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Date : 20061030

Dossier : IMM-503-06

Référence : 2006 CF 1305

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

MAYUTHARAN KANAGARATNAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un Tamoul du Sri Lanka, a revendiqué le droit d’asile et demandé la protection en raison de sa crainte des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) ainsi que de l’armée du Sri Lanka. Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 10 janvier 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur.

Contexte

[2]               Le demandeur a déclaré à la SPR qu’il craignait l’armée du Sri Lanka parce que celle‑ci le soupçonnerait d’appuyer les TLET ou d’en être un membre s’il quittait la région de son pays que les TLET contrôlent. Il a également dit craindre l’armée parce qu’elle l’avait arrêté et lui avait fait subir des mauvais traitements en 1998.

 

Questions en litige

[3]               Trois questions sont en litige dans la présente affaire :

1.                  La Commission a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents?

2.                  La Commission a-t-elle eu recours à un critère juridique erroné pour établir si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté?

 

3.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’un document des Nations Unies mentionnant qu’il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur au Sri Lanka pour les Tamouls qui fuient les TLET?

 

Analyse

1re question en litige – La Commission a-t-elle omis de prendre en compte des éléments de preuve pertinents?

 

[4]               Le demandeur soutient que la Commission a omis de prendre en compte les importants éléments de preuve qui suivent relativement à sa crainte des TLET.

1.                  Les TLET ont périodiquement obligé le demandeur à effectuer du travail manuel pendant les huit années qui ont précédé son départ du Sri Lanka à destination du Canada. Cela était mentionné dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) ainsi que dans le résumé des faits établi par la SPR en préparation de l’audience. On déclarait ceci dans le rapport de la SPR :

1.

[traduction]

Au cours des années qui ont suivi, les Tigres l’on forcé à diverses reprises à venir travailler pour eux.

 

2.                  En mai 2004, deux membres des TLET sont venus chez le demandeur pour le presser à joindre leurs rangs. Le demandeur a pu refuser, sa mère ayant payé les TLET pour qu’ils partent. Les Tigres ont toutefois emmenés à ce moment-là avec eux un voisin et ami du demandeur.

 

3.                  Une fois le demandeur arrivé au Canada, les Tigres sont venus à la maison pour enlever son frère cadet. Un pot-de-vin a été versé et le frère cadet se trouve maintenant en sécurité hors du Sri Lanka.

 

           

[5]               La Cour conclut qu’il s’agit là d’éléments de preuve importants et pertinents que la SPR aurait dû prendre en compte avant de juger invraisemblable la crainte du demandeur d’être recruté par les TLET. Ce défaut de prendre en compte des éléments de preuve pertinents constitue une erreur de droit, la Cour appliquant comme norme de contrôle celle de la décision correcte.

 

2e question en litige –   La SPR a-t-elle eu recours à un critère juridique erroné pour établir si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté?

 

 

[6]               Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention du fait qu’il ne serait pas exposé à un risque « raisonnable » de persécution. La SPR a rejeté le témoignage du demandeur au sujet de sa prétendue persécution par les TLET ou l’armée, déclarant ce qui suit aux pages 5 et 6 de ses motifs :

Le demandeur d’asile ne s’est jamais intréressé à la politique active. Il n’a jamais eu de démêlés avec la police, et je ne retiens pas son affirmation qu’il a été arrêté par l’armée dans le passé. Il n’a jamais été membre des TLET ni d’aucun autre groupe tamoul. Le demandeur d’asile n’est pas un rebelle notoire recherché par l’armée ou par la police. En me fondant sur la preuve documentaire, je suis d’avis que, dans la situation actuelle, les personnes présentant le même profil que le demandeur d’asile ne sont pas exposées à un risque raisonnable de persécution par l’armée srilankaise, les groupes tamouls contrôlés par le gouvernement – comme l’Organisation de libération populaire de l’Eelam tamoul (PLOTE) – ou la police à cause de leur nationalité tamoule. Je ne crois pas non plus que les personnes dont le profil est le même que celui du demandeur d’asile seraient exposées, au Sri Lanka, au risque d’être soumis à la torture, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[7]               Le juge O’Reilly a expliqué, dans Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4; 41 Imm. L.R. (3d) 263, qu’il importait d’énoncer correctement le critère juridique servant à établir s’il y a ou non risque de persécution. Il décrit, au paragraphe 8, le fardeau de preuve qui incombe aux demandeurs d’asile à cet égard :

[…] Bien entendu, les demandeurs doivent prouver les faits sur lesquels ils se fondent et la norme de preuve civile constitue la bonne façon d'apprécier la preuve qu'ils présentent à l'appui de leurs assertions de fait. Dans la même veine, les demandeurs doivent convaincre la Commission en bout de ligne qu'ils risquent d'être persécutés. Il s'agit encore là d'une norme de preuve civile. Cependant, étant donné qu'ils doivent démontrer uniquement l'existence d'un risque de persécution, il ne convient pas d'exiger d'eux qu'ils prouvent que la persécution est probable. En conséquence, ils doivent simplement prouver qu'il existe « une possibilité raisonnable», « davantage qu'une possibilité minime » ou « de bonnes raisons de croire » qu'ils seront persécutés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Le recours par la SPR à l’expression « risque raisonnable de persécution », à la page 6 de ses motifs, ne constitue pas l’expression correcte du critère juridique applicable en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Après examen de la décision dans son ensemble, je conclus que les motifs font voir que la SPR a également appliqué un critère erroné à la page 3 de sa décision :

Par conséquent, j’estime que le demandeur d’asile n’a pas réussi à prouver qu’il risque véritablement d’être recruté de force par les TLET s’il retourne dans son village, qui serait sous le contrôle des TLET.

 

Cette conclusion est incorrecte en ce qu’elle indique que le demandeur d’asile doit établir qu’il risquerait véritablement d’être recruté de force par les TLET. Le fardeau véritable incombant au demandeur est moindre, celui‑ci devant plutôt établir qu’il existe « une possibilité raisonnable », « davantage qu’une possibilité minime » ou « de bonnes raisons de croire » qu’il serait persécuté. La SPR a par conséquent commis une erreur de droit à cet égard, erreur à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

3e question en litige –   La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’un document des Nations Unies mentionnant qu’il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur au Sri Lanka pour les Tamouls qui fuient les TLET?

 

[9]               Étant donné les conclusions de la Cour relativement aux deux premières questions en litige, il ne sera pas nécessaire d’examiner la troisième.

 

Conclusion

 

[10]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 

[11]           Les deux parties ont informé la Cour que, selon elles, la présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale qui devrait être certifiée. La Cour est également de cet avis.


JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE ET DÉCIDE :

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 10 janvier 2006 de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SPR pour qu’il statue de nouveau sur celle‑ci.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-503-06

 

INTITULÉ :                                       MAYUTHARAN KANAGARATNAM

c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 30 OCTOBRE 2006         

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane                                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Tamrat Gebeyehu                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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