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Date : 20061026

Dossier : IMM-6706-05

Référence : 2006 CF 1286

Ottawa, (Ontario) le 26 octobre 2006

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

JOSE ANTONIO QUITL TLAPALTOTOLI

et

CARIDAD POLANCO ENCISO

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Une seule question est soulevée par cette demande de contrôle judiciaire intentée par Jose Antonio Quitl Tlapaltotoli, le revendicateur principal, et son épouse Caridad Polanco Enciso, tous deux citoyens du Mexique, à l’encontre d’une décision du 8 octobre 2005 de la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) rejetant leur demande d’asile.

 

[2]               Cette demande soulève essentiellement la question à savoir  quelles circonstances justifient les revendicateurs à ne pas demander la protection des autorités du Mexique avant de s’adresser à la communauté internationale?

[3]               D’après l’arrêt de la Cour suprême du Canada  Canada (Procureur Générale) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, il s’agit de savoir s’il était objectivement déraisonnable que les demandeurs n’aient pas sollicité du Mexique la protection qui aurait pu raisonnablement être accordée.

[4]               Je résume brièvement les faits sur lesquels se fondent la demande d’asile.  Le tribunal a jugé le revendicateur principal crédible.

Faits

[5]               Le revendicateur principal travaille pour une compagnie de transport; il est le chef de la production et coordonne la logistique des camions.

[6]               Le 27 mai 2004, monsieur Marcos Antonio Fabregas Janeiro, supérieur immédiat du revendicateur principal et directeur-général des opérations, lui offre de gagner beaucoup d’argent. Il n’avait qu’à suivre ses consignes pour acheminer de la drogue à différentes villes.  Il avait une semaine pour accepter cette offre.

[7]               Le revendicateur principal a mentionné à monsieur Fabregas que c’était dangereux et que la police pourrait les arrêter, ce à quoi ce dernier a répondu qu’il connaissait un des hauts gradés de la police fédérale, un dénommé Ricardo de los Rios;

[8]               Monsieur Fabregas l’avertit de faire attention à ce qu’il dirait et ferait, car quelques-uns de ses amis les surveillaient. Le revendicateur principal a alors remarqué la présence de deux policiers fédéraux qui se trouvaient près d’eux. 

[9]               Le 31 mai 2004, madame Enciso a révèlé à son époux avoir été approchée par des individus qui lui ont indiqué qu’ils attendaient le plus vite possible une réponse de son mari. Ces individus lui auraient mis une main sur la bouche.

[10]           Après avoir expliqué à son épouse le fond de l’histoire, le couple a pris la décision de quitter le Mexique.  Entre-temps, ils sont allés se cacher chez les parents du revendicateur principal. Ils n’ont jamais demandé la protection des autorités du Mexique.

[11]           Ils quittent le Mexique le 17 juin 2004 et demandent la protection du Canada le même jour.

[12]           Je retiens les éléments suivants du témoignage du revendicateur principal.

1.         S’il retournait au Mexique aujourd’hui, il aurait peur de monsieur Fabregas et de monsieur Ricardo de los Rios, le coordinateur en chef de la police fédérale préventive, et des policiers sous son commandement (dossier certifié, page 290);

2.         Monsieur Fabregas faisait partie d’un trafic de drogue, chose qu’il a avoué le 27 mai 2004 (dossier certifié, page 292);

3.         Il reconnaît ne pas être allé voir les autorités après avoir appris  pour le trafic de drogue qui avait cours au sein de l’entreprise. Quand on lui demande pourquoi, il a répondu : « j’ai eu peur »; à la question : « mais croyez-vous que les autorités vous auraient aidé? », il a répondu : « pas beaucoup »; à la question : « pourquoi? », il a expliqué que c’était « à cause du pouvoir qu’il avait, monsieur Ricardo de los Rios, au sein de la police fédérale » (dossier certifié,   page 295);

4.         La membre audiencière lui a demandé d’expliquer un peu plus ses réponses.  Le revendicateur principal a répondu : « je ne savais pas qui était la bonne police et la mauvaise police. Ça se pouvait que je me trouve face à la police qui n’est pas corrompue, mais alors je ne pouvais pas prendre de risque. Si j’allais faire une dénonciation auprès de la police qui n’était pas impliquée ou le contraire » [Je souligne] (dossier certifié, page 305);

5.         Il a avoué, sans toutefois pouvoir les nommer, qu’il y avait au Mexique des organismes créés pour contrer le trafic de drogue, puisqu’on les mentionnait à la télévision (dossier certifié, page 306);

6.         Le revendicateur principal a été confronté à un document qui indique que le gouvernement du Mexique reconnaît la menace sérieuse que le trafic de drogue pose au niveau de la sécurité nationale et de la sécurité publique. Ces commentaires à ce sujet sont les suivants : « Tous ceux-là sont très bien et ça paraît très, très bien, mais la vérité c’est que nous (inaudible). On vivait sous la menace de quelqu’un qui faisait le trafic de drogue et cette personne était très sérieuse lorsqu’elle parlait sur ce qu’elle voulait faire et jusqu’à où elle pourrait aller » (dossier certifié, page 306)

7.         Le revendicateur principal a aussi été confronté à d’autres documents qui affirment que le président Fox et le procureur général Macedo ont créé plusieurs nouvelles entités d’investigation, dirigées par des professionnels avec beaucoup d’habileté pour contrer le trafic de drogue, le crime organisé et le terrorisme. Ces documents établissent que l’effort a mené à plusieurs arrestations de gens très importants, ce à quoi le revendicateur principal réplique: « la réalité diffère beaucoup de ce qui est écrit.  Nous vivons une situation très compliquée et triste. On a vécu de près comment on fait fonctionner ce genre de trafic de drogue. La corruption existe entre la police, les chefs ou les hauts chefs qui sont impliqués et je crois surtout que les gens étaient intimidés devant le pouvoir qui représente ce genre d’autorité » (dossier certifié, page 307 et 308);

8.         Il répond « C’est correct » à la remarque faite par la membre audiencière à l’effet « que la corruption est pas au niveau de tous les policiers de votre pays »; la membre audiencière renchérie en disant : « je veux pas vous faire dire des choses que vous ne dites pas, mais « pas beaucoup », pour moi, ça veut dire qu’il y a quand même  de l’aide que vous pourriez recevoir », ce à quoi le revendicateur principal réplique : « le principal motif pour lequel on n’a pas fait appel aux autorités, c’est de peur pour nos vies. Je ne pouvais pas risquer de, pour obtenir beaucoup ou peu d’aide, je ne le sais pas, devant le fait de sauver la vie de mon épouse et (inaudible) celle de mon fils. Il fallait évaluer cela et c'est-à-dire je prends le risque d’aller faire la dénonciation ou nous sauvons nos vies en quittant le pays. Et c’est cela qui m’a mené à prendre la décision de ne pas encourir le risque de m’adresser à la police » (dossier certifié, page 308).

La décision du tribunal

[13]    Le tribunal circonscrit la notion de la protection de l’État en matière d’immigration en s’appuyant sur certains principes. Je résume l’analyse faite par le tribunal dans les paragraphes qui suivent.

 

[14] « Les demandeurs nous affirmeront n’avoir jamais demandé d’aide ou de protection auprès des autorités de leur pays. Or, il existe un principe de jurisprudence fort établi qui veut qu’un demandeur d’asile demande l’aide de son pays avant de s’adresser à la protection internationale, en l’occurrence ici le Canada. Sauf dans le cas de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens ».

 

[15]  « Cette présomption ne peut être repoussée qu’au moyen d’une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer la protection Une telle preuve […] que leur pays ne peut les protéger, ne nous a pas été présentée par les demandeurs. Ces derniers ne nous ont pas démontré qu’ils avaient agi de manière raisonnable en ne demandant pas la protection de l’État »

 

[16]     Le fardeau pour établir l’absence de protection est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause.  S’appuyant sur le US - Country Report on Human Rights pour l’année 2004 au sujet du Mexique, le tribunal considère qu’« il n’y a pas d’information dans la preuve documentaire affirmant que le Mexique soit un pays non démocratique ».

 

[17]  « Un autre principe de jurisprudence bien établie est que la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite, tel qu’il est indiqué dans l’arrêt Villafranca, une décision de la Cour d’appel fédérale (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130. » 

 

[18]     Le tribunal constate que le Mexique, « bien qu’ayant certains problèmes de corruption, ne peut pas être décrit comme un pays où il y a effondrement complet de l’appareil étatique ». Citant plusieurs documents de la pièce P-6 qui forme le cartable de mai 2005 sur le Mexique, il énonce que «Même si la corruption cause certains problèmes dans ce pays, on peut y lire de cette même documentation que les autorités ont déployé de sérieux efforts pour l’enrayer. De même, le gouvernement Fox a fait arrêter plusieurs membres des forces de sécurité au cours de l’année 2002 […]. » [Je souligne]

 

[19]    Face à la corruption, le tribunal traite de la situation plus récente faisant référence encore à la pièce P-6, laquelle précise  « que le gouvernement Fox continue de faire des efforts pour l’enrayer ». Le tribunal cite la preuve documentaire à l’effet qu’en 2004 plusieurs sources d’information ont signalé que le gouvernement Fox continuait de faire des tentatives pour améliorer les pratiques policières au niveau fédéral et pour mettre un terme à la corruption au sein de la police. Il fait mention du fait que l’Agence fédérale des enquêtes serait « devenue un excellent établissement policier ». Le tribunal remarque qu’entre janvier et juillet 2004, les autorités ont congédié quelques 500 policiers de Mexico impliqués dans la corruption.

 

[20]    D’autre part, le tribunal fait aussi état de la preuve documentaire plus favorable au revendicateur principal. Dans ces documents, des spécialistes de la sécurité publique et des défenseurs des droits de la personne « faisaient remarquer qu’il fallait des changements plus radicaux pour implanter les procédures appropriées et une culture de responsabilité au sein de la police ». Ils signalent aussi « qu’il existe encore l’inconduite policière, la détention arbitraire et des actes d’auto-justice commis par des citoyens qui ne faisaient pas confiance à la police. »

 

[21]    Le tribunal conclut :

« Tout cela ne peut faire en sorte que l’on puisse prétendre qu’il n’y a aucune autorité compétente au Mexique où pouvoir se plaindre, en particulier quant il s’agit d’un incident touchant à la drogue. Il existe encore certains problèmes, mais il est faux de prétendre qu’un citoyen ayant vécu les problèmes allégués par le demandeur dans son pays ne peut se plaindre à aucune autorité et que les autorités mexicaines sont impuissantes et inefficaces face aux problèmes de la drogue. » [Je souligne]

 

 

[22]  Le tribunal cite certains extraits du témoignage du revendicateur principal dans lesquels ce dernier explique pourquoi il n’a pas demandé la protection du Mexique, ainsi que son opinion sur la preuve documentaire émanant des organismes étatiques luttant contre les problèmes de drogue.  J’ai déjà reproduit ce témoignage au paragraphe 12 des présents motifs.

 

[23]    Faisant référence encore une fois au cartable des documents sur le Mexique, le tribunal écrit : « on peut pourtant y lire que le Mexique a pris des mesures très fermes pour lutter contre le trafic de stupéfiants ». Le tribunal s’appuie surtout sur le document qui se trouve aux pages 109 et 110 du Dossier certifié. Qui est plus, le tribunal se réfère à ce document pour y extraire une citation sur la corruption disant que l’administration du président Fox « Placed high priority on combating police and judicial corruption during 2004. Mexican leaders made significant efforts to investigate and punish instances of corruption among Federal law enforcement officials and military personnel ». L’extrait cité par le tribunal fait mention du fait que le PGR avait entamé plus de 1,300 enquêtes sur 2,200 officiers au PGR … «resulting in 418 legal cases against 711 officers (including 267 prosecutors and 335 AFI agents), many of whom represented holdovers from the now-disbanded Federal Judicial Police ». Le tribunal a fait remarqué que « ces informations proviennent toutes de sources dignes de foi. »

 

[24]   Le tribunal s’appuie sur la preuve documentaire pour indiquer que les forces armées sont impliquées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et la saisie de drogue. Il s’y réfère pour constater « qu’il existe une liste d’organisations financées par le gouvernement qui aident les personnes ayant de la difficulté à obtenir la protection de l’État », dont la Commission nationale des droits de la personne et des Commissions étatiques des droits de la personne. Il souligne toutefois que ces organismes, même s’ils accueillent les plaintes relatives aux fonctionnaires fédéraux, aux fonctionnaires étatiques ou municipaux, peuvent uniquement faire des recommandations aux autorités.

 

[25]  Le tribunal conclut sur ce point :

Le demandeur nous a dit craindre M. Fabregas et des agents de la police fédérale. S’il ne savait pas où s’adresser, ne sachant s’il aurait à faire ou non à une autorité corrompue, il aurait pu entre autre aller chercher de l’aide auprès de la Commission nationale des droits de la personne afin que cette dernière accueille sa plainte et l’oriente dans ses démarches.[Je souligne]

 

 

[26]    Ensuite, le tribunal écarte une référence à la preuve documentaire faite par le procureur du demandeur (pièce P-6, onglet 9.2 ) à l’effet qu’au Mexique « les politiciens ou les fonctionnaires peuvent voler, soudoyer ou comploter en vue de frauder massivement le gouvernement, et ce, sans passer une seconde en prison ». Le tribunal observe que cette affirmation provient du Center for Public Integrity, « qui est un organisme sans but lucratif […] et qu’il s’agit d’une opinion fort générale, que d’autres sources gouvernementales et non-gouvernementales contredisent dans le même document. »  De plus, le tribunal fait référence à une autre source documentaire démontrant les progrès de l’État mexicain dans sa lutte contre la corruption et trouve que le document à l’onglet 9.2 de la pièce P-6 fait également état de recours fédéraux offerts aux victimes de corruption.

 

[27]    Le tribunal affirme avoir lu avec attention les documents déposés au dossier écrivant :

Nous ne pouvons affirmer qu’il n’y a pas de corruption au Mexique. Cependant, la preuve documentaire nous démontre que le Mexique prend de grands moyens pour lutter contre le trafic de stupéfiants, qu’il existe des endroits pour se plaindre quant une personne est victime d’un incident relié à cela, et que même si des agents de police fédéraux sont impliqués, des recours contre eux existent également. [Je souligne]

 

 

[28]   Après avoir constaté que le demandeur n’a demandé aucune aide de son pays que ce soit auprès des autorités policières ou militaire, auprès d’organismes luttant contre le trafic des drogues, ou auprès des supérieurs de M. Fabregas (la compagnie de transport était une filiale d’une société australienne), le tribunal exprime sa conclusion générale en ces termes :  

«Considérant tout cela, les demandeurs ne nous ont donc pas démontré qu’ils avaient agi de manière raisonnable en ne demandant pas la protection de l’État. Il est évident qu’ils ne devaient pas mettre leur vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité. Cependant, nous ne pensons pas que cela soit le cas ici, dans la présente cause. Les demandeurs auraient dû s’informer des lieux où ils pouvaient se plaindre face à cet incident avant de venir chercher l’aide au Canada, car de tels lieux existent, tel qu’il appert de la preuve documentaire. Une fois ces lieux connus, ils auraient dû s’y adresser pour obtenir de l’aide, au lieu de venir immédiatement demander la protection du Canada. Les demandeurs ne nous ont pas démontré de façon claire et convaincante l’incapacité de leur pays d’assurer leur protection.»  [Je souligne]

 

 

Analyse

(a) La texte legislatif   

 

[29]     L’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR ») vise la

qualité de réfugié au sens de la Convention, alors que l’article 97 énumère les conditions qu’une personne doit satisfaire pour avoir la qualité de personne à protéger. Je reproduis ces deux dispositions :

PARTIE 2

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

SECTION 1

NOTIONS D’ASILE, DE RÉFUGIÉ ET DE PERSONNE À PROTÉGER

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

PART 2

REFUGEE PROTECTION

DIVISION 1

REFUGEE PROTECTION, CONVENTION REFUGEES AND PERSONS IN NEED OF PROTECTION

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

(b)  La norme de contrôle

[30]     Je souscris à l’analyse qu’a fait ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans l’arrêt Chaves c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 193, quant à la norme de contrôle applicable aux questions touchant la protection de l’État. Selon ma collègue, l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de droit et de fait, et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. D’autre part, si la question prédominante devant la Cour est de savoir si le tribunal a bien interprété la loi et a bien cerné la jurisprudence, le bien fondé de cette question doit être examiné en fonction de la norme de la décision correcte (voir Chaves, précité aux paragraphes 9, 10 et 11; Avila c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 359, au paragraphe 23; et John Joseph Goodman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) IMM-1977-98, 29 février 2000).

 

[31]     Le juge Iacobucci explique la norme de la décision raisonnable simpliciter

dans l’arrêt Barreau du Nouveau Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247 :

[46]  Le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable fait appel à l'autodiscipline. Une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal (voir Southam, précité, par. 78-80)… 

 

 

[48]    Lorsque l'analyse pragmatique et fonctionnelle mène à la conclusion que la norme appropriée est la décision raisonnable simpliciter, la cour ne doit pas intervenir à moins que la partie qui demande le contrôle ait démontré que la décision est déraisonnable (voir Southam, précité, par. 61). Dans Southam, par. 56, la Cour décrit de la manière suivante la norme de la décision raisonnable simpliciter :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de régister à un examen asses poussé.  En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.  [Je souligne]

 

[49]     Cela indique que la norme de la décision raisonnable exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire reste près des motifs donnés par le tribunal et "se demande" si l'un ou l'autre de ces motifs étaye convenablement la décision… 

 

[54]    Comment la cour siégeant en contrôle judiciaire sait-elle si une décision est raisonnable alors qu'elle ne peut d'abord vérifier si elle est correcte? La réponse est que la cour doit examiner les motifs donnés par le tribunal.

 

[55]     La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour  de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79)…  [Je souligne]

[56]     Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n'exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s'arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n'affectent pas la décision dans son ensemble.  [Je souligne]    

 

(c)  La jurisprudence sur la question

[32]     En l’espèce, les agents de l’État ne sont pas les agents persécuteurs. Les demandeurs craignent un individu impliqué dans la drogue et un policier haut-gradé corrompu.  Il ne s’agit pas non plus du cas d’un individu qui a demandé la protection de l’État parce qu’il était persécuté, mais à qui cette protection a été refusée. En somme, l’État n’est ni persécuteur ni complice.  Le cas qui nous concerne en est un où les demandeurs ont omis de s’adresser à l’État pour demander sa protection.

 

[33]     Dans l’arrêt Arellano c. Canada (ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2006] CF 1265.  J’ai résume la jurisprudence comme suit :

[23]     La jurisprudence sur la notion de la protection de l’État dans le contexte d’une demande d’asile est nuancée; le cadre factuel revêt toujours une très grande importance.  Chaque cas est un cas d’espèce.

 

[24]     En l’espèce, les agents de l’État ne sont pas les agents persécuteurs. Il ne s’agit pas non plus du cas d’un individu qui a demandé la protection de l’État parce qu’il était persécuté et à qui cette protection a été refusée.

 

[25]     Dans le cas qui nous concerne, M. Arellano lui-même ne s’est pas adressé à l’État pour demander sa protection et il a même refusé celle qui lui a été offerte.

 

[26]     Le rôle de la protection de l’État en matière de demande d’asile a été analysé par le juge La Forest, au nom de la Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

 

[27]     Le juge La Forest a reconnu que la notion d’une crainte bien fondée de persécution est intimement liée à la capacité de l’État d’assurer la protection. Il explique que la communauté internationale est destinée à servir de tribune de second ressort pour le persécuté, de substitut auquel celui-ci peut s’adresser à défaut d’obtenir une protection locale.  Je cite l’extrait suivant à la page 709:

 

Il est utile d’examiner, au départ, la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l’interprétation des divers termes à l’étude.  Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants.  Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement.  La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.  C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [TRADUCTION] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection  nationale…

 

[28]     Il approuve la proposition que l’on retrouve au paragraphe 100 du Guide du Haut commissariat des Nations Unis pour les réfugiés (« GHCNUR ») dont le texte est le suivant:

 

Chaque fois qu’il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a nationalité, et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale et n’est pas un réfugié.  [Je souligne]

 

[29]     À la page 723 du Recueil de la Cour Suprême, le juge La Forest pose la question à savoir si le demandeur doit d’abord solliciter la protection de l’État, lorsque sa revendication est fondée sur le volet « ne veut » dans le cas où l’État est incapable de le protéger et il rapporte avec une certaine approbation ces propos du professeur Hathaway :

 

qu’on ne saurait dire que l’État ne fournit pas de protection si le gouvernement n’a pas eu l’occasion de réparer une forme de préjudice dans les circonstances où la protection aurait pu raisonnablement être assurée […] toutefois il doit démontrer qu’il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c’est le cas en l’espèce, que les autorités officielles – lorsqu’elles étaient accessibles – n’avaient rien à voir – de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle – dans la persécution dont il faisait l’objet.  [Je souligne]

 

[30]     Le juge La Forest les nuance toutefois de la façon suivante :

Ce n'est pas vrai dans tous les cas.  La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement.  En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.  [Je souligne]

 

 

[31]     Il écrit :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit:  l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [traduction] «aurait pu raisonnablement être assurée».  En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention», s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.   

 

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection.  D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward.  Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection.  Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.  En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.  La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.  En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.  [Je souligne]

 

 

[32]    Il entérine l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c. Satiacum (1999), 99 N.R. 171.  Dans Satiacum, précité, la Cour d’appel fédérale a statué :

 

En l’absence d’une preuve de circonstance exceptionnelle faite par le revendicateur, il me semble que lors de l’audition d’une revendication du statut de réfugié, comme dans une requête en extradition, les tribunaux canadiens doivent tenir pour acquis qu’il existe un processus judiciaire équitable et impartial dans le pays étranger. Dans le cas d’un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États-Unis, il se peut qu’il faille aller jusqu’à démontrer, par exemple, que le processus de sélection de jury est grandement atteint dans la région en question ou que l’indépendance ou le sens de l’équité des juges est en cause  [Je souligne]

 

 (d)  Conclusions

 

[34]     Je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

 

[35]     Je ne peux souscrire aux prétentions de la procureure des demandeurs à l’effet que le

 

tribunal :

·        on’a pas considérée l’ensemble de la preuve, en particulier, le témoignage du revendicateur principal sur la réalité de la corruption au Mexique et le danger mortel auquel ils étaient exposés;

 

·        a analysé la preuve documentaire sélectivement en écartant plusieurs constatations qui n’appuyaient pas les conclusions de celle-ci sur la corruption au Mexique.

 

[36]     Après avoir lu la preuve documentaire, le témoignage des demandeurs et la décision du tribunal, je conclus que le tribunal n’a commis aucune erreur dans l’énoncé des principes juridiques entourant la notion de la protection de l’État en matière de demande d’asile et dans l’analyse de la preuve.  

 

[37]     J’estime que le tribunal s’est bien instruit sur les principes en matière de protection d’État : présomption de la capacité de l’État à protéger ses citoyens lorsqu’il n’est ni persécuteur ou complice et lorsqu’il possède des institutions comme l’armée et les forces de l’ordre, qui fonctionnent normalement quoique pas parfaitement.  

 

[38]     Qui plus est, le tribunal s’est posé la bonne question et a appliqué le bon critère dans les circonstances particulières dans lesquelles se trouvaient les demandeurs. Ainsi, il s’est demandé s’il était objectivement déraisonnable de la part des demandeurs de ne pas s’être adresser aux institutions de l’État avant de s’adresser à la communauté internationale.

 

[39]     La conclusion du tribunal selon laquelle les demandeurs n’ont pas agi déraisonnablement, résiste à l’analyse de la norme de la décision raisonnable, surtout lorsque l’on considère que le fond de l’histoire est une affaire de trafic de drogue et que l’armée est très impliquée dans la lutte contre ce fléau.

 

[40]     Finalement, le tribunal a évalué la preuve documentaire d’une façon équilibrée quant à la l’étendue  de la corruption au Mexique et quant l’accès aux institutions de l’État, Lorsqu’il a conclu que l’État était raisonnablement en mesure d’assurer la protection des demandeurs, le tribunal pouvait davantage se fier à la preuve documentaire qu’au témoignage du revendicateur principal (voir, Zhou c. Le Ministre de l’emploi et de l’immigration, FCA, A-492-91).

 

[41]     Cette cause n’est pas semblable à celle d’Avila, précitée dans laquelle le juge Martineau a cassé une décision de la Section de la protection des réfugiés au motif qu’il y avait un manque total d’analyse.  Dans le présent cas, le tribunal a profondément analysé la preuve documentaire sur la corruption au Mexique et l’impact de celle-ci sur la disponibilité d’une protection pour les demandeurs.   

 

[42]     J’estime que les causes les plus rapprochées de la présente sont celles décidées par le juge de Montigny dans Mendoza c. Canada (MCI) 2005 CF 634 et dans Villasenor c. Canada (MCI) 2006 CF 1080.  


JUGEMENT

 

1.  Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucune question d’importance est certifiée.   

 

« François Lemieux »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6706-05

 

 

INTITULÉ :                                       Jose Antonio Quitl Tlapaltotoli et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 mai 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me. Eveline Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Caroline Doyon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Eveline Fiset

Montréal, (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

John. H. Sims, c.r.

Sous-procurer general du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


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