «

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AUDOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5459-05

 

INTITULÉ :                                       MAGDA AHMED ABDAL RAHIM

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MOSLEY J.

 

DATE :                                               Le 19 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Randal Montgomery

 

POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

RANDAL MONTGOMERY

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, Q.C.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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