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Date : 20061026

Dossier : IMM‑4234‑05

Référence : 2006 CF 1292

Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

 

PENG CHENG LI

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas de l’ambassade du Canada en Chine, qui a refusé d’accéder à sa demande, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en vue d’être soustrait aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et de son règlement d’application, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

LE CONTEXTE

[2]               Peng Cheng Li (le demandeur) est un citoyen chinois âgé de 18 ans.

 

[3]               En 1993, ses parents ont divorcé, et il est resté auprès de son père qui avait obtenu la garde. La mère du demandeur s’est remariée en 1994 et a quitté Harbin, où la famille habitait, pour aller vivre à Pékin, mais elle visitait son fils régulièrement. Puis, en 1998, la mère du demandeur et son nouveau mari ont immigré au Canada.

 

[4]               La mère du demandeur est retournée en Chine pour le visiter, en 2000, 2001, 2004 et 2005. Elle est aussi restée en relation avec lui en lui téléphonant souvent et lui envoyant parfois des lettres.

 

[5]               Entre sa deuxième et sa troisième visite, la mère du demandeur a obtenu sa garde, puis a entrepris de le parrainer pour qu’il vienne au Canada, au titre de la catégorie du regroupement familial, en 2002.

 

[6]               Le 8 novembre 2002, la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur a été reçue à l’ambassade du Canada à Pékin (l’ambassade).

 

[7]               Par lettre datée du 2 janvier 2003, l’ambassade informa le demandeur qu’il pouvait être exclu de la catégorie du regroupement familial parce qu’il n’avait pas été officiellement déclaré comme personne à charge par sa mère, puis interrogé au moment de la demande de celle‑ci. La mère et le beau‑père du demandeur ont tous deux affirmé qu’ils avaient été informés par le conseiller en immigration engagé par eux pour les aider dans le traitement de leur demande qu’ils n’étaient pas tenus d’inclure le demandeur étant donné que la mère n’avait pas la garde de son fils. Dans la même lettre, l’ambassade priait donc le demandeur d’indiquer les motifs d’ordre humanitaire pour lesquels sa demande ne devrait pas être rejetée.

 

[8]               Le représentant des parents du demandeur a répondu par une lettre en date du 10 février 2003, accompagnée de pièces justificatives et d’une preuve photographique de la situation du demandeur en Chine et de la relation qu’il entretenait avec sa mère. L’information fournie concernait ce qui suit : les difficultés financières du père du demandeur; les conditions de vie actuelles du demandeur (comme il n’y a pas d’école dans la région rurale où habite son père, il doit vivre dans la ville voisine de Harbin avec sa tante, en chômage, et son jeune cousin, dans un très petit logement); l’effet défavorable d’un rejet de sa demande sur son éducation; le fait que la mère et le beau‑père du demandeur sont disposés et aptes à lui apporter un soutien financier et affectif; et finalement la relation étroite entre le demandeur et sa mère.

 

[9]               Par lettre datée du 8 avril 2003, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur a été refusée.

 

[10]           Une demande de contrôle judiciaire de ce refus a alors été déposée par le demandeur. Dans la décision Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 2055, le juge John A. O’Keefe a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et ordonné que l’affaire soit renvoyée à un autre agent, pour nouvelle décision.

 

[11]           Le 7 janvier 2005, l’agente des visas Emmanuelle Gentile (l’agente) a réexaminé le dossier du demandeur et jugé qu’une entrevue était nécessaire.

 

[12]           Le 3 février 2005, une lettre a été envoyée au demandeur, qui le priait, ainsi que son père, de se présenter à une entrevue à l’ambassade le 5 avril 2005. La lettre envoyée au demandeur précisait aussi que sa mère devrait les accompagner à l’entrevue si elle se trouvait en Chine.

 

[13]           Le père et la mère du demandeur l’ont tous deux accompagné. Tous trois ont été interrogés par l’agente, et les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) donnent le détail des questions posées à l’entrevue et des réponses obtenues. D’autres preuves documentaires de la relation entre le demandeur et sa mère ont également été produites, comme l’avait demandé l’ambassade. L’entrevue a durée une heure et demie et, à la fin, l’agente informa le demandeur et ses parents qu’elle devait réexaminer le dossier avec son supérieur parce que la décision finale ne lui appartenait pas.

 

[14]           Par lettre datée du 6 mai 2005, la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur fut encore une fois rejetée. C’est cette décision qui est l’objet de l’actuelle procédure de contrôle judiciaire.

 

LES POINTS À EXAMINER

[15]           Le point capital soulevé dans cette demande de contrôle judiciaire est celui de savoir si l’agente a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire se rapportant au demandeur. Plus exactement :

 

1)      L’agente a‑t‑elle pris en compte tous les facteurs pertinents lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire, en particulier en ce qui concernait l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

2)      L’agente a‑t‑elle pris en compte des facteurs non pertinents lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[16]           Les articles suivants de la Loi et du Règlement intéressent la présente demande.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.

 

(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

117.  […]

 

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

[…]

 

117.  . . .

 

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

. . .

 

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]           L’arrêt de principe concernant la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la juge Claire L’Heureux‑Dubé se livre à une analyse pragmatique et fonctionnelle détaillée, pour finalement conclure que la norme de contrôle à appliquer est la décision raisonnable simpliciter.

 

[18]           Plus récemment, dans la décision Terigho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1061, le juge Richard Mosley s’exprimait ainsi, aux paragraphes 6 et 7, sur la norme de contrôle applicable à telles décisions :

La norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions rendues en vertu de l’article 25 est celle de la décision raisonnable. Il convient de faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193.

 

L’évaluation du caractère raisonnable de la décision ne consiste pas à se demander si le décideur est arrivé au bon résultat. Comme l’a déclaré le juge Iacobucci dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au paragraphe 56, est déraisonnable une décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, un tribunal de révision qui examine une conclusion suivant la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe des motifs au soutien de la décision. Voir également l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, aux paragraphes 55 et 56.

 

[19]           La décision prise par l’agente dans la présente affaire doit donc être revue selon la norme de la décision raisonnable.

 

ANALYSE

[20]           Il importe d’abord de comprendre que le paragraphe 25(1) de la Loi est un recours exceptionnel offert aux demandeurs qui ne répondent pas aux exigences de la Loi. Le critère permettant de dire si une dispense devrait être accordée pour des motifs d’ordre humanitaire a été exposé dans la décision Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1906. Au paragraphe 26, le juge Denis Pelletier écrivait que la procédure applicable aux demandes de dispense fondées sur des motifs d’ordre humanitaire « n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[21]           Les autres facteurs importants qu’il convient de garder à l’esprit sont les suivants : d’abord, dans une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, c’est sur le demandeur que repose la charge de la preuve (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 139); ensuite, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les facteurs pertinents lorsqu’elle examine l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3).

 

1. L’agente a‑t‑elle pris en compte tous les facteurs pertinents lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire, en particulier en ce qui concernait l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

[22]           Il ne fait aucun doute que, si un enfant est concerné, l’« intérêt supérieur de l’enfant » est un facteur essentiel pour déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaire. L’arrêt de principe en la matière est l’arrêt Baker, précité, où la juge L’Heureux‑Dubé écrivait ce qui suit, au paragraphe 75 :

[…] Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.  Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants.  Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

[23]           Dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 457 (CAF), le juge Robert Décary, combinant les enseignements des arrêts Baker et Suresh, précités, a proposé le raisonnement suivant, aux paragraphes 11 et 12 :

La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

Bref, l’agent d’immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, par. 75), mais une fois qu’il l’a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce. La présence d’enfants, contrairement à ce qu’a conclu le juge Nadon, n’appelle pas un certain résultat. Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. […]

 

[24]           Le demandeur dit que, dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agente a commis une erreur parce qu’elle a apprécié incorrectement la relation affective du demandeur avec son père et sa tante, ainsi que sa dépendance affective à l’égard de sa mère.

 

[25]           Après avoir examiné les transcriptions des entrevues menées par l’agente, ainsi que ses notes consignées dans le STIDI, je dois me dire de l’avis du défendeur que l’agente a bien tenu compte des rapports du demandeur avec les divers adultes qui comptent dans sa vie, même si elle n’a pas analysé dans le détail l’importance affective de chacun d’eux. Il n’appartient pas à la Cour de dire si l’agente a accordé un poids « suffisant » à ce facteur particulier.

 

[26]           Le demandeur dit aussi que l’agente a commis une erreur parce qu’elle n’a pas suivi les directives données par le juge O’Keefe dans la procédure antérieure de contrôle judiciaire, selon lesquelles l’agente devait effectuer une analyse comparative de la situation du demandeur en Chine et de sa situation potentielle au Canada.

 

[27]           Le défendeur affirme plutôt qu’une interprétation plus adéquate de l’analyse portant sur l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît dans une décision du juge suppléant Barry L. Strayer, Yue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 914, où il écrit ce qui suit, aux paragraphes 9 et 10 :

[…] Avec respect pour l’opinion contraire, je ne pense pas que la décision [Li c. Canada (MCI)] signifie que, dans de telles circonstances, le facteur déterminant concernant l’intérêt supérieur de l’enfant est seulement l’avantage comparatif de vivre à l’étranger ou de vivre au Canada. En toute déférence, je souscris aux propos formulés par le juge Russell dans Vasquez c. Canada (MCI), [2005] A.C.F. no 96, aux paragraphes 41 à 43 :

41.     Ce que les demandeurs disent en réalité ici, c’est que les enfants seraient évidemment mieux au Canada qu’au Mexique ou au Honduras et, parce qu’ils seraient mieux ici, alors les obligations internationales du Canada font que ce facteur doit être considéré d’une importance prédominante dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui fait intervenir à la fois les parents et les enfants.

 

42.     Je ne crois pas que la loi, la logique ou un quelconque précédent impose la conclusion que les demandeurs voudraient voir la Cour adopter.

43.     Eu égard aux circonstances de la présente affaire, rien ne permet d’affirmer que les enfants seraient exposés à des risques ou ne pourraient se rétablir avec succès au Mexique ou au Honduras. Le fait que les enfants puissent se trouver mieux au Canada, sur le plan du confort en général ou celui des possibilités futures, ne saurait, à mon avis, être concluant dans une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire qui a pour objet de voir s’il y a des difficultés excessives.

À mon avis, la jurisprudence n’exige pas que « l’intérêt supérieur de l’enfant » soit évalué séparément de la question des difficultés et elle n’indique pas que ce facteur est déterminant s’il montre que la personne en question serait mieux ou aurait de meilleures possibilités au Canada. […]

 

[28]           L’argument du défendeur, et la décision même du juge suppléant Strayer, sont d’ailleurs étayés par un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 1687, où le juge Décary écrivait, au paragraphe 5, que l’intérêt supérieur de l’enfant ne saurait être mesuré « dans l’abstrait » et qu’un agent « peut être réputé savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités » qu’il n’aurait pas autrement. Puis le juge Décary poursuivait ainsi, au paragraphe 6 :

Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 

[29]           Après examen de la jurisprudence applicable, je dois me ranger à l’avis du défendeur selon lequel l’agente était parfaitement fondée à comparer la situation du demandeur en Chine avec celle d’autres enfants en Chine. Sans doute vaudrait‑il mieux pour le demandeur qu’il vive avec sa mère au Canada plutôt qu’avec son père en Chine, mais tel n’est pas le critère applicable, d’autant que l’on peut presque prédire ce que sera le résultat d’une telle comparaison. Comme l’écrivait le juge suppléant Strayer dans la décision Yue, précitée, au paragraphe 9 :

Il serait toutefois facile de penser, compte tenu de ce que nous savons des niveaux de vie comparatifs et du fait que la demanderesse dit qu’elle aimerait rejoindre sa mère au Canada, que, dans un monde idéal, il serait plus agréable pour elle de venir ici. […]

 

 

[30]           Je ne doute pas que l’agente savait que le niveau de vie du demandeur serait beaucoup plus élevé au Canada qu’il ne le serait en Chine, mais elle a refusé de conclure que la situation du demandeur en Chine équivalait à des difficultés inhabituelles ou excessives pouvant justifier une dispense d’application de la Loi, selon ce que prévoit le paragraphe 25(1). Compte tenu de la preuve dont je dispose, je ne peux décider qu’une telle conclusion est déraisonnable.

 

2. L’agente a‑t‑elle pris en compte des facteurs non pertinents lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire?

 

[31]           Le demandeur soutient aussi que l’erreur que sa mère a pu commettre en ne le déclarant pas comme personne à charge est sans rapport avec la notion de l’intérêt supérieur de l’enfant, de telle sorte que, dans son appréciation des motifs d’ordre humanitaire, l’agente n’aurait pas dû tenir compte du fait que la mère du demandeur ne l’avait pas déclaré comme personne à charge au moment de présenter sa propre demande.

 

[32]           Le défendeur rétorque que le fait pour la mère de ne pas avoir déclaré le demandeur dans sa propre demande de résidence permanente est un facteur à prendre en compte dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, car c’est un élément qui fait partie des considérations d’intérêt public, comme on peut le lire dans les décisions Yue et Hawthorne, précitées.

 

[33]           Je reconnais avec le défendeur que l’agente n’a pas commis une erreur en incluant, parmi les considérations d’intérêt public devant entrer en ligne de compte dans l’appréciation de motifs d’ordre humanitaire, le fait que la mère du demandeur ne l’avait pas dûment déclaré comme personne à charge.

 

[34]           La Cour arrive donc à la conclusion que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire se rapportant au demandeur.

 

[35]           L’avocat du demandeur a proposé que je certifie les questions suivantes :

[traduction]

1.  Étant donné que les motifs du jugement du juge O’Keefe reposaient sur la conclusion mixte de droit et de fait selon laquelle la situation du demandeur appelait une comparaison entre le Canada et la Chine en ce qui concernait l’intérêt du demandeur dans l’avenir, et puisque l’analyse de cette comparaison, ou un refus de suivre la directive du juge, devait figurer, avec les autres motifs, dans les motifs de l’agente des visas, l’agente des visas a‑t‑elle, dans le cas présent, fait fi de l’ordonnance de la Cour en ne respectant aucune de ces deux obligations, et s’agit‑il là d’une erreur susceptible de révision?

 

2.  La comparaison dont parle le juge O’Keefe dans ses motifs devait‑elle être de nature artificielle, ou était‑elle censée porter véritablement sur l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est‑à‑dire sur son avenir?

 

3.  Puisque le représentant du ministre a reconnu, à l’audience, que la demande avait subi un effet de pénombre entraîné par la déclaration inexacte de la mère au regard de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, ce facteur était‑il hors de propos dans la décision de l’agente des visas?

            a)         L’alinéa 117(9)d) établit‑il une barre déraisonnablement élevée et impossible à franchir dans le contexte d’une demande fondée sur des considérations humanitaires, évaluée hors du Canada, qui a été présentée par un mineur nullement blâmable?

 

            b)         En outre, la prise en compte comme facteur pertinent d’une présumée déclaration inexacte du répondant, dans une demande présentée à l’étranger et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, entraîne‑t‑elle un avantage indu pour des demandeurs semblables qui ont fait une déclaration inexacte et qui ont présenté leur demande au Canada? Autrement dit, le demandeur qui présente à l’extérieur du Canada une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire subit‑il un désavantage que n’a pas à subir celui qui présente sa demande à l’intérieur du Canada?

 

[36]           À mon avis, les trois questions portent sur les circonstances particulières de la présente affaire et ne font pas intervenir une question de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.

 


JUGEMENT

 

1.      La demande est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4234‑05

 

INTITULÉ :                                       PENG CHENG LI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Inna Kogan

 

POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cecil L. Rotenberg, c.r.

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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