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Date : 20061027

Dossier : IMM‑5795‑05

Référence : 2006 CF 1294

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

GURBRINDERJIT SINGH RANDHAWA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas, en date du 16 septembre 2005, de lui refuser un permis de travail. Le demandeur, de nationalité indienne, est un aide‑cuisinier spécialisé dans la cuisine du nord de l’Inde. L’agente des visas a interrogé le demandeur sur l’hygiène des aliments et a estimé qu’il n’avait pas les qualités requises pour faire le travail de cuisinier qu’on lui offrait à Toronto.

Les faits

[2]               Le demandeur a reçu une offre d’emploi comme aide‑cuisinier à temps plein au restaurant indien « Mantra », à Toronto (le restaurant Mantra). Le 6 juin 2005, M. Hemant Bagwani, directeur général du restaurant Mantra, s’est adressé à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) afin d’obtenir une confirmation d’avis favorable en matière de marché du travail, en expliquant qu’il avait besoin des compétences du demandeur comme aide‑cuisinier spécialisé dans la cuisine du nord de l’Inde, pour qu’il seconde le chef cuisinier du restaurant Mantra et forme son personnel. RHDCC a confirmé l’offre d’emploi et, le 5 juillet 2005, rendu l’avis favorable demandé.

[3]               Le 13 juillet 2005, le demandeur sollicitait un permis de travail auprès du Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi. Le 24 août 2005, il s’est présenté à une entrevue d’évaluation.

[4]               Lors de l’entrevue, l’agente des visas a posé au demandeur des questions sur sa sœur au Canada, sur son éducation à lui et sur la cuisine indienne en général. S’agissant de cuisine, le demandeur a répondu à des questions portant sur les épices indiennes et l’hygiène dans une cuisine. L’agente des visas l’a interrogé sur la manière de s’assurer de la fraîcheur du poulet et sur la réfrigération des viandes. À la fin de l’entrevue, l’agente des visas a informé le demandeur qu’elle ne lui délivrerait pas de permis de travail parce que, selon elle, il ne serait pas en mesure d’observer les règles d’hygiène. L’offre d’emploi du restaurant Mantra énumérait, parmi les tâches qu’exécuterait le demandeur, celle « d’assurer le respect des normes rigoureuses d’hygiène et de propreté ». L’agente des visas a donc informé le demandeur qu’elle conserverait son dossier durant 30 jours en lui demandant de suivre un cours d’hygiène culinaire, après quoi une décision finale serait prise à la suite d’une entrevue au cours de laquelle le demandeur allait devoir prouver son aptitude à travailler dans le respect des règles d’hygiène propres à la restauration.

[5]               Du 26 août 2005 au 8 septembre 2005, le demandeur a suivi, par l’entremise du Dare Education Group, un cours d’hygiène des aliments et de salubrité des opérations culinaires. Le 9 septembre 2005, le demandeur a présenté à l’agente des visas un certificat attestant qu’il avait suivi le cours, dont les composantes étaient l’hygiène des aliments, la manipulation sécuritaire des aliments et les opérations culinaires, et qu’il avait reçu la note A.

[6]               Le 16 septembre 2005, le demandeur s’est présenté à une seconde entrevue. L’agente des visas l’a interrogé sur la contamination croisée, les causes de l’empoisonnement alimentaire, les précautions à prendre avec les œufs, la manière de mesurer la fraîcheur des œufs, la lutte phytosanitaire, la recongélation de la viande décongelée, la bonne température interne pour la cuisson des volailles, enfin la manière de laver la vaisselle. Le demandeur a répondu à chacune des questions.

[7]               Comme on peut le lire dans les notes du STIDI, l’agente des visas a conclu que le demandeur n’était pas capable d’exécuter les tâches d’un aide‑cuisinier :

[traduction]

Conclusions : Le demandeur dit qu’il a suivi un cours d’hygiène, mais je ne crois pas qu’il soit en mesure de bien observer les règles d’hygiène que suppose son contrat de travail. Je voudrais dire aussi que j’ai vérifié auprès de plusieurs autres personnes du bureau l’explication qu’il a donnée de la manière de vérifier si une volaille est fraîche ou non (en ce qui concerne par exemple le poulet gonflé), et aucune d’entre elles n’en avait jamais entendu parler. Il avait dit avant cela que le poulet pouvait être conservé au réfrigérateur durant trois semaines avant qu’il ne se gâte.

 

Je ne suis pas convaincue que le demandeur puisse accomplir les tâches prévues. Pas convaincue non plus qu’il réponde aux exigences de la lettre de confirmation d’emploi.

L’agente des visas a rendu une décision écrite par laquelle elle refusait un permis de travail au demandeur. Elle a retenu, dans la lettre type, les deux motifs suivants qui, selon elle, s’appliquaient à son refus :

Vous avez produit une lettre de confirmation de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, qui concerne l’incidence économique de l’offre d’emploi faite à un étranger, mais je ne suis pas convaincue que vous êtes en mesure d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé, selon ce que prévoit l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

Vous avez présenté une lettre de confirmation émise par Ressources humaines et Développement des compétences Canada, mais je ne crois pas que vous répondiez aux exigences du poste qui sont précisées dans la confirmation de l’offre d’emploi.

[Non souligné dans l’original]

Le point en litige

[8]               Le point à décider est le suivant : l’agente des visas a‑t‑elle commis une erreur en refusant de délivrer un permis de travail au demandeur?

Les dispositions législatives

[9]               L’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit ce qui suit :

Section 3

Délivrance du permis de travail

 

Permis de travail

200. […]

Exceptions

 

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

 

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

Division 3

Issuance of Work Permits

 

Work permits

200. . . .

Exceptions

 

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

 

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

Par conséquent, la demande de permis de travail sera acceptée ou refusée selon qu’il y a ou non des motifs raisonnables de croire que le demandeur n’est pas en mesure de faire le travail d’un aide‑cuisinier. L’agente des visas a conclu explicitement que le demandeur n’était pas en mesure « d’assurer le respect des normes rigoureuses d’hygiène et de propreté ».

La norme de contrôle

[10]           Le point à décider est une question mixte de droit et de fait. Les faits doivent être considérés dans le contexte de l’alinéa 200(3)a) du Règlement, qui concerne les permis de travail. Il se trouve que ce règlement établit une norme des motifs raisonnables, à savoir : l’agente des visas avait‑elle des motifs raisonnables de croire que le demandeur était en mesure d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé? La Cour examinera donc cette affaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. J’adopte le raisonnement suivi par le juge de Montigny dans la décision Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, paragraphes 20 et 21.

Analyse

[11]           Selon le demandeur, l’agente des visas a manifestement commis une erreur lorsqu’elle est arrivée à sa conclusion. Il fait valoir que, n’étant pas une spécialiste de l’hygiène des aliments, elle n’était pas en position d’affirmer que ses méthodes culinaires n’étaient pas suffisamment hygiéniques pour lui permettre de faire son travail au Canada.

 

[12]           Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 594, la Cour a jugé, sous la plume du juge Blais, que les agents des visas ne sont pas en position d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un demandeur, ajoutant explicitement qu’il est fautif pour un agent des visas d’évaluer les aptitudes professionnelles d’un chef cuisinier. Le juge Blais s’est exprimé ainsi, au paragraphe 23 :

Les agents des visas évalueront‑ils les compétences professionnelles des ingénieurs ou des chefs cuisiniers? De toute évidence, ils ne sont pas bien placés pour le faire.

 

[13]           J’admets qu’un agent des visas n’est pas un spécialiste de l’hygiène des aliments, ce qui n’a pas empêché ici l’agente de faire subir au demandeur un interrogatoire serré sur le sujet. La Cour est d’avis que l’interrogatoire que l’agente des visas a fait subir au demandeur sur son aptitude à « assurer le respect des normes rigoureuses d’hygiène et de propreté » n’était pas un moyen raisonnable de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur n’était pas en mesure de faire le travail de cuisinier que lui avait offert le restaurant Mantra, à Toronto.

[14]           Le demandeur a sept ans d’expérience comme aide‑cuisinier. Les références fournies par ses anciens employeurs, propriétaires de restaurants, attestent ses compétences et ses capacités. Il a suivi avec succès, à la requête de l’agente des visas, un programme de formation à la manutention des aliments qui est reconnu par le gouvernement de l’Inde. Le restaurant Mantra a précisé dans son plan d’entreprise qu’il formera son personnel :

[traduction] Les employés seront formés non seulement à leurs tâches opérationnelles spécifiques, mais également à notre concept et à ses applications. Ils recevront une information détaillée du chef cuisinier et seront tenus au fait des dernières nouveautés en matière de saine alimentation. Le sommelier va aussi donner une formation aux employés sur les vins.

 

[15]           Au cours de son contre‑interrogatoire le 14 septembre 2006, l’agente des visas a reconnu que la classification nationale des professions (CNP) ne prévoit pas expressément, pour les cuisiniers, l’obligation d’assurer le respect des normes rigoureuses d’hygiène et de propreté. L’agente des visas avait plutôt déduit cette exigence de la description des tâches apparaissant dans l’offre d’emploi faite par le restaurant Mantra.

[16]           L’agente des visas a voulu évaluer l’aptitude du demandeur à cet emploi en faisant appel à ses propres normes d’hygiène et de propreté. Rien dans la preuve n’indique qu’elle disposait de normes objectives d’après lesquelles évaluer le niveau d’aptitude du demandeur. L’unique mesure objective d’aptitude est en réalité le cours de formation à l’hygiène des aliments que le demandeur avait suivi à la requête de l’agente des visas.

[17]           L’agente des visas a refusé de considérer la formation que le demandeur allait suivre durant son emploi au restaurant Mantra. Au paragraphe 15 de son affidavit, elle écrit ce qui suit :

[traduction] Un candidat est tenu de convaincre l’agent des visas qu’il répond aux exigences d’un permis de travail, et notamment qu’il est en mesure d’exécuter les tâches requises pour le poste, avant qu’un visa lui soit délivré. Par conséquent, il m’apparaît hors de propos que le demandeur « doive subir un entraînement au restaurant en application des règlements de la ville de Toronto, notamment une formation aux règles d’hygiène ». Par ailleurs, la connaissance de ce que tel ou tel règlement municipal dit ou ne dit pas n’était pas une exigence du poste, et je n’évaluais pas non plus sa connaissance de tel ou tel règlement ou système. La capacité « d’assurer le respect des normes rigoureuses d’hygiène et de propreté » était, quant à moi, une exigence, et il ne m’avait pas persuadée qu’il pouvait respecter cette exigence. […]

[Non souligné dans l’original]

 

Il est raisonnable d’exiger d’un candidat qu’il réponde aux exigences d’un emploi donné avant qu’un visa de travail lui soit délivré, mais il est déraisonnable de ne pas prendre en compte jusqu’à un certain point l’orientation professionnelle dont le demandeur de visa bénéficierait inévitablement.

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agente des visas en date du 16 septembre 2005 refusant un permis de travail au demandeur est annulée, et la demande de permis de travail est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision, notamment suite à une entrevue avec le demandeur.

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5795‑05

 

INTITULÉ :                                       GURBRINDERJIT SINGH RANDHAWA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Deloges                                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Chantal Deloges

Green & Spiegel

Avocats                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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