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Date : 20061030

Dossier : IMM-37-06

Référence : 2006 CF 1309

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

AFSHIN AARABI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR ») en vue de soumettre à un contrôle judiciaire, en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, une décision datée du 14 décembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur, M.  Afshin Aarabi, est un Iranien âgé de 44 ans qui dit craindre avec raison d’être persécuté par les autorités et les citoyens de son pays en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à la DKO, une organisation promonarchiste qui s’oppose à l’actuel régime islamique de l’Iran.

 

[3]               M. Aarabi déclare que son père était partisan d’un groupe d’opposition, le Front national, en Iran.

 

[4]               M. Aarabi soutient que pendant ses études universitaires, il a été choqué d’apprendre ce que faisaient les mullas et il a pris part à deux manifestations. L’une d’elles, tenue le 9 avril 1989, concernait la sécurité des étudiants. À cause de sa participation à cette manifestation, M. Aarabi aurait été arrêté, gardé en détention et torturé pendant trois jours. On l’aurait forcé aussi à signer un engagement à ne faire partie d’aucun groupe ou rassemblement de nature politique.

 

[5]               M. Aarabi allègue qu’il a été suspendu de l’université en 1989 et qu’on lui a interdit de poursuivre ses études. Le motif officiel de la suspension était qu’il n’avait pas observé le jeûne du ramadan, mais M. Aarabi croit que la véritable cause tenait à ses opinions politiques.

 

[6]               M. Aarabi soutient qu’en 1999 on lui a fait connaître une organisation appelée Derafsh-e-Kaviani (DKO), aussi appelée « Organisation des droits de la personne et des libertés fondamentales du peuple iranien ». Il a jugé qu’il était de son devoir de prendre des mesures énergiques contre le régime islamique au pouvoir et de sensibiliser les jeunes de son pays à un grand nombre des problèmes sociaux.

 

[7]               M. Aarabi soutient qu’il a commencé à soutenir financièrement la DKO en décembre 1999 et, à partir de 2000, à distribuer des documents à contenu politique. La cellule dont il faisait partie comprenait aussi Wahid, Majid et Mahmoud; leur groupe distribuait des DVD ainsi que des cassettes audio et des imprimés.

 

[8]               Le 20 juillet 2004, M. Aarabi aurait reçu un appel téléphonique de Wahid, qui lui a conseillé de se cacher. Peu de temps après avoir suivi ce conseil, il a appris que la maison de sa mère avait été l’objet d’une descente en rapport avec ses activités clandestines. Il a su par la suite qu’une descente avait également eu lieu au domicile de Mahmoud.

 

[9]               Après le 23 juillet 2004, M. Aarabi a appris que Mahmoud n’avait pas signalé dans les délais prescrits le succès de la mission qu’on lui avait confiée.

 

[10]           M. Aarabi est arrivé au Canada le 10 septembre 2004, via la Turquie et la France. Il allègue ne pas pouvoir retourner en Iran parce qu’il n’a pas respecté son engagement de n’avoir aucune action politique et parce que ses liens avec la DKO mettent sa vie en danger.

 

[11]           La Commission a conclu que M. Aarabi n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’il ne craignait pas avec raison d’être persécuté en Iran pour un motif prévu dans la Convention. Elle a aussi conclu qu’il n’avait pas qualité de personne à protéger car son renvoi en Iran ne l’exposerait pas à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Par ailleurs, il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le renvoi de M. Aarabi en Iran l’exposerait personnellement à un risque de torture.

 

[12]           La Commission a refusé la demande d’asile de M. Aarabi car elle a conclu que sa preuve n’était pas digne de foi en raison de nombreuses incohérences et de l’invraisemblance de son récit. Peu d’éléments de preuve étayaient la demande de M. Aarabi, à part son témoignage.

 

[13]           Vu le manque de preuves véritables de l’engagement politique de M. Aarabi, la Commission n’a pas cru que ce dernier risquerait d’être persécuté s’il retournait en Iran.

 

[14]           La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si la Commission a commis une erreur telle que la présente Cour devrait intervenir dans sa décision.

 

            Le cadre législatif

[15]           Aux termes de l’article 96 de la LIPR, a qualité de réfugié au sens de la Convention la personne qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques  :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

[16]           Le paragraphe 97(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée  :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant  :

 

(i)                  elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii)                elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii)               la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnées par elles,

 

la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i)                  the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii)                the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii)               the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

La norme de contrôle

[17]           L’évaluation que fait la Commission de la crédibilité de la preuve a droit à un degré de retenue élevé de la part de la Cour. Lorsqu’il ressort du dossier que les inférences et les conclusions que la Commission a tirées sont raisonnables, la Cour ne devrait pas intervenir, qu’elle soit d’accord ou non avec les inférences en question. (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.))

 

La Commission a-t-elle commis une erreur telle que la Cour devrait intervenir dans la décision?

 

[18]           En l’espèce, la Commission a tiré un certain nombre de conclusions non étayées par la preuve dont elle disposait ou erronées, et ces dernières font que la décision est manifestement déraisonnable.

 

[19]           Par exemple, la Commission a conclu ce qui suit :

[…] On a prié [le demandeur d’asile] d’expliquer pourquoi, d’après les documents sur le pays, aucune activité politique ne se déroule au pays, alors qu’il a lui-même affirmé, au contraire, que la plupart des activités avaient lieu là-bas. Il a répondu qu’il existait des groupes dissidents en Iran et que la plupart des activités se tiennent dans le pays. […]  (Non souligné dans l’original.) (Motifs du tribunal, à la page 4.)

 

 

[20]           Dans cette conclusion, la Commission omet de faire état du genre d’activités dont elle parle. S’agit-il d’activités antigouvernementales et promonarchistes en général, d’activités politiques en général, ou bien de diverses activités que M. Aarabi a accomplies pour le compte de son groupe politique promonarchiste? Ce n’est pas clair. Je traiterai néanmoins de cette conclusion même s’il est impossible de déterminer ce à quoi la Commission fait référence, ou quelle inférence ou conclusion elle a tirée sur ce point.

 

[21]           Dans la décision Shaha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-123-98, datée du 16 juillet 1998 (C.F. 1re inst.), une affaire concernant un revendicateur du statut de réfugié de l’Iran qui avait pris activement part à des activités monarchistes en sol iranien, comme M. Aarabi en l’espèce, le juge Francis McDonald déclare ce qui suit, au paragraphe 1 :

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La Commission a eu tort de conclure que, se fondant sur des documents disant que les activités des partisans de la monarchie en Iran sont minimales, que les renseignements sur leurs activités font défaut et sont difficiles à trouver et que ce groupe constitue une menace très marginale et très inefficace pour le gouvernement iranien, le demandeur ne craint pas d'être persécuté en Iran. Il peut très bien être vrai que les activités du mouvement pro-monarchiste sont limitées, mais ce n'est pas là la question. La véritable question se pose de savoir si, compte tenu de ses activités de partisan de la monarchie, le demandeur craint d'être persécuté du fait de ses opinions et de ses activités politiques dans l'éventualité de son renvoi en Iran. La Commission a eu tort de ne s'être pas penchée sur cette question.

 

[22]           Ceci étant dit en tout respect, je suis d’avis qu’en l’espèce la Commission a tiré des conclusions fort similaires à celles auxquelles elle est arrivée dans l’affaire Farzad Shaha, précitée, et que, de ce fait, elle a commis une erreur pour la même raison. En particulier, elle a omis de traiter de la question de savoir si, du fait de ses activités promonarchistes en Iran, M. Aarabi craint avec raison d’être persécuté s’il est renvoyé dans ce pays.

 

[23]           « Dès lors que la Cour conclut que la décision de la Commission est fondée sur une erreur importante sans laquelle la Commission aurait peut-être tiré une conclusion différente, cette décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à une autre formation de la Commission pour réexamen » (Abdullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-1610-95, 10 janvier 1996 (C.F. 1re inst.); Basmenji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-4811-96, 16 janvier 1998 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11).

 

[24]           En présumant toutefois que la Commission se reporte aux activités promonarchistes menées en sol iranien, a-t-elle commis une autre erreur en concluant qu’« aucune activité politique ne se déroule au pays »?

 

[25]           En fait, la propre Direction des recherches de la Commission a publié le 20 mars 2003 une Réponse aux demandes d’information no IRN41136.E en rapport avec la question de savoir si la DKO était active sur le territoire de l’Iran. Certaines sources consultées ont déclaré qu’elles ne pouvaient pas confirmer que la DKO était active, mais d’autres ont amené la Direction des recherches à déclarer ce qui suit, ce qui confirme que la DKO est bel et bien active en Iran :

 

[Traduction]

Cependant, le directeur exécutif de la Fondation pour la démocratie en Iran (FDI) (11 mars 2003) - une « organisation à but non lucratif vouée à la promotion de la démocratie et à la défense des droits de l’homme [qui] diffuse chaque semaine, en ligne et sans frais, des services d’information et des avis relatifs aux droits de l’homme » - a fourni des renseignements contradictoires (Islam Online n.d.). Le directeur exécutif, un ancien journaliste qui a écrit pour le Wall Street Journal, le Washington Times, le Time, CBS News et ABC News (NewsMax.com, 7 mars 2002), a déclaré que : « oui, Derafsh-E-Kaviani – l’Organisation du drapeau de la liberté – est active au sein de l’Iran » (11 mars 2003). (Non souligné dans l’original). (Affidavit du demandeur, pièce A, Dossier du demandeur, page 71).

 

 

[26]           La Réponse aux demandes d’information indique de plus ce qui suit, ce qui confirme là encore que non seulement la DKO est active en Iran mais qu’elle s’adonne aux activités dans lesquelles M. Aarabi a déclaré qu’il s’était engagé :

 

[Traduction]

Des renseignements corroborant l’affirmation du directeur exécutif de la FDI sont fournis par IND dans son évaluation d’octobre 2002 sur l’Iran, qui indique que la Derafsh-E-Kaviani « distribue des cassettes audio et vidéo en sol iranien », qu’elle « diffuse des émissions à partir de la station de radio Voice of Kaviyani Banner of Iran » et qu’elle « soutient posséder un réseau de cellules de résistance » en Iran (octobre 2002). (Affidavit du demandeur, pièce A, Dossier du demandeur, page 72.)

 

 

[27]           La Commission conclut en outre comme suit, à la page 4 de ses motifs :

Sur le plan de la crédibilité, le demandeur d’asile n’a pas obtenu à l’intention du tribunal une preuve de son action politique, par exemple une lettre d’une organisation, une carte de membre, des cassettes, des tracts, des mandats d’arrestation, une lettre d’engagement ou une preuve touchant le rôle politique de son père. Interrogé au sujet de ces omissions importantes, il a témoigné ne pas avoir de lettre de l’organisation, ajoutant que cette dernière ne distribuait pas de cartes de membres. Il a précisé que l’organisation menait la plupart de ses activités en Iran et que le secrétaire de cette organisation aux États-Unis ignorait la portée et l’ampleur des activités. Le tribunal ne trouve pas plausible que le secrétaire de l’organisation à l’échelle internationale en sache si peu et le tribunal n’accorde donc aucune crédibilité au demandeur d’asile sur ce point.

 

 

[28]           M. Aarabi a déclaré que l’organisation politique antigouvernementale dans laquelle il était actif en Iran (la DKO) n’avait pas ou ne délivrait pas de cartes de membre parce qu’il était dangereux pour cette dernière d’avoir de tels documents. Au sujet d’une lettre de l’organisation, de prospectus, de cassettes, de mandats d’arrestation et de lettres d’engagement, on a simplement demandé à M. Aarabi s’il détenait une copie de ces documents et il a répondu que non.

 

[29]           M. Aarabi a déclaré qu’il avait fui l’Iran illégalement et à pied et il aurait été malavisé et dangereux pour lui d’avoir sur lui des documents politiques antigouvernementaux au cas où il serait intercepté en route vers la Turquie. En fait, il est déraisonnable de s’attendre à ce que M. Aarabi mette sa vie et sa sécurité en péril en tentant de faire sortir clandestinement de tels documents de l’Iran. Par ailleurs, l’explication de M. Aarabi quant à la raison pour laquelle il ne détenait pas de copies de documents, qui auraient prouvé son engagement politique en Iran, est vraisemblable et logique, et la Commission n’aurait pas dû la rejeter tout simplement.

 

[30]           À la page 4 des motifs, la Commission a également conclu ce qui suit :

[…] Il a précisé ne pas voir conçu ni produit lui-même les tracts et qu’il n’en possédait aucun exemple. Vu la prétendue importance de ces documents, le tribunal n’estime pas crédible que le demandeur d’asile n’ait pas pu décrire l’un des tracts qu’il a apparemment distribués. […]

 

[31]           Pendant l’audience, l’avocat de M. Aarabi a demandé à ce dernier s’il se souvenait d’un tract particulier qu’il aurait distribué en Iran, et il a répondu qu’il se souvenait de ceux qu’il avait distribués en rapport avec l’attaque menée par les autorités du régime islamique contre les étudiants d’université en Iran, en 1999. Quant il lui a demandé de décrire ces tracts, M. Aarabi a répondu que l’un d’eux indiquait aux étudiants ce qu’il fallait faire s’ils étaient attaqués et de quelle façon s’organiser. Le tract indiquait aux étudiants comment garder leurs activités cachées et secrètes. Il leur disait aussi comment entrer en contact avec d’autres universités en Iran et comment créer un réseau. Il indiquait aussi que les étudiants devaient s’unifier et soulignait qu’ils devaient créer des liens avec le public.

 

[32]           Il semble donc que, contrairement à ce que la Commission a conclu, M. Aarabi était capable en fait de décrire au moins un des tracts que son groupe et lui distribuaient. Il paraissait connaître les documents que le groupe distribuait.

 

[33]           La Commission a tiré la conclusion suivante :

Par ailleurs, le tribunal a prié le demandeur d’asile de dire s’il savait ce qu’il était advenu de ses acolytes et il a répondu l’ignorer. Le tribunal considère que, s’il avait effectivement eu un rôle politique, ses organisateurs l’auraient informé de tout fait particulier touchant la sécurité de l’organisation dans son ensemble. Le demandeur d’asile ne s’est pas procuré de lettre d’engagement, lettre qu’un demandeur d’asile peut généralement obtenir et qui confirme le rôle tenu par lui et le fait que l’État le surveille. Vu l’absence de ce document, que rien n’est venu expliquer, le tribunal estime que le demandeur d’asile n’est pas crédible et que son prétendu rôle politique n’est pas digne de foi. (Motifs du tribunal, à la page 5.)

 

[34]           Il ressort clairement du témoignage écrit de M. Aarabi que celui-ci a été informé et était au courant de ce qui était arrivé à ses amis politiques alors qu’il était en Iran. Dans la partie « exposé circonstancié » de son formulaire de renseignements personnels (FRP), au paragraphe 23, il a écrit que Wahid, son contact au sein de la cellule, lui a dit le 20 juillet 2004 de se cacher. Le 23 juillet 2004, Wahid a contacté de nouveau M. Aarabi et lui a dit qu’un autre membre de la cellule, Mahmoud, avait omis de lui signaler qu’il avait distribué avec succès des documents politiques. Il y a eu un long délai à cet égard, et Wahid a appelé M. Aarabi pour lui dire qu’une descente avait eu lieu au domicile de Mahmoud en rapport avec ses activités politiques. Après cela, tous les membres de la cellule se sont cachés et M. Aarabi a fini par fuir le pays.

 

[35]           Il est raisonnable et vraisemblable qu’après avoir fui l’Iran, M. Aarabi ne sache plus où se trouvent ses amis ou ce qui leur est arrivé à la suite de ces événements. Il était déraisonnable pour la Commission de tirer des inférences défavorables au sujet de son profil politique en se fondant sur le fait qu’après avoir fui son pays, il avait perdu contact avec ses amis.

 

[36]           La Commission a en outre commis une erreur en concluant que M. Aarabi n’a pu obtenir un document d’engagement. Selon son témoignage sous serment et non contesté, M. Aarabi a signé un engagement en 1989 après avoir pris part à une vaste manifestation. M. Aarabi faisait partie d’un grand nombre de personnes arrêtées et il a été gardé en détention pendant trois jours. Cet incident, survenu plus de quinze ans avant que M. Aarabi fuie l’Iran, n’avait rien à voir avec le fondement de sa demande d’asile. M. Aarabi a expliqué qu’il n’avait pas de copie de l’engagement, qu’il avait remis au gouvernement iranien en 1989.

 

[37]           C’est bien des années avant l’audience que M. Aarabi a pris l’engagement auquel la Commission faisait référence. Il n’a pas été prouvé devant cette dernière que l’engagement en question était même écrit, car on n’a pas demandé à M. Aarabi si le régime iranien lui en avait remis une copie. On lui a simplement demandé s’il en avait une copie et il a répondu que non. En outre, il n’a pas été prouvé devant la Commission que les engagements de cette nature sont habituellement disponibles, comme l’a affirmé la Commission.

 

[38]           Dans ses motifs de décision, à la page 6, la Commission a déclaré que la lettre provenant de la mère de M. Aarabi disait que c’était lui qui avait suggéré de détruire tous les documents relatifs aux activités politiques de son père. À l’audience, le propre interprète de la Commission a traduit la lettre de la mère dont parlait la commissaire, et il est clair, d’après la traduction au dossier, qu’en réalité cette lettre ne disait pas que M. Aarabi était responsable de la destruction des documents de son père concernant ses liens avec le Front national (notes sténographiques, dossier du tribunal, à la page 240).

 

[39]           Aux pages 6 et 7 des motifs, la Commission conclut ce qui suit :

À un moment, le demandeur d’asile a témoigné que les cassettes étaient créées aux États-Unis et que, comme leur production ne nécessite pas un grand studio, les DVD et les enregistrements se faisaient en Iran. Il a ajouté que le groupe avait tenté de sensibiliser la population aux problèmes, mais qu’ils n’avaient aucun plan de marketing et que les distributions n’étaient pas ciblées. Il a signalé qu’elles visaient généralement les étudiants de niveau universitaire et les travailleurs. Le témoignage du demandeur d’asile relativement à la distribution de DVD et de cassettes a paru très vague au tribunal, qui ne trouve pas crédible son appartenance à une petite cellule. Le tribunal pense qu’il aurait dû en savoir plus sur les méthodes de distribution, sans pour autant trahir sa participation. De plus, le tribunal l’a interrogé au sujet du nombre de membres dans l’organisation, ainsi que des membres et des activités d’autres cellules. Le demandeur d’asile a répondu ne rien savoir d’autres membres ou de leurs activités, mais il a estimé leur nombre entre 15 000 et 20 000 en Iran. À savoir s’il avait déjà rencontré d’autres membres, le demandeur d’asile a répondu que non. Vu son ignorance générale de l’organisation, le tribunal ne croit pas qu’il ait eu un profil politique digne de ce nom.

 

[40]           M. Aarabi n’a jamais déclaré que les cassettes qu’il avait distribuées en Iran provenait des États-Unis. En fait, quand on lui a demandé si, à sa connaissance, les cassettes et d’autres documents provenaient de l’étranger, il a déclaré que, à son avis, les documents étaient produits en Iran parce qu’il était trop dangereux de les importer.

 

[41]           En outre, seules quelques questions ont été posées à M. Aarabi au sujet de la méthode de distribution des DVD en Iran, et il y a répondu directement. Par exemple, on lui a demandé comment il avait obtenu les DVD et il a déclaré que c’était de Wahid – son contact au sein de la cellule. M. Aarabi a déclaré qu’il ignorait où Wahid obtenait les DVD. Ces derniers portaient un emblème ou un écusson de la DKO. Enfin, lorsqu’on lui a posé la question, M. Aarabi a répondu qu’il présumait que les DVD provenaient de la DKO.

 

[42]           Interrogé au sujet du contenu des DVD, M. Aarabi a expliqué qu’ils comportaient quatre sections. La première contenait des discours de M. Ganji, le dirigeant de la DKO, ou de Reza Shah Pahlavi, le shah en exil. La seconde section contenait des éléments d’information. La troisième contenait des informations sur les méfaits du gouvernement de la république islamique, comme des exécutions et des assassinats. La quatrième donnait des conseils aux gens sur ce qu’il fallait faire, et comment.

 

[43]           Par conséquent, contrairement aux conclusions de la Commission sur le sujet, le témoignage de M. Aarabi a été clair et logique. Il a répondu directement aux questions posées, au meilleur de sa connaissance. Il avait une bonne idée du contenu des documents qu’ils distribuaient et a expliqué comment le groupe procédait. La preuve soumise à la Commission, c’est-à-dire le témoignage non contredit de M. Aarabi, ne confirme pas les conclusions de cette dernière.

 

[44]           Les motifs de décision de la Commission comportent un certain nombre d’erreurs d’interprétation et de conclusions erronées importantes, qui ne sont pas étayées par la preuve qui lui a été soumise. Il convient donc de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et de renvoyer la décision à la Commission afin qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l’affaire.


 

JUGEMENT

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                   IMM-37-06

 

INTITULÉ :                                                                  AFSHIN AARABI

                                                                                       c.

                                                                                       MCI

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                         LE 3 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                       LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                                 LE 30 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rocco Galati                                                                   POUR LE DEMANDEUR

(416) 536-7811

 

David Tyndale                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

(416) 973-1544

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galati, Rodrigues & Associates                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

637, rue College, bureau 203

Toronto (Ontario)

M6H 1B5

 

John H. Sims, c.r.                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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