Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20061027

Dossier : T-719-06

Référence : 2006 CF 1297

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

 

 

ENTRE :

CHEF BILLY GOODTRACK, WILLIAM PICKENS,

TERRY GOODTRACK, LORRI MACKINSTOSH,

CLIFF LECAINE et CAROLINE LECAINE-KERR, et

CONSEIL NO 160 DE LA PREMIÈRE NATION WOOD MOUNTAIN

demandeur(s)

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD,

SERVICES FONCIERS ET FIDUCIAIRES,

RÉGION DE LA SASKATCHEWAN)

 

et

 

LORETTA LETHBRIDGE, ELLEN LECAINE

et ROSS LETHBRIDGE

défendeur(s)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               La présente procédure porte sur une objection formulée par les défendeurs en vertu du paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales (les Règles) concernant la production de documents demandée par les demandeurs dans une instance de contrôle judiciaire. Les demandeurs demandent un contrôle judiciaire en rapport avec une lettre signée par Evelyn Shalapata, une employée du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC), datée du 31 mars 2006, dans laquelle celle‑ci a accusé réception des résultats d’une élection coutumière supposément tenue par la Première nation Wood Mountain Lakota, le 24 mars 2006. 

 

Les faits

[2]               La Première nation Wood Mountain tient ses élections selon la coutume de la bande. Il n’est pas contesté que ces élections ne sont pas tenues en vertu de l’article 74 de la Loi sur les Indiens (la Loi), L.R.C. 1985, ch. I-5. L’article 2 de la Loi prévoit que dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil de bande est « choisi selon la coutume de la bande […] ». La dernière codification apparemment adoptée par la Première nation Wood Mountain quant à ses élections coutumières se trouve dans la Loi électorale de la Première nation Wood Mountain Lakota de 2005, laquelle a été dûment déposée auprès du MAINC. Le 9 mars 2006, le MAINC a reçu une résolution du conseil de bande apparemment adoptée par le conseil de bande de la Première nation Wood Mountain Lakota visant la nomination d’un président d’élection pour une élection prévue pour le 24 mars 2006. Dans cette résolution, le conseil demandait la liste des membres de sa bande tenue au MAINC en vertu de l’article 11 de la Loi. La liste des membres a été fournie et l’élection a eu lieu. Le 26 mars 2006, le MAINC a reçu le rapport du président d’élection quant aux résultats des élections. Il en a résulté la lettre du 31 mars 2006 envoyée par Mme Shalapata au chef et au conseil quant aux résultats des élections. La lettre mentionnait qu’Ellen Bernadette LeCaine avait été élue chef et que quatre autres personnes, dont les noms étaient mentionnés dans la lettre, avaient été élues conseillers. Dans l’intervalle, le MAINC a reçu, le 21 mars 2006, un rapport émanant d’un autre président d’élection concernant une autre élection tenue le 16 mars 2006. Ce rapport faisait état que William Goodtrack avait été élu chef par acclamation et que quatre autres personnes avaient été élues conseillers. Certaines de ces personnes font partie des demandeurs dans la présente instance en contrôle judiciaire.

 

[3]               Le 24 avril 2006, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire [traduction] « concernant les résultats de la prétendue “élection coutumière” de la Première nation Wood Mountains […] » mentionnés par Evelyn Shalapata dans sa lettre du 31 mars 2006. Dans leur avis de demande, les demandeurs ont demandé, en vertu de l’article 317 des Règles, que les défendeurs produisent de nombreux documents décrits dans l’avis de demande. Les défendeurs s’opposent en vertu de l’article 318 des Règles à la production de ces documents au motif qu’ils ne constituent pas un tribunal au sens des Règles et de la Loi sur les Cours fédérales car aucune décision susceptible de contrôle judiciaire n’a été rendue par eux ou en leur nom. 

 

[4]               Les défendeurs invoquent notamment la définition d’« office fédérale » qui figure à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Cette définition prévoit ce qui suit :

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867 ;

 

[Emphasis added]

 

 

[5]               Les défendeurs invoquent également le paragraphe 317(1) des Règles qui est ainsi libellé :

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l’office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

 

[Non souligné dans l’original]

 

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

 

[Emphasis added]

 

 

 

[6]               Les défendeurs prétendent que le seul rôle joué par le MAINC dans le cadre d’une élection coutumière d’un conseil de bande consiste à consigner les résultats. L’élection elle‑même est tenue selon la coutume de la bande, laquelle peut être codifiée ou non. Dans le cas qui nous occupe, les défendeurs prétendent que la coutume est codifiée dans la Loi électorale de la Nation Mountain Lakota de 2005. Par conséquent, aucune décision du MAINC ou des défendeurs n’a eu un effet juridique quant à savoir laquelle de ces prétendues élections était valide.

 

L’analyse

[7]               J’ai conclu que la mesure prise par Mme Shalapata en écrivant sa lettre du 31 mars 2006 n’est pas susceptible de contrôle judiciaire en tant que mesure prise par un « office fédéral » telle que cette expression est définie à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Pour être un office fédéral, l’organisme ou la personne doit exercer ou être censée exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale.

 

[8]               La Cour a conclu que la mention d’élections tenues selon la coutume de la bande dans la définition de « conseil de bande » qui figure à l’article 2 de la Loi ne crée pas la compétence pour des élections coutumières mais ne fait que les définir pour ses propres fins : voir Bone c. Conseil de la bande indienne no 290, 107 F.T.R. 133, paragraphes 31 et 32. Par conséquent, de telles élections ne sont pas tenues en vertu d’une compétence prévue par une loi fédérale. L’avocat des demandeurs n’a porté à mon attention aucune disposition dans la Loi qui accorde au MAINC la compétence de décider qui a gagné l’élection. Le juge Paul Rouleau a conclu au paragraphe 4 de la décision Première nation du Lac des Mille‑Lacs et al. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] A.C.F. no 94 (QL), que le ministre n’a aucun pouvoir sur ces élections. Le MAINC ne joue aucun rôle quant à savoir ce qui est une coutume de la bande aux fins de la gestion d’une élection : voir Chingee c. Chingee, [1999] 153 F.T.R. 257, paragraphe 13. 

 

[9]               Pour le même motif, les demandeurs ne peuvent demander aucun document aux défendeurs en vertu du paragraphe 317(1) des Règles parce qu’il n’autorise qu’une demande de transmission de documents qui sont en la possession de « l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande ». Pour les motifs exposés, il n’y avait aucune ordonnance en l’espèce : voir Gaudes c. Canada (Procureur général), 2005 CF 351; [2005] A.C.F. no 434 (QL), paragraphe 16.

 

[10]           Je fais donc droit à l’opposition des défendeurs à la production de documents demandés en vertu du paragraphe 317(1). 

 

[11]           Les défendeurs ont demandé que, pour les mêmes motifs, je rejette la demande de contrôle judiciaire sans préjudice aux droits des demandeurs d’introduire une autre instance contre d’autres parties et de peut‑être intenter des recours différents. Les demandeurs demandent, à titre subsidiaire, dans le cas où je tirerais une conclusion défavorable quant à leur position principale, que je ne rejette pas la demande de contrôle judiciaire mais que je permette qu’elle soit modifiée en conservant les mêmes parties et en ajoutant d’autres parties et peut‑être d’autres recours. Je ne vois aucun avantage à cela car je viens tout juste de décider que les défendeurs ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans la présente affaire telle qu’elle est actuellement plaidée. Je crois qu’il est dans l’intérêt de la justice que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans dépens, sans préjudice aux droits des demandeurs de chercher d’autres recours contre les parties appropriées. Il semble qu’une déclaration ou un bref de quo warranto pourraient être demandés à la Cour contre des parties qui, selon les demandeurs, exercent illégalement un pouvoir. Cela ne doit toutefois pas être considéré comme étant une prorogation du délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour demander le contrôle judiciaire. Une telle prorogation devra être demandée par une requête à cet effet.

 

Dispositif

[12]           L’opposition soulevée par les défendeurs à la production de documents en vertu du paragraphe 318(1) des Règles est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée, le tout sans préjudice aux droits des demandeurs d’intenter d’autres recours contre les parties appropriées, sous réserve des dispositions du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.


 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que :

1.         l’opposition des défendeurs à la production de documents en vertu du paragraphe 318(2) soit accueillie;

2.         la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

3.         le tout sans préjudice aux droits des demandeurs d’introduire une autre instance en vue d’intenter les recours appropriés contre les parties appropriées, sous réserve des exigences prévues au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

 

« Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-719-06

 

INTITULÉ :                                       CHEF BILLY GOODTRACK ET AUTRES

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 REGINA (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Yakolnitsky

 

POUR LE DEMANDEUR

Scott D. MacDonald

 

POUR LE DÉFENDEUR (PGC)

Jaime E. Carlson

POUR LES DÉFENDEURS

(Loretta Lethbridge,

Ellen LeCaine et Ross Lethbridge)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Merchant Law Group

Yorkton (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR (PGC)

Olive Waller Zinkhan & Waller

Regina (Saskatchewan)

POUR LES DÉFENDEURS

(Loretta Lethbridge,

Ellen LeCaine et Ross Lethbridge)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.