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Date : 20061027

Dossier : IMM‑7658‑05

Référence : 2006 CF 1295

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

DALJEET SINGH PAKHAR DHOOT

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Le contexte

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas, en date du 7 novembre 2005, de lui refuser un visa de résident permanent. Il s’agit de savoir si l’agente des visas a commis une erreur en refusant de délivrer le visa au motif que le demandeur ne s’était pas présenté à une entrevue qui devait avoir lieu le 26 octobre 2005. Le demandeur dit qu’il n’a jamais été informé de l’entrevue. L’agente des visas soutient qu’un avis de l’entrevue a été envoyé au demandeur par lettre datée du 19 août 2005.

 

[2]               Le 22 août 2000, le demandeur priait le Haut‑Commissariat du Canada en Inde de lui délivrer un visa de résident permanent, au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Le 23 mars 2001, un analyste des cas a estimé qu’une entrevue était nécessaire pour l’évaluation du profil professionnel du demandeur. Le 2 mars 2004, la demande de visa fut réévaluée en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et l’analyste a encore une fois conclu que le demandeur devait se présenter à une entrevue pour la vérification de son expérience professionnelle.

L’échange de correspondance entre le demandeur et l’agente des visas

[3]               Les notes du STIDI révèlent que, le 23 août 2005, une lettre datée du 19 août 2005 fut envoyée par télécopieur au conseiller en immigration du demandeur. La lettre informait le conseiller que le demandeur devait se présenter à une entrevue à New Delhi le 26 octobre 2005, à 9 heures :

[traduction] LETTRE DU 19 AOÛT 2005 CONVOQUANT LE DEMANDEUR À UNE ENTREVUE (DELND) POUR LE 26 OCTOBRE 2005 À 9 HEURES À NEW DELHI, ENVOYÉE PAR TÉLÉCOPIEUR AU CONSEILLER DU DEMANDEUR.

Cependant, d’après l’affidavit de Heather Dubé, l’agente des visas au Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi, les notes du STIDI indiquent erronément la manière dont la lettre d’avis a été transmise :

[traduction]

D’après les notes du STIDI, une lettre a été envoyée au demandeur par la poste et la confirmation de la transmission par télécopieur a été versée dans le dossier, mais ces indications étaient erronées. Comme il est indiqué plus haut, après qu’une mention est portée dans le STIDI, elle devient permanente et ne peut donc pas être rectifiée.

 

On devrait lire dans les notes du STIDI qu’une lettre de convocation en date du 19 août 2005 a été envoyée par télécopieur au conseiller du demandeur le 23 août 2005, pour inviter le demandeur, ainsi que tous les membres de sa famille âgés de plus de 18 ans, à se présenter à une entrevue le 26 octobre 2005 à 9 heures, à New Delhi.

[Non souligné dans l’original]

 

[4]               Le conseiller en immigration du demandeur a envoyé le 22 octobre 2005 une lettre au Haut‑Commissariat, dans laquelle il se réfère à la lettre précédente du Haut‑Commissariat datée du 2 mars 2004, demandant au Haut‑Commissariat d’organiser rapidement une entrevue pour accélérer l’évaluation de la demande de son client. Les notes du STIDI mentionnent que la lettre a été reçue le 28 octobre 2005.

 

[5]               L’agente des visas a rendu une décision défavorable le 7 novembre 2005, sans faire état de la lettre du conseiller datée du 22 octobre 2005.

 

[6]               Le conseiller a écrit à l’agente des visas le 14 novembre 2005 pour lui signaler qu’il n’avait pas reçu la lettre d’avis d’entrevue à laquelle l’agente des visas faisait référence dans sa décision :

[traduction]

[…]

Dans votre lettre susmentionnée, vous disiez que, par lettre datée du 19 août 2005, le demandeur avait été prié de se présenter à une entrevue le 26 octobre 2005 à New Delhi, ce qu’il n’a pas fait. Vous trouverez ci‑joint copie de votre lettre du 7 novembre 2005.

 

Je regrette de vous dire que la lettre susmentionnée de convocation à une entrevue n’a pas été reçue par nous ni par le demandeur. Il semblerait qu’elle s’est égarée.

 

Permettez‑moi de vous signaler que nous vous avons écrit le 22 octobre 2005 pour vous prier de renoncer à l’entrevue ou d’organiser rapidement une entrevue à propos de la demande de mon client.

 

Cependant, dans votre lettre du 8 novembre 2005, vous écrivez qu’une lettre de convocation à une entrevue nous avait été envoyée le 19 août 2005. Notre lettre du 22 octobre 2005 est elle‑même la preuve que nous n’avons jamais reçu avis de l’entrevue envisagée. Cependant, nous n’avons pas non plus reçu de vous, en réponse à notre lettre du 22 octobre 2005, confirmation qu’une entrevue avec mon client a déjà été fixée. […]

[Souligné dans l’original]

 

[7]               Rien dans la preuve n’indique que l’agente des visas a répondu directement à la lettre du conseiller datée du 22 octobre, mais les notes du STIDI datées du 3 novembre 2005 jettent un éclairage sur la manière dont l’agente des visas a réagi aux objections du conseiller :

[traduction]

Ai confirmé que la télécopie a été envoyée le 23 août 2005, à propos de l’entrevue de l’intéressé devant avoir lieu le 26 octobre 2005; la télécopie a bien été transmise à son conseiller. Une copie du bordereau de transmission figure dans le dossier.

 

Le dossier a été vérifié et nous avons la certitude d’avoir indiqué la bonne adresse sur la lettre de convocation.

 

La correspondance antérieure avait été envoyée et reçue à la même adresse.

 

Le système postal indien, auquel nous recourons depuis de nombreuses années, est fiable et il n’est pas fréquent que des lettres ne soient pas reçues. Les lettres qui ne sont pas livrées sont renvoyées à l’expéditeur, accompagnées d’un avis précisant qu’elles n’ont pu être livrées. Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’est pas crédible que la lettre de convocation n’ait pas été reçue à temps pour l’entrevue, à l’adresse postale fournie.

 

J’ai donc fondé mon évaluation sur les documents au dossier.

[Non souligné dans l’original]

 

 

[8]               Le demandeur a alors écrit au gestionnaire de programme du Haut‑Commissariat le 28 novembre 2005 pour lui dire que ni lui ni son conseiller n’avaient reçu la lettre d’avis de l’entrevue. Le demandeur écrivait : [traduction] « Votre lettre m’a stupéfié. Vous dites en effet que ma demande a été rejetée parce que je ne me suis pas présenté à l’entrevue… » Il priait le gestionnaire de programme de fixer une nouvelle date pour l’entrevue.

 

[9]               Le conseiller du demandeur a écrit à nouveau à l’agente des visas le 9 décembre 2005 pour lui signaler encore une fois que la lettre d’avis de l’entrevue n’avait pas été reçue. Selon les notes du STIDI, les demandes de réexamen ont été reçues et transmises à l’agente des visas, mais l’affaire est restée sans suite.

 

La preuve additionnelle présentée à la Cour

[10]           Le conseiller en immigration a produit, aux fins du présent litige, un affidavit sous serment dans lequel il déclare que la lettre d’avis de l’entrevue que le défendeur lui avait prétendument envoyée par télécopieur n’avait jamais été reçue. À l’audience, le défendeur a produit une copie lisible du bordereau de transmission, qui montre que la lettre fixant la date de l’entrevue fut envoyée à un numéro de télécopieur n’ayant aucun rapport avec les numéros de télécopieur figurant sur l’en‑tête de lettre du conseiller en immigration.

 

Le point en litige

[11]           Le seul point en litige ici est de savoir si le demandeur a réussi à prouver qu’il n’a pas reçu avis de l’entrevue, et si la décision de l’agente des visas devrait en conséquence être annulée.

 

Analyse

[12]           Le défendeur fait valoir que l’agente des visas est fondée à refuser une demande de visa lorsqu’un candidat ne se présente pas à l’entrevue nécessaire pour l’évaluation de sa demande, et si l’agente des visas a évalué toutes les pièces figurant déjà au dossier. Il fait aussi valoir que, en l’espèce, l’agente des visas a examiné attentivement les circonstances entourant l’absence du demandeur à l’entrevue. Selon les notes du STIDI, l’agente des visas était convaincue que la lettre de convocation avait été envoyée à la bonne adresse et que, compte tenu de la connaissance qu’elle avait du système postal indien, elle n’a pas été convaincue par le demandeur qu’il n’avait pas reçu la lettre.

 

[13]           La connaissance que l’agente des visas pouvait avoir du système postal indien est hors de propos. L’affidavit de l’agente des visas fait clairement ressortir que la lettre d’avis de l’entrevue n’a jamais été envoyée par la poste au demandeur, mais plutôt envoyée par télécopieur. Sur ce seul fondement, les motifs de l’agente des visas de rejeter l’explication du demandeur sont manifestement déraisonnables, et la décision devrait être annulée.

 

[14]           Le défendeur a produit un bordereau de transmission de télécopie qui prétend confirmer le fait que le demandeur a bien reçu avis de l’entrevue. Cependant, le numéro de télécopieur du destinataire qui apparaît sur le bordereau de transmission ne correspond en rien aux numéros de télécopieur figurant sur l’en‑tête de lettre du conseiller.

 

[15]           Le demandeur a toujours affirmé qu’il n’a pas reçu avis de l’entrevue. Je ne suis pas convaincu que le bordereau de transmission produit par le défendeur prouve que le demandeur a reçu avis de l’entrevue d’évaluation. L’agente des visas, pour quelque raison, n’a pas envoyé l’avis par la poste comme cela devrait se faire vu les conséquences nettement préjudiciables qu’une non‑livraison risquait d’avoir pour l’intérêt du demandeur à obtenir un visa de résident permanent. Il serait manifestement injuste de rejeter l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’a pas reçu l’avis, sur la foi d’un bordereau de transmission qui ne mentionne pas clairement que la lettre a été envoyée au bon numéro de télécopieur. Sans doute convient‑il d’exercer une certaine retenue face à la manière dont l’agente des visas a évalué les raisons invoquées par le demandeur pour justifier son absence à l’entrevue, mais l’agente des visas a clairement commis une erreur d’appréciation en se fondant sur sa conviction erronée que la lettre avait été envoyée par la poste au demandeur.

 

[16]           La Cour est convaincue que, selon la preuve, il est on ne peut plus clair que le demandeur souhaitait véritablement subir une entrevue et qu’il se serait présenté à l’entrevue s’il en avait reçu avis. Sa demande portait la date d’août 2000. Son conseiller avait écrit plusieurs fois auparavant pour demander qu’une entrevue ait lieu rapidement afin de tranquilliser le demandeur, qui attendait que soit traitée sa demande de résidence permanente.

 

[17]           Le défendeur a expliqué à la Cour que la section de l’immigration à New Delhi reçoit des milliers de demandes. L’affidavit de l’agente des visas confirme que les dossiers officiels contenaient une erreur puisqu’ils indiquent que cette lettre avait été envoyée par la poste au demandeur, alors qu’en réalité elle ne l’avait pas été. Une autre erreur est apparue au cours de l’audience quand on s’est aperçu que, par inadvertance, la lettre fixant la date de l’entrevue n’avait pas été versée dans le dossier certifié préparé par l’agente des visas et transmis à la Cour fédérale.

 

[18]           Il est clair pour la Cour que, dès qu’il a su que la demande de visa était rejetée parce que le demandeur ne s’était pas présenté à l’entrevue, le conseiller a écrit, tout comme le demandeur lui‑même, pour dire que ni l’un ni l’autre n’avaient jamais reçu la lettre de convocation à l’entrevue.

 

[19]           La Cour est convaincue que la preuve établit clairement que cette lettre n’a jamais été envoyée, par la poste ou par télécopieur, au demandeur ou à son conseiller. Il est raisonnable de penser que le défendeur n’est pas à l’abri d’erreurs lorsqu’il traite des milliers de dossiers d’immigration. Quand la preuve laisse apparaître qu’une telle erreur a été commise, alors la Cour croit que le défendeur se doit de la corriger et d’inviter le demandeur à se présenter à une autre entrevue. Dans un cas comme celui‑ci, c’est à tort que le défendeur s’est opposé aux prétentions du demandeur. Pour ce motif, il y a en l’espèce des circonstances spéciales qui justifient l’adjudication de dépens au demandeur. Le demandeur a apporté une preuve convaincante qu’il n’a pas reçu la lettre de convocation à l’entrevue. Le défendeur aurait dû reconnaître que cette lettre n’avait pas été dûment envoyée ni reçue, et la présente audience n’aurait pas été nécessaire. Par conséquent, les dépens afférents à la demande présentée à la Cour sont accordés au demandeur.

 

[20]           Le présent jugement ne soulève aucune question de portée générale susceptible d’être certifiée.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision de l’agente des visas portant la date du 7 novembre 2005 est accueillie, la décision est annulée, et la demande de résidence permanente présentée par le demandeur est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle évaluation, après qu’une entrevue aura été consentie au demandeur; et

 

2.         Le demandeur a droit à ses dépens partie‑partie, qui seront assumés par le défendeur.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑7658‑05

 

INTITULÉ :                                       DALJEET SINGH PAKHAR DHOOT

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Sally Thomas                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

Lee et Compagnie / Avocats                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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