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Date : 20061020

 

Dossier : IMM‑4817‑05

 

Référence : 2006 CF 1256

 

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

 

ENTRE :

 

 

CHARLE HITTI, MUNA HITTI,

RANA HITTI ET ELIAS HITTI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Charle Hitti, son épouse Muna Hitti, et leurs deux enfants mineurs, Rana et Elias Hitti, sont de nationalité israélienne et ils sont des chrétiens catholiques arabes. La famille est arrivée au Canada en 2004 et a présenté une demande d’asile fondée sur l’origine ethnique et la religion. Le 4 juillet 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[2]               Dans leur demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, les demandeurs contestent la décision de la Commission. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer leur demande d’asile à une autre formation de la Commission, pour nouvelle décision.

 

LES DEMANDES D’ASILE

 

[3]               Dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP), les demandeurs disent qu’ils présentent une demande d’asile au Canada en raison du harcèlement constant et des menaces que doit subir chaque jour la famille en Israël. Plus précisément, ils demandent l’asile parce que les musulmans de Nazareth mettent leurs vies en danger. Les demandeurs vivaient dans une région où la population est composée à 80 p. 100 de musulmans. Ils affirment que les chrétiens des environs sont harcelés par leurs voisins musulmans.

 

[4]               Les demandeurs disent que les difficultés qu’ils connaissaient dans leur quartier ont débuté à l’automne de 1998, quand un différend a surgi entre musulmans et chrétiens à propos d’un terrain du centre‑ville de Nazareth. Une église et une école de confession chrétienne avaient été construites sur le terrain, mais les musulmans disaient que le terrain était sacré. Les demandeurs disent que les tensions se sont aggravées après que les musulmans eurent démoli l’école et érigé une tente sur le terrain. Des groupes musulmans se sont mis à faire obstacle aux prières des chrétiens, jetant des pierres à ceux qui sortaient de leurs églises, incendiant les magasins tenus par des chrétiens et harcelant les femmes chrétiennes.

 

[5]               En ce qui concerne leurs vies personnelles, les demandeurs prétendent que, à partir de 2000, la famille tout entière a été constamment exposée au danger. Ils prétendent qu’on crachait sur eux lorsqu’ils quittaient leur domicile et qu’on crevait les pneus de leur véhicule deux ou trois fois par semaine. Ils prétendent qu’il leur était impossible de se rendre à l’église les dimanches et fêtes, par crainte d’être agressés. Ils prétendent que, en 2000, Muna Hitti a commencé de recevoir des menaces : des musulmans lui téléphonaient ou venaient à la porte de son domicile pour la menacer d’agression sexuelle. Muna Hitti avait donc peur de quitter la maison. Les demandeurs prétendent aussi que Rana Hitti, qui avait alors 10 ans, fut témoin, dans leur quartier, de l’assassinat d’une femme musulmane par son mari musulman. Après cela, Rana a refusé de dormir dans sa propre chambre ou de marcher ou jouer dans le quartier.

 

[6]               Les demandeurs prétendent que la situation était devenue insupportable et que, en mars 2004, ils furent contraints de vendre leur appartement, à perte, et de quitter le quartier. Ils prétendent que, après leur installation dans un autre quartier, Muna Hitti a continué d’être harcelée.

 

[7]               Les demandeurs prétendent qu’ils ne pouvaient pas avertir la police parce que cela les aurait placés dans une situation encore plus compromettante. Ils prétendent aussi que la plupart des policiers de leur quartier sont des musulmans qui sont incapables d’empêcher les violences telles que fusillades et assassinats. Pour ce qui est d’aller vivre dans une autre région d’Israël, les demandeurs disent qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour louer un autre appartement et que, de toute façon, il n’y a pas de villes où ils se sentiraient en sécurité et qui disposent d’écoles et d’églises chrétiennes.

 

[8]               L’audition de la demande d’asile a duré trois jours : le 20 octobre 2004, le 20 décembre 2004 et le 14 mars 2005. Charle Hitti et Muna Hitti ont témoigné à l’audience sur leur demande d’asile. Aucun des demandeurs mineurs, Rana et Elias Hitti, n’a témoigné. Des conclusions écrites ont été présentées à la Commission par l’agent de la protection des réfugiés (APR) et par l’avocat des demandeurs, après l’audience finale.

 

 

REQUÊTE PRÉLIMINAIRE

 

[9]               Au début de l’audience du 20 octobre 2004 portant sur la présente demande d’asile, l’avocat des demandeurs a présenté une requête à la Commission la priant d’inverser l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives no 7 données par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Selon ces Directives, lorsque le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) n’intervient pas, le premier à interroger le demandeur d’asile est l’APR, suivi du commissaire qui préside l’audience. L’avocat qui représente le demandeur d’asile a alors la possibilité d’interroger le demandeur d’asile.

 

[10]           Dans ses conclusions écrites et lors des débats, l’avocat des demandeurs fait valoir que les Directives no 7 sont contraires à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Plus précisément, puisque c’est aux demandeurs qu’il appartient d’établir qu’ils ont besoin d’être protégés, la justice naturelle exige, selon leur avocat, qu’ils aient le droit de faire valoir leurs arguments comme ils l’entendent. On fait valoir que contraindre l’avocat des demandeurs de les interroger après l’APR et le commissaire rend problématique l’administration de la preuve et risque de causer des difficultés injustes et insurmontables aux demandeurs dans la défense de leur cause.

 

[11]           La Commission a rejeté, par écrit, le 30 novembre 2004, la requête des demandeurs. Affirmant qu’elle avait étudié les arguments de leur avocat, ainsi que les complexités particulières intrinsèques des instances en matière d’asile, la Commission a conclu que l’ordre des interrogatoires établi par les Directives no 7 ne porte pas atteinte aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. La Commission a aussi rejeté la requête des demandeurs, qui voulaient que soit constituée une autre formation de la Commission pour l’audition de la demande d’asile des demandeurs au motif que, selon eux, l’affectation du même commissaire à l’examen du bien‑fondé de la demande donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. La Commission a jugé que la preuve de partialité, réelle ou appréhendée, n’avait pas été rapportée et que, par ailleurs, la décision de la Commission relative à l’ordre des interrogatoires était sans rapport avec le bien‑fondé de la demande d’asile.

 

[12]           Les demandeurs ont par la suite sollicité l’autorisation d’exercer le recours en contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission relative à la requête préliminaire. Le 16 février 2005, la Cour a refusé cette autorisation, sous réserve du droit des demandeurs d’invoquer l’équité procédurale à l’occasion d’un éventuel recours en contrôle judiciaire de la décision de la Commission portant sur le bien‑fondé de la demande d’asile, au cas où la décision finale de la Commission serait défavorable aux demandeurs.

 

LA DÉCISION SUR LE FOND

 

[13]           Dans sa décision, la Commission a estimé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. Se fondant sur l’ensemble de la preuve et sur le droit applicable, elle a conclu qu’il était peu probable que les demandeurs seraient persécutés sans pouvoir obtenir de l’État une protection suffisante s’ils devaient rentrer en Israël. La Commission a donc rejeté leur demande d’asile, en application de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). En ce qui concerne l’article 97 de la Loi, la Commission a conclu que, puisque les demandeurs pouvaient obtenir de l’État israélien une protection suffisante, cela était décisif et que, par ailleurs, les demandeurs n’avaient pas prouvé qu’ils seraient personnellement exposés au danger. La Commission a cependant reconnu que, en ces temps difficiles, la population israélienne en général était exposée au danger.

 

[14]           La Commission a voulu savoir pourquoi les demandeurs n’avaient pas quitté leur quartier avant 2004 puisqu’ils craignaient pour leurs vies depuis 2000. Elle a jugé insuffisantes les raisons données par les demandeurs, qui ont expliqué que, s’ils n’avaient pas quitté leur quartier plus tôt, c’est parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour le faire. La Commission a relevé que le demandeur principal, Charle Hitti, prenait des vacances chaque année, avec sa famille, qu’il avait eu de l’argent pour acheter des billets d’avion pour le Canada pour toute la famille et qu’il avait une somme de 5 000 $ pour s’installer au Canada.

 

[15]           La Commission n’a pas cru non plus que, après leur déménagement, les demandeurs avaient continué d’être menacés par les musulmans de leur ancien quartier qui les avaient forcés à partir. Elle a estimé aussi que l’origine ethnique ou la religion des demandeurs était sans rapport avec les difficultés qu’avait connues la famille lorsqu’elle vivait avec la mère de Charle Hitti, à savoir l’entassement, ni avec le traumatisme vécu par Rana Hitti lorsqu’elle avait été témoin de l’assassinat d’une femme musulmane par son mari.

 

[16]           Dans ses motifs, la Commission a relevé que des personnes se trouvant dans la même situation que les demandeurs vivaient encore en Israël, dont le frère et la mère de Charle Hitti. Elle a examiné la preuve documentaire à l’appui, et estimé que les demandeurs ne pouvaient pas l’invoquer pour établir une crainte subjective de persécution en Israël, fondée sur leur origine ethnique ou leur religion. En ce qui concerne la lettre reçue du père Yusuf Essa, de l’Église maronite de Nazareth, la Commission a relevé que le père Essa ne précisait pas que la famille était visée par qui que ce soit, de sorte qu’elle ait été incitée à fuir au Canada. Par ailleurs, le père Essa disait que le demandeur principal [traduction] « avait décidé d’immigrer au Canada pour offrir un meilleur avenir à ses enfants. »

 

[17]           La Commission a aussi jugé qu’un article présenté par les demandeurs après l’audience n’était pas pertinent quant aux prétentions des demandeurs. L’article évoquait un incident impliquant des druses et des chrétiens, à Maghar. Selon la Commission, la documentation relative au pays faisait une distinction entre druses et musulmans. Finalement, s’agissant d’une coupure de presse où l’on pouvait lire qu’un cambrioleur avait volé une croix d’or dans une église copte de Nazareth, la Commission a fait valoir que l’article ne donnait nulle part à entendre que le vol était motivé par l’hostilité à l’égard des chrétiens.

 

[18]           S’agissant de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI), la Commission a examiné avec le demandeur principal la possibilité pour la famille d’aller vivre à Haïfa. Elle a relevé que Charle Hitti avait travaillé dans la banlieue de Haïfa durant 18 ans et qu’il n’avait eu aucune difficulté. M. Hitti a témoigné que ses enfants ne pourraient pas obtenir à Haïfa une éducation chrétienne en bonne et due forme. La Commission a reconnu que, selon Human Rights Watch, il existe en Israël, en matière d’éducation et de financement de l’éducation, une discrimination officielle qui favorise nettement les Juifs. Néanmoins, la Commission a conclu qu’un système éducatif existe pour les Arabes et qu’une éducation de qualité moindre n’est pas considérée comme une atteinte à un droit humain fondamental.

 

[19]           La Commission a reconnu que les chrétiens arabes d’Israël connaissent la discrimination, mais, selon elle, les difficultés particulières, même considérées cumulativement, que connaissaient les chrétiens arabes en général, ou les demandeurs eux‑mêmes, ne constituaient pas une forme de persécution. La Commission a fait valoir qu’il ne fait aucun doute que les Arabes ne sont pas traités de la même façon pour ce qui concerne la propriété foncière, l’accès aux services ou la possibilité d’obtenir un emploi dans les échelons supérieurs de l’administration. Toutefois, elle a aussi relevé que, même si le taux de chômage est plus élevé chez les Israéliens arabes, cela ne signifie pas que les Israéliens arabes ne peuvent pas trouver du travail. Par ailleurs, selon la Commission, il ressort clairement de la preuve documentaire que le gouvernement israélien fait le maximum pour protéger ses ressortissants, qu’ils soient Israéliens ou Arabes.

 

[20]           La Commission s’est aussi penchée sur le fait que les demandeurs ont tardé à quitter Israël et que le demandeur principal n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis lorsqu’il s’est rendu dans ce pays en 2003. La Commission a conclu que, bien que ces éléments n’étaient pas décisifs en eux‑mêmes, le fait que les demandeurs ont tardé à quitter Israël, et en outre qu’ils n’ont pas demandé l’asile à la première occasion, n’était pas révélateur d’une véritable crainte de persécution.

 

[21]           Nonobstant les conclusions susmentionnées, la Commission a examiné ensuite la question relative à la protection de l’État. Elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas rapporté une preuve claire et convaincante indiquant que eux ou les autres Arabes d’Israël, ne pouvaient pas obtenir de l’État une protection suffisante. Dans ses motifs, la Commission a relevé que les demandeurs n’avaient pas donné à la police la possibilité de leur assurer leur protection et d’enquêter sur les présumés faits d’agression et de harcèlement. Plus précisément, elle a relevé que, même si les demandeurs avaient sollicité l’aide d’un travailleur social de la municipalité, ils n’avaient pas sollicité l’aide de la police. Par ailleurs, la Commission a jugé qu’il aurait été dans l’ordre des choses que les demandeurs puissent produire un document attestant qu’un travailleur social était intervenu et n’avait pu les aider. Finalement, en ce qui concerne la preuve des demandeurs selon laquelle un voisin s’était adressé à la police deux fois en 2001, mais n’avait pu obtenir son aide, la Commission a conclu que les rapports ne faisaient nulle part état de l’intervention de la police ou du résultat de son enquête.

 

[22]           La Commission a fait valoir que, comme Israël est une démocratie, les demandeurs sont d’autant plus tenus d’épuiser tous les recours raisonnables pour obtenir la protection de l’État, avant de demander à un État étranger de les protéger. La Commission a notamment signalé que la justice en Israël est indépendante, et que de nombreux groupes locaux et internationaux de défense des droits de la personne sont présents en Israël pour aider Juifs et non‑Juifs, notamment l’Association de défense des droits civils, et les centres pour victimes d’agression sexuelle. En résumé, la Commission a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur obligation de réfuter la présomption selon laquelle leur État d’origine assure aux personnes une protection suffisante.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[23]           Les demandeurs soulèvent deux questions générales :

 

1.                  L’ordre adopté par la Commission pour l’interrogatoire des demandeurs d’asile contrevient‑il aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

 

2.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger?

 

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

 

 

Ordre des interrogatoires

 

 

[24]           Le 30 octobre 2003, dans le cadre de son plan d’action visant à réduire l’arriéré des demandes d’asile dont était saisie la Commission, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a émis les Directives no 7, qui précisent, entre autres choses, l’ordre réglementaire des interrogatoires durant les audiences tenues devant la Commission. Les dispositions des Directives no 7 qui sont pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

 

19. Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien‑fondé de son cas.

[...]

 

19. In a claim for refugee protection, the standard practice will be for the RPO to start questioning the claimant. If there is no RPO participating in the hearing, the member will begin, followed by counsel for the claimant. Beginning the hearing in this way allows the claimant to quickly understand what evidence the member needs from the claimant in order for the claimant to prove his or her case.

[...]

 

23. Le commissaire peut changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, la présence d’un examinateur inconnu peut intimider un demandeur d’asile très perturbé ou un très jeune enfant au point qu’il n’est pas en mesure de comprendre les questions ni d’y répondre convenablement. Dans de telles circonstances, le commissaire peut décider de permettre au conseil du demandeur de commencer l’interrogatoire. La partie qui estime que de telles circonstances exceptionnelles existent doit soumettre une demande en vue de changer l’ordre des interrogatoires avant l’audience. La demande est faite conformément aux Règles de la SPR.

 

23. The member may vary the order of questioning in exceptional circumstances. For example, a severely disturbed claimant or a very young child might feel too intimidated by an unfamiliar examiner to be able to understand and properly answer questions. In such circumstances, the member could decide that it would be better for counsel for the claimant to start the questioning. A party who believes that exceptional circumstances exist must make an application to change the order of questioning before the hearing. The application has to be made according to the RPD Rules.

 

24. Le commissaire limite la portée de l’interrogatoire par l’APR et le conseil des parties selon la nature et la complexité des questions à trancher. L’interrogatoire doit servir à obtenir l’information pertinente qui aidera le commissaire à rendre une décision éclairée. Les questions invitant le demandeur d’asile à simplement réciter l’exposé circonstancié du FRP n’aident pas le commissaire.

24. The member will limit the questioning by the RPO and counsel for the parties according to the nature and complexity of the issues. Questioning must bring out relevant information that will help the member make an informed decision. Questions that are answered by the claimant just repeating what is written in the PIF do not help the member.

 

 

Protection des réfugiés

 

 

[25]           Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Ces dispositions disposent :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[26]           En ce qui concerne la première question, la Cour doit, pour savoir s’il y a eu déni de justice naturelle ou d’équité procédurale, examiner les faits concrets de l’affaire et dire si le tribunal administratif concerné a observé les règles de la justice naturelle et de l’équité procédurale. Il est donc inutile que la Cour dise quelle norme de contrôle est applicable : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29. Si la Cour conclut qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, elle n’a pas à déférer à la décision de la Commission; elle l’annule.

 

[27]           En ce qui concerne la deuxième question, la conclusion essentielle de la Commission qui est contestée en l’espèce est que les épreuves qu’ont connues les demandeurs sont constitutives de discrimination, mais non de persécution. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hamdan, 2006 CF 290, au paragraphe 17, la juge Johanne Gauthier a jugé que la question de savoir si des faits de discrimination constituent une forme de persécution est une question mixte de droit et de fait, qui commande donc l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Au soutien de sa décision, la juge Gauthier cite la jurisprudence suivante : Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.); Al‑Mahamud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 315, 2003 CFPI 521; Tolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 218 F.T.R. 205, 2002 CFPI 334; et Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 581.

 

[28]           Dans l’arrêt Sagharichi, au paragraphe 3, la Cour d’appel fédérale s’était exprimée ainsi sur le contrôle d’une conclusion de la Commission selon laquelle un fait de discrimination n’équivaut pas à persécution :

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d’autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l’existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n’est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

 

 

[29]           M’inspirant de la jurisprudence ci‑dessus, je suis d’avis que la norme de contrôle à appliquer à la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs n’ont pas été persécutés est celle de la décision raisonnable.

 

[30]           Quant à la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI, il s’agit là d’une conclusion de fait. En général, la Cour doit déférer aux conclusions de fait tirées par la Commission, et elle ne peut intervenir que si la décision est manifestement déraisonnable : Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1re inst.) (QL).

 

[31]           Dans une décision récente, Ako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 647, le juge Yves de Montigny a confirmé que la norme de contrôle qu’il faut appliquer à la décision de la Commission qui concerne la PRI est la norme de la décision manifestement déraisonnable. Aux paragraphes 20 et 21, le juge de Montigny s’est exprimé en ces termes :

Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux questions de fait relevant du champ d’expertise d’un tribunal est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable. Plus particulièrement, la Cour a conclu à maintes reprises que c’est la norme qu’il convient d’appliquer relativement à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable : voir, par exemple, Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741; Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 601, [2004] A.C.F. no 731 (QL); Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 472, [2006] A.C.F. no 601 (QL); Shimokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 445, [2006] A.C.F. no 555 (QL); Bhandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 426, [2006] A.C.F. no 527 (QL).

 

Ayant pris en considération tous les facteurs pertinents qui sont requis lorsque l’on procède à une analyse pragmatique et fonctionnelle, ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Toronto (Ville) c. S.C.F.P, section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, 2003 CSC 63), je suis d’avis que, dans la présente espèce, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cela étant, la décision de la Commission commande un degré élevé de retenue. La décision doit donc être maintenue, sauf si elle est manifestement illogique et n’est étayée par aucune méthode d’analyse.

 

[32]           Vu les circonstances de la présente affaire, et compte tenu de tous les facteurs à retenir dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, je ne vois aucune raison de m’écarter des observations et de la conclusion du juge de Montigny. Je suivrai donc la norme de la décision manifestement déraisonnable pour évaluer la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI.

 

[33]           Dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58, 2005 CF 193, la juge Danielle Tremblay‑Lamer a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle de la question de savoir si l’État offrait une protection suffisante, et elle a conclu que la norme de contrôle à appliquer pour cette question était celle de la décision raisonnable. Cette norme a également été appliquée dans plusieurs décisions récentes de la Cour (voir par exemple Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 269; Robinson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 402; Larenas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159; et Codogan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 739). À mon avis, après avoir pris en compte tous les facteurs à retenir dans le cadre de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, c’est la norme de la décision raisonnable qu’il faut appliquer ici à la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient obtenir de l’État une protection.

 

ARGUMENTS

 

 

Les demandeurs

 

 

            1.         Ordre des interrogatoires

 

 

[34]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a dit que l’ordre des interrogatoires qui est fixé par les Directives no 7 n’est pas contraire aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Les demandeurs soutiennent plus précisément que, si l’avocat n’est pas autorisé à mener un « interrogatoire principal », cela nuit à la capacité du demandeur d’asile de plaider sa cause pleinement et équitablement.

 

[35]           À l’appui de cette thèse, les demandeurs se fondent sur les cinq facteurs exposés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 243 N.R. 22, qui servent à déterminer le contenu de l’équité procédurale en matière de droit administratif. Pour chacun des facteurs de l’arrêt Baker, les demandeurs font valoir les arguments suivants :

 

1)      le processus de détermination du statut de réfugié est de nature quasi judiciaire; de plus, contrairement à ce que donnent à entendre les Directives no 7, la Commission n’est pas une « commission d’enquête »;

2)      il n’y a aucun droit de faire appel d’une décision en matière d’asile rendue par la Commission; on ne peut uniquement en solliciter le contrôle judiciaire;

3)      les intérêts en jeu dans la procédure de détermination du statut de réfugié concernent la vie, la liberté et la sécurité de la personne;

4)      vu la formulation de l’alinéa 170e) de la Loi – qui prévoit que la personne en cause doit avoir la possibilité de produire des preuves, d’interroger des témoins et de présenter des observations – les demandeurs d’asile sont en droit de s’attendre à ce qu’il y ait un « interrogatoire principal ». Cette attente est d’autant plus légitime en l’espèce parce que le « droit » à un « interrogatoire principal » existait à l’époque où les demandeurs ont présenté leur demande d’asile;

5)      la loi donne à la Commission le droit de fixer elle‑même sa procédure, mais ce droit doit être conforme au niveau élevé des protections procédurales que commande la gravité de la situation des réfugiés.

 

[36]           Les demandeurs signalent d’autres facteurs qui, selon eux, attestent l’importance de reconnaître aux demandeurs d’asile le droit de mener un « interrogatoire principal », notamment :

1.                  les audiences en matière d’asile sont de nature nettement contradictoire;

2.                  le FRP ne saurait se substituer à l’« interrogatoire principal », surtout en raison du rôle essentiel que jouent les conclusions concernant la crédibilité dans l’audition des demandes d’asile;

3.                  les demandeurs d’asile sont méfiants par nature des agents de l’État;

4.                  les épreuves qu’ils ont connues et les divergences culturelles sont des facteurs qui influent grandement sur la capacité des demandeurs d’asile à se présenter, et sur la manière dont ils sont perçus; et

5.                  la présentation de témoignages par l’entremise d’un interprète peut souvent donner lieu à des malentendus involontaires.

 

[37]           Les demandeurs font valoir que les facteurs de la jurisprudence Baker imposent l’application du niveau le plus élevé des protections procédurales dans les instances en détermination du statut de réfugié, et cela comprend l’obligation de donner aux demandeurs d’asile le droit de mener l’« interrogatoire principal ».

 

[38]           Enfin, sur ce point, les demandeurs soutiennent que, dans plusieurs décisions, la Cour fédérale a conclu que, « en empêchant systématiquement leur avocat de diriger leur cause, la Commission a manqué à son devoir, envers les requérants, de tenir une audience équitable et elle a par conséquent commis une erreur susceptible de contrôle ». Voici la jurisprudence invoquée par les demandeurs : Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (QL); Ganji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1997), 135 F.T.R. 283, [1997] A.C.F. no 1120 (QL); Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998), 157 F.T.R. 258, [1998] A.C.F. no 1693 (QL); et Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124.

 

            2.         Thèse des demandeurs quant au fond

 

 

[39]           Les demandeurs font valoir que la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu’elle a dit qu’ils ne seraient pas, en cas de retour en Israël, persécutés en raison de faits cumulatifs de discrimination et de harcèlement. Ils soutiennent que, la Cour d’appel fédérale a reconnu que les faits cumulatifs de discrimination peuvent équivaloir à persécution (Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53, (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 317; Madelat c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 49 (QL); Oyarzo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] 2 C.F. 779; et Surujpal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1985), 60 N.R. 73).

Harcèlement personnel

 

[40]           Les demandeurs soutiennent que la Commission avait devant elle la preuve incontestée du harcèlement personnel dont ils étaient victimes. Ils ont affirmé, dans leurs arguments présentés à la Commission, que, s’ils n’avaient pas quitté Israël avant mai 2004, c’était parce qu’ils espéraient une amélioration de la situation, ce qui les aurait dispensés de demander l’asile. Ils ont dit que cet espoir avait persisté jusqu’à ce que la situation s’aggrave, à la suite des élections de novembre 2003. Ils ont dit aussi que, s’ils n’avaient pas demandé l’asile aux États‑Unis, c’est parce qu’ils espéraient encore que les choses s’arrangeraient. Pour le prouver, ils ont fait observer qu’ils avaient demandé la protection des autorités israéliennes après la visite de M. Hitti aux États‑Unis.

 

Possibilité de refuge intérieur et protection de l’État

 

[41]           Les demandeurs ont exposé, dans leur Formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans leurs arguments devant la Commission, plusieurs éléments tendant à montrer qu’ils ne disposaient pas d’une PRI. Dans leur FRP, les demandeurs expliquent qu’il leur était impossible d’aller vivre dans une autre ville d’Israël parce qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour louer un appartement. Ils disent aussi qu’il y avait des bombardements dans d’autres régions d’Israël et qu’il n’y avait aucune ville où ils pourraient se sentir en sécurité et qui disposait également d’écoles chrétiennes et d’églises chrétiennes.

 

[42]           Dans les conclusions qu’ils ont présentées à la Commission, les demandeurs ont étoffé leurs arguments et affirmé que la persécution qui les menace n’est pas uniquement due aux Arabes musulmans d’Israël, mais également à la relation entre les Arabes musulmans d’Israël et les Israéliens juifs. Les demandeurs soutiennent qu’ils seraient victimes de harcèlement, de discrimination et de persécution dans les quartiers israéliens juifs partout en Israël, parce que les Israéliens arabes sont considérés depuis 40 ans comme persona non grata en Israël. Par ailleurs, en tant que chrétiens catholiques, les demandeurs sont eux aussi persona non grata parmi les Arabes, qui sont presque tous musulmans. Les demandeurs font observer que les Arabes de religion chrétienne manquent des équipements nécessaires pour élever leurs enfants et vivre en fervents catholiques, à l’abri du harcèlement et de la persécution. En raison de cette combinaison de facteurs, les demandeurs soutiennent qu’il est impossible pour eux de vivre où que ce soit en Israël.

 

[43]           Selon les demandeurs, c’est pour ces mêmes raisons que les autorités israéliennes ne peuvent pas assurer leur protection. Les demandeurs ont aussi soutenu dans leur FRP qu’il se produisaient tant d’incidents dans le quartier musulman arabe que la police baissait les bras. Dans les conclusions qu’ils ont présentées devant la Commission, les demandeurs ont déclaré qu’ils avaient demandé l’aide de travailleurs sociaux afin qu’ils tentent d’apaiser les tensions entre eux et leurs voisins musulmans. Cependant, s’ils n’ont pas sollicité la protection de la police, c’est parce que d’autres avant eux, qui s’étaient adressés à la police, avaient constaté ensuite l’aggravation de la persécution que leur infligeaient les musulmans.

 

[44]           Enfin, les demandeurs font valoir que, vu la preuve subjective et objective acceptée par la Commission, celle‑ci « ne pouvait conclure à l’existence » d’une PRI ou d’une protection suffisante de l’État. Les demandeurs soutiennent donc que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a dit qu’ils ne couraient pas le risque d’être persécutés.

 

Les arguments du défendeur

 

 

            1.         Ordre des interrogatoires

 

 

[45]           Le défendeur soutient que, selon le processus de détermination du statut de réfugié qui est prévu par la Loi, il est loisible à la Commission de fixer elle‑même sa procédure. Le défendeur fait aussi valoir que les demandeurs n’ont produit aucune preuve tendant à montrer que l’ordre des interrogatoires prévu par les Directives no 7 les a empêchés d’exposer pleinement à la Commission le fondement de leur demande d’asile. Le défendeur soutient que tout le processus de mise en état donne aux demandeurs d’asile toute latitude pour recueillir tous les renseignements à l’appui de leur demande. Enfin, le défendeur soutient que, selon la jurisprudence de la Cour, l’« ordre inverse des interrogatoires » n’a rien de constitutionnellement répréhensible en soi : Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 622; Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379; et Cortez Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 738.)

 

[46]           En ce qui concerne la présente affaire, le défendeur soutient que les demandeurs ont eu l’occasion de présenter pleinement les faits susceptibles d’appuyer leur demande d’asile. S’ils n’ont pas réussi à convaincre la Commission du bien‑fondé de leur demande d’asile, l’ordre dans lequel ils ont été interrogés ne saurait en être la cause.

 

2.         Thèse du défendeur quant au fond

 

[47]           Le défendeur fait valoir qu’il était loisible à la Commission de conclure que les difficultés qu’ont connues les demandeurs sont attribuables à la discrimination et non à la persécution. Selon le défendeur, la Cour ne doit pas modifier la conclusion de la Commission selon laquelle les pratiques discriminatoires dont sont victimes les Israéliens non juifs n’atteignent pas le niveau de persécution qui justifie que le Canada accorde sa protection, ni la conclusion de la Commission selon laquelle la difficulté des demandeurs à trouver un emploi ou à trouver une école de confession chrétienne est tout simplement imputable à la discrimination plutôt qu’à des actes de persécution.

 

[48]           Le défendeur soutient aussi que la Commission a eu raison de dire que la lenteur des demandeurs à quitter Israël révélait l’absence de crainte subjective de persécution. Selon le défendeur, la Cour ne doit pas modifier la décision de la Commission selon laquelle il était déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir sollicité l’asile aux États‑Unis en 2003. M. Hitti a emmené toute sa famille au Canada un an plus tard, et il lui est donc difficile aujourd’hui d’affirmer qu’il n’avait pas assez d’argent pour le faire en 2003.

 

 

ANALYSE

 

 

1.                  L’ordre adopté par la Commission pour l’interrogatoire des demandeurs d’asile est‑il contraire aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale?

 

[49]           Après que les parties eurent déposé leurs exposés respectifs des faits et du droit relatifs à la présente demande, la Cour a examiné en détail, dans deux autres affaires, la question de savoir si les Directives no 7 sont contraires aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale : Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 168, 2006 CF 16, et Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2006), 40 Admin. L.R. (4th) 159, 2006 CF 461. Les motifs accompagnant ces deux décisions ont été rendus publics en février et avril respectivement de cette année.

 

[50]           En l’espèce, la Cour a donné aux parties la possibilité de présenter d’autres arguments jusqu’à la fin de mai, mais aucune d’elles ne l’a fait. Leurs observations écrites ne contiennent donc aucune mention de l’un ou l’autre des précédents susmentionnés. Par conséquent, le 12 juillet 2006, j’ai communiqué aux parties une directive les invitant à étudier, en vue de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, dans un débat sur les jugements Thamotharem et Benitez. Les deux avocats se sont présentés en conséquence dans cette disposition et un débat complet a eu lieu.

 

[51]           Le juge Edmond Blanchard dans la décision Thamotharem et le juge Richard Mosley dans la décision Benitez ont abordé dans leurs jugements les questions suivantes :

1.                  Les principes de justice naturelle et d’équité procédurale exigent‑ils que les demandeurs d’asile aient la possibilité de mener un « interrogatoire principal »?

2.                  Les Directives no 7 limitent‑elles le pouvoir discrétionnaire des commissaires?

 

Les juges Blanchard et Mosley ont tous deux jugé que l’ordre des interrogatoires qui est établi par les Directives no 7 n’était pas contraire aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale. Cependant, selon le juge Blanchard, les Directives no 7 restreignaient le pouvoir discrétionnaire des commissaires, conclusion que le juge Mosley n’a pas partagée.

 

ORDRE DES INTERROGATOIRES ET ÉQUITÉ PROCÉDURALE

 

[52]           Dans les décisions Thamotharem et Benitez, le juge Blanchard et le juge Mosley ont estimé, l’un et l’autre, que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale n’exigent pas que les demandeurs d’asile aient la possibilité de mener un « interrogatoire principal », sauf si les circonstances de l’affaire considérée l’exigent. Par ailleurs, dans l’affaire Benitez, le juge Mosley a conclu que les Directives no 7 n’enfreignaient pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et que les demandeurs, dans cette affaire‑là, n’avaient pas établi des faits suffisants qui lui auraient permis de dire si des demandeurs d’asile sont victimes de discrimination par l’effet des Directives no 7, en violation de l’article 15 de la Charte. Dans les deux cas, la Cour a reçu des parties (et de l’intervenant, dans l’affaire Thamotharem) de longs exposés écrits, ainsi qu’une preuve par affidavit approfondie, sur l’interaction des Directives no 7 et des principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

[53]           Après avoir examiné les arguments des deux parties dans la présente affaire, j’ai conclu dans le même sens que la Cour dans les affaires Thamotharem et Benitez, en ce qui a trait à cette première question. Je ne suis pas lié par les décisions d’autres juges de la Cour, mais le respect que l’on doit en principe aux précédents judiciaires m’incite à une certaine retenue quant à la solution de points de droit sur lesquels mes collègues se sont déjà prononcés. C’est la position qu’a adoptée le juge Mosley, dans l’affaire Benitez, lorsqu’il a posé la question de savoir s’il devait suivre la décision rendue par le juge Blanchard dans l’affaire Thamotharem. Le juge Mosley s’est exprimé ainsi, au paragraphe 35 :

Tout en gardant à l’esprit la notion de courtoisie judiciaire, j’ai conclu que je pourrai m’écarter des décisions rendues antérieurement par mes collègues uniquement si je suis convaincu que la preuve dont je suis saisi l’exige ou que les décisions rendues sont erronées parce qu’elles ne tiennent pas compte d’un précédent obligatoire ou d’une loi pertinente. À cet égard, j’aimerais signaler que, bien que le dossier présenté devant moi inclue la preuve dont était saisie la Cour dans l’affaire Thamotharem, elle comprend également de nouveaux éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier dans cette affaire.

 

 

À mon avis, rien en l’espèce n’est de nature à me convaincre que, sur la question du « droit » à un « interrogatoire principal », les décisions Thamotharem et Benitez sont incorrectes. Je remarque que les demandeurs n’ont produit aucune preuve nouvelle à l’appui de leur thèse selon laquelle les principes de justice naturelle et d’équité procédurale exigent que l’avocat du demandeur d’asile soit le premier à interroger celui‑ci. Par ailleurs, je remarque que les arguments avancés par les demandeurs en l’espèce sont semblables aux arguments soulevés dans les affaires Thamotharem et Benitez.

 

[54]           Je résumerai ci‑dessous les conclusions que la Cour a tirées dans les affaires Thamotharem et Benitez et qui sont pertinentes quant aux conclusions des demandeurs.

 

[55]           En ce qui concerne l’argument des demandeurs selon lequel la jurisprudence antérieure de la Cour – à savoir les décisions Kante, Ganji, Atwal et Veres – l’autorise à dire qu’il existe un droit à un « interrogatoire principal », je remarque que, dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard, après examen de ces quatre décisions, a constaté que dans nulle d’entre elle la Cour n’a dit que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale exigent que les demandeurs d’asile soient interrogés d’abord par leurs avocats. Aux paragraphes 46 et 53 de la décision Thamotharem, le juge Blanchard s’est exprimé en ces termes :

[...] En fait, la Cour n’était saisie dans aucune de ces affaires de la question de savoir si l’ordre des interrogatoires choisi par la Section était conforme à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Toutes ces décisions concernaient des circonstances particulières et, dans tous les cas, la Cour a statué que la Section des réfugiés n’avait pas dirigé l’audience de manière appropriée ou que la conduite de l’audience avait amené la Section à tirer des conclusions de fait erronées.

 

[...]

 

À mon avis, les décisions invoquées par le demandeur et l’intervenant ne permettent pas de conclure qu’une possibilité raisonnable d’exposer sa cause inclut le droit d’être le premier à poser les questions. En fait, ces décisions confirment de nouveau que la Section peut contrôler le déroulement d’une audience, mais qu’elle doit mener celle‑ci sans limiter de manière inéquitable le droit du demandeur d’exposer sa cause.

 

[56]           Au paragraphe 78 de la décision Benitez, le juge Mosley se dit d’avis qu’il ne voyait aucune raison de s’écarter des conclusions tirées par le juge Blanchard dans l’affaire Thamotharem à propos de cette jurisprudence antérieure de la Cour.

 

[57]           En ce qui concerne l’application des facteurs de l’arrêt Baker en ce qui a trait à la définition du contenu des protections procédurales nécessaires dans le processus de détermination du statut de réfugié, le juge Blanchard a tiré les conclusions suivantes, aux paragraphes 91 et 92 de la décision Thamotharem :

L’intervenant a produit des éléments de preuve faisant ressortir les difficultés auxquelles les demandeurs d’asile sont confrontés et les avantages qui découlent pour eux du fait d’être interrogés d’abord par leur procureur. À mon avis cependant, ni le demandeur ni l’intervenant n’ont démontré que les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale exigent que les demandeurs d’asile aient droit à un interrogatoire principal pour que le processus de détermination du statut de réfugié devant la Section soit équitable. La possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la Commission, d’avoir une audition à laquelle participe un procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait, à mon avis, aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité en l’espèce.

 

Ayant examiné les facteurs énoncés dans Baker et ceux proposés par l’intervenant, je ne suis pas convaincu que les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale exigent que les interrogatoires se déroulent dans un ordre particulier – selon lequel le demandeur serait interrogé d’abord par son procureur – lors de l’audience du demandeur pour que ce dernier ait réellement la possibilité d’exposer sa cause complètement et équitablement.

 

 

[58]           Dans la décision Benitez, aux paragraphes 127 et 128, le juge Mosley, qui a tiré la même conclusion que le juge Blanchard, s’est exprimé en ces termes :

Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et les autres facteurs présentés par les demandeurs, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il n’a pas été établi que la justice naturelle exige que le procureur d’un demandeur d’asile interroge d’abord son client de sorte que celui‑ci ait une possibilité valable de présenter complètement et équitablement sa cause, ou que les Directives privent réellement le demandeur d’asile de l’aide que peut lui apporter son procureur.

 

Je souscris à la conclusion du juge Blanchard selon laquelle la possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la CISR, d’obtenir une audience à laquelle participe son procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité et que les Directives no 7 ne contreviennent pas en soi à cette obligation.

 

[59]           Je conviens qu’appel a été interjeté des décisions Thamotharem et Benitez devant la Cour d’appel fédérale et que, parmi les questions certifiées dans les appels, il y a celle du droit des demandeurs d’asile à mener un « interrogatoire principal ». Cela dit, eu égard aux circonstances de la présente affaire, je ne vois aucune raison de ne pas souscrire à la conclusion des juges Blanchard et Mosley selon laquelle les Directives no 7 n’enfreignent pas les principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Je relève aussi que les demandeurs n’ont pas signalé de faits précis qui puissent, en l’espèce, justifier ou commander une modification de l’ordre des interrogatoires, de sorte que leur avocat soit ainsi le premier à les interroger. Ainsi, les demandeurs ne disent pas qu’ils aient été atteints d’un handicap quelconque ayant nui à leur capacité de déposer durant l’audience. Les demandeurs ne prétendent pas non plus, pour ce qui concerne l’APR ou le commissaire, que leur conduite puisse donner à penser qu’ils étaient partiaux ou que leurs interventions ont été mal à propos. Les demandeurs ne prétendent pas non plus que la Commission ne les a pas informés des questions auxquelles ils devaient répondre, ni que la Commission a statué sur leur demande d’asile en se fondant sur un élément qui ne leur avait pas été dévoilé. D’ailleurs, la transcription de l’audience du 20 décembre 2004 relative au fond de la demande d’asile des demandeurs montre que la Commission avait exposé d’entrée de jeu les questions qui appelaient des éclaircissements, et que les avocats des parties avaient pris acte des aspects qui préoccupaient la Commission.

 

[60]           Il importe de signaler ici que, même si les demandeurs se sont opposés lors de l’audience de la Commission à l’application des Directives no 7, les arguments qu’ils soutiennent devant moi sont en réalité fondés sur le caractère injuste qui paraît s’attacher à telles Directives. Ils n’avancent aucune preuve nouvelle propre à confirmer ce caractère injuste, et le dossier ne renferme absolument aucune allégation ou preuve montrant que, en l’espèce, l’application des Directives no 7 a empêché les demandeurs d’exposer pleinement leur argument devant la Commission.

 

[61]           Les demandeurs voudraient en fait que la Cour revienne sur les jurisprudences Thamotharem et Benitez et qu’elle tire des conclusions autres que celles des juges Blanchard et Mosley sur la question du caractère injuste, selon eux, des Directives no 7 (c’est‑à‑dire que les Directives seraient fondamentalement injustes parce qu’elles nient aux demandeurs d’asile le droit de mener un « interrogatoire principal »).

 

ORDRE DES INTERROGATOIRES ET ENTRAVE À L’EXERCICE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

 

[62]           Les demandeurs me demandent aussi de suivre le juge Blanchard sur la question de l’« entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission ». Cependant, ils n’avancent en réalité rien de nouveau devant moi, en termes d’arguments ou de preuves. Ils veulent simplement que je rejette l’enseignement du juge Mosley et que je suive celui du juge Blanchard.

 

[63]           La raison fondamentale pour laquelle le juge Mosley a tiré une conclusion autre que celle du juge Blanchard sur la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission était qu’il avait devant lui une preuve sensiblement différente sur la question de savoir si les commissaires agissaient en pratique comme si l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire était entravé par les Directives no 7 :

Je suis saisi d’une preuve beaucoup plus abondante sur la manière dont les Directives no 7 sont réellement appliquées par les commissaires de la SPR que celle dont était saisi mon collègue dans l’affaire Thamotharem. D’après la preuve en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR en vue d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils sont saisis a été entravé par l’application des Directives no 7.

 

Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir d’entrave dans un cas particulier. Comme il a été statué dans la décision Leung c. Ontario (Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels) (1995), 24 O.R. (3d) 530, 82 O.A.C. 43 (C. div. Ont.), l’application d’une directive peut équivaloir à une entrave illégale à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une commission, si cette directive est appliquée sans qu’il soit tenu dûment compte de la preuve et des observations déposées dans un cas particulier. Une situation de ce genre peut se présenter lorsqu’un commissaire décide d’appliquer les Directives sans faire d’exception et qu’il ignore la preuve ou les observations déposées par les procureurs indiquant qu’il y a une raison de modifier la procédure.

 

[64]           En l’espèce, les demandeurs ne m’ont présenté aucune preuve nouvelle sur la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, ni aucune preuve tendant à montrer que l’exercice du pouvoir des commissaires a ici été entravé. En conséquence, compte tenu des jurisprudences Thamotharem et Benitez, je ne saurais dire que les demandeurs m’ont convaincu que les Directives no 7 constituent une entrave déraisonnable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire.

 

[65]           Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard était troublé par la formulation, selon lui, impérative des Directives no 7, mais il fut aussi très attentif à la preuve qui avait été produite dans cette affaire à propos de la pratique suivie sur le terrain, ainsi qu’il l’explique au paragraphe 135 :

En l’espèce, je suis convaincu que la Cour dispose d’une preuve abondante démontrant que la Commission a fait savoir à ses membres qu’elle s’attendait à ce qu’ils se conforment aux directives, sauf dans des cas exceptionnels. Le problème ne concerne pas réellement l’expression de cette attente par la Commission, mais plutôt le fait qu’elle s’ajoute à d’autres facteurs : l’attente concernant l’observation des directives et la surveillance de cette observation, la preuve du respect des Directives no 7 et, en particulier, le libellé contraignant de celles‑ci. À mon avis, tous ces facteurs entravent le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Comme M. Aterman l’a reconnu lors de son contre‑interrogatoire : [TRADUCTION] « Cet équilibre respecte l’indépendance des commissaires en matière de décision, d’une part, et les intérêts du public et de l’organisation en matière d’uniformité d’autre part. » Dans les circonstances de l’espèce, l’uniformité l’emporte sur l’indépendance des commissaires en matière de décision, essentiellement en raison du libellé contraignant des Directives no 7. Ce libellé, la description restrictive des circonstances exceptionnelles contenue dans les directives et l’attente exprimée de manière pas très subtile par la Commission en matière de conformité ont pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Le fait qu’il y a des cas où un commissaire a choisi de ne pas suivre les directives ne corrige pas le problème. Comme il a été mentionné précédemment, la caractéristique fondamentale du pouvoir discrétionnaire, c’est qu’il peut être exercé différemment dans différents cas, en fonction des particularités de chacun. Des directives ne devraient pas avoir pour effet d’amener un commissaire qui entend une affaire à se demander s’il peut adopter une procédure particulière ou un ordre particulier d’interrogatoires lorsqu’il a raison de croire que l’ordre normalisé prescrit par les directives n’est pas la meilleure façon ou la façon la plus équitable de procéder dans les circonstances. La Cour dispose d’une preuve non contredite qui démontre qu’au moins certains commissaires se sont trouvés dans cette situation. Les Directives no 7 ont pour effet, à mon avis, de dicter une certaine procédure, sous réserve de quelques exceptions, concernant un aspect procédural susceptible d’avoir une incidence sur l’équité de l’audience. En d’autres termes, les Directives no 7 exigent principalement des commissaires qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire d’une manière particulière. Par conséquent, j’estime qu’elles entravent leur pouvoir discrétionnaire.

 

[66]           Dans l’affaire Benitez, le juge Mosley avait reçu une preuve nouvelle qui l’a mené à aller au‑delà de la position adoptée par le juge Blanchard dans l’affaire Thamotharem, et qui est exposée en détail dans les paragraphes 140 à 172 :

Je crois qu’il est juste de dire que mon collègue le juge Blanchard s’est appuyé moins sur les faits de l’affaire dont il était saisi dans Thamotharem que sur la preuve ayant trait à la forme et au contenu des Directives ainsi que sur la manière dont celles‑ci étaient appliquées pour parvenir à sa conclusion selon laquelle l’imposition des Directives a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires. En fait, les demandeurs ont fait valoir, comme il en a été question ci‑dessus, que s’il avait été saisi d’un dossier semblable à certains de ceux qui sont traités en l’espèce, il aurait pu conclure qu’un degré plus élevé de protection procédurale s’imposait.

 

Le défendeur souligne que, dans l’affaire Thamotharem, il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant qu’un commissaire avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de modifier l’ordre des interrogatoires en raison de la situation particulière du demandeur d’asile, aucune preuve d’une vulnérabilité particulière qui aurait rendu son témoignage difficile, aucun argument faisant valoir que des questions déplacées avaient été posées et aucune demande faite en vue de modifier l’ordre des interrogatoires, à l’exception de l’affirmation d’un droit absolu à un interrogatoire principal.

 

La conclusion tirée dans la décision Thamotharem selon laquelle il y a eu entrave au pouvoir discrétionnaire des commissaires s’appuie sur le libellé même des Directives et sur la preuve extrinsèque de la façon dont elles peuvent être interprétées et appliquées par les commissaires de la SPR, et non sur les faits particuliers de la cause.

 

Au paragraphe 119 de ses motifs, le juge Blanchard a conclu que le libellé des Directives no 7 laissait peu de doute quant au fait qu’elles ne recommandent pas un processus facultatif, mais établissent un processus obligatoire : le paragraphe 19 prévoit que ce sera normalement l’APR qui commencera et, en l’absence d’un APR, le commissaire. En outre, bien que le paragraphe 23 autorise le commissaire à modifier l’ordre des interrogatoires, le fondement qui a permis à la Cour, dans l’affaire Zaki, de parvenir à la conclusion qu’elles étaient suffisamment souples, le juge Blanchard a estimé que le paragraphe 23 fixait une norme rigoureuse quant à la nature des « circonstances exceptionnelles » : le demandeur d’asile doit être « très » perturbé ou l’enfant doit être « très » jeune pour qu’une exception s’applique. Il a conclu que bien que ces exemples ne soient peut‑être que des exemples, ils limitent le type de circonstances pouvant justifier une exception. Il explique ensuite cette opinion en utilisant le libellé des Directives no 7 :

 

L’emploi de l’adverbe « très » laisse peu de doute quant au fait que ces circonstances sont limitées. Des circonstances qui ne sont pas incluses dans ces « circonstances exceptionnelles » pourraient, de l’avis d’un commissaire, justifier que les interrogatoires se déroulent dans un ordre différent de l’ordre normalisé. Le libellé du paragraphe 23 peut laisser à un commissaire l’impression qu’il n’a d’autre choix que de suivre les directives dans de tels cas. À tout le moins selon moi, en prévoyant qu’il est possible de s’écarter de la norme uniquement dans des « circonstances exceptionnelles », le paragraphe 23 dissuade les commissaires de tenir compte d’autres facteurs avant de décider de l’ordre dans lequel les interrogatoires devraient se dérouler. Les Directives no 7 auraient effectivement pour effet, dans un tel cas, d’entraver le pouvoir discrétionnaire des commissaires.

 

En me demandant instamment de m’écarter de ces conclusions, le défendeur soutient que le libellé des Directives doit être lu comme facultatif plutôt qu’obligatoire pour respecter les principes établis dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558, selon lesquels le pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ne peut être restreint par des énoncés de politique générale et qu’une expression telle que « sera normalement » ne signifie pas « dans tous les cas ». En l’espèce, selon le défendeur, la preuve contextuelle portant notamment sur la politique de la CISR relative à l’utilisation des Directives indique que les commissaires conservent le pouvoir discrétionnaire de changer l’ordre des interrogatoires quand ils le jugent approprié.

 

Le défendeur s’appuie sur les nouveaux éléments de preuve joints à l’affidavit d’Asad Kiyani, soit quelque quarante décisions et des extraits des transcriptions des audiences qui ont eu lieu devant divers commissaires qui, selon lui, démontrent que la conclusion selon laquelle le pouvoir discrétionnaire des commissaires a été entravé n’est pas partagée par les commissaires eux‑mêmes. Je note que le juge Blanchard était saisi d’une preuve indiquant que les commissaires s’étaient écartés de l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives, bien que cette preuve n’ait pas été aussi détaillée que celle qui a été déposée par le défendeur en l’espèce.

 

Bien que les pièces jointes à l’affidavit Kiyani n’offrent qu’un aperçu sélectif de la réponse des commissaires aux Directives no 7, elles appuient la prétention du défendeur selon laquelle les Directives no 7 n’entravent pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires et que ceux‑ci ne croient pas que les exemples de circonstances exceptionnelles donnés au paragraphe 23 des Directives no 7 constituent une liste complète des cas où l’ordre des interrogatoires peut être modifié, comme le craignait le juge Blanchard.

 

Dans chaque cas, le commissaire examine l’applicabilité des Directives dans les circonstances et décide ensuite si l’ordre des interrogatoires doit être modifié. Rien dans les pièces déposées n’indique que les commissaires croient qu’ils seront pénalisés pour n’avoir pas appliqué l’ordre normalisé des interrogatoires. Les pièces jointes n’appuient pas non plus la conclusion selon laquelle les Directives ont pour effet d’amener un commissaire, au cours de l’audience, à se demander s’il ou elle doit adopter une procédure particulière ou un ordre particulier d’interrogatoires quand il ou elle croit légitimement que l’ordre normalisé prescrit pas les Directives n’est pas la meilleure ou la plus équitable des façons de procéder dans les circonstances.

 

...

 

Tous ces exemples tendent à prouver que les commissaires comprennent que les exemples de circonstances exceptionnelles fournis dans les Directives ne sont que des exemples et qu’ils se sentent libres de donner à ces Directives une application large.

 

Par ailleurs, la preuve la plus forte qui a été déposée par les demandeurs est un extrait d’une décision de la CISR dans l’affaire Baskaran (dossier de la CISR TA1‑07530), jointe à l’affidavit de M. Boulakia, et dans lequel le commissaire déclare ceci :

 

[TRADUCTION]

On nous a donné instruction de vous interroger en premier, à la suite de quoi votre procureur vous posera des questions, et c’est là la procédure que nous devons suivre [...]

 

Les demandeurs soutiennent que cet extrait indique que les commissaires se sentent obligés de se conformer à la pratique énoncée dans les Directives, par loyauté à l’institution et, dans certains cas, parce qu’ils n’ont pas confiance en leur propre pouvoir discrétionnaire et leur propre capacité de décider par eux‑mêmes de la procédure qu’il convient de suivre. L’extrait de la décision Baskaran peut être un exemple de cette dernière prétention. Bien qu’elle soit troublante, cette prétention ne justifie pas en elle‑même la conclusion que cet avis est largement partagé par les commissaires.

 

Le témoignage que le professeur Galloway a donné en tant qu’ancien commissaire appuie également les prétentions des demandeurs sur la façon dont les Directives devraient être interprétées et appliquées par les commissaires de la SPR. Toutefois, il n’a aucune expérience directe de l’application des Directives et son témoignage quant à la façon dont les Directives doivent être interprétées et appliquées par les commissaires était, malgré son utilité, largement conjectural.

 

Le défendeur demande à la Cour d’accorder plus de poids au témoignage de M. Paul Aterman qui a déclaré que les commissaires conservent le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure appropriée concernant les interrogatoires au cours d’une audience donnée. À la page 38 de la transcription du premier contre‑interrogatoire qui s’est déroulé le 14 septembre 2005, il déclare ceci :

 

[TRADUCTION]

La manière dont cette personne est traitée au cours de cette audience relève du pouvoir discrétionnaire du commissaire. Celui‑ci peut examiner la situation et dire : « Dans cette situation particulière, le procureur posera d’abord les questions », ou il peut dire « Dans les circonstances, il est plus approprié que l’APR ou le commissaire commence l’interrogatoire ». Ce sont des choix discrétionnaires que les Directives laissent clairement à l’appréciation des commissaires [...]

 

Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Aterman a également exprimé l’opinion que les commissaires exercent leur jugement quant à la façon dont les Directives doivent être appliquées et à quel moment, en gardant à l’esprit les circonstances particulières de chaque cas (transcription du 15 septembre 2006, pages 79 et 80). Ces observations sont appuyées par les exemples de décisions qui s’écartent des Directives et qui sont jointes à l’affidavit de Kiyani.

 

Au cours de l’argumentation, on a fait référence à une décision du commissaire K. Brennenstuhl, R.K.N. (Re) [2004] D.S.P.R. no 14, qui a apparemment été transmise à d’autres commissaires de la SPR pour obtenir leur aide quant à l’interprétation et à l’application des Directives no 7. D’après les demandeurs, cette façon de faire illustre les efforts déployés par la CISR pour imposer les Directives no 7 aux commissaires de la SPR et entraver ainsi l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Toutefois, la diffusion de la décision ne constitue pas à mon avis une preuve d’entrave dans la mesure où les commissaires n’ont pas jugé qu’ils étaient tenus de suivre les conclusions du commissaire Brennenstuhl. Je ne dispose d’aucune preuve qui établisse que tel a été le cas. La décision R.K.N. n’a pas été désignée par le président pour servir de guide jurisprudentiel, et elle ne tombe pas non plus dans la catégorie des « décisions à caractère persuasif », que le vice‑président de la Section de la protection des réfugiés peut désigner en vertu d’une politique adoptée par la CISR comme étant des « modèles d’un raisonnement valable » que les commissaires sont encouragés à suivre. Voir la Note de politique de la Commission sur les Décisions à caractère persuasif, du 13 décembre 2005.

 

J’accepte le fait que le libellé des Directives no 7 puisse être interprété comme étant de nature obligatoire par un commissaire inexpérimenté et manquant de confiance en lui‑même et que, en général, les commissaires peuvent, comme l’a conclu le juge Blanchard, ressentir la pression exercée par la haute direction pour s’y conformer. Mais cela ne mène pas nécessairement à la conclusion que les commissaires s’estiment obligés de les appliquer comme s’il s’agissait d’une loi, d’un règlement ou d’une règle formelle prise en vertu du pouvoir du président.

 

Comme le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait observer dans l’arrêt Ainsley, les directives ne sont pas invalidées du simple fait qu’elles réglementent la conduite des personnes à qui elles s’adressent. Une directive demeure une directive même si les personnes qui sont visées par elle modifient leur pratique pour s’y conformer.

 

D’après le dossier en l’espèce, la preuve n’appuie pas, à mon avis, une conclusion d’entrave semblable à celle qui a été examinée par les tribunaux dans les arrêts Ainsley et Ha. Contrairement à l’énoncé de politique dans l’arrêt Ha, par exemple, le texte des Directives no 7 autorise l’examen des circonstances particulières de chaque cas et l’application de certaines exceptions à la pratique normalisée. Si les commissaires avaient des doutes à ce sujet, l’énoncé de politique générale que le président a émis concernant toutes les Directives prévoit expressément qu’elles ne sont pas obligatoires et cite une décision de la Cour à cet effet : Fouchong c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 88 F.T.R. 37, 26 Imm. L.R. (2d) 200 (C.F.P.I.).

 

En outre, contrairement encore une fois à ce qui était le cas dans Ha, la politique fournit une certaine orientation aux commissaires de la SPR sur la façon dont ils doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire, quoique d’une façon structurée. Et en outre, contrairement à l’arrêt Ha, la preuve dont je suis saisi m’indique que les commissaires ont choisi de ne pas tenir compte de la « pratique normalisée » quand ils le jugent nécessaire et pour des raisons qui vont au‑delà du type de circonstances exceptionnelles décrites au paragraphe 23.

 

Pour ce qui est du deuxième facteur décrit dans l’arrêt Ainsley, l’effet concret du non‑respect de la directive, savoir la menace de mesures coercitives, n’est pas prouvé par les faits. Il n’y a pas de preuve au dossier qui laisse entendre que le président a menacé de sanctionner des commissaires pour cause de non‑respect des Directives no 7 ou qu’il l’a fait en réalité. En fait, le président n’a pas ce pouvoir. La preuve indique cependant qu’au moins un commissaire, M. Ellis, a refusé d’appliquer les Directives dès le début, mais il n’y a aucune preuve établissant qu’il a été sanctionné d’une quelconque façon.

 

La preuve indique que la CISR contrôlait l’observation des directives du président au moyen d’un système volontaire de rapport faisant usage de [TRADUCTION] « Feuilles d’information sur les audiences ». Les commissaires étaient invités à signaler eux‑mêmes la manière dont ils avaient utilisé les Directives. Le témoignage de Paul Aterman fait ressortir que le taux de réponse sur ces formulaires était très faible. Il est donc difficile de comprendre comment cette mesure a pu être considérée comme coercitive. Au mieux, cela semblerait être une procédure normale et inoffensive de vérifier les effets d’une politique.

 

Il y a également des preuves de courriels du vice‑président demandant aux commissaires d’indiquer s’ils appliquaient les Directives et d’expliquer s’il y avait des circonstances exceptionnelles ou d’autres raisons de ne pas les suivre. M. Aterman a reconnu que les gestionnaires étaient tenus de vérifier si les commissaires se conformaient aux Directives mais, encore une fois, il n’y a pas de preuve que ceux qui ont choisi d’ignorer ou de ne pas appliquer strictement ces directives en ont subi quelque conséquence que ce soit.

 

Finalement, les rapports d’évaluation du rendement des commissaires indiquent que l’application des Directives dans des [TRADUCTION] « circonstances appropriées » sera l’un des facteurs pris en considération. De la façon dont j’interprète la preuve, cette disposition s’appliquait à l’ensemble des directives et il n’y a donc pas de preuve que l’un des commissaires a eu une mauvaise évaluation du rendement pour ne pas avoir appliqué les Directives no 7.

 

Je suis saisi d’une preuve beaucoup plus abondante sur la manière dont les Directives no 7 sont réellement appliquées par les commissaires de la SPR que celle dont était saisi mon collègue dans l’affaire Thamotharem. D’après la preuve en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR en vue d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils sont saisis a été entravé par l’application des Directives no 7.

 

Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir d’entrave dans un cas particulier. Comme il a été statué dans la décision Leung c. Ontario (Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels) (1995), 24 O.R. (3d) 530, 82 O.A.C. 43 (C. div. Ont.), l’application d’une directive peut équivaloir à une entrave illégale à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une commission, si cette directive est appliquée sans qu’il soit tenu dûment compte de la preuve et des observations déposées dans un cas particulier. Une situation de ce genre peut se présenter lorsqu’un commissaire décide d’appliquer les Directives sans faire d’exception et qu’il ignore la preuve ou les observations déposées par les procureurs indiquant qu’il y a une raison de modifier la procédure.

 

 

[67]           Manifestement, comme il ressort des extraits ci‑dessus, la contrariété des jugements rendus sur la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire s’expliquait en grande partie par les preuves présentées à chacun des juges sur la question. En l’espèce, les demandeurs disent simplement que le juge Mosley a rendu une mauvaise décision et que le juge Blanchard a rendu une bonne décision. Mais, si la preuve a été différente, à mon avis il n’y a aucune contrariété évidente sur cette question entre les deux décisions. Et puisque les demandeurs ne m’ont présenté en l’espèce aucun élément qui soit véritablement nouveau, je dois conclure que, si les jurisprudences Thamotharem et Benitez divergent sur la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, c’est en raison de la preuve produite dans chacun de ces cas, et les demandeurs ne m’ont pas apporté une preuve suffisante me permettant de conclure que les Directives no 7 ont de quelque manière pour effet d’entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires.

 

[68]           Et, sur la question de savoir s’il y a eu effectivement entrave en l’espèce, là encore, compte tenu du paragraphe 171 de la décision Benitez, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour tirer une telle conclusion.

 

[69]           Par conséquent, je dois conclure, d’après les faits et arguments qui m’ont été présentés, que les demandeurs ne m’ont pas convaincu du bien‑fondé des allégations suivantes :

 

a)                  les Directives no 7 sont fondamentalement injustes parce qu’elles empêchent les demandeurs d’exercer leur « droit » à mener un « interrogatoire principal »;

b)                  les Directives no 7 constituent une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires; ou

c)                  une entrave effective à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires a été établie ici.

 

[70]           Je suis donc d’avis que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a dit que les Directives no 7 ne sont pas contraires aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

 

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a dit que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger?

 

[71]           La principale conclusion de la Commission qui est contestée par les demandeurs est le fait qu’il faut voir de la discrimination, mais non de la persécution, dans les difficultés que les demandeurs ont connues en Israël avant leur départ pour le Canada, et dans les difficultés qu’ils connaîtraient sans doute en cas de retour en Israël. Pour tirer cette conclusion, la Commission a relevé que, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 734, la Cour suprême du Canada avait défini la persécution comme une « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État ».

 

[72]           Avant d’examiner les conclusions de la Commission sur cette question, je voudrais dire quelques mots sur la question de savoir qui est l’« agent de persécution » d’après les demandeurs. Je remarque que c’est là une question qui fut soulevée par la Commission au tout début de son audience du 20 décembre 2004, mais une question que la Commission n’a pas explorée davantage avec les demandeurs. Dans leur FRP, les demandeurs ont déclaré qu’ils craignaient d’être persécutés par les musulmans de leur quartier, à Nazareth; ils ne prétendent pas que le gouvernement israélien les persécute. Cependant, si l’on examine le témoignage du demandeur principal, Charle Hitti, et les arguments écrits présentés à la Commission par son avocat, il semblerait que, selon les demandeurs, la discrimination qu’ils subissent de la part du gouvernement israélien constitue aussi une forme de persécution. Dans ses motifs, la Commission a examiné non seulement la situation des demandeurs en tant que chrétiens arabes vivant parmi des musulmans arabes, mais également leur situation de ressortissants israéliens arabes vivant parmi des ressortissants israéliens juifs.

 

[73]           En ce qui concerne la persécution dont les demandeurs sont prétendument victimes de la part des musulmans arabes, je suis d’avis qu’il était loisible à la Commission de ne pas juger vraisemblable le témoignage des demandeurs selon lequel les actes de harcèlement et les menaces dont ils étaient victimes de la part de leurs anciens voisins musulmans avaient persisté après que les demandeurs eurent quitté le quartier. Je relève que les demandeurs ne prétendent pas que, après leur déménagement, leurs anciens voisins musulmans ont continué de taillader les pneus de leur voiture, de leur jeter des pierres ou de les empêcher de se rendre à l’église; tout ce qu’ils disent, c’est que les appels téléphoniques importuns se sont poursuivis. À mon avis, c’est la preuve qu’il est improbable que leurs anciens voisins musulmans aient continué de les poursuivre après leur départ vers un autre quartier. Je suis d’ailleurs d’avis qu’il n’était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de juger insuffisantes les raisons données par les demandeurs expliquant pourquoi ils n’avaient quitté qu’en 2004 le quartier à majorité musulmane où ils prétendaient avoir été des cibles, et expliquant pourquoi ils n’avaient pas recherché l’aide de la police. Selon moi, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle quand elle a dit que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte fondée de persécution ou un risque pour leurs vies à cause des musulmans arabes de leur ancien quartier.

 

[74]           S’agissant de savoir si la discrimination que semblent généralement connaître en Israël les demandeurs, en tant qu’Arabes et/ou en tant que chrétiens arabes, par rapport aux Juifs, constitue une persécution, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en répondant à cette question par la négative. La Commission reconnaît que, selon la preuve documentaire, les Arabes d’Israël ne sont pas, à plusieurs égards, traités sur le même pied que les Juifs. Cependant, il était raisonnable pour la Commission de dire que cette preuve ne permettait pas de conclure à une persécution, surtout compte tenu de sa conclusion selon laquelle l’État en Israël offre une protection suffisante contre la persécution.

 

[75]           Finalement, s’agissant de l’existence d’une PRI, je ne crois pas que la conclusion de la Commission en la matière était manifestement déraisonnable, et, s’agissant de l’existence d’une protection suffisante offerte par l’État, je ne crois pas que la conclusion de la Commission en la matière était déraisonnable. Selon moi, la Commission explique suffisamment pourquoi elle est arrivée aux conclusions qu’elle a tirées, et elle se réfère abondamment à la preuve documentaire qu’elle avait devant elle.

 

[76]           En résumé, je suis d’avis que les conclusions de la Commission selon lesquelles les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger ne contiennent pas d’erreurs susceptibles de contrôle. Les demandeurs n’ont pas convaincu la Cour que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en arrivant à ces conclusions, et en particulier à la conclusion selon laquelle, même si la situation vécue par les demandeurs peut constituer une discrimination, elle n’équivaut pas à persécution. Naturellement, il est toujours possible de désigner un élément de preuve précis et de dire que la Commission aurait pu raisonnablement arriver à une conclusion autre. Mais cela ne signifie pas qu’une conclusion tirée par la Commission sur un point particulier était déraisonnable ou manifestement déraisonnable.

 

[77]           Les avocats sont priés de signifier et déposer, dans les sept jours de la réception des présents motifs, leurs conclusions sur l’opportunité de certifier une question grave de portée générale. Chacune des parties aura trois jours ensuite pour signifier et déposer sa réponse aux conclusions de l’autre partie. Une ordonnance sera alors rendue.

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4817‑05

 

 

INTITULÉ :                                       CHARLE HITTI c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 juillet 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Russell

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yehuda Levinson                                                                            POUR LES DEMANDEURS

 

Bernard Assan                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Yehuda Levinson                                                                            POUR LES DEMANDEURS

Levinson et Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ministre de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

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