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Date : 20061026

Dossier : IMM-7559-05

Référence : 2006 CF 1289

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

MOHAN RAM KISHUN

INDROUTI KISHUN

ANURADHA KISHUN

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les membres de la famille Kishun – l’époux, l’épouse et leur fille adolescente – ont vu rejeter leur demande d’asile. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               Le demandeur principal, l’époux Mohan Ram, était un riche homme d’affaires en Guyane. Il exploitait une flottille de pêche à Annandale, une ville sur la rive est de la Demerara. M. Ram, son épouse ainsi que leur fille sont d’origine indienne et sont reconnues comme étant des Indo-Guyanaises dans leur pays.

[3]               La demande d’asile de la famille Kishun compte de multiples facettes. Les demandeurs prétendent être en tant qu’Indo-Guyanais la cible de Guyanais d’origine africaine, désignés sous l’appellation Afro-Guyanais. Ce qui fait d’eux encore davantage des cibles, c’est leur richesse et le fait qu’ils vivent près du village de Buxton, réputé pour la violence qui y sévit et où vivent principalement des Afro-Guyanais. M. Kishun est également un leader de la collectivité à Annandale et il y a été président du Comité de prévention de la criminalité d’Annandale Sandreef. En 1993, il a suivi une formation pour être agent de police rurale.

 

[4]               Il y a quelques années, des pirates ont abordé l’un de ses navires de pêche et ont volé le moteur. Plus récemment, des personnes ont menacé d’enlever Anuradha, la fille âgée de seize ans des Kishun, si on ne leur versait pas une rançon. Ce dernier incident a persuadé les Kishun de s’enfuir au Canada.

 

[5]               Les Kishun ayant été jugés crédibles, la seule question en litige est celle de la protection de l’État. Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a analysé l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a conclu que les Kishun ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes requérant une protection internationale.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]               Pour paraphraser la décision que je viens tout juste de rendre dans Scotland c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1276, la Cour a eu beaucoup de mal avec le concept de protection de l’État. Les conclusions qui permettent d’établir quelle protection est généralement disponible dans un État donné sont des conclusions de fait. La SPR est spécialisée dans ces questions et il convient de faire preuve d’une grande retenue face à ses décisions à cet égard. On ne modifiera habituellement pas des conclusions de fait à moins qu’elles ne soient manifestement déraisonnables.

 

[7]               D’un autre côté, l’évaluation prospective de la situation des Kishun s’ils devaient retourner en Guyane peut nécessiter d’appliquer des conclusions de fait à la norme juridique définie dans l’arrêt-clé en la matière au Canada, Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 [Ward]. Il peut s’agir d’une question mixte de fait et de droit, qui appelle habituellement la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[8]               Le ministre soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, en s’appuyant sur des décisions telles que Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 300 (C.F.P.I.) (QL) et Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741. La Cour a toutefois statué par ailleurs dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. n° 232 (QL) et Filigrana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1447, [2005] A.C.F. n° 1765 (QL) que la norme applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[9]               Il serait par trop simpliste de statuer que les décisions quant à toutes les questions touchant la protection de l’État sont assujetties à la même norme de contrôle. Comme la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer dans Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, l’analyse pragmatique et fonctionnelle doit se fonder sur les facteurs spécifiques à l’affaire en cause. Par conséquent, comme l’indique le juge Linden (paragraphe 50),

[…] aussi complexe soit‑elle, l’analyse doit être effectuée de nouveau pour chaque décision et non seulement pour chaque type général de décision d’un décideur en particulier en vertu d’une disposition législative précise. Même lorsque la décision semble avoir été réglée dans la jurisprudence « [les cours] ne doivent sauter aucune étape de l’analyse pragmatique et fonctionnelle » (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 21 (Ryan)).

 

[10]           Le juge Phelan a fait remarquer ce qui suit dans Pisniak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 824 :

[8]      Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable en matière de protection de l'État, cette question comporte deux aspects qui se traduisent par l'application de deux normes différentes. La question de savoir si l'État offrait une protection suffisante est en règle générale une question de fait (voir les jugements Nawaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1255, [2003] A.C.F. no 1584 (QL), et Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1449, [2004] A.C.F. n1755 (QL)), qui donne lieu à l'application de la norme de la décision manifestement déraisonnable. La question de savoir si la demanderesse s'est suffisamment prévalue de la protection de l'État est une question mixte de droit et de fait, car la Commission doit appliquer des conclusions de fait à la norme juridique définie dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, en l'occurrence la nécessité de « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » de l'intéressé.

 

 

[11]           Il est bien clair que la norme de contrôle applicable n’est pas celle de la décision correcte. Parfois, il n’est pas nécessaire de choisir entre les deux autres normes. Je me propose d’analyser la décision en vue d’établir si elle est ou non raisonnable. Dans la négative, il faudra pousser plus loin l’analyse pour établir le degré du caractère déraisonnable.

ANALYSE

[12]           Le tribunal a pris en compte l’expérience vécue par les Kishun en Guyane ainsi que leur crainte subjective de persécution s’ils devaient y retourner. Il a également examiné avec soin la preuve documentaire se trouvant dans les dossiers de la CISR de même que les documents présentés par les demandeurs. Le tribunal a conclu que la Guyane était une démocratie parlementaire où la violence sévit, la ligne de faille politique étant essentiellement l’ethnicité.

 

[13]           Le tribunal a conclu que, même si les policiers en service couraient manifestement un plus grand danger, les policiers pas en service n’étaient pas davantage ciblés que le reste de la population. M. Kishun a d’ailleurs déclaré qu’il n’exercerait plus les fonctions d’agent de police en Guyane.

 

[14]           Le tribunal a également conclu que les résidents de Buxton ne prenaient pas que les Indo‑Guyanais pour cibles. Les bulletins de nouvelles font voir qu’au contraire davantage d’Afro‑Guyanais avaient trouvé la mort pendant la vague de criminalité qui a débuté en février 2003, et qu’il se peut que les Indo-Guyanais se sentent moins en sécurité parce qu’ils sont généralement perçus comme étant plus riches.

 

[15]           Le gouvernement guyanais a pris des mesures énergiques pour combattre la criminalité, ce qui est démontré par le fait qu’on a délégué à M. Kishun les fonctions d’agent de police rurale et qu’on l’a armé.

 

[16]           Il ressort de l’examen du dossier que les conclusions tirées par le tribunal n’étaient pas manifestement déraisonnables. Des articles de journaux faisant état d’un discours prononcé par le président Jagdeo, lui-même d’origine indo-guyanaise, à Annandale font voir que le taux de criminalité avait considérablement diminué et que les services de police communautaire donnaient des résultats.

 

[17]           La Guyane est une démocratie qui prend des mesures énergiques pour combattre la criminalité. Bien que selon certains les Indo-Guyanais seraient davantage des cibles de violence, on rapporte que les riches tout autant que les pauvres ainsi que les membres d’autres groupes, d’origine afro-guyanaise et chinoise notamment, sont également victimes de violence.

 

[18]           Il n’était pas déraisonnable pour le tribunal, qui a cité et appliqué Ward, précité, ainsi que Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), de conclure qu’il n’y avait pas de risque sérieux de persécution des Kishun pour un motif visé à la Convention s’ils devaient retourner en Guyane, et qu’il n’y avait pas de raisons importantes de croire qu’ils seraient exposés à une menace pour leur vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[19]           Bien que le tribunal ait également reconnu que M. Kishun souffrait de dépression, son état d’esprit était lié à sa crainte subjective mais n’avait aucune incidence sur le fondement objectif de cette crainte.

 


ORDONNANCE

 

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire visant la décision du 7 novembre 2005 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dont signification a été donnée le 28 novembre 2005, soit rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COURFÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7559-05

 

INTITULÉ :                                       MOHAN RAM KISHUN

INDROUTI KISHUN

                                                            ANURADHA KISHUN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Joseph Milevich

 

POUR LES DEMANDEURS

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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