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Date :  20061026

Dossier :  IMM-1233-06

Référence :  2006 CF 1270

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

ELIZABETH ALFARA BARAHONA

LOURDES MARIA ALFARO RAMOS

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               ... La révision d'une décision comme celle en l'espèce n'a rien d'un calcul arithmétique, mais il me semble que, lorsque la Commission a trouvé de nombreux motifs de douter qu'un requérant soit digne de foi et qu'elle a commis une erreur manifeste dans son choix d'une majorité importante de ceux-ci, il doit apparaître clairement à l'autorité chargée de la révision que les motifs qui restent ont été régulièrement considérés. Ceci n'est aucunement évident en l'espéce (sic). Des explications ont été offertes qui, à tout le moins, n'étaient pas manifestement invraisemblables, et la Commission n'en a aucunement traité dans sa décision. Le défaut de prendre une preuve substantielle en considération a été diversement qualifié par cette Cour dans le cadre de litiges où elle a accueilli des demandes fondées sur l'article 28. Dans l'arrêt Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652, mon collègue le juge Heald a dit au nom de la Cour:

 

Par conséquent, il appert que la Commission, au moment de prendre sa décision, n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve produite réguliérement [sic] devant elle. La Commission a donc commis une erreur de droit.

 

(Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL).)

 

NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire introduite en vertu du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 9 février 2006, statuant que les demanderesses n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni de « personnes à protéger » en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

FAITS

[3]               Les demanderesses, Mlle Elizabeth Alfaro Barahona, âgée de 22 ans, et sa cousine, Mlle Lourdes Maria Alfaro Ramos, âgée de 20 ans, toutes deux citoyennes du Honduras, allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution en raison du préjudice sérieux qu’elles risquent de subir en cas de retour dans leur pays d’origine.

 

[4]               Les demanderesses allèguent les faits suivants:

 

[5]               Mlle Barahona et Mlle Ramos sont les filles de deux frères, M. Manuel de Jesus Alfaro Escobar et M. José de Jesus Alfaro Escobar. Ces derniers sont les propriétaires de la compagnie « Transportes Alfaro » depuis 1997. Les demanderesses sont très impliquées dans les activités de la compagnie familiale.

 

[6]               Transportes Alfero fait concurrence à une autre compagnie de transport nommée « Transportes Galeas » appartenant aux membres de la famille Galeas. Au fil des ans, la rivalité entre les deux compagnies a pris une tournure vicieuse; la famille Galeas utilisant toutes sortes de stratagèmes pour se débarrasser de sa concurrente.

 

[7]               Le 22 décembre 2004, M. Galeas a tiré dans les pneus de l’autobus de la famille Alfaro. À la suite d’une plainte déposée par la famille Alfaro, M. Galeas a été convoqué au poste de police. Après le paiement d’une caution, ce dernier a, toutefois, rapidement regagner sa liberté.

 

[8]               Le 26 février 2005, deux individus armés sont montés dans l’autobus de la famille Alfaro pour perpétrer un vol. Un passager a promptement réagi, tuant sur le coup l’un des voleurs tandis que l’autre a pris la fuite. Les deux intrus étaient des employés de la famille Galeas.

 

[9]               Depuis cet incident, la famille Alfaro et leur chauffeur d’autobus ont été menacés de mort par des membres de la famille Galeas. Ces menaces ont entraîné la démission du chauffeur. À partir du 9 mars 2005, M. Jesus Abrego Alfaro, un cousin de la famille Alfaro, assura les fonctions de chauffeur. Le 30 mars 2005, M. Jesus Abrego Alfaro fut assassiné. La famille Galeas est alors soupçonnée d’être l’instigateur de ce crime. À la suite de ce terrible événement, la famille Alfaro a reçu d’autres menaces de mort.

 

[10]           Afin de les protéger, les parents de Mlle Barahona et Mlle Ramos ont organisé le départ de ces dernières du Honduras. Elles ont quitté le pays le 7 avril 2005 et sont entrées illégalement aux États-Unis le 2 mai 2005. Le 7 août 2005, les demanderesses sont arrivées au Canada et ont demandé l’asile. Leurs demandes d’asile furent entendues par la Commission le 1er décembre 2005.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[11]           La Commission a rejeté les demandes d’asile de Mlle Barahona et Mlle Ramos. Selon la Commission, les demanderesses « n’ont pas démontré qu’elles ont une crainte bien fondée de persécution ». De plus, la Commission ne croit pas que ces dernières « pourraient être exposées à une menace à leur vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, en cas de retour dans leur pays ». Au soutien de sa décision, la Commission a invoqué quatre motifs :

 

[12]           Premièrement, il y a des contradictions importantes entre les trois éléments de preuve suivants : (1) les déclarations au point d’entrée; (2) le formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mlle Barahona; et (3) le témoignage et la preuve documentaire de Mlle Barahona et Mlle Ramos. Ces contradictions sont les suivantes :

            (a)        La première contradiction concerne la raison pour laquelle les demanderesses sont les deux personnes les plus menacées de mort dans leur famille. À l’entrevue de point d’entrée, Mlle Ramos indiquait que toute la famille était menacée de mort. Cependant, Mlle Barahona déclarait qu’elle et sa cousine sont les plus menacées de mort puisqu’elles sont les enfants aînés de la famille Alfaro. Elles réitérèrent toutes deux cette déclaration à l’audience. Or, la preuve démontre qu’elles ont toutes deux des frères et sœurs aînés;

 

            (b)        La deuxième contradiction concerne la date à laquelle leurs problèmes ont commencé. À l’entrevue au point d’entrée, Mlle Barahona et Mlle Ramos indiquaient que leurs problèmes avaient commencé au mois de janvier 2005. Toutefois, dans son FRP, Mlle Barahona affirme que le premier incident grave aurait été l’attentat armé contre l’autobus familial survenu le 22 décembre 2004. De plus, à l’audience, Mlle Barahona et Mlle Ramos ont soutenu que les menaces de mort contre la famille Alfaro avaient débuté en janvier 2005. Néanmoins, le FRP de Mlle Barahona ne fait état d’aucune menace reçue au mois de janvier 2005.

            (c)        La troisième contradiction concerne la date à laquelle les demanderesses ont pris la décision de quitter le Honduras. Au cours de son entrevue au point d’entrée, Mlle Barahona a prétendu qu’elle avait décidé de quitter le Honduras au mois de février 2005 après avoir reçu des lettres de menaces de la famille Galeas. Selon son FRP et la lettre des parents des demanderesses, ces dernières auraient décidé de quitter le pays le 30 mars 2005 après l’assassinat de M. Jesus Abrego Alfaro. À l’audience, Mlle Barahona a réitéré qu’on lui avait suggéré de quitter le pays au mois de février 2005, à la suite de l’incident survenu le 26 février 2005 au cours duquel un intrus aurait été tué dans l’autobus.

 

[13]           Deuxièmement, Mlle Barahona et Mlle Ramos ont expliqué les divergences entre leur récit  écrit et leurs déclarations au point d’entrée en affirmant qu’elles étaient nerveuses au moment de l’entrevue au point d’entrée puisqu’elles avaient traversé plusieurs pays avant d’arriver au Canada. La Commission a toutefois jugé ces explications insatisfaisantes puisqu’il appert que les demanderesses ont séjourné chez un oncle à New York durant trois mois avant d’entrer au Canada.

[14]           Troisièmement, Mlle Barahona et Mlle Ramos n’ont fourni aucune preuve démontrant qu’elles étaient au Honduras du mois de janvier au mois de mars 2005.

 

[15]           Quatrièmement, Mlle Barahona et Mlle Ramos n’ont déposé aucune preuve les reliant personnellement aux incidents allégués :

            (a)        L’acte de convocation adressé à M. Galeas, le 22 décembre 2004, semble confirmer l’existence d’un incident à cette date, mais il ne permet pas d’y associer Mlle Barahona et Mlle Ramos;

            (b)        Bien que Mlle Barahona prétend avoir accompagné son père et son oncle au poste de police afin de déposer une plainte le 22 décembre 2004, aucun rapport de police n’a été déposé en preuve à la Commission;

            (c)        Le certificat de décès ne permet pas d’établir un lien entre l’assassinat de M. Jesus Abrego Alfaro, le 30 mars 2005, et la rivalité opposant les familles Alfaro et Galeas;

            (d)        La Commission a considéré la lettre rédigée par les pères des demanderesses et signée la veille de l’audience, mais il a jugé que cette lettre était clairement destinée à corroborer le récit des demanderesses et a refusé de lui accorder une valeur probante.

 

QUESTIONS EN LITIGE

1.         La Commission a-t-elle commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que Mlle Barahona et Mlle Ramos n’étaient pas crédibles ?

2.         La Commission a-t-elle errée en n’accordant pas de valeur probante à la lettre rédigée par les pères de Mlle Barahona et Mlle Ramos ?

3.         La Commission a-t-elle commise une erreur de droit en se fondant sur l’affaire Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238, [1990] A.C.F. no 604 (QL)?

 

NORME DE CONTRÔLE

[16]           L’évaluation de la crédibilité des témoins et de l’appréciation de la preuve relève de la compétence de la Commission. Ce dernier a une expertise bien établie pour trancher des questions de fait et, plus particulièrement, pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile. (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 14.)

 

[17]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour doit faire preuve d’une grande retenue puisqu’il appartient à la Commission d’apprécier le témoignage des demanderesses et d’évaluer la crédibilité de leurs affirmations. Si les conclusions de la Commission sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision de la Commission doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement en se fondant sur des conclusions de faits erronées ou en ignorant des éléments de preuve présentés. (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, [2005] A.C.S. no 39 (QL), au paragraphe 38; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4.)

 

 

ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que Mlle Barahona et Mlle Ramos n’étaient pas crédibles ?

 

[18]           Dans sa décision, la Commission a renvoyé à plusieurs incohérences et contradictions entre les déclarations au point d’entrée, le FRP et le témoignage de Mlle Barahona et Mlle Ramos. À la suite d’un examen approfondi de la preuve documentaire et du procès verbal de l'audience, la Cour estime que les divergences identifiées par la Commission ne sont pas des contradictions réelles, mais plutôt des malentendus à leur face même.

 

[19]           La première contradiction identifiée par la Commission, concernant la question de savoir si Mlle Barahona et Mlle Ramos sont les aînés de la famille Alfaro, est un malentendu qui peut se comprendre à la lecture du témoignage des demanderesses à l’audience.

 

[20]           À ce sujet, la Commission a écrit ce qui suit :

… Cependant Elizabeth déclarait qu’elle était, avec sa cousine Lourdes, les deux membres de la famille les plus menacés parce qu’elles étaient les aînées. Elles réitérèrent toutes deux cette déclaration à l’audience. Or ceci est clairement faux. Élizabeth a un frère, Daniel, né en 1971, qui est son aîné de 12 ans, et sa cousine Lourdes a, elle aussi, trois frères aînés et deux sœurs aînés. À l’audience, Élizabeth justifia ses déclarations erronées par le fait que son frère aîné s’est marié très jeune et ne s’occupe pas des affaires de la famille. Quant à Lourdes, elle fit valoir que ses sœurs et frères aînés n’habitent plus à la maison. Le tribunal ne juge pas ces explications satisfaisantes et estime que les demandeurs d’asile ont sciemment voulu dramatiser leur situation personnelle. Ce comportement entache leur crédibilité.

 

[21]           À l’audience, Mlle Barahona et Mlle Ramos ont pourtant expliqué pourquoi elles affirmaient être les « aînées » de la famille Alfaro :

 

[22]           Mlle Barahona a affirmé ce qui suit :

Q.        Et vous avez répondu tout à l’heure, madame Elizabeth Alfaro, que vous êtes la seule à avoir quitté votre pays parce que vous étiez la mieux renseignée concernant les activités de l’entreprise de transport, et que vous étiez les aînées des deux (2) familles.

 

R.         Oui

 

Q.        Mais au fond, selon vos FRP, vous n’êtes pas les aînées des familles. Vous vous avez un frère, Daniel, qui est né en 71.

 

R.         Il s’est marié lorsqu’il était très jeune. Il a toujours habité loin de chez nous. Il a jamais eu cette relation, un lien avec mes parents.

 

[23]           Pour sa part, Mlle Ramos s’explique ainsi  :

R.         Dans mon cas je dis que je suis la fille aînée, parce que j’habitais uniquement avec ma mère et mon père et ma sœur cadette. Mes autres frères habitent aussi au pays, mais ils habitent ailleurs, ils ont leur propre emploi.

 

[24]           Les réponses données par Mlle Barahona et Mlle Ramos sont satisfaisantes. En mentionnant qu’elles étaient les aînées de la famille Alfaro, les demanderesses voulaient dire qu’elles étaient les seules enfants habitant toujours avec leurs parents et s’occupant des affaires de la compagnie. C’est donc en vertu de ce lien avec la compagnie familiale et de la rivalité avec la famille Galeas que ces dernières craignent de subir un préjudice si elles retournent au Honduras.

 

[25]           Dans une affaire similaire, la Cour a décidé que les conclusions de non crédibilité fondées sur des incohérences peuvent faire l’objet de révision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 357, [2006] A.C.F. no 426 (QL); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL).)

21.       À mon avis, il s’agit d’une contradiction très mineure qui peut se comprendre à la lecture du témoignage du demandeur. Une telle contradiction ne saurait miner la crédibilité du demandeur. La SPR ne devrait pas faire preuve d’un zèle excessif pour trouver des contradictions là ou il n’y en a pas.

 

[26]           Dans cette affaire, la Cour a ainsi déclaré que la décision de la Commission était fondée sur certaines erreurs de fait et sur des malentendus qui ne pouvaient entacher la crédibilité du demandeur.

 

[27]           Dans le présent cas, la question de savoir si les demanderesses sont les aînés de la famille Alfaro n’est pas déterminante. Par conséquent, la Commission a erré en tirant une conclusion de non-crédibilité sur un malentendu non relié au nœud de la revendication.

 

[28]           La seconde contradiction notée par la Commission concernant la date à laquelle les problèmes des demanderesses ont débuté et la date à laquelle elles ont décidé de quitter le Honduras n’est pas une contradiction réelle, mais plutôt une imprécision qui se comprend à la lumière des explications données par Mlle Barahona à l’audience.

 

[29]           À cet égard, la Commission a écrit ce qui suit :

Au cours de l’entrevue du point d’entrée, le 7 août 2005, les deux demandeurs d’asile prétendaient que leurs problèmes avaient commencé au mois de janvier 2005 contrairement à l’énoncé circonstancié des faits, annexé au Formulaire de renseignements personnels (FRP) d’Elizabeth, selon lequel le premier incident grave aurait été l’attentat armé contre l’autobus familial, survenu le 22 décembre 2004, alors que celle-ci se trouvait à bord pour collecter l’agent auprès des passagers.

 

[30]           À l’audience, Mlle Barahona explique cette divergence ainsi :

Q.        Quand vous êtes arrivés au Canada, vous avez eu une entrevue avec un agent d’immigration?

R.         Oui

 

Q.        Vous déclarez, Elizabeth, dans cette entrevue, que les problèmes avaient commencé en janvier 2005.

 

R.         Parce que le vrai problème s’est produit le 26 février, mais antérieur à ça il y a eu toujours les menaces et tout ça.

 

Q.        Oui, mais vous avez dit que les problèmes avaient commencé en janvier 2005.

 

Q.        Pourquoi vous avez dit ça ?

 

R.         Parce que (sic) ont été les problèmes les plus forts entre la famille Galeas et nous.

 

Q.        C’était quoi ?

 

R.         C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à me menacer de mort.

 

Q.        Mais l’incident du 22 décembre 2004, quand ils ont tiré sur l’autobus, c’était pas un incident grave ?

 

R.         Non, mais après cet incident ils nous ont menacé à nous personnellement.

 

Q.        Oui, mais qu’est-ce qu’il y avait de si grave en janvier 2005 ?

 

R.         Ils nous ont menacées, ils ont tenté de nous séquestrer, enlever, mais ils n’ont pas réussi à le faire.

 

[31]           D’abord, les réponses de Mlle Barahona sont cohérentes. Elle précise que les menaces ont commencé le 22 décembre 2004 ce qui est conforme avec son FRP. Ensuite, elle explique les événements survenus en janvier et février 2006. Ces derniers événements ont accru sa crainte de persécution. La Commission avait des documents qui corroboraient le fait que le 22 décembre 2004 M. Galeas était sous enquête. Il appert donc que les problèmes de la famille Alfaro ont commencé à cette date.

 

[32]           La troisième contradiction identifiée par la Commission porte sur la date à laquelle les demanderesses ont décidé de quitter le Honduras.

 

[33]           Sur ce point, la Commission déclare ce qui suit :

Elizabeth prétendit lors de l’entrevue du point d’entrée, le 7 août 2005, avoir décidé de quitter son pays en février 2005 après avoir reçu des lettres de menaces. Pourtant, selon son FRP, ses parents et ceux de sa cousine auraient décidé de leur faire quitter le pays après l’assassinat de leur cousin, le 30 mars 2005. Confrontée à cette divergence, elle déclara qu’on leur avait suggéré de quitter le pays dès le mois de février 2005, suite à l’incident survenu dans l’autobus le 26 février 2005, au cours duquel un intrus aurait été tué. Le tribunal ne juge pas cette explication convaincante puisque cette information est omise dans son FRP.

 

[34]           Dans un premier temps, les explications des demanderesses n’ont pas à être « convaincantes » tel que l’affirme la Commission. Leurs explications doivent plutôt être raisonnables. Tel qu’indiqué dans Owusu, ci-dessus, on doit tenir compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables :

... La révision d'une décision comme celle en l'espèce n'a rien d'un calcul arithmétique, mais il me semble que, lorsque la Commission a trouvé de nombreux motifs de douter qu'un requérant soit digne de foi et qu'elle a commis une erreur manifeste dans son choix d'une majorité importante de ceux-ci, il doit apparaître clairement à l'autorité chargée de la révision que les motifs qui restent ont été régulièrement considérés. Ceci n'est aucunement évident en l'espéce (sic). Des explications ont été offertes qui, à tout le moins, n'étaient pas manifestement invraisemblables, et la Commission n'en a aucunement traité dans sa décision. Le défaut de prendre une preuve substantielle en considération a été diversement qualifié par cette Cour dans le cadre de litiges où elle a accueilli des demandes fondées sur l'article 28. Dans l'arrêt Toro c. M.E.I., [1981] 1 C.F. 652, mon collègue le juge Heald a dit au nom de la Cour:

 

Par conséquent, il appert que la Commission, au moment de prendre sa décision, n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve produite réguliérement [sic] devant elle. La Commission a donc commis une erreur de droit.

 

[35]           En l’espèce, les explications de Mlle Barahona sont vraisemblables. Il est possible qu’elle ait décidé de partir à la suite de l’incident survenu le 26 février 2005. Cette décision s’est confirmée lorsque M. Jesus Abrego Alfaro fut assassiné le 30 mars 2005. Il n’existe pas de contradictions réelles dans les faits invoqués. L’histoire prise dans son ensemble forme un tout cohérent; la chronologie des événements est plausible.

 

[36]           Par conséquent, la Commission a commise une erreur manifestement déraisonnable en décidant que les demanderesses n’étaient pas crédibles.

 

2.         La Commission a-t-elle errée en n’accordant pas de valeur probante à la lettre rédigée par les pères de Mlle Barahona et Mlle Ramos ?

 

[37]           Dans le présent cas, la Commission n’a pas accordé de valeur probante à la lettre rédigée par les pères de Mlle Barahona et Mlle Ramos au motif que cette lettre était « destinée à corroborer le récit des demandeurs d’asile ».

 

[38]           Dans sa décision, la Commission affirme ce qui suit:

Par ailleurs, le tribunal relève que les certificats de décès ne permettent pas d’établir un lien entre l’assassinat du cousin des demandeurs d’asile, le 30 mars 2005, et la rivalité opposant leur famille à la famille Galeas. Et encore moins de comprendre pourquoi les demandeurs d’asile auraient été les principales cibles de la famille Galeas après cet incident malheureux. Là encore, le tribunal n’a reçu en preuve aucun rapport de police mais plutôt une lettre, signée par les pères des deux demandeurs d’asile…

 

Le tribunal estime que cette lettre n’explique nullement pourquoi les demandeurs d’asile seraient les plus exposées que les autres membres de la famille qui sont toujours au pays…

 

 

[39]           Or, cette lettre explique deux éléments importants : (1) les raisons pour lesquelles les demanderesses étaient plus exposées que les autres membres de la famille aux menaces de mort provenant de la famille Galeas; et (2) le lien entre l’assassinat de M. Jesus Abrego Alfaro et la rivalité entre les familles Alfaro et Galeas.

 

[40]           Il est vrai qu’il appartient à la Commission d’examiner la preuve et d’en évaluer la force probante. En outre, la Commission n’a pas à se sentir lié par une preuve « intéressée » si le témoignage du demandeur d’asile est jugé non-crédible. Par contre, les contradictions à l’origine d’une conclusion de non-crédibilité doivent être manifestement invraisemblables, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. De même, la Commission doit motiver sa décision lorsqu’il décide de ne pas accorder de valeur probante à la preuve soumise, surtout si, comme en l’espèce, l’authenticité de la preuve n’est pas contestée.

 

[41]           Dans l’affaire Ngoyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 272 (QL), le juge Danièle Tremblay-Lamer devait statuer sur un élément de preuve documentaire dont l’authenticité n’avait pas été contestée. Elle s’exprima ainsi :

13.       … La Section du statut n’ayant pas mis en doute l’authenticité du document, elle devait à tout le moins reconnaître que cet élément de preuve ne contredisait pas le demandeur mais corroborait son récit quant au fait qu’il est décrit par les autorités de l’UDPS comme un combattant de l’UDPS et que sa disparition a été constatée…

 

[42]           En l’occurrence, la Commission a erré en omettant de motiver sa décision de ne pas accorder de valeur probante à la lettre rédigée par les pères des demanderesses. Ces dernières ont le droit de déposer des documents qui corroborent leur récit; surtout lorsque cette élément de preuve appuie directement leurs contentions.

3.         La Commission a-t-elle commise une erreur de droit en se fondant sur l’affaire Sheikh, ci-dessus ?

 

[43]           Dans sa décision, la Commission s’est appuyée sur l’affaire Sheikh, ci-dessus, pour fonder son raisonnement de non-crédibilité de Mlle Barahona et Mlle Ramos. Or, l’affaire Sheikh ne s’applique pas en l’espèce.

 

[44]           À cet égard, le tribunal s’exprime ainsi :

 …même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le tribunal peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication… En d’autres termes, une conclusion générale quant au manque de crédibilité du revendicateur peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. 

 

[45]           Tel qu’affirmé dans l’affaire Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1591 (QL), aux paragraphes 13-15, la référence à l’affaire Sheikh constitue une erreur de droit :

[13]      Le tribunal a justifié sa position en s’appuyant sur les propos suivants du juge MacGuigan dans l’arrêt Sheikh; il a jugé ces propos directement applicables en l’espèce, sans faire les distinctions que justifie maintenant un nouveau cadre législatif. Le tribunal a cité le passage suivant de l’arrêt Sheikh :

 

« (…) même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication […] En d’autres termes, une conclusion générale quant au manque de crédibilité du revendicateur peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de sont témoignage. »

 

[14]      Appliquant ces principes aux faits de l’espèce, le tribunal a conclu que dès lors qu’il avait jugé que le demandeur n’était pas crédible, il pouvait rejeter la revendication et ensuite conclure que la revendication du demandeur n’avait pas de minimum de fondement.

 

[15]      J’estime que le tribunal a commis, de ce fait, une erreur de droit en donnant à l’alinéa 69.1(9.1) une interprétation que l’arrêt Sheikh ne permet plus dans la mesure même ou cet arrêt avait été rendu dans un cadre législatif tout à fait différent.

 

[46]           Bien que cette décision repose sur l’ancienne Loi de l’Immigration, elle est toujours valide. En effet, dans le cadre législatif de la Loi, « la perception par un tribunal qu’un revendicateur n’est pas crédible sur un point important de sa revendication peut équivaloir à la conclusion qu’il n’y a pas de preuve crédible qui pourrait supporter la revendication » (Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 962, [2005] A.C.F. no 1211 (QL),au paragraphe 7; Touré c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 964, au paragraphe 10, [2005] A.C.F no 1213 (QL).)

 

[47]           Toutefois, cette décision ne s’applique pas en l’espèce, puisque la détermination de non-crédibilité de Mlle Barahona et Mlle Ramos, basée sur les prétendues contradictions entre les entrevues au point d’entrée, le FRP et les témoignages à l’audience ne portent ni sur le nœud de leurs revendications, ni même sur les contradictions réelles, mais plutôt des malentendus.

 

[48]           La Commission a donc erré en droit, en rejetant l’ensemble de la preuve, sur le principe invoqué dans l’affaire Sheikh, ci-dessus.

 

CONCLUSION

[49]           Pour toutes ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué afin d’être réexaminée.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et l’affaire soit

retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

 

 

                                                                                                            « Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1233-06

 

INTITULÉ :                                       ELIZABETH ALFARO BARAHONA

                                                            LOURDES MARIA ALFARO RAMOS

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEL LE BRUN, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE(S) DEMANDERESSES

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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