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Date : 20061027

Dossier : T-2223-05

Référence : 2006 CF 1296

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

MCNAUGHT PONTIAC BUICK CADILLAC LTD.

demanderesse

et

 

L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) du 28 novembre 2005, par laquelle l’ADRC rejetait la demande de la demanderesse d’annulation de la pénalité de 10 538 $ qui lui avait été imposée par avis de cotisation le 28 septembre 2005. Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), L.R.C. 1985, ch. 1, (5e suppl.) prévoit, comme suit, que le ministre du Revenu national (le ministre) a le pouvoir d’annuler des pénalités :

(3.1)     Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

(3.1)     The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[2]               La décision en litige en l’espèce a été prise au nom du ministre par Bruce Cook, directeur du Bureau des services fiscaux de l’ADRC à Winnipeg.

 

Les faits

[3]               Les principaux faits ne sont pas contestés. La demanderesse est une compagnie de Winnipeg qui, aux fins d’impôt, est considérée comme un gros employeur aux termes de la Loi et du Règlement de l’impôt sur le revenu (le Règlement). À ce titre, elle doit, par l’entremise d’une institution financière, verser à l’ADRC les retenues d’impôt sur la paie de ses employés et ces versements doivent être accompagnés d’une formule de versement. Le 20 septembre 2005, la demanderesse devait faire un tel versement de 105 386,05 $. Une partie des tâches d’Albert Sankow, un employé de la demanderesse, était de livrer des documents, des chèques, etc. Ce jour-là, le Service de la comptabilité lui a remis un chèque pour le montant total du versement et un document de versement. Il s’est rendu à la banque de la demanderesse, une succursale de la Banque Royale du Canada et, à son arrivée, il s’est rendu compte qu’il avait égaré la formule de versement. Un caissier de la banque lui a expliqué que la banque ne pouvait pas accepter le paiement sans la formule de versement. Comme il savait qu’il était important que le paiement soit effectué ce jour-là, il s’est rendu au Bureau des services fiscaux de l’ADRC à Winnipeg. Il a expliqué à une caissière qu’il n’avait pas la formule de versement, mais qu’il avait le chèque, et elle lui a dit qu’il pouvait faire le paiement sur place. Le bureau de services fiscaux a accepté le chèque et M. Sankow a reçu un talon de versement daté du 20 septembre 2005 pour le chèque.  Judy Karlson, l’administratrice de la Paie pour la demanderesse, a appris par la suite que le versement avait été fait au Bureau des services fiscaux et non à la banque. Elle travaillait pour la demanderesse depuis moins d’un an et, bien qu’elle sût que les versements devaient normalement être faits à la banque, elle ne savait pas que la demanderesse était légalement tenue de les faire là.

 

[4]               Le 28 septembre 2005, l’ADRC a envoyé un avis de cotisation d’une pénalité de 10 538,60 $ parce que le versement de 105 386,05 $ avait été fait directement à l’ADRC plutôt qu’à une institution financière. (En vertu de l’alinéa 227(9)a) de la Loi, toute personne qui ne remet pas un montant qu’elle doit remettre conformément à la Loi ou à son règlement est passible d’une pénalité de 10 % sur ce montant.) Le 30 septembre 2005, la demanderesse a présenté une demande d’annulation de la pénalité, expliquant que [traduction] « par erreur, l’employé qui nous sert de messager a déposé le versement à votre bureau sur Broadway plutôt qu’à la Banque Royale ». K. Guse, gestionnaire du Recouvrement des recettes au Bureau des services fiscaux, a rendu une première décision au sujet de la demande d’équité dans une lettre datée du 21 octobre 2005. La partie pertinente de cette lettre se lit comme suit :

[traduction]

Nous ne pouvons pas accueillir votre demande d’annulation selon le critère des « situations extraordinaires » parce que nous n’avons relevé aucune preuve d’une situation indépendante de votre volonté qui vous aurait empêché de vous conformer aux exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Des situations exceptionnelles telles qu’une calamité naturelle ou une grève des postes, qui ont une grande incidence sur les activités quotidiennes sont des exemples de « situations extraordinaires ». Malheureusement, nos politiques ne reconnaissent pas l’erreur humaine comme une « situation extraordinaire ». Comme vous êtes un auteur de versement accéléré, seuil 2, vous êtes tenu de faire vos versements dans une institution financière canadienne.

 

 

[5]               Le 26 octobre 2005, la demanderesse a écrit une autre lettre dans laquelle elle demandait un réexamen de la décision. La lettre décrivait plus en détail ce qui s’était passé le 20 septembre 2005. Contrairement à la première demande, qui ne faisait que mentionner que le messager s’était rendu par erreur au mauvais endroit, la nouvelle lettre expliquait que le processus avait débuté correctement, que le messager avait pris le chèque et la formule de versement et qu’il s’était rendu à la Banque Royale, mais qu’il avait d’une manière ou d’une autre égaré la formule de versement. La demanderesse a soutenu que la caissière du Bureau des services fiscaux avait accepté le chèque, qu’elle avait donné un reçu au messager et qu’elle n’avait aucunement laissé entendre qu’il était inapproprié d’effectuer un versement au Bureau. La lettre de la demanderesse confirmait que ni son messager ni son administratrice de la Paie ne savaient que seul le versement à une institution financière était permis. Bruce Cook, qui a effectué le deuxième examen, a rejeté la deuxième demande d’équité dans une lettre datée du 28 novembre 2005. Les paragraphes pertinents de cette lettre sont les suivants :

[traduction]

Après réexamen, il m’est impossible d’accueillir votre demande d’annulation selon le critère des « situations extraordinaires » parce que rien dans la preuve ne me permet d’affirmer que l’Agence n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable au cours du premier examen, et que vous n’avez présenté aucun renseignement supplémentaire démontrant qu’une situation indépendante de votre volonté vous a empêché de vous conformer aux exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

Comme notre lettre du 21 octobre 2005 le mentionnait, il incombe à l’employeur de veiller à ce que les versements des retenues sur la paie soient reçus à temps. Conformément à nos politiques, l’anticipation de la situation que vous avez décrite et la mise en place de procédures de versement subsidiaires font partie de cette responsabilité. De plus, selon nos dossiers, vous avez été avisé, au moins deux fois déjà, de l’exigence d’effectuer les versements de retenues sur la paie dans une banque au moins deux fois déjà.

 

 

[6]               Il s’agit des éléments essentiels de l’affaire en l’espèce. M. Cook disposait de quelques documents internes et j’en mentionnerai quelques-uns en passant. Cependant, la défenderesse a ajouté à son dossier un affidavit de Bruce Cook, dont la décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Cela peut servir de preuve de la procédure et des documents à partir desquels M. Cook a pris sa décision, mais j’ai de sérieuses réserves quant à l’idée qu’il témoigne maintenant au sujet des facteurs qu’il a examinés lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire. Lorsque la décision d’un tribunal fait l’objet d’un contrôle judiciaire, le dossier devrait comprendre les documents présentés au tribunal et la décision du tribunal (voir, par exemple, Société Radio-Canada c. Paul, [2001] A.C.F. no 542, au paragraphe 77 (C.A.)), et non une explication après coup des motifs de la décision. En de rares occasions, la présentation d’un affidavit portant sur le processus décisionnel peut être justifiée s’il y a des questions de fait au sujet de son déroulement (voir, par exemple, Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. Of Architectural Technologists of Ontario, [2002] A.C.F. no 813,  au paragraphe 30 (C.A.)), ou s’il y a une question au sujet de la compétence (voir McFadyen c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 1817, au paragraphe 15 (C.A.)), mais ce n’est pas le cas en l’espèce. La demanderesse n’a pas contesté la présentation de l’affidavit et je ne le rejette pas, mais il se peut que j’y aie recours de façon quelque peu sélective : par exemple, l’auteur de l’affidavit déclare qu’il a [traduction] « tenu compte des critères décrits dans la Circulaire d’information 92-2 […] ». Je ne relève rien à ce sujet dans sa décision écrite du 28 novembre 2005, qui semble être fondée sur un ou deux critères seulement.

 

Analyse

[7]               Les parties conviennent que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable pour un contrôle judiciaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi. La Cour d’appel fédérale a ainsi statué au sujet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel aux termes d’un autre article de la Loi portant sur l’équité : voir Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. no 714. À mon humble avis, je crois que l’analyse pragmatique et fonctionnelle de la Cour d’appel s’applique aussi dans le contexte de l’article de la Loi portant sur l’équité dont il est question en l’espèce et je me fondrai sur cette analyse.

 

[8]               Je crois que le décideur en l’espèce, le directeur du Bureau des services fiscaux de Winnipeg (le directeur), qui a signé la lettre du 28 novembre 2005, a omis de tenir compte de certains facteurs et que, lorsqu’il a prétendu appliquer les « Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités » (Circulaire d’information 92-2) (les lignes directrices), il les a appliquées de façon quelque peu sélective. À mon avis, il les a mal interprétées.

 

[9]               Tout d’abord, on semble avoir présumé que les lignes directrices étaient obligatoires et exhaustives. Je note, tant dans la décision du ministère du 21 octobre 2005 que dans celle du 28 novembre 2005, qu’on a donné une grande importance à l’absence d’une « situation extraordinaire ». Il s’agit d’une expression qui n’apparaît qu’une seule fois dans les lignes directrices sous le titre : « Lignes directrices et exemples de cas où l'annulation des intérêts et des pénalités ou la renonciation à ceux-ci peuvent être autorisées ». On trouve également ceci à l’article 3 des lignes directrices :

Ce qui est énoncé ici ne constitue que des lignes directrices. La présente circulaire n'est donc pas exhaustive et ne doit pas être interprétée comme limitant l'esprit ou l'intention des mesures législatives. Ces lignes directrices seront modifiées au besoin suivant l'expérience acquise.

 

 

[10]           En effet, si les lignes directrices étaient vraiment censées être obligatoires ou exhaustives, elles pourraient être contestées avec succès parce qu’elles entraveraient l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre : voir, par exemple, Yhap c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 C.F. 722. Le directeur et ses conseillers semblent avoir rejeté la demande de la demanderesse principalement parce que, à leur avis, les faits ne correspondaient pas à une « situation extraordinaire ». Ils ont ainsi omis de tenir compte de l’un des exemples de situation extraordinaire, à savoir l’alinéa 6d) : « erreurs de traitement ». À mon avis, ils auraient dû examiner si le fait que la caissière du Bureau des services fiscaux avait accepté un chèque de 105 386,05 $ constituait une « erreur de traitement ». Je suis d’avis que les arguments de la défenderesse, selon lesquels la caissière ne pouvait pas rapidement déterminer si le contribuable pouvait faire son versement au Bureau des services fiscaux ou ne pouvait pas refuser un paiement irrégulier sans divulguer en détail les affaires du contribuable, ne sont pas convaincants.

 

[11]           L’article 10 des lignes directrices énumère aussi plusieurs facteurs dont on doit tenir compte lors de l’examen d’une demande d’annulation de pénalités. Le facteur suivant en fait partie :

c)             si le contribuable ou l'employeur a fait des efforts raisonnables et s'il n'a pas fait preuve de négligence ni d'imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d'autocotisation;

 

 

[12]           Je ne relève guère de preuves, dans les notes de service et dans les décisions au dossier, d’un examen visant à déterminer si la demanderesse avait été raisonnablement prudente dans la conduite de ses affaires. L’ADRC semble traiter la responsabilité du contribuable comme une responsabilité objective. La demanderesse reconnaît qu’elle n’avait pas expliqué au messager ni à l’administratrice de la Paie que les versements en question ne pouvaient être faits que dans une institution financière. Cependant, certains éléments de preuve démontrent que la demanderesse avait mis en place un système qui devait permettre au messager d’apporter les chèques et les formules de versement à la Banque Royale à temps, éléments qui n’ont pas été contestés. Il y a eu un problème non pas parce qu’on n’avait pas remis au messager un chèque ou une formule de versement, mais parce que, sans que l’on sache comment, il avait égaré la formule de versement avant d’arriver à la Banque Royale. À mon avis, le directeur aurait dû examiner si, dans les circonstances, ce qui est arrivé était raisonnablement prévisible ou s’il s’agissait d’un simple accident. Les décideurs ont visiblement accordé un certain poids au fait que le contribuable avait déjà reçu deux avertissements parce qu’il avait fait des versements au mauvais endroit. Ils ont donc déduit que la demanderesse avait été négligente parce qu’elle avait laissé le même problème se reproduire. Cependant, ils auraient aussi dû noter que ces deux avertissements avaient été émis en 1999, soit six ans avant l’incident en question. Lorsqu’ils ont examiné le facteur des lignes directrices portant sur la question de savoir si le contribuable ou l’employeur « a respecté, par le passé, ses obligations fiscales », ils ont mentionné que le contribuable en question avait payé ses impôts en retard en 1997 et en 2001, bien qu’aucune preuve écrite n’ait été présentée au sujet de ces incidents. Rien n’indique quelles étaient les circonstances ou de quels montants il était question. On a aussi mentionné que la pénalité imposée dans l’avis de cotisation du 28 septembre 2005 n’avait pas encore été payée au moment où la décision défavorable au sujet de la demande d’équité a été rendue, exactement deux mois plus tard. On aurait dû examiner s’il était raisonnable que le contribuable retarde le paiement de la pénalité en attendant qu’une décision soit rendue au sujet de sa demande d’annulation.

 

[13]           Je suis donc d’avis que la décision du directeur, rendue au nom du ministre, devra être annulée parce qu’il n’a pas tenu compte de certains facteurs pertinents.

 

Dispositif

[14]           La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée au ministre pour qu’il effectue un nouvel examen en prenant en compte les présents motifs et qu’il détermine s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la pénalité en tout ou en partie.

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que :

1.         la décision du ministre rendue par lettre le 28 novembre 2005 soit annulée;

2.         l’affaire soit renvoyée au ministre ou à son représentant pour qu’il effectue un nouvel examen en prenant en compte les présents motifs et qu’il détermine si la pénalité doit être annulée en tout ou en partie;

3.         les dépens soient adjugés à la demanderesse.

 

 

 

« B. L. Strayer » 

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2223-05

 

INTITULÉ :                                       McNaught Pontiac Buick Cadillac Ltd.

                                                            c.

                                                            L’Agence des douanes et du revenu du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Strayer

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Murray N. Trachtenberg

 

POUR LA DEMANDERESSE

Julien Bédard

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Murray N. Trachtenberg

POSNER & TRACHTENBERG

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Julien Bédard

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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