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Date : 20061026

Dossier : IMM-6970-05

Référence : 2006 CF 1291

 

ENTRE :

BOGUSLAW RAJKOWSKI,

BARBARA RAJKOWSKI,

KAROL SZYMON RAJKOWSKI et

ANNA ZUZANNA RAJKOWSKA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE GIBSON

I. Introduction

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition, le 23 octobre 2006, de la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 25 octobre 2005 par la Section de la protection des réfugiés (le tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle a jugé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. À la fin de l’audience, j’ai informé les avocats que la demande de contrôle judiciaire serait rejetée. Il s’agit des motifs qui m’ont amené à tirer cette conclusion. 

II. Le contexte

[2]               Les demandeurs sont un homme, son épouse et leurs deux enfants. Le demandeur principal est Boguslaw Rajkowski. Les demandeurs sont citoyens polonais, d’origine ethnique rom. Le demandeur principal fonde sa demande d’asile sur le traitement qu’il a subi en Pologne du fait de son origine ethnique. Les autres demandeurs fondent leur demande sur celle du demandeur principal.

 

[3]               Les demandeurs sont venus au Canada depuis le village de Dolnoslaskie en Pologne. Ils sont tous nés en Pologne. Le demandeur principal prétend avoir été agressé par deux hommes qui ont fracassé son accordéon. Il soutient de plus avoir été méprisé à cause de son origine ethnique et traité comme un voleur par la police et par d’autres membres de leur petite collectivité agricole. Le demandeur principal affirme avoir reçu en avril 2004 une lettre de menaces de mort contre sa famille et lui s’ils ne quittaient pas la Pologne. Il prétend qu’il a signalé ces menaces à la police, mais qu’elle n’a rien fait. Les autres demandeurs ont fait part d’incidents où ils ont été victimes de discrimination, de persécution, de harcèlement et de menaces en Pologne.

 

[4]               Les demandeurs ont reçu des visas de visiteur canadiens pour venir assister au baptême de la petite-fille du demandeur principal. Ils sont entrés au Canada en juin 2004. Ils ont demandé l’asile en septembre 2004.

 

III. La décision à l’étude

[5]               Le tribunal était convaincu que les demandeurs avaient établi leur identité et qu’ils étaient citoyens de la Pologne. Il a jugé qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger parce qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés en Pologne du fait d’un des motifs de la Convention, parce qu’ils ne seraient pas personnellement exposés à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils retournaient en Pologne et parce qu’il n’y avait pas de motif suffisant permettant de croire que leur renvoi en Pologne les exposerait personnellement au risque d’être torturés.

 

[6]               À l’appui de sa décision, le tribunal a jugé que le comportement et les actes des demandeurs ne permettaient pas de conclure qu’ils éprouvaient une crainte subjective. Le tribunal a également conclu que la crainte des demandeurs n’était pas fondée objectivement, car la Pologne pouvait assurer raisonnablement leur protection.

 

IV. La question en litige

[7]               L’avocat des demandeurs, devant la Cour, n’a soulevé qu’une question [traduction] « fondamentale » dans la présente demande de contrôle judiciaire, à savoir si les principes de justice naturelle et d’équité procédurale ont été respectés. Les demandeurs ont comparu devant le tribunal en trois occasions différentes, la première le 16 juin 2005, la deuxième le 21 juillet 2005 et la troisième le 4 octobre 2005. Ce n’est qu’à la dernière des trois comparutions que le fond des demandes d’asile des demandeurs a été examiné.

 

[8]               Bien que les demandeurs, dans leur mémoire des arguments, aient mis en doute le caractère adéquat des motifs avancés par le tribunal pour rejeter leurs demandes, cette question n’a pas été soulevée à l’audience.

 

[9]               En substance, la Cour n’avait donc à trancher que la question de savoir si les principes de justice naturelle et d’équité procédurale avaient été respectés ou non dans le cadre des demandes d’asile des demandeurs.

 

V. Analyse

A. La norme de contrôle

[10]           Les questions de justice naturelle et d’équité procédurale ne nécessitent pas d’analyse pragmatique et fonctionnelle. La norme de contrôle applicable à de telles questions est la décision correcte[1].

 

B. La procédure suivie à l’égard des demandeurs

[11]           Les demandeurs sont d’un naturel simple et sont peu scolarisés. Ils ne parlent pas l’anglais. Lors des trois comparutions devant le tribunal, ils n’étaient pas représentés par un avocat, mais ils étaient accompagnés par un « ami » qui parlait le polonais et l’anglais. Un examen de la transcription révèle que cet ami ne maîtrisait pas très bien l’anglais.

 

[12]           Le dossier du tribunal ne contient pas de transcription de la première comparution des demandeurs devant le tribunal, le 16 juin 2005. Les avocats, quand ils ont été interrogés à l’audience, ont été incapables d’expliquer pourquoi la transcription n’y avait pas été incluse. Le seul document pertinent relatif à cette audience soumis à la Cour apparaît à la page 112 du dossier du tribunal et s’intitule Fiche de renseignements sur l’audience. Il semble que le document a été préparé par la présidente de l’audience. Selon ce document, les demandeurs ont comparu, l’audience a duré 25 minutes, l’audience a été ajournée parce que les demandeurs [traduction] « n’étaient pas prêts à commencer sans avocat » et il leur a été enjoint de retenir les services d’un avocat avant le 21 juillet 2005, sinon ils devraient [traduction] « commencer sans avocat ».

 

[13]           L’ami des demandeurs a déposé un affidavit dans le cadre de la présente procédure où il atteste : 

[traduction]

J’ai accompagné les Rajkowski à leur audience du 16 juin 2005. Il n’y avait pas d’interprète, alors la commissaire a parlé avec moi. J’ai expliqué que j’avais trouvé un avocat qui représenterait les Rajkowski, mais qu’il avait besoin que l’audience soit ajournée afin de se préparer. La commissaire a affirmé plusieurs fois que les Rajkowski n’avaient pas besoin d’un avocat. Elle a dit que la discussion à l’audience ne se faisait pas entre l’avocat et le commissaire, mais qu’elle se faisait entre les demandeurs et le commissaire. Elle a dit qu’il n’y avait pas de raison de gaspiller 3000 $. Elle a dit que mon anglais était assez bon et que je pouvais les représenter s’il y avait des questions. Elle a dit qu’elle garderait le dossier et que l’audience aurait lieu dans quelques semaines. Elle a ensuite fixé la date de la nouvelle audience au 21 juillet 2005. Elle a dit qu’elle en serait la commissaire et que l’audience devait avoir lieu à cette date[2].

 

 

[14]             La seconde audience devant le tribunal a eu lieu le 21 juillet 2005. Un autre commissaire présidait l’audience. Encore une fois, l’audience a eu lieu en l’absence d’interprète, mais, cette fois, une transcription de l’audience a été faite et elle est incluse dans le dossier du tribunal. 

 

[15]           La transcription révèle un échange entre le commissaire et l’ami des demandeurs où le commissaire a fait savoir qu’il n’était pas nécessaire pour les demandeurs d’avoir un avocat. Le commissaire a affirmé :

[traduction]

Vous avez le droit d’avoir un avocat. Vous pouvez avoir un avocat si vous le désirez, mais c’est à vos frais et ce n’est pas nécessaire[3].

 

 

[16]           L’ami des demandeurs a fait savoir que ces derniers étaient prêts à commencer ce jour‑là, même si aucun avocat ne les représentait. Néanmoins, l’interprète est arrivé trop tard. En conséquence, l’audience a été remise de nouveau, cette fois au 4 octobre 2005.

 

[17]           Le 4 octobre, les demandeurs ont comparu une autre fois devant le tribunal et, encore une fois, aucun avocat ne les représentait. Lors de cette audience, un interprète était présent. L’ami du demandeur a expliqué la situation au président de l’audience de la manière suivante :

[traduction]

Alors je suis venu ici et j’ai demandé si on pouvait reporter l’audience jusqu’à ce que j’aie recueilli de l’argent de nos amis pour payer un avocat et elle a dit qu’il n’était vraiment pas nécessaire d’avoir un avocat. C’était ce qu’elle conseillait, parce qu’il s’agit d’une affaire entre vous, Monsieur, et eux. Alors elle a dit qu’il n’était pas nécessaire de dépenser tant d’argent pour avoir un avocat et c’est pourquoi nous avons décidé de poursuivre sans avocat[4].

 

[18]           Cela dit, le coût des services de l’avocat a clairement constitué un facteur non négligeable pour les demandeurs et leur ami.

 

[19]           Encore une fois, peu après le début de l’audience du 4 octobre 2005, le commissaire et le demandeur principal ont échangé les paroles suivantes :

[traduction]

Le président de l’audience : Êtes-vous prêt à agir sans avocat?

Le demandeur principal :           Oui.

Le président de l’audience :       Vous savez que vous avez droit à un avocat, à vos frais, mais vous êtes prêt à poursuivre sans avocat?

Le demandeur principal :           Oui, je suis prêt. Je veux en finir[5].

 

[20]           La transcription révèle que le président de l’audience du 4 octobre s’est donné beaucoup de mal au cours de l’audience pour expliquer la procédure et a fait de son mieux pour s’assurer que les demandeurs comprenaient ce qui se passait. Le paragraphe suivant des motifs de la décision du commissaire vient appuyer cette constatation :

Les demandeurs d’asile n’étaient pas représentés par un conseil. Par conséquent, j’ai veillé à ce que les garanties procédurales suivantes soient en place. J’ai expliqué aux demandeurs d’asile, avant le début de l’audience, les motifs prévus dans la Convention et ce que l’on entend par regroupement des motifs et critères juridiques pertinents. J’ai également expliqué les questions de procédure et le fardeau de la preuve qui leur incombait.  Les demandeurs d’asile ont eu la possibilité de revoir leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP). Ils étaient confiants de pouvoir continuer sans l’aide d’un conseil et ils ont affirmé qu’ils comprenaient les explications données[6].  

 

[21]           Devant la Cour, l’avocat des demandeurs a soutenu avec vigueur que les demandeurs avaient subi un déni de justice naturelle et d’équité procédurale parce que les commissaires devant qui ils avaient comparu les avaient avisés qu’ils n’avaient pas à être représentés par un avocat, parce qu’ils avaient suivi à leur détriment ce conseil, en particulier celui reçu lors de la première audience, et parce que l’absence inexpliquée de transcription pour la première audience nuisait à la défense de leurs arguments devant la Cour. Je tire une conclusion différente.

 

[22]           Dans Austria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], ma collègue la juge Tremblay‑Lamer a écrit au paragraphe 3 de ses motifs :

L’unique question dont la Cour est saisie est celle de savoir si la Commission a contrevenu aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en n’ajournant pas l’audience lorsqu’elle a constaté que le demandeur n’avait pas d’avocat.

 

[23]           Aux paragraphes 6 à 9 de ses motifs, la juge Tremblay‑Lamer a poursuivi :

Comme l’indique clairement cet arrêt, qui précise qu’une aide juridique rémunérée par l’État ne s’impose en vertu de la Constitution que dans certains cas, le droit aux services d’un avocat n’est pas absolu. En matière d’immigration plus précisément, la Cour fédérale a statué à maintes reprises que ce droit n’est pas absolu [...] Ce qui est absolu, toutefois, c’est le droit à une audience équitable. Pour qu’une audience se déroule équitablement, le demandeur doit être capable de « participer utilement » à l’instance […]

 

C’est donc dire que, dans certaines circonstances, l’absence d’avocat peut donner lieu à une telle inéquité au cours de l’audience qu’il est justifié que la Cour intervienne. Je ne suis toutefois pas convaincue que ce soit le cas en l’espèce. Je crois que le demandeur a eu effectivement une audience équitable.

 

Je signale tout d’abord qu’il ressort clairement des notes sténographiques que le demandeur a indiqué sans l’ombre d’un doute qu’il était prêt à procéder sans avocat à l’audience du 20 avril 2005. Par ailleurs, aucun ajournement n’a été demandé et, contrairement à ce que laisse entendre le demandeur, rien n’indique qu’il a subi des pressions quelconques pour procéder. Il ne peut pas se plaindre maintenant de son choix, alors qu’il a eu toutes les chances possibles de le faire à l’audience.

 

J’estime en outre que la Commission a pris les précautions nécessaires pour que le demandeur puisse participer utilement à l’instance et que l’audience s’est déroulée équitablement. En effet, un interprète était présent. Le président de l’audience a expliqué en termes fort simples et directs la manière de procéder, le fardeau de la preuve, les cinq motifs prévus par la Convention et la définition d’une personne à protéger, de même que l’importance de la crédibilité. À l’audience, la Commission a pris le temps qu’il fallait pour s’assurer que le demandeur comprenait les documents, comme son formulaire de renseignements personnels. La Commission a pris note des éléments de preuve que l’avocat précédent du demandeur avait soumis antérieurement. Elle a également donné au demandeur la possibilité d’introduire ses propres preuves documentaires. Enfin, à plus d’une occasion, elle a demandé au demandeur s’il comprenait ce qu’on lui demandait, ce à quoi il a systématiquement répondu par l’affirmative.

 

[Renvois omis.]

 

 

[24]           Je suis convaincu qu’il peut être dit exactement la même chose en l’espèce, sauf pour ce qui est de l’occasion donnée aux demandeurs de déposer leur propre preuve documentaire et du fait que, en l’espèce, les demandeurs n’ont jamais été représentés par un avocat, donc qu’aucune preuve n’a été soumise en leur nom antérieurement par un avocat. Je ne suis pas convaincu que ces deux exceptions aient compromis l’équité de l’audience. Essentiellement, les demandeurs ont eu droit à l’audience qu’ils avaient demandée et je ne suis tout simplement pas convaincu que le tribunal les ait induits en erreur ou mal conseillés quant à la poursuite de l’audience en l’absence d’avocat.

 

VI. Conclusion

[25]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[26]           À la fin de l’audience, comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai informé les avocats que la présente demande serait rejetée. Ni l’un ni l’autre des avocats, lorsqu’ils ont été consultés, n’ont recommandé que soit certifiée une question. La Cour elle‑même est convaincue que les faits

particuliers en l’espèce ne soulèvent aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

Toronto (Ontario)

Le 26 octobre 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6970-05

 

INTITULÉ :                                                   BOGUSLAW RAJKOWSKI, BARBARA

RAJKOWSKI, KAROL SZYMON RAJKOWSKI et

ANNA ZUZANNA RAJKOWSKA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 23 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mordechai Wasserman

POUR LES DEMANDEURS

 

Marina Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mordechai Wasserman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 



[1]               Voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, et Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n2056.

[2]               Dossier de la demande, page 24.

[3]               Dossier du tribunal, volume 2, page  358.

[4]               Dossier du tribunal, volume 2, page  363.

[5]               Dossier du tribunal, volume 2, page 364.

[6]               Dossier du tribunal, volume 1, pages 4 et 5.

[7]               2006 CF 423, [2006] A.C.F. n597 (QL).

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