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Date : 20061027

Dossier : T-458-05

Référence : 2006 CF 1304

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

MING FUNG ALOYSIUS CHENG

demandeur

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Ming Fung Cheng a commencé à travailler pour la Société canadienne des postes en 1987. En 1996, il s’est blessé au cou et au dos pendant son travail. Par conséquent, il a dû s’absenter de son travail pendant plusieurs mois en 1997 et 1998, puis pendant une période plus longue entre 1999 et 2003. En 2004, il s’est plaint à la Commission canadienne des droits de la personne qu’il avait fait l’objet de harcèlement en milieu de travail et que Postes Canada n’avait pris aucune mesure d’accommodement quant à sa déficience physique. En 2005, la Commission a informé M. Cheng qu’elle ne traiterait aucune plainte ayant pris naissance avant avril 2003 et qu’elle ne traiterait pas les plaintes non encore réglées qu’il avait déposées avant qu’il n’ait épuisé les autres recours dont il disposait. M. Cheng prétend que la Commission a commis une erreur en ne traitant pas l’ensemble des plaintes qu’il avait déposées. Je ne vois toutefois aucun motif d’infirmer la décision de la Commission et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.           Les questions en litige

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé de ne pas traiter les affaires ayant pris naissance avant avril 2003?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en exigeant que M. Cheng épuise les autres recours dont il disposait avant qu’elle n’examine sa plainte?

 

II.  L’analyse

 

[2]               Avant d’examiner les arguments précis invoqués par M. Cheng, je dois souligner que la Commission jouit d’une grande latitude lorsqu’elle décide si elle examinera une plainte : Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.), paragraphe 38.

 

1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé de ne pas traiter les affaires ayant pris naissance avant avril 2003?

 

[3]               M. Cheng a déposé sa plainte en avril 2004. La Commission peut refuser de traiter des allégations qui ont pris naissance plus d’un an avant le dépôt de la plainte : alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (LCDP).

 

[4]               M. Cheng prétend que la Commission aurait dû reconnaître que sa plainte avait trait à une série ininterrompue d’événements et que, par conséquent, les événements qui se produisent avant le délai habituel d’un an ne peuvent pas être séparés des événements les plus récents. De plus, il prétend qu’il a tardé à déposer sa plainte car il poursuivait d’autres recours, comme il était obligé de le faire, à savoir la procédure de grief prévue dans sa convention collective. Il prétend qu’il serait, en fait, injuste de le pénaliser pour avoir pris les mesures qu’il était tenu de prendre.

 

[5]               Lorsqu’elle a décidé de ne traiter que les affaires dans lesquelles les événements se sont produits après avril 2003, la Commission a suivi la recommandation d’un enquêteur chargé du dossier de M. Cheng. L’enquêteur a examiné l’ensemble des circonstances pertinentes aux plaintes déposées par M. Cheng, notamment les détails quant à l’ensemble des procédures de grief entreprises par M. Cheng. L’enquêteur a expliqué le fondement de sa recommandation en soulignant qu’il y avait eu [traduction] « depuis 1997, deux ruptures importantes dans la continuité des présumés actes discriminatoires ».

 

[6]               Après avoir examiné la plainte déposée par M. Cheng, je suis incapable de conclure que la décision de la Commission est déraisonnable. Il est clair que M. Cheng était préoccupé par la façon dont il fut traité après sa blessure initiale. Il a décrit le comportement qu’a eu son employeur au cours de 1997 ainsi que les motifs de son absence au travail entre octobre 1997 et mai 1998. Il semble qu’il s’agisse d’un ensemble isolé de circonstances et de préoccupations. Il s’en est suivi une deuxième catégorie de plaintes ayant trait au comportement de l’employeur de M. Cheng en 1998 et 1999 ainsi qu’à l’absence de ce dernier du travail entre 1999 et 2003. Encore une fois, il semble qu’il s’agisse d’un ensemble isolé de préoccupations. Enfin, la plainte de M. Cheng porte sur une série d’événements qui se sont produits après son retour au travail en 2003. Ces événements ont commencé plus précisément en avril 2003.

 

[7]               Il me semble que, en effet, il y a des ruptures dans la continuité des événements qui se sont déroulés au travail, dissociant ainsi les événements qui se sont produits plus tôt des événements qui se sont produits plus tard. Ces événements mettaient en cause des personnes, des circonstances et des lieux différents. Ils mettraient en cause des témoins différents dont plusieurs ont quitté leur emploi selon Postes Canada. De plus, ces événements ont déjà fait l’objet de nombreux griefs dont certains n’étaient pas encore réglés lorsque la Commission était en train d’examiner la plainte de M. Cheng. Dans les circonstances, je suis incapable de conclure que la décision de la Commission de ne traiter que les événements les plus récents – ceux qui se sont produits au cours de l’année qui a précédé le dépôt de sa plainte – était déraisonnable.

 

2. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en exigeant que M. Cheng épuise les autres recours dont il disposait avant qu’elle n’examine sa plainte?

 

[8]               La Commission peut refuser de traiter une plainte lorsque d’autres recours sont raisonnablement ouverts au plaignant (alinéa 41(1)a), LCDP).

 

[9]               Encore une fois, l’enquêteur a expliqué sa recommandation. Il a souligné que, s’il s’avère ultérieurement que le redressement demandé par M. Cheng au moyen de la procédure de grief n’est pas disponible, la Commission pourrait alors traiter sa plainte. En d’autres mots, M. Cheng ne subira aucun préjudice si la Commission traite sa plainte plus tard.

 

[10]           Il m’est impossible de conclure que cette approche est déraisonnable. M. Cheng pourra toujours déposer sa plainte après avoir complété sa présente procédure de grief. Je souligne que le grief a été déposé en août 2004 et qu’il a été rejeté au premier niveau. Probablement que, à l’heure actuelle, d’autres mesures ont été prises. Si M. Cheng n’obtient aucun redressement en vertu de la procédure de grief, il incombe à la Commission d’examiner le bien‑fondé de sa plainte, comme elle s’est engagée à le faire.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 

 


Annexe

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6

 

Irrecevabilité

 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

[]

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances

 

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H‑6 (CHRA)

 

Commission to deal with complaint

 

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-458-05

 

INTITULÉ :                                             CHENG

                                                                  c.

                                                                  LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 29 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 27 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ming Fung Aloysius Cheng

POUR LE DEMANDEUR/En son propre nom

 

Matthew Certosimo

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ming Fung Aloysius Cheng

Mississauga (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR/En son propre nom

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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