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Date : 20061024

Dossier : T-1722-05

Référence : 2006 CF 1266

Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

LORNE FUNK

demandeur

et

 

BANQUE DE MONTRÉAL

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Lorne Funk réclame des dommages-intérêts contre la Banque de Montréal (la Banque) pour une violation présumée de sa vie privée.

 

[2]               Les préoccupations de M. Funk découlent d’un appel téléphonique qu’il a reçu de la Banque, lors duquel on lui a demandé si, à titre de client de la banque et de débiteur hypothécaire, il était intéressé à souscrire à une police d’assurance-vie et d’assurance-invalidité. Il s’agit apparemment de l’une de ces sollicitations par marketing direct que la plupart des Canadiens connaissent bien.

[3]               M. Funk reconnaît que le représentant de la Banque lui a demandé son nom et que c’est ce dernier qui a soulevé la question de l’hypothèque. Il était toutefois inquiet que sa relation d’affaire avec la Banque n’ait pas été clairement établie avant que les détails concernant son hypothèque ne soient divulgués au cours de l’entretien.

 

[4]               M. Funk a été suffisamment perturbé par les agissements de la Banque pour déposer une plainte auprès de la commissaire à la protection de la vie privée (la commissaire) le 9 juillet 2004. La commissaire a mené une enquête en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la Loi) et, après discussion, la Banque a accepté de modifier ses protocoles téléphoniques de manière à ce que l’identité du consommateur soit clairement établie avant que des renseignements confidentiels ne soient divulgués. La commissaire a jugé que l’amélioration apportée aux procédures téléphoniques de la Banque était satisfaisante.

 

[5]               Dans son rapport d’enquête, la commissaire a également fait remarquer que la Banque n’avait pas utilisé les renseignements personnels de M. Funk de manière inappropriée parce que ce dernier avait autorisé la Banque à communiquer avec lui. Le volet de sa plainte portant sur « l’utilisation » de ses renseignements personnels a donc été rejeté. Le rapport de la commissaire indique également qu’elle n’était pas satisfaite de la procédure mise en place par la Banque pour permettre à ses clients de refuser d’être inclus dans les programmes de marketing direct. Elle a donc recommandé à la Banque de simplifier le processus de refus à ses clients.

 

[6]               Apparemment, M. Funk n’était pas satisfait de la réponse de la commissaire puisque le 11 octobre 2005, il a déposé une action devant la Cour, réclamant à la Banque des dommages‑intérêts pour frais juridiques, perte de temps et de revenus et humiliation.

 

[7]               L’avis de demande de M. Funk est quelque peu ambigu mais apparemment, il fonde son recours sur l’article 16 de la Loi, lequel autorise effectivement la Cour à adjuger des dommages‑intérêts dans certaines circonstances, en cas de manquement à une obligation de protection de la vie privée prévue dans la Loi. L’article 17 de la Loi autorise l’instruction de ces demandes par procédure sommaire, à moins que la Cour n’en décide autrement. Habituellement, la Cour examine donc de telles demandes en se fondant sur des affidavits et des arguments écrits et non dans le cadre d’une audience.

 

[8]               Dans la présente requête, la Banque demande à la Cour de rendre une ordonnance rejetant la demande de M. Funk au stade préliminaire. La Banque affirme que la demande de M. Funk est tellement dénuée de fondement qu’il y a lieu de la rejeter dès maintenant. Elle fait valoir que le seul élément de preuve fourni par M. Funk dans son affidavit à l’appui est une simple déclaration selon laquelle il a subi un préjudice en termes de frais juridiques et de perte de temps et de revenus et qu’il a subi une humiliation.

 

[9]               La probabilité que M. Funk obtienne des dommages-intérêts sur le fondement des éléments qu’il a déposés à la Cour jusqu’à ce jour doit être considérée comme très faible. L’absence de tout élément de preuve valable à l’appui s’explique peut-être par le fait que M. Funk croyait à tort qu’il aurait droit à une audience lors de laquelle il aurait la possibilité de témoigner. Il y a une possibilité, du moins en théorie, que cette explication soit valable mais elle est relativement improbable.

 

[10]           Même si les inquiétudes de la Banque quant au bien-fondé de la réclamation de M. Funk ont beaucoup de poids, les circonstances dans lesquelles la Cour accepte de rejeter une demande sur présentation d’une requête préliminaire doivent être exceptionnelles : voir Hamilton-Wentworth (Municipalité régionale) c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] A.C.F. n° 440, (2000) 187 F.T.R.

 

[11]           Plusieurs des raisons pour lesquelles la Cour hésite à rejeter une demande avant qu’elle n’ait été instruite sur le fond sont exposées dans la décision de principe David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, [1994] A.C.F. n° 1629 (C.A.F.). Dans ses motifs, le juge Barry Strayer affirme ce qui suit, au paragraphe 10 :

10        L’absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s’explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d’interrogatoires préalables et d’instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d’éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu’à l’instruction s’il est « manifeste » (c’est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d’action ou une défense. Bien qu’il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu’une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu’à l’instruction, il est rare qu’un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la Règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l’appuient. Aucune règle comparable n’existe relativement aux avis de requête. Tant la Règle 319(1) [mod. par DORS/88-221, art. 4], la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], la règle pertinente en l’espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l’avis de requête indique « avec précision, le redressement » recherché et « les motifs au soutien de la demande ». Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introduite par voie d’avis de requête introductive d’instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu’une radiation permet d’éviter dans les actions. En fait, l’examen d’un avis de requête introductive d’instance se déroule à peu près de la même façon que celui d’une demande de radiation de l’avis de requête : la preuve se fait au moyen d’affidavits et l’argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu’entraîne l’examen additionnel d’une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire. La présente requête en radiation a donné lieu, inutilement, à une audience devant le juge de première instance et à plus d’une demi-journée devant la Cour d’appel, ainsi qu’au dépôt, devant cette dernière, de plusieurs centaines de pages de documents. Le bien-fondé de l’avis de requête introductive d’instance peut être tranché, et le sera de façon définitive, à l’audience dont la tenue, devant un juge de la Section de première instance, est maintenant fixée au 17 janvier 1995.

 

 

[12]           Le juge Strayer précise ensuite que les requêtes préliminaires en radiation se justifient seulement dans certaines circonstances exceptionnelles et non dans les cas où il existe une question qui mérite d’être débattue quant à la suffisance des allégations dans l’avis de demande (voir au paragraphe 15).

 

[13]           J’ajouterai qu’une partie a toujours la possibilité de modifier l’avis de demande afin d’ajouter une autre mesure corrective ou de demander l’autorisation de déposer des éléments de preuve additionnels par affidavit. Là encore, la Loi prévoit la possibilité de tenir une audience en vue de compléter le dossier de preuve. Aussi faible que puisse être cette possibilité, il s’agit d’une question qu’il appartient au juge de l’audience de trancher et sur laquelle il n’y pas lieu de se prononcer à cette étape des procédures. Il est vrai que cette instance est devant la Cour depuis un bon moment déjà mais il subsiste toujours une possibilité de renforcer le dossier de la demande et je ne suis pas prêt à radier la demande à ce stade. Je suis parvenu à une conclusion semblable dans The John McKellar Charitable Foundation c. Agence du revenu du Canada, [2006] A.C.F. n° 938, 2006 CF 733 :

[Traduction]
[17] Par ailleurs, je n’ignore pas qu’il est possible de remédier au défaut de déposer une procédure dans le délai prescrit en présentant une requête en prorogation après l’expiration du délai. Si la requête de l’ARC était accueillie, cela priverait McKellar de son droit de demander une prorogation de délai. Dans Vancouver Island Peace Society, précité, au paragraphe 24, le juge MacKay faisait allusion à la possibilité de rejeter une demande au stade préliminaire dans le cas où le dossier est entaché d’une irrégularité de procédure à laquelle il est impossible de remédier. Je déduis de cette remarque qu’une irrégularité de procédure à laquelle il est possible de remédier n’est pas suffisante pour justifier le rejet d’une demande au stade préliminaire.

 

[18] Pour résumer, il ne s’agit pas d’un problème qu’il y a lieu de résoudre en se fondant sur le fait que l’une des parties a présenté cet argument à la Cour avant l’autre. Au contraire, ce problème doit être examiné au moment où la demande sera instruite sur le fond. Si, à l’audience, McKellar n’a toujours pas présenté de requête en prorogation, elle encourt manifestement le risque que sa demande de contrôle judiciaire soit rejetée pour ce motif.

 

 

[14]           Le bien-fondé de la demande de M. Funk en l’état actuel du dossier semble certainement très faible mais l’inconvénient que pourrait subir la Banque du fait d’être obligée de plaider la cause sur le fond peut être atténué par la nature sommaire de la procédure et par l’adjudication des dépens, le cas échéant.

 

[15]           La requête de la Banque est donc rejetée, les dépens étant adjugés, quelle que soit l’issue de la cause sur le fond, à M. Funk pour un montant de 250 $.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE QUE la requête en rejet préliminaire soit rejetée, les dépens étant adjugés au demandeur, Lorne Funk, quelle que soit l’issue de la cause sur le fond, pour un montant de 250 $.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER : T-1722-05

 

INTITULÉ :                                       LORNE FUNK c. BANQUE DE MONTRÉAL

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE BARNES

 

DATE :                                               LE 24 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John L. Sinclair

 

POUR LE DEMANDEUR

Richard D. Buchwald

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sinclair & Associates

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Pitblado LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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