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Date : 20061025

Dossier : T-1330-06

Référence : 2006 CF 1277

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

NOVARTIS AG

demanderesse

et

 

APOTEX INC.

et APOTEX PHARMACHEM INC.

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Apotex Inc. et Apotex Pharmachem Inc. (collectivement désignées Apotex) à l’encontre de la décision d’un protonotaire qui a refusé de radier la déclaration de Novartis AG.

 

L’historique

[2]               Par la voie d’une déclaration datée du 18 août 2006, Novartis a intenté une action en contrefaçon de brevet contre Apotex à l’égard des brevets canadiens portant les numéros 2,026,599 (le brevet 599) et 2,351,999 (le brevet 999).

 

[3]               Les brevets 599 et 999 visent des procédés qui peuvent être utilisés dans la production de la terbinafine (et de son sel chlorhydrique). La terbinafine est un composé antifongique.

 

[4]               Les brevets concernent également des procédés qui peuvent être utilisés pour la production de composés intermédiaires susceptibles de servir à la production de la terbinafine.

 

[5]               Après avoir reçu la signification de la déclaration de Novartis, Apotex a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la déclaration ou, à titre subsidiaire, une ordonnance intimant à Novartis de fournir des précisions.

 

[6]               Dans sa conclusion rejetant la radiation de la déclaration, le protonotaire était convaincu qu’Apotex était au courant de la preuve qu’elle devait réfuter.

 

[7]               De plus, le protonotaire était également persuadé qu’Apotex disposait de faits substantiels suffisants pour plaider sa cause. Par conséquent, la requête en radiation de la déclaration a été rejetée et il n’y a pas eu d’ordonnance visant la production de précisions.

 

[8]               Apotex interjette maintenant appel de la partie de l’ordonnance du protonotaire refusant la radiation de la déclaration, en faisant valoir que le protonotaire a commis une erreur de droit et mal interprété la déclaration en concluant qu’elle était en conformité avec les Règles de la Cour fédérale, qui prescrivent que l’acte de procédure doit exposer tous les faits substantiels pertinents à l’appui de la cause d’action.

 

[9]               Aucun appel n’a été formé à l’encontre du refus du protonotaire d’ordonner à Novartis de fournir des précisions.

 

La norme de contrôle

[10]           Dans le cas où une ordonnance relevant du pouvoir discrétionnaire du protonotaire est déterminante pour l’issue finale d’une affaire, la décision doit être révisée de novo : voir l’arrêt Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. n° 1925, 2003 CAF 488, aux paragraphes 18 et 19. Toutefois, lorsque la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas déterminante pour l’issue finale de l’affaire, elle ne doit pas être modifiée en appel à moins que l’ordonnance soit entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits : voir l’arrêt Merck, précité, au paragraphe 19.

 

[11]           Apotex dit que le refus de radier la déclaration est une décision déterminante pour l’issue finale de l’espèce. Par conséquent, Apotex prétend que la question devrait être révisée de novo. À l’appui de sa position, elle fait valoir un certain nombre de décisions de la Cour, telles que Vogo Inc. c. Acme Window Hardware Ltd. et al., [2004] A.C.F. n° 1042, 2004 CF 851, et AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., [2005] A.C.F. n° 74, 2005 CF 43.

 

[12]           Novartis soutient au contraire que le refus de radier la déclaration n’est pas une décision déterminante pour l’issue finale de l’affaire. Par conséquent, affirme Novartis, la Cour ne doit pas intervenir sauf si la décision a été entachée d’une erreur flagrante en ce qu’elle reposait sur une erreur de droit ou sur une mauvaise interprétation des faits.

 

[13]           Comme j’estime qu’une révision de novo de l’affaire m’amènerait à une conclusion identique à celle du protonotaire, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la norme de contrôle appropriée.

 

L’analyse

[14]           La première question à trancher est de savoir si le protonotaire a appliqué le bon critère pour décider si la déclaration de Novartis devait faire l’objet d’une radiation.

 

[15]           À ce sujet, je note que dans la décision Partenaires pharmaceutiques du Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc., [2002] A.C.F. n° 1305, 2002 CFPI 1010, la juge Layden‑Stevenson a été appelée à décider si un protonotaire avait appliqué le critère approprié pour refuser de radier une déclaration. La juge Layden-Stevenson a conclu que le protonotaire, en se demandant si la déclaration fournissait à la défenderesse suffisamment de renseignements pour se faire une idée de la preuve à laquelle elle devait faire face, avait appliqué le bon critère.

 

[16]           C’est là, naturellement, le critère même que le protonotaire a appliqué en l’espèce. Par conséquent, Apotex ne m’a pas persuadée que le protonotaire a commis une erreur de droit en appliquant un critère erroné pour refuser la radiation de la déclaration de Novartis.

 

[17]           La question suivante est donc de savoir si la déclaration expose tous les faits substantiels pertinents nécessaires à l’appui de la cause d’action. Apotex dit qu’en l’espèce la déclaration ne fait que reprendre diverses revendications des brevets 599 et 999 et elle allègue que les activités d’Apotex contrefont ces revendications, sans expliquer la nature de la contrefaçon alléguée d’Apotex à l’égard des deux brevets.

 

[18]           Par conséquent, dit Apotex, l’action est une recherche à l’aveuglette injustifiée par laquelle Novartis, dans le cadre de l’interrogatoire préalable, cherche à obtenir des renseignements commerciaux au sujet des activités d’Apotex.

 

[19]           À l’appui de sa position, Apotex souligne que les conditions fondamentales pour faire valoir une cause d’action en matière de contrefaçon de brevet ont été exposées dans les termes suivants :

[traduction] En règle générale, dans notre régime de procédure, la déclaration dans laquelle le demandeur affirme qu’on a porté atteinte à ses droits doit établir clairement :

 

a) les faits en vertu desquels le droit reconnaît au demandeur un droit déterminé;

(b) les faits qui constituent une atteinte portée par le défendeur à ce droit déterminé du demandeur.

 

Si la déclaration ne contient pas ces deux éléments de la cause d’action du demandeur, elle ne révèle aucune cause d’action et peut être rejetée sommairement.

 

(Voir les arrêts Dow Chemical Co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd. (1966), 47 C.P.R. 1 (C. de l’É.) à la page 11, et Precision Metalsmiths Inc. c. Cercast Inc. [1967] 1 R.C. de l’É. 214.)

 

[20]           Apotex renvoie également à l’arrêt Northern Telecom Ltd. c. Reliable Electric Co., [1986] 1 C.F. 211 (C.A.F.), qui a statué que dans une action en contrefaçon de brevet, le demandeur doit fournir des précisions sur ce qu’il allègue être la substance de l’invention visée par le litige.

 

[21]           Apotex s’appuie en particulier sur l’extrait suivant de l’arrêt, où le juge en chef Thurlow, rédigeant l’arrêt au nom de la Cour d’appel fédérale, déclare :

... je ne comprends ni naccepte la thèse selon laquelle il serait inadmissible dexiger dun demandeur dinterpréter ses revendications à la première étape dune procédure visant à faire valoir ses droits en vertu d’un brevet. Cest indubitablement le rôle du tribunal dinterpréter les revendications au cours du procès en tenant compte des éléments de preuve relatifs à létat antérieur de la technique et de déterminer ce quelles comprennent, mais cela se produit à une autre étape et constitue une tout autre question que dexiger du détenteur dun brevet de décrire un droit quil revendique même si cela loblige à donner à ses revendications une interprétation quil considère justifiée et quil incitera le tribunal à adopter.

 

[22]           Comme la juge Layden-Stevenson l’a noté dans la décision Partenaires pharmaceutiques, précitée, des arrêts tels que Dow Chemical Co., Precision Metalsmiths Inc. et Northern Telecom Ltd. suggèrent fortement qu’à moins que la déclaration soit structurée de la manière proposée par Apotex en l’espèce, elle sera considérée déficiente et sera radiée.

 

[23]           Toutefois, comme l’a fait observer la juge Layden-Stevenson, la difficulté de cette proposition est la suivante :

[C]es arrêts sont antérieurs à l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, qui a articulé le critère à appliquer en vue de la radiation d’un acte de procédure. Cet arrêt a été appliqué de nombreuses fois dans diverses décisions de notre Cour, ainsi que dans des décisions de tribunaux d’appel et de première instance dans tout le pays. Il en est résulté, bien qu’il soit souhaitable que les actes de procédure soient rédigés correctement, qu’une norme ou un critère a été établi pour la radiation d’un acte de procédure. Ce critère a été décrit récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2002 CAF 255, [2002] A.C.F. n° 882. Le juge Sexton, s’exprimant au nom de la Cour, a statué qu’un acte de procédure, bien qu’il soit très large et formulé en termes très généraux, ne devrait pas être radié dès lors qu’on peut trouver, à la lecture de la déclaration, une cause d’action, si ténue soit-elle. La charge qui incombe à la partie qui demande la radiation est très lourde : elle doit établir qu’il est indubitable que l’affaire n’a aucune chance de succès à l’instruction. De même, dans l’arrêt Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), le juge Décary, s’exprimant au nom de la Cour, a statué que, même s’il peut manquer des éléments et que certains autres peuvent être incomplets, dès lors que l’acte de procédure contient assez d’information pour permettre à la partie opposée de se faire une idée assez juste de la preuve à laquelle elle devra faire face, il ne sera pas radié.

 

[24]           En l’espèce, la déclaration de Novartis allègue que pour produire de la terbinafine, Apotex a utilisé les procédés et les composés revendiqués dans les brevets 599 et 999 et, de ce fait, a contrefait les revendications du produit et des procédés contenues dans ces brevets.

 

[25]           Novartis a également plaidé des faits reliés à la production et à la vente de la terbinafine d’Apotex, vendue sous le nom commercial d’Apo-terbinafine.

 

[26]           En outre, Novartis a identifié le procédé qu’Apotex utilise, allègue-t-elle, pour produire l’Apo-terbinafine et l’a décrit dans l’annexe jointe à sa déclaration.

 

[27]           Dans ces circonstances, même en considérant l’affaire de novo, je suis persuadée que la déclaration de Novartis fournissait suffisamment d’information pour permettre à Apotex de se faire une idée assez juste de la preuve à laquelle elle devait faire face et de faire valoir ses arguments.

 

Conclusion

[28]           Pour ces motifs, le présent appel est rejeté et les dépens de l’appel sont adjugés à Novartis.

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR STATUE QUE l’appel d’Apotex est rejeté avec dépens.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1330-06

 

 

INTITULÉ :                                       NOVARTIS AG

                                                            c. APOTEX INC. et APOTEX PHARMACHEM INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 OCTOBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 25 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsay Hill                                                                              POUR L’APPELANTE

 

Marc Richard                                                                           POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS LLP                                                                 POUR L’APPELANTE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                           POUR L’INTIMÉE

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

 

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