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Date : 20061024

Dossier : T-2171-05

Référence : 2006 CF 1262

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

KALPANA GUPTA

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Kalpana Gupta et visant une décision interlocutoire rendue le 4 novembre 2005, à Edmonton, par le comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le comité d’appel).

 

Le contexte

[2]               À l’origine de la présente instance, il y a la contestation par Mme Gupta du caractère équitable d’un concours en vue d’une nomination à un poste auprès d’Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC). Mme Gupta travaille actuellement à AINC et elle a présenté à l’occasion des demandes d’avancement. Au début de 2005, elle a présenté une demande pour participer au concours visant un poste d’agent de conformité de niveau PM02. Comme étape obligatoire du concours, tous les candidats devaient passer un exercice de simulation (le test 425). Mme Gupta a subi le test et n’a pas réussi, de sorte qu’elle n’a pas été inscrite à la liste d’admissibilité.

 

[3]               Mme Gupta  a interjeté appel en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la Loi) à l’encontre du processus de sélection. Dans le cadre de cet appel, elle a demandé la divulgation de documents ayant servi à faire passer l’exercice de simulation, y compris le manuel du correcteur, le guide de cotation ainsi que les données d’évaluation du test de l’appelante et du test des candidats reçus.

 

[4]               Il n’est pas contesté que l’exercice de simulation 425 est un test standardisé élaboré par la Commission de la fonction publique (la Commission) pour usage répété aux fins de la présélection de candidats en vue de la nomination à des postes du niveau d’agent au sein de la fonction publique. Mme Gupta a reconnu que l’exercice de simulation 425 est très semblable à l’exercice de simulation 428, bien qu’il semble qu’on utilise ces deux exercices pour présélectionner des candidats à des postes de niveau différent.

 

[5]               Vu l’usage répété de ses exercices de simulation, il est naturel que la Commission souhaite préserver dans une certaine mesure le caractère confidentiel de son processus d’évaluation. Elle craint qu’il soit conféré un avantage indu à tout candidat qui connaîtrait les critères de cotation. Elle craint également qu’une divulgation trop étendue compromette l’efficacité de ses tests. Il se peut bien, par contre, que les renseignements de ce type aient leur importance pour trancher équitablement l’appel d’un candidat non reçu, particulièrement quand il est allégué qu’on a mesuré inéquitablement ou incorrectement les résultats d’un test.

 

[6]               Ces intérêts divergents sont pris en compte à l’article 26 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, 2000, DORS/2000-80, qui prévoit aux conditions suivantes la divulgation de documents confidentiels utilisés pour des tests :

26. (1) L’appelant a accès sur demande à l’information, notamment tout document, le concernant ou concernant le candidat reçu et qui est susceptible d’être communiquée au comité d’appel.

 

26. (1) An appellant shall be provided access, on request, to any information, or any document that contains information, that pertains to the appellant or to the successful candidate and that may be presented before the appeal board.

 

Copies

 

(2) L’administrateur général en cause fournit sur demande à l’appelant une copie de tout document visé au paragraphe (1).

 

 

Copies

 

(2) The deputy head concerned shall provide the appellant, on request, with a copy of any document referred to in subsection (1).

 

Refus de divulguer

 

(3) Malgré les paragraphes (1) et (2), l’administrateur général en cause ou la Commission peut refuser de donner accès à l’information ou aux documents ou de fournir copie des documents dont l’un ou l’autre dispose, dans le cas où cela risquerait :

 

Refusal to disclose

 

(3) Despite subsections (1) and (2), the deputy head concerned or the Commission, as appropriate, may refuse to allow access to information or a document, or to provide a copy of a document, if the disclosure might

 

a) soit de menacer la sécurité nationale ou la sécurité d’une personne;

 

(a) threaten national security or any person’s safety;

 

b) soit de nuire à l’utilisation continue d’un test standardisé qui appartient au ministère de l’administrateur général en cause ou à la Commission ou qui est offert sur le marché;

 

(b) prejudice the continued use of a standardized test that is owned by the deputy head’s department or the Commission or that is commercially available; or

 

c) soit de fausser les résultats d’un tel test en conférant un avantage indu à une personne.

 

(c) affect the results of such a standardized test by giving an unfair advantage to any individual.

 

Comité d’appel

 

(4) Si l’administrateur général en cause ou la Commission refuse de donner accès à de l’information ou à des documents aux termes du paragraphe (3), l’appelant peut demander au comité d’appel d’en ordonner l’accès.

 

Appeal board

 

(4) If the deputy head concerned or the Commission refuses to allow access to information or a document under subsection (3), the appellant may request that the appeal board order such access.

 

Conditions

 

(5) Si le comité d’appel ordonne que l’accès soit donné à de l’information ou à des documents en vertu du paragraphe (4), cet accès est assujetti, avant et pendant l’audition, aux conditions que le comité d’appel estime nécessaires pour prévenir les situations décrites aux alinéas (3)a) à c).

 

Conditions

 

(5) If the appeal board orders access to information or a document under subsection (4), that access is subject, before and during the hearing, to any conditions that the appeal board considers necessary to prevent the situations described in paragraphs (3)(a) to (c) from occurring.

 

Utilisation

 

(6) L’information ou les documents obtenus en vertu du présent article ne peuvent être utilisés que pour les besoins de l’appel.

 

Use

 

(6) Any information or document obtained under this section shall be used only for purposes of the appeal.

 

 

 

[7]               Il ressort clairement du dossier que la Commission veille avec une grande rigueur à préserver le caractère confidentiel de ses tests standardisés. À cette fin et en conformité avec les dispositions réglementaires applicables, la Commission a instauré un certain nombre de pratiques en matière de divulgation. On vise avec ces pratiques à réduire le risque que des candidats potentiels puissent obtenir un avantage en ayant accès à la méthode de notation, ou que soit comprise la validité générale à long terme des tests.

 

[8]               L’un des principaux moyens utilisés pour s’attaquer à ce problème de confidentialité consiste à recourir à un représentant qui se substitue au candidat aux fins de l’examen des documents de nature délicate d’un test. Le représentant du candidat a généralement plein accès aux renseignements liés aux tests; il peut ainsi en évaluer la validité puis faire rapport au candidat.

 

[9]               En l’espèce, le représentant initial de Mme Gupta était M. Frank Janz. D’après le dossier, la Commission a accordé à M. Janz plein accès à l’ensemble des documents du test, sous réserve que soit suivi le protocole en deux étapes habituel. Il y avait d’abord la divulgation partielle à Mme Gupta et à M. Janz des documents non litigieux, puis la divulgation complète des documents à M. Janz. On a assorti le protocole des conditions additionnelles suivantes :

a)         Toute la divulgation doit avoir lieu sur les lieux de l’employeur, sous la surveillance d’un représentant du ministère.

 

b)        Il n’est pas permis de faire des copies, des photocopies ou des reproductions des documents susmentionnés.

 

c)         Les appelants et leur représentants peuvent consulter le livret de renseignements généraux (enveloppe A) et les éléments du test (enveloppe B) pendant la réunion de divulgation. Tous les documents devront être remis au représentant du ministère à la fin de la réunion.

d)        Les appelants et leur représentant peuvent prendre des notes personnelles pendant la réunion de divulgation, mais sans aller jusqu’à transcrire les documents du test. À la fin de la réunion de la première phase, toutes les notes de l’appelante seront remises à son représentant, M. Janz, qui les conservera, de même que ses propres notes, jusqu’à la date fixée de l’audience.

 

e)         M. Janz veillera à ne pas divulguer à quiconque les renseignements obtenus pendant la deuxième phase, sauf pendant certaines parties de l’instruction de l’appel, lorsque sont en vigueur les conditions imposées en application du paragraphe 26(5) du Règlement relativement à l’exclusion de personnes pendant l’instruction.

 

 

[10]           Dans son affidavit, Mme Gupta a déclaré ne pas avoir été satisfaite de la participation de M. Janz et ne pas avoir partagé l’avis de ce dernier selon lequel son appel était sans fondement. Mme Gupta a par conséquent désigné le Dr Noel Ayangma comme son représentant. La Commission était disposée à autoriser une substitution. Après enquête faite sur le Dr Ayangma, toutefois, la Commission a conclu qu’on ne pouvait lui faire une divulgation complète, vu la possibilité qu’il obtienne un avantage sur les autres candidats à un concours futur s’il devait chercher à obtenir un emploi au sein de la fonction publique. La Commission s’inquiétait particulièrement du fait que le Dr Ayangma avait assez récemment occupé un poste dans la fonction publique, d’un niveau où les exercices de simulation seraient utilisés, et du fait qu’il n’excluait pas la possibilité de poser sa candidature à un poste de fonctionnaire dans un avenir immédiat. Mme Gupta a, conformément au paragraphe 26(4) du Règlement, interjeté appel de cette décision de la Commission devant le comité d’appel.

 

La décision du comité d’appel

[11]           Dans la décision du comité d’appel, l’on retrouve un résumé détaillé de la position des parties puis une analyse de la réglementation applicable et de la jurisprudence pertinente. On y énonce correctement les trois facteurs requis selon la jurisprudence pour apprécier une demande de divulgation (voir Canada (Procureur général) c. Gill, [2001] A.C.F. n° 1171, 2001 FPI 814). Le comité d’appel a relevé, plus précisément, que les documents doivent être pertinents eu égard à la procédure sous-jacente, que l’accès aux documents pourrait nuire à l’utilisation continue du test standardisé ou conférer un avantage indu à une personne et que, finalement, l’imposition de conditions ne peut prévenir de tels effets défavorables.

 

[12]           Examinant les facteurs ci-dessus, le comité d’appel a noté que les renseignements demandés par Mme Gupta étaient pertinents pour sa contestation de la décision de sélection d’emploi, ce que la Commission avait d’ailleurs reconnu.

 

[13]           Le comité d’appel était également d’avis que les conditions d’accès aux documents imposées à M. Janz convenaient dans la situation du Dr Ayangma pour répondre à l’inquiétude de la Commission quant à la trop large diffusion des documents de test de nature délicate.

 

[14]           La question litigieuse à laquelle le comité d’appel était confronté concernait le risque que le Dr Ayangma puisse obtenir un avantage indu en ayant accès aux documents de nature délicate s’il devait pas la suite se porter candidat à un poste dans la fonction publique pour lequel on lui ferait subir les exercices de simulation en cause. Le comité d’appel devait également examiner si l’imposition d’autres conditions pouvait atténuer ce risque.

[15]           Le comité d’appel traite, dans sa décision de refuser l’accès par le Dr Ayangma aux documents de test confidentiels, de la plupart des arguments soumis par Mme Gupta à la Cour. Quant à la question du risque posé par l’accès du Dr Ayangma à ces documents, le comité d’appel a statué que ce dernier n’avait pas suffisamment exclu la possibilité de poser sa candidature à un poste de fonctionnaire pour lequel il pourrait devoir subir l’un des exercices de simulation en cause (voir le paragraphe 27 ci‑dessous).

 

[16]           Relativement à la question du traitement prétendument différent par la Commission de la situation du Dr Ayangma et de celle de M. Janz et des membres du jury de sélection, le comité d’appel a tiré les conclusions suivantes :

Le poste qu’occupait M. Janz au sein de la fonction publique était différent. Compte tenu de la nature de ce poste, la conclusion du Dr Forster selon laquelle M. Janz ne pourrait raisonnablement aspirer à un poste exigeant de passer les tests 425 ou 428 est fondée. Je conviens avec lui que le risque de lui conférer un avantage indu était pratiquement nul.

 

[…]

 

Toutefois, les raisons pour lesquelles un jury de sélection a entièrement accès aux documents des tests standardisés ne sont pas les mêmes que celles d’un appelant ou de son représentant. Un jury de sélection doit examiner tous les documents d’un test pour être en mesure de l’utiliser afin d’évaluer les candidats. L’appelante et son représentant doivent avoir accès à ce matériel pour être en mesure de présenter l’appel. Les restrictions imposées aux appelants en vertu du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique ne s’appliquent pas aux membres du jury de sélection. Mon rôle consiste à déterminer si l’accès aux documents du test 425 par le Dr Ayangma risquerait d’influencer les résultats d’un test standardisé en lui conférant un avantage indu. Je conclus que cela pourrait avoir une incidence sur les résultats du test 428 s’il le passait, car il bénéficierait d’un avantage indu sur les autres candidats au même poste. Il est possible qu’au moins un des membres du jury de sélection puisse bénéficier d’un avantage semblable pour les mêmes raisons, mais je n’ai pas compétence pour intervenir en raison de ces motifs et cela ne change rien à ma conclusion concernant le Dr Ayangma

 

 

[17]           Pour ce qui est, finalement, de la question d’assortir de conditions additionnelles l’accès par le Dr Ayangma aux documents, le comité d’appel a statué comme suit :

Lors de la seconde téléconférence, le Dr Ayangma s’est engagé verbalement à ne pas passer les tests 425 et 428 après que le ministère a expliqué sa raison de lui refuser l’accès complet aux documents du test. Un tel engagement serait difficile, voire impossible, à mettre à exécution. À mon avis, une personne qui prend ce type d’engagement pour être en mesure de présenter un appel risque toujours de changer d’idée en cours de route devant la possibilité de poser sa candidature pour un poste exigeant de passer le test 428.

 

Le Dr Ayangma a ajouté, à la seconde téléconférence, qu’il n’était pas intéressé à occuper des postes de niveau PM-4 à 6. Toutefois, d’après le témoignage du Dr Forster, le test ne se limite pas nécessairement à ces postes.

 

La possibilité que le Dr Ayangma bénéficie d’un avantage indu s’il a accès au matériel du test demeure toujours, même si toutes les conditions imposées à son prédécesseur lui sont imposées et même si l’on tient compte de son engagement à ne pas passer les deux tests

 

 

Questions en litige

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Le comité d’appel a-t-il commis une erreur ouvrant droit à révision dans son traitement de la demande de divulgation de la demanderesse?

 

Analyse et décision

[18]           Dans l’arrêt Davies c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 188, 2005 CAF 41, la Cour d’appel fédérale s’est longuement penchée sur la norme de contrôle qu’il convenait d’appliquer aux décisions rendues par un comité d’appel de la Commission de la fonction publique et a conclu que, quant aux questions juridiques ayant trait à la Loi, la norme appropriée était celle de la décision correcte, tandis que quant aux questions ayant trait au processus de sélection, la norme était celle du caractère raisonnable. Bien que les questions en litige diffèrent quelque peu en l’espèce, il n’y a aucun motif selon moi pour faire ici une distinction d’avec l’analyse de la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Davies, que j’appliquerai donc dans la présente affaire. Quelle que soit la norme de contrôle applicable en bout de ligne, cela n’a toutefois aucune importance puisque j’en viens à la conclusion que la décision du comité d’appel était correcte quant aux questions de droit et raisonnable quant aux conclusions de fait.

 

[19]           La décision de la Commission de restreindre l’accès par le Dr Ayangma aux documents de test confidentiels devait être appréciée en fonction des facteurs énoncés à l’article 26 du Règlement. À cet égard, le juge Paul Rouleau présente dans Gill, précitée, un résumé utile de la jurisprudence antérieure sur cette disposition. Le juge commence en reconnaissant clairement qu’il importe de préserver la confidentialité des tests standardisés de la Commission, puis déclare ce qui suit :

7      La Loi sur l’emploi dans la fonction publique vise à assurer que les nominations qui sont effectuées au sein de la fonction publique soient fondées sur la sélection au mérite. À cette fin, la présente cour a toujours reconnu qu’il est important de maintenir la confidentialité des tests standardisés pour le motif que la divulgation de matériel d’examen confidentiel aux fonctionnaires et à d’autres personnes qui sont susceptibles de se présenter à pareils tests permettrait peut‑être à ceux‑ci d’obtenir des renseignements au sujet des réponses attendues et d’utiliser ces renseignements dans des concours futurs ou de les distribuer à d’autres personnes, intentionnellement ou non. Si elle ne peut pas assurer au comité d’appel qu’un test n’a pas été compromis et que le contrôle y afférent est maintenu, la Commission ne peut pas utiliser ce test comme outil d’évaluation et elle doit le remplacer à grands frais. La confidentialité du matériel d’examen constitue donc un aspect important du principe du mérite. Ces principes ont été énoncés comme suit par le juge Rothstein dans la décision Barton et Watkins c. Canada (Procureur général) (1993), 66 F.T.R. 54, à la page 56 […]

 

[20]           Dans Gill, ensuite, on approuve la pratique de la divulgation sélective à un représentant « qui ne tirera pas avantage de pareil accès » (paragraphe 20). Pour justifier la non-divulgation au représentant d’un candidat, la Commission « est tenue de démontrer qu’en cas de divulgation, il est possible que le test soit compromis ou que les résultats soient faussés » (paragraphe 18). La Commission a donc uniquement comme fardeau de démontrer la possibilité (et non la probabilité) d’un préjudice.

 

[21]           Il ressort clairement de sa décision que le comité d’appel a bien compris les principes juridiques énoncés dans Gill. Le comité décrit avec exactitude dans la décision le fardeau qui incombe à la Commission d’établir la possibilité d’un avantage pour le Dr Ayangma s’il a accès aux documents de test confidentiels. Le comité d’appel devait ensuite assumer la responsabilité d’évaluer la preuve dont il était saisi en regard des principes juridiques établis dans Gill. C’est d’ailleurs sur l’analyse du comité d’appel fondée sur la preuve que portent la plupart des arguments que Mme Gupta a présentés.

 

[22]           Une bonne part de l’argumentation soumise par Mme Gupta   au comité d’appel et à la Cour concernait la prétendue différence entre le traitement réservé par la Commission au Dr Ayangma et celui réservé à M. Janz et aux membres du jury de sélection. Selon Mme Gupta, le comité d’appel a aussi apprécié erronément les réponses données par le Dr Ayangma aux questions posées par la Commission sur ses ambitions quant à un emploi futur au sein de la fonction publique. Elle soutient également que, puisse le Dr Ayangma ne travaille pas actuellement dans la fonction publique, les règles sur la confidentialité ne lui sont pas applicables.

 

La différence de traitement

[23]           Mme Gupta  prétend que les limites imposées à l’accès par le Dr Ayangma aux documents sont injustes et préjudiciables et ne cadrent pas avec le traitement réservé aux personnes dans une même situation. Elle souligne que son premier représentant, M. Janz, avait obtenu plein accès aux documents de test, tout comme les membres du jury de sélection; or, toutes ces personnes travaillent au sein de la fonction publique et l’accès aux documents pourrait leur conférer un avantage un jour dans le cadre d’un concours. Mme Gupta ajoute même que cette différence de traitement constitue de la discrimination raciale, comme elle-même et le Dr Ayangma sont des personnes de couleur alors que toutes les autres personnes concernées sont de race blanche. Il semblerait d’après le dossier que le Dr Ayangma avait porté une accusation semblable lorsque, devant la Commission, il avait mis en question les limites dont celle‑ci souhaitait assortir son accès aux documents de test.

 

[24]           Je traiterai d’abord de l’allégation de discrimination raciale formulée par Mme Gupta. Après examen du dossier, je n’ai pu trouver le moindre indice pouvant étayer un tel argument, que ce soit relativement à la décision de la Commission de refuser au Dr Ayangma un plein accès aux documents ou, plus important encore, relativement à la décision du comité d’appel confirmant la position adoptée par la Commission. Quoi qu’on puisse dire par ailleurs sur la position de la Commission ou sur la décision du comité d’appel, celles‑ci découlaient manifestement de préoccupations légitimes et raisonnables quant à la préservation de l’intégrité du système des tests standardisés –  un système dont l’existence est reconnue par la loi et qui, ne l’oublions pas, vise à assurer que les décisions en vue de nominations soient fondées sur le mérite et ne soient nullement discriminatoires.

 

[25]           La question dont la Commission et plus tard le comité d’appel étaient saisis nécessitait de concilier des intérêts divergents. Il fallait prendre en compte le droit de Mme Gupta à un appel valable grâce à la divulgation des documents pertinents, tout en veillant, en même temps, à préserver l’intégrité du système d’utilisation de tests, possiblement en limitant une telle divulgation. Trouver le juste équilibre entre ces deux importantes préoccupations constitue, en bref, le type de décision à l’égard de laquelle différentes personnes raisonnables pourront avoir en toute bonne foi des divergences d’opinion. Il ressort clairement du dossier que la Commission et le comité d’appel ont fait preuve d’équité et d’intégrité dans le traitement au fond de la question de la divulgation. Absolument rien ne permet de douter de la justesse de l’approche qu’a dit utiliser le comité d’appel lorsqu’il a décrit comme suit (au paragraphe 29) la nature du problème dont il était saisi :

La  dernière question que je dois trancher consiste à concilier le droit de l’appelante de pouvoir présenter et faire valoir sa cause intégralement et le besoin de protéger la confidentialité des tests standardisés afin qu’ils puissent être utilisés lors de futurs concours. Pour cela, je traiterai de chacune des trois questions.

 

 

Le simple fait qu’une partie lésée n’estime pas valide une décision d’un tel type, et puisse soutenir de manière défendable que des lacunes entachent la logique utilisée ou l’analyse effectuée pour régler le problème, ne peut permettre de conclure que la décision reposait sur des motifs discriminatoires. Je conclus, par conséquent, que l’allégation de discrimination portée par Mme Gupta est sans aucun fondement.

 

[26]           Mme Gupta fait également valoir que le traitement par la Commission de la question de la divulgation de documents au Dr Ayangma et l’aval qu’en a donné le comité d’appel ne cadraient pas avec la façon qu’on avait eu de procéder avec son représentant précédent, M. Janz. Elle soutient que la possibilité que M. Janz puisse obtenir un avantage professionnel en ayant accès aux documents de test était équivalente (sinon supérieure) à la possibilité d’un avantage à obtenir par le Dr Ayangma. Ce n’est pas en ce sens, bien sûr, qu’a conclu le comité d’appel. Celui‑ci a conclu que le poste de M. Janz différait de celui du Dr Ayangma. M. Janz travaillait comme surveillant de cuisine et il était parfaitement raisonnable pour le comité d’appel de conclure qu’il n’aurait vraisemblablement pas pour ambition professionnelle d’obtenir un poste de gestion requérant de passer l’un des exercices de simulation en cause. La conclusion du comité d’appel selon laquelle il n’y avait pratiquement aucun risque que M. Janz puisse bénéficier un jour d’un avantage était raisonnable eu égard à la preuve dont il était saisi et ne peut servir de fondement à l’intervention de la Cour.

 

[27]           Mme Gupta soutient que les restrictions imposées au Dr Ayangma étaient déraisonnables puisque, dans son cas aussi, il était improbable qu’il obtienne un avantage professionnel en ayant accès aux documents de test. Le comité d’appel est arrivé à une conclusion contraire sur cette question, statuant comme suit au sujet du Dr Ayangma (paragraphe 36) :

J’estime que la décision du ministère de suivre les conseils du Dr Forster est raisonnable. Bien que le Dr Ayangma allègue que le refus de lui accorder cet accès constitue une différence de traitement, la preuve indique clairement qu’il serait un candidat logique à des postes aux niveaux de la haute direction du groupe PM et peut-être d’autres groupes de la catégorie administrative et du Service extérieur, niveaux auxquels le test pourrait être administré, selon la nature des fonctions. Contrairement à ce qu’a affirmé le Dr Ayangma au cours de la téléconférence du 25 octobre 2005, rien dans sa réponse écrite au Dr Forster ne laissait entendre qu’il excluait la possibilité de poser sa candidature à des postes de ces niveaux. S’il posait sa candidature pour de tels postes après avoir obtenu l’accès à tous les documents du test et pris des notes de ces documents aux fins d’un appel, il est fort probable qu’il se souviendrait suffisamment de la nature du test pour que les résultats du test 428 en soient influencés, car il bénéficierait d’un avantage indu s’il posait sa candidature à un tel poste et s’il passait ce test.

 

 

Mme Gupta affirme que cette conclusion est abusive. Selon elle, les réponses écrites du Dr Ayangma aux questions posées par la Commission sur ses ambitions de carrière dans la fonction publique étaient sans équivoque, le Dr Ayangma rejetant toute possibilité de chercher à obtenir un jour un poste requérant de passer l’un des tests en cause. Sur cette question, il importe d’examiner les réponses du Dr Ayangma aux questions posées par la Commission :

[traduction]

Q.:       Êtes-vous actuellement un fonctionnaire fédéral?

 

R.:       Je ne suis pas fonctionnaire en ce moment.

 

Q.:       Dans la négative, avez-vous déjà été fonctionnaire fédéral? Dans ce cas, à quel poste (y compris la classification et le niveau)?

 

R.:       Le poste le plus récent que j’ai occupé était celui de gestionnaire régional de programmes (PM-05).

 

Q.:       Combien de temps avez-vous occupé ce poste?

 

R.:       J’ai occupé ce poste 18 mois.

 

Q.:       Quand votre emploi au sein de la fonction publique fédérale a-t-il pris fin?

 

R.:       Mon emploi dans la fonction publique fédérale a pris fin en 2004.

 

Q.:       Avez-vous posé votre candidature à un poste quelconque dans la fonction publique fédérale depuis lors?

 

R.:       Non, je n’ai pas posé ma candidature à un poste quelconque dans la fonction publique fédérale depuis lors.

 

Q.:       Envisagez-vous de travailler au sein de la fonction publique fédérale dans un avenir prévisible?

 

R.:       Je ne sais pas (peut-être au niveau de la direction ou dans le syndicat).

 

Q.:       Si vous avez répondu par la négative à la question précédente, pouvez-vous écarter la possibilité que vous posiez votre candidature à un poste quelconque dans la fonction publique fédérale dans un avenir prévisible?

 

R.:       Peut-être; cela dépend du type de travail et du niveau du poste.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           Il est tout simplement inexact de dire que les réponses du Dr Ayangma devaient immanquablement suffire pour rassurer la Commission ou le comité d’appel quant à l’impossibilité que ce dernier pose un jour sa candidature à un poste dans la fonction publique requérant de passer l’un des exercices de simulation en cause. Selon la preuve dont le comité d’appel était saisi, il se pouvait bien que les types de postes que le Dr Ayangma n’était pas disposé à exclure de ses ambitions professionnelles futures nécessitent qu’il passe l’un des tests ici en cause. Les réponses du Dr Ayangma ne permettent donc pas d’exclure le risque d’un possible avantage et, quoi qu’il en soit, la retenue judiciaire est indiquée relativement à la conclusion du comité d’appel sur ce point vu l’existence d’éléments de preuve qui permettent de l’étayer.

 

[29]           Pour ce qui est maintenant de la prétention de Mme Gupta voulant que le Dr Ayangma ait été la seule personne interrogée par la Commission, je désire souligner que ce qu’il s’agit d’examiner dans le cadre de la présente demande ce sont non pas les pratiques de la Commission mais bien plutôt les conclusions du comité d’appel. Or, le mandat de celui‑ci était d’examiner la situation de Mme Gupta et de son représentant, le Dr Ayangma, puis de décider de quelles conditions, le cas échéant, il fallait assortir la divulgation dans son cas particulier. Il était loisible au comité d’appel de diverger d’opinion avec la Commission et d’établir ses propres critères de divulgation. Il n’était pas du ressort du comité d’appel d’examiner ce que la Commission avait pu faire ou ne pas faire dans d’autres situations. Même s’il en était autrement, le dossier permet de constater que la Commission a bel et bien interrogé M. Janz, comme le fait voir la réponse courriel de la Commission par suite d’une question du Dr Ayangma :

[traduction]

Nous avons décidé de divulguer le test à Frank Janz, ayant estimé que le risque était négligeable que celui‑ci subisse un jour un test tel que le test 425 ou 428. L’écart existant entre le poste actuel de M. Janz et un poste d’agent –  ou de superviseur – de niveau PM ou un poste similaire diffère considérablement de l’écart qui existerait pour le Dr Ayangma compte tenu du poste le plus récent qu’il a occupé au sein du gouvernement fédéral. J’ai bien posé à M. Janz les questions aussi posées au Dr Ayangma. Nous avons pris en considération ses ambitions professionnelles, de même que son poste actuel et les types de postes à l’égard desquels (le cas échéant) il était vraisemblable qu’il pose sa candidature au sein de la fonction publique dans un proche avenir. En bout de ligne, alors que le Dr Ayangma ne pouvait exclure la possibilité de poser sa candidature à un poste requérant de passer le test 425 ou 428, M. Janz a réussi, selon moi, à exclure cette possibilité.

 

 

[30]           La plainte semblable de Mme Gupta selon laquelle les membres du jury de sélection n’étaient pas dans une situation différente de celle du Dr Ayangma ne peut être retenue pour le même motif. Le comité d’appel n’était pas saisi des choix faits par la Commission pour gérer le processus de sélection et contrer le risque d’un avantage conféré aux membres du jury de sélection. En outre, il était raisonnable pour le comité d’appel d’établir une distinction et de conclure que l’accès par ces membres aux documents de test confidentiels constituait un risque ne pouvant être évité à toutes fins utiles du fait de leur participation même au processus de sélection.

 

[31]           Mme Gupta a également prétendu que, comme le Dr Ayangma n’est pas actuellement membre de la fonction publique, il devrait échapper aux règles sur la confidentialité. Elle s’appuie pour soutenir cette prétention sur la décision Gill où il est dit (au paragraphe 22) que « la divulgation de tout le matériel d’examen confidentiel pertinent à un représentant qui n’est pas employé dans la fonction publique » répondrait aux préoccupations de la Commission. Avec cet argument, en toute déférence, Mme Gupta fait dire plus qu’il ne faudrait à ce passage de Gill. Le juge Rouleau commence dans sa décision par reconnaître de manière générale que la question en jeu est celle d’un avantage possible pour un candidat ou son représentant –  une préoccupation à laquelle souvent, mais pas inévitablement, on répondra en choisissant quelqu’un qui n’est pas membre de la fonction publique. En l’espèce, le comité d’appel a conclu qu’en raison du récent poste de gestionnaire occupé par le Dr Ayangma dans la fonction publique et de l’équivoque existant quant à sa candidature à un poste futur, il demeurait possible que ce dernier obtienne un avantage de la divulgation de l’ensemble des documents de test.

 

[32]           Le comité d’appel a traité correctement la question de la situation d’emploi du Dr Ayangma en statuant que la déclaration du juge Rouleau dans Gill « ne signifie pas nécessairement que toute personne qui n’est pas employée de la fonction publique constituerait un représentant convenable à qui ces documents pourraient être divulgués. Le risque posé à l’intégrité du test par l’accès à ces documents varie d’une personne à l’autre, en fonction de nombreux facteurs ».

 

[33]           Mme Gupta s’est dite fort préoccupée par la suggestion que lui a faite le comité d’appel de désigner un autre représentant dont les ambitions professionnelles n’entrerait pas en conflit avec les préoccupations en matière de confidentialité de la Commission. Elle affirme que le Dr Ayangma est la seule personne qui puisse valablement défendre ses intérêts dans le cadre de l’examen des documents de test confidentiels.

 

[34]           Rien n’est préoccupant dans l’observation de la Commission au sujet d’un nouveau représentant. Lorsqu’il s’agit de concilier des intérêts divergents, comme ceux en présence en l’espèce, il est tout à fait indiqué de prendre en considération qu’il est relativement aisé d’apporter réponse aux sujets d’inquiétude de l’une ou l’autre partie en procédant à certains ajustements. Même si c’est incontestablement à juste titre que Mme Gupta accorde sa confiance au Dr Ayangma, je ne puis admettre qu’il soit la seule personne disponible et suffisamment qualifiée pour bien représenter la demanderesse aux fins d’évaluer la fiabilité des données de test et de lui faire rapport à ce sujet. Mme Gupta n’a présenté nul élément de preuve visant à démontrer qu’elle n’a pu trouver aucune personne ayant des compétences égales à celles du Dr Ayangma; il est raisonnable d’en déduire qu’elle n’a fait à ce jour aucune recherche en ce sens.

 

Conclusion

[35]           Toutes les conclusions du comité d’appel sont étayées par l’interprétation qu’il a donnée à la preuve présentée. La question qu’il me faut trancher n’est pas celle de savoir si j’en serais arrivé à une décision différente sur le fondement de cette preuve, mais si les conclusions du comité d’appel ont un caractère raisonnable. Une décision est déraisonnable si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le décideur, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20, paragraphe 55). Je ne puis conclure qu’il en a été ainsi en l’espèce. En fait, dans la décision du comité d’appel, l’analyse des questions de droit était correcte et l’appréciation de la preuve réfléchie et persuasive. En résumé, c’est là le type de décision qui appelle la retenue dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et je refuse par conséquent de l’annuler.

 

[36]           À la fin de son argumentation, Mme Gupta a demandé l’octroi des dépens, d’un montant de 3 000 $, payables sans délai. J’accorderai dans les circonstances plutôt les dépens à la défenderesse, d’un montant de 2 000 $, débours compris, payables sans délai.

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que des dépens de 2 000 $, débours compris, soient payés sans délai à la défenderesse.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2171-05

 

INTITULÉ :                                       KALPANA GUPTA c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 24 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kalpana Gupta

 

POUR LA DEMANDERESSE

Sid Restall

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

(sans objet)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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