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Date :  20061026

Dossier :  IMM-7322-05

Référence :  2006 CF 1269

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

LAABOU, KHALID

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               [11]      L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity [sic]. La Cour ne l'accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada , sont réunies :

 

a) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

 

b)   l’obligation doit exister envers le demandeur;

c)   il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, notamment, le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

 

d)   le demandeur n’a aucun autres recours;

e)   l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

 

f)    dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé; et

 

g)   compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

(Khalil c. Canada (Secrétaire d’état), [1999] A.C.F. no 1093 (QL), au paragraphe 11, qui a repris les critères énoncés dans la cause de cette même Cour dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (QL).)

 

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

 

[2]               Il s’agit d’une demande d’autorisation en mandamus par le demandeur, afin qu’il soit ordonné à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), de rendre une décision à l’égard de sa demande de dispense de visa de résident permanent selon la « catégorie de personne dont le cas comporte des considérations humanitaires » et sous la « catégorie des époux ou conjoints de faits au Canada ».

 

FAITS

[3]               Le demandeur, M. Khalid Laabou, est un homme de 32 ans, citoyen du Maroc. Il est arrivé au Canada en novembre 2003. Le 1er décembre 2003, il a fait une demande de statut de réfugié laquelle a été rejetée par la Section du statut de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié le 26 mai 2004. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée par le demandeur à l’encontre de la décision.

[4]               Le 7 mars 2004, M. Laabou a épousé Mme Hayat El Mouda, résidente permanente du Canada. Le 6 juin 2005, est né un fils de leur union.

 

[5]               Le 5 juillet 2004, M. Laabou a fait une demande de dispense de visa de résident permanent dans la « catégorie de personne dont le cas comporte des considérations humanitaires » (« DRP pour des considérations humanitaires (CH) ») à laquelle il a joint une demande de parrainage et d’engagement signée pas son épouse.

 

[6]               M. Laabou allègue qu’en juillet 2005, il fut informé que sa demande serait traitée dans la catégorie réglementaire des époux ou conjoints de fait au Canada en vertu de la nouvelle politique ministérielle de février 2005; une nouvelle demande de parrainage a donc été signée par l’épouse de M. Laabou à cet effet. Pour ce motif, M. Laabou a accepté de signer un formulaire de non intention à l’évaluation d’Examen des risques avant le renvoi (ERAR).

 

[7]               Le 25 juillet 2005, le traitement de sa demande DRP pour des considérations d’ordre humanitaires a eu lieu, un nouvel engagement de parrainage a été signé et un certificat de sélection lui a été émis. Aucun frais n’a été exigé et perçu pour cette demande puisqu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle DRP mais simplement de l’étude de la DRP déposée en juillet 2004.

 

[8]               Le 13 octobre 2005, l’épouse de M. Laabou a quitté le domicile conjugal avec leur enfant et ce, sans laisser d’adresse. Les raisons qui l’ont motivée ont été oblitérées du dossier du tribunal. M. Laabou allègue qu’il a dû loger une plainte à la police pour retracer son fils, laquelle a réussi à le localiser le 4 novembre 2005, sans pouvoir fournir au demandeur sa nouvelle adresse.

[9]               Un peu plus d’un mois plus tard, M. Laabou a déposé une requête en séparation de corps devant la Cour supérieure du Québec, demande qui ne semble pas avoir été entendue. M. Laabou et son épouse ne font plus vie commune depuis ce temps.

 

[10]           Le Ministre prétend que l’épouse du demandeur a présenté par écrit à CIC une demande pour annuler son parrainage le 14 octobre 2005. M. Laabou dit ne jamais avoir été informé de l’existence ou des motifs de la demande de retrait de parrainage de la part de son épouse. De plus, ce dernier dit qu’il n’a jamais eu la chance de soumettre ses arguments à l’encontre de cette demande.

 

[11]           Le Ministre allègue que la demande de retrait de parrainage aurait été acceptée par CIC puisqu’aucune décision finale n’avait encore été prise eu égard à la DRP du demandeur. M. Laabou nie ce fait.

 

[12]           Le Ministre prétend que, considérant le retrait de l’engagement de parrainage, le demandeur ne répond plus aux exigences de la politique publique sur les conjoints et ne pouvait plus ainsi voir sa DRP évaluée en fonction des dispositions de la catégorie des époux ou conjoint de faits au Canada. La demande de M. Laabou devait donc être évaluée en fonction des dispositions générales CH prévues dans le Guide, intitulé IP5. M. Laabou conteste ce fait.

 

[13]           Le 26 octobre 2005, lors  de la rencontre à CIC visant à compléter le dossier de parrainage, l’épouse de M. Laabou ne s’est pas présentée.

 

[14]           M. Laabou prétend qu’il a été informé, le 1er novembre 2005, que sa demande de résidence permanente n’avait pas été refusée, mais plutôt transférée à l’ERAR afin d’évaluer les motifs humanitaires ainsi que les risques de renvoi.

 

[15]           Le Ministre prétend que la demande de parrainage qui avait été déposée par son épouse avait été retirée et dit avoir avisé M. Laabou le 22 novembre 2005.

 

[16]           Le 14 décembre 2005, il s’ensuit que l’agent d’ERAR a évalué la demande de M. Laabou selon les procédures générales, en examinant si ce dernier s’exposait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’il devait quitter le Canada pour présenter sa demande de sa DRP pour considérations humanitaires à l’étranger. Cette demande a été rejetée.

 

[17]           Ainsi, M. Laabou demande à la Cour d’ordonner au CIC de rendre une décision sur sa demande de résidence permanente sous la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, affirmant en substance que le retrait de parrainage n’est pas valide.

 

[18]           M. Laabou prétend qu’un défaut de statuer sur la demande viole l’équité procédurale et l’expectative légitime compte tenu que le parrainage de son épouse est toujours valide, laissant ainsi le dossier de ce dernier en état d’être accepté.

 

QUESTION EN LITIGE

[19]           Est-ce que les conditions préexistantes pour qu’un bref de mandamus soit émis sont remplies ?

[20]           La Cour soutient que M. Laabou n’a pas satisfait aux conditions qui sont nécessaires afin de justifier le recours à un bref de mandamus et ce, puisqu’il ne remplit plus une des conditions essentielles de l’admission comme résident permanent dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et les questions soulevées par la demande sont théoriques.

 

            Les conditions pour l’émission d’un bref de mandamus

 

[21]           Un bref de mandamus est un recours extraordinaire qui ne trouve application que dans des circonstances limitées.

 

[22]           Les conditions préexistantes pour qu’un bref de mandamus soit émis ont été identifiées dans la jurisprudence et sont clairement mentionnées dans la cause de la Cour d’appel fédéral Khalil, ci-dessus, qui a repris les critères énoncés dans la cause de cette même Cour dans Apotex, ci-dessus :

[11]      L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity [sic]. La Cour ne l'accorde que si les conditions suivantes, définies par le juge Robertson dans Apotex Inc. c. Canada , sont réunies :

 

a) il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause;

 

b)   l’obligation doit exister envers le demandeur;

c)   il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation et, notamment, le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

 

d)   le demandeur n’a aucun autres recours;

e)   l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

 

f)    dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé; et

 

g)   compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

 

a)   Conditions préalables donnant naissance à l’obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de la cause

 

[23]           M. Laabou argumente que, puisque le parrainage est toujours valide, CIC a une obligation légale de rendre une décision afin de déterminer si le demandeur rencontre les exigences sous la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[24]           Afin de mieux répondre à cette allégation, la Cour situera la présente affaire dans son contexte législatif. Ensuite, la Cour examinera les critères qui font obstacles à la demande d’autorisation en mandamus de M. Laabou. 

 

i)    L’économie des règles régissant les demandes de résidence permanente parrainées

 

 

[25]           En vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi),  « tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ». Cette catégorie est établie « en fonction de la relation [que les étrangers] ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou de mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement ». (paragraphe 12 (1) de la Loi). Le traitement d’une demande de résidence permanente parrainée est donc double : la demande de résidence d’une part et le parrainage d’autre part.

[26]           Conformément aux articles 10 de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains (Accord) et l’article 14 de la Loi, le gouverneur en conseil a prévu trois catégories d’étrangers qui peuvent demander la résidence permanente au Canada sans présenter la demande de visa préalable (paragraphe 11(1) de la Loi) soient: (1) la catégorie des aides familiaux; (2) la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada; et (3) la catégorie des résidents temporaires protégés. Seule la deuxième est pertinente en l’espèce.

 

[27]           Selon l’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), trois conditions sont imposées au demandeur qui réclame la résidence permanente d’une telle catégorie : (1) il doit être l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vivre avec lui au Canada; (2) il doit détenir le statut de résident temporaire au Canada; et (3) une demande de parrainage doit avoir été déposée à son égard. Le non respect par le demandeur d’une des conditions d’obtention de la résidence permanente est fatal à sa demande.

 

ii)   Le non-respect des conditions d’obtention de la résidence permanente parrainée qui font obstacles à la demande d’autorisation de mandamus de M. Laabou

 

 

[28]           En l’espèce, il y a eu une demande écrite de retrait de parrainage par l’épouse du demandeur qui a été acceptée par CIC le 14 octobre 2005. De plus, M. Laabou a été avisé de ce retrait le 22 novembre 2005. Il appert donc que le retrait de parrainage est valide et que M. Laabou ne remplit la troisième condition énoncé à l’article 24 du Règlement.

 

[29]           Toutefois, en supposant que le demandeur n’aurait pas été informé de la demande de retrait de parrainage de son épouse, qui n’est pas clair à la lumière des preuves déposées, l’aveu de M. Laabou selon laquelle il n’habite plus avec son épouse fait obstacle à sa demande de résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[30]           En effet, l’article 124a) du Règlement dispose :

124.      Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

[…]

124.      A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

 

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

 

[31]           Le critère applicable n’a rien à voir avec l’intention des époux de vivre ensemble. Le fait que M. Laabou ne soit pas celui qui ait quitté le nid conjugal ne l’est pas non plus. De toute façon, la requête en séparation de corps de M. Laabou prouve que ce dernier n’avait plus l’intention de vivre avec son épouse.

 

[32]           En cherchant à être délié de cette obligation, M. Laabou a clairement indiqué qu’il ne remplissait plus une des conditions essentielles de l’obtention de la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Il ne peut donc devenir résident permanent au Canada selon les termes du paragraphe 72(1)d) du Règlement:

72.      (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

[…]

d) il satisfait aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;

[…]

72.      (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

(d) they meet the selection criteria and other requirements applicable to that class;

 

[33]           M. Laabou n’a donc pas droit à ce que la décision recherchée soit rendue, et, partant, il ne satisfait pas aux conditions d’émission d’un bref de mandamus, notamment celles d’avoir rempli à toutes les conditions préalables donnant naissance à l’obligation légale d’agir à caractère public. (Apotex, ci-dessus) Pour ces mêmes raisons, la balance des inconvénients ne favorise pas M. Laabou et les circonstances ne justifient pas la prise d’un bref de mandamus.

 

b)   Les questions soulevées par la demande sont théoriques

 

[34]           En sus de ce qui précède, il est inutile que la Cour se prononce sur la validité du retrait du parrainage, si tant est que cette question concerne directement M. Laabou : l’engagement est un contrat, donc un acte juridique mu par la volonté des parties, souscrit en faveur de l’État et non du demandeur, mais au bénéfice de l’étranger. (articles 131 et 137 du Règlement; article 42 du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers, Loi sur l’immigration au Québec (L.R.Q., c. 1-02, a. 3.3); R.R.Q. 1981, c. M-23.1, r. 2; L.Q. 1994, c. 15, a. 12. ; Québec (Procureur général) c. Kechichian, [2000] R.J.Q. 1730, [2000] J.Q. no 2049 (QL), aux paragraphes 14 à 27.)

 

[35]           De plus, l’engagement est devenu caduc. Si l’engagement lie le répondant dès qu’il est signé par un fonctionnaire à l’immigration (article 46.1 du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers), il ne produit d’effet que lorsque l’étranger devient résident permanent (Idem, art. 46.2.) Si l’étranger n’obtient pas ce statut – le demandeur n’a pas obtenu en l’espèce et ne l’obtiendra pas à moins d’une reprise volontaire de la vie commune et du respect de toutes les autres conditions – l’engagement ne prend jamais effet et devient caduc. (article 46.3 b) du Règlement sur la sélection des ressortissants étrangers).

 

CONCLUSION

[36]           M. Laabou ne peut obtenir la résidence permanente dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada puisqu’il ne vit plus avec son épouse. Outre le dépôt d’une demande de parrainage, cette condition est essentielle à l’obtention de la résidence permanente dans cette catégorie. Conséquemment, M. Laabou n’a pas rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à l’obligation légale d’agir à caractère public dans les circonstances de cette cause.

 

[37]           L’émission d’un bref de mandamus n’étant pas justifié, la requête est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que

 

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7322-05

 

INTITULÉ :                                       KHALID LAABOU

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOYON & ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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