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Date : 20061030

Dossier : IMM-436-06

Référence : 2006 CF 1306

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

JOSE JULIAN RODRIGUEZ QUIROGA

MIRIAM DEL ROSARIO PORTILLO FAJARDO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) datée du 24 novembre 2005; dans cette dernière, le ministre a conclu que les demandeurs, s’ils étaient renvoyés au Guatemala, le pays dont ils avaient la citoyenneté, ne s’exposeraient pas à un risque de torture ou de persécution et qu’ils ne courraient pas non plus un risque pour leur vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités. Dans la décision relative à l’ERAR, on a examiné si les demandeurs s’exposeraient à un risque de persécution s’ils étaient renvoyés au Guatemala à cause du nom de famille et de la ville natale qu’ils ont en commun avec un ancien président impopulaire de ce pays.

Le contexte

[2]               Les demandeurs vivent en union de fait depuis janvier 2000. La demanderesse principale, Miriam del Rosario Portillo Fajardo, est née et a vécu dans la ville guatémaltèque de Zacapa. L’ancien président du pays, Alfonso Portillo Cabrera, porte le même nom de famille qu’elle, c’est-à-dire Portillo. L’ancien président est né et à vécu à Zacapa lui aussi. Bien qu’elle n’ait pas de lien avec l’ancien président, Mme Portillo Fajardo soutient qu’elle et les membres de sa famille ont été persécutés au Guatemala à cause d’un présumé lien familial avec l’ancien président. Cette présomption serait alimentée par le fait que, dans cette ville, l’engagement politique du père de Mme Portillo Fajardo, Freddy Portillo, est notoire.

[3]               En juin 2000, Portillo, qui présidait à l’époque le pays, a été mêlé à une controverse entourant l’exécution de quatre anciens membres de bandes et de la guérilla. Le président Portillo a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de commuer les peines de mort imposées à ces individus. Au dire des demandeurs, la décision controversée du président a déclenché une période d’actes d’intimidation, de persécutions politiques et d’enlèvements dans tout le Guatemala et, en particulier, contre les membres de sa famille.

[4]               Les demandeurs décrivent plusieurs exemples de cette persécution et de l’effet que cette dernière a eu sur eux ainsi que sur les membres de leur famille : depuis la vandalisation de leur domicile et la lacération de pneus d’automobile à la réception d’appels téléphoniques menaçants, en passant par le fait d’être pourchassés et attaqués par des agents de sécurité armés du gouvernement pendant qu’ils rentraient à la maison en automobile après avoir été au cinéma. Une fois arrivés au Canada, les demandeurs ont appris que le beau-frère de Mme Portillo Fajardo avait été assassiné dans la même maison de Guatemala City que celle où avait vécu Mme Portillo Fajardo après son départ de Zacapa. Selon des sources d’information guatémaltèques, l’assassinat impliquait l’époux de la nièce du président Portillo.

[5]               Les demandeurs ont fait état de la question de la confusion du nom de famille devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a relevé plusieurs points qui discréditaient le témoignage des demandeurs ainsi que la fiabilité de certains documents. Elle a conclu que la demande des demandeurs n’était ni vraisemblable ni digne de foi.

[6]               Le juge Phelan a rejeté la demande de contrôle judiciaire des demandeurs au sujet de la décision de la SPR : Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 271; 30 Admin. L.R. (4th) 316. Au paragraphe 7 de la décision, le juge Phelan a conclu que la SPR avait été sensible à la question de la confusion de nom, ainsi qu’à l’engagement politique du père.

[7]               Dans la décision relative à l’ERAR qui fait l’objet du présent contrôle, l’agente chargée de l’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas assez de nouveaux éléments de preuve dignes de foi pour la convaincre d’arriver à une conclusion différente de celle qu’avait tirée le tribunal initial de la SPR.

La question en litige

[8]               L’agente chargé de l’ERAR a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction des nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs pour expliquer les contradictions ou les points préoccupants que contenait la preuve soumise à la SPR?

Analyse

[9]               Les demandeurs ont fait valoir que l’agente chargée de l’ERAR a omis de considérer comme de nouveaux éléments de preuve les explications qu’ils avaient fournis en réponse aux préoccupations soulevées par la SPR dans sa décision défavorable. Ils ont ajouté que les références que l’agente a faites dans sa décision à certains des faits, mais pas tous, qui sont mentionnés dans la déclaration solennelle des demandeurs dénotent qu’elle a omis de tenir compte de la totalité des nouveaux éléments de preuve.

[10]            À la page 5 de ces motifs, l’agente chargée de l’ERAR fait référence à la déclaration solennelle des demandeurs :

[traduction]

Le document accepté en tant que nouvel élément de preuve, qui figure dans le mémoire 4, est une déclaration solennelle conjointe de la part des demandeurs, datée du 30 mai 2005. Une partie importante de cette déclaration réitère ce qui s’est passé devant la SSR et la Section de première instance de la Cour fédérale (paragraphes 1 à 70). Le reste traite de faits nouveaux (par. 71 à 80).

L’agente passe ensuite en revue divers énoncés contenus dans la déclaration, y compris les allégations des demandeurs au sujet des menaces faites aux membres de leur famille depuis décembre 2004. Il n’était pas nécessaire que l’agente relate ligne par ligne la déclaration des demandeurs afin de montrer qu’elle avait tenu compte de son contenu.

[11]           La déclaration solennelle n’est pas la seule preuve qui a été soumise à l’examen de l’agente chargée de l’ERAR. À la page 4 de la décision, cette dernière énumère cinq mémoires qui lui ont été soumis :

[traduction]

Mémoire 1 – Documents d’identité (2 pages)

Mémoire 2 – Documents personnels en vue de l’audience de la CISR (55 pages)

Mémoire 3 – Documents personnels en vue de l’audience de la CISR – suite (57 pages)

Mémoire 4 – Documents personnels - « Nouveaux éléments de preuve » (94 pages)

Documents relatifs au pays – mémoire « Nouveaux éléments de preuve » (26 documents; 90 pages)

 

Ensuite, à la page 4 de sa décision, l’agente décrit l’ampleur de son examen et la pertinence de diverses sections des mémoires:

[traduction]

Une part importante de la présentation des demandeurs concerne le processus suivi devant la SPR. Ils font valoir que, d’après ces documents, l’audience relative au statut de réfugié a été « considérablement viciée »… Tels étaient les motifs de leur demande de contrôle judiciaire, que la Cour fédérale a entendue et rejetée au début de 2005. La Cour fédérale n’a rien relevé d’inapproprié dans la conduite ou l’analyse du commissaire…

L’ERAR n’est pas conçu pour être une nouvelle audition de la demande d’asile originale; son but consiste plutôt à examiner des éléments de preuve et des éléments de risque nouveaux entre l’audience de la SPR et la date de renvoi : Veysel Kaybaki c. Le Solliciteur général du Canada, 2004 CF 32. J’ai pris en considération les observations des demandeurs et, bien que les renseignements présentés au moment de l’audience de la SPR et dans la demande présentée à la Section de première instance de la Cour fédérale aident à établir le contexte de l’affaire, je n’ai pas réévalué les documents contenus dans les mémoires 1, 2, 3 ou 4, à l’exception d’un seul [mémoire 4, pages 1 à11], car ils ne sont pas pertinents à de nouveaux éléments de risque.

[Renvoi transformé; non souligné dans l’original.]

 

[12]           Les motifs de l’agente chargée de l’ERAR me convainquent que celle-ci a évalué les éléments de preuve pertinents des demandeurs. Elle a identifié correctement le but d’un ERAR qui, comme je l’ai indiqué dans la décision Kaybaki, précitée, est le suivant :

1.                  selon l’aliéna 113a) de la LIPR, l’agent [chargé de l’ERAR] ne doit considérer que les « preuves nouvelles » qui sont nées après le projet de la demande d’asile, ou

2.                  qui n’étaient pas raisonnablement accessibles,

3.                  dont on n’aurait pas pu raisonnablement s’attendre à ce qu’elles fussent présentées devant la Commission.

 

La demande d’ERAR ne peut pas devenir une seconde audience relative au statut de réfugié; elle est conçue pour évaluer les nouveaux risques pouvant survenir entre une audience et la date du renvoi. L’agent chargé de l’ERAR ne doit pas faire office de tribunal d’appel d’une décision antérieure de la Commission.

[13]           En l’espèce, je suis convaincu que les préoccupations soulevées par les demandeurs constituaient à juste titre l’objet de la demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la SPR. Cette décision-là, de même que celle par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire, sont choses jugées. En l’espèce, les demandeurs ne peuvent soumettre à l’agente chargée de l’ERAR de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu être soulevés devant la SPR. Je trouve qu’aucun des nouveaux éléments de preuve ne correspond à la catégorie de preuves « dont on n’aurait pas pu raisonnablement s’attendre à ce qu’elles fussent présentées devant la Commission », ce qui aurait permis à l’agente chargée de l’ERAR de les accepter.

[14]           Pour ces motifs, il convient de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

Question certifiée

[15]           Les demandeurs ont proposé que l’on certifie une question grave de portée générale : [TRADUCTION] « Si la Commission de l’immigration et du statut de réfugié tire des conclusions imprévues  ou non fondées sur la preuve, les demandeurs peuvent-ils soumettre à l’agent chargé de l’ERAR de nouveaux éléments de preuve en vue de répondre à ces conclusions? ». La Cour s’oppose à la certification de cette question. Elle est d’avis que celle-ci a déjà été examinée et qu’une réponse y a été donnée dans la jurisprudence; il ne s’agit donc pas d’une question nouvelle qui justifie d’être certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

            La présente demande de contrôle est rejetée.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-436-06

                                                           

 

 

INTITULÉ :                                       JOSE JULIAN RODRIGUEZ QUIROGA ET AL

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 OCTOBRE 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael F. Loebach                              POUR LES DEMANDEURS

 

Aviva Basman                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael F. Loebach                              POUR LES DEMANDEURS

Avocat

London (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

 

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