Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061031

Dossier : IMM-67-06

Référence : 2006 CF 1315

ENTRE :

YONG GANG LIANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition, le 26 octobre 2006, d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. La décision faisant l’objet du contrôle est datée du 23 novembre 2005.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un citoyen de la République populaire de Chine (la « RPC »), est âgé de 35 ans. Son identité et sa citoyenneté ne sont pas en litige. Il fonde sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de protection semblable sur la crainte que la décision prise par son épouse et lui d’avoir un second enfant - ce qui est contraire à la politique de l’enfant unique qu’applique la RPC – les expose à de la persécution ou à un traitement analogue.

 

[3]               Le demandeur et son épouse ont eu un premier enfant, un garçon, né en septembre 1998. En septembre 2004, l’épouse du demandeur est tombée enceinte, ce qui l’obligeait à subir un avortement. Pour éviter cette éventualité, le demandeur et son épouse se sont cachés à deux endroits différents. Les autorités chargées de la planification des naissances ont appris où se trouvait l’épouse du demandeur. Le 1er novembre 2004, on a ordonné à cette dernière de se présenter aux autorités. Elle ne l’a pas fait. En conséquence, au milieu de novembre 2004, on a ordonné au demandeur de subir une stérilisation, compte tenu surtout du fait que son épouse avait une santé fragile et que, lorsqu’elle a finalement subi un avortement forcé, il a été impossible de la stériliser à cause de son état de santé.

 

[4]               La stérilisation forcée du demandeur était prévue pour le 29 novembre 2004. Pour éviter ce résultat, le demandeur a fui la RPC et est arrivé au Canada le 18 janvier 2005. Six (6) jours après son arrivée au pays, il a présenté une demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou de protection semblable.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]               La SPR a conclu que l’identité du demandeur n’était pas en litige. Elle a déterminé qu’il était citoyen de la RPC. Elle a toutefois jugé que le demandeur n’était pas digne de foi car elle a conclu que son témoignage n’était pas crédible en rapport avec des aspects importants de sa demande. Voici ce qu’elle a écrit :

[..] Il a constaté plusieurs incohérences, omissions et invraisemblances entre son témoignage de vive voix et la preuve documentaire présentée à l’appui de sa demande d’asile. Pendant l’audience, son témoignage était parfois vague et évasif. Le tribunal estime qu’il n’a pas témoigné avec franchise.

 

[6]               À l’appui de sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas digne de foi, la SPR a cité une invraisemblance en particulier et deux omissions, relevées dans son formulaire de renseignements personnels, qu’elle a jugé importantes.

 

[7]               En ce qui concerne l’invraisemblance, la SPR a écrit ceci :

[…] Lorsqu’on lui a demandé si son épouse pouvait concevoir un enfant, le demandeur d’asile a répondu qu’il ne savait pas si c’était possible, d’un point de vue médical, puisqu’elle avait subi un avortement forcé et que sa santé demeurait fragile. Il a ajouté qu’il n’avait pas considéré ces faits. Le tribunal tire une conclusion défavorable de ce témoignage, puisque sa demande d’asile au Canada repose principalement sur la possibilité que lui et son épouse aient un autre enfant dans le futur. Si son épouse ne peut donner naissance à d’autres enfants pour des raisons médicales ou à cause de sa santé fragile, la possibilité que le demandeur d’asile soit stérilisé par les autorités chinoises n’existe plus. Le tribunal estime donc invraisemblable que le demandeur d’asile ne sache pas si son épouse peut être enceinte de nouveau.

 

En toute déférence, la Cour prend acte du fait que la question de savoir si une femme est capable de concevoir un enfant ou, pour dire les choses autrement comme l’a reconnu la SPR si la conception est médicalement possible, est un point de nature hautement technique. La SPR a imposé au demandeur un fardeau déraisonnable en s’attendant à ce qu’il soit capable, de loin, de répondre directement à cette question.

 

[8]               En ce qui concerne la prétendue première omission du demandeur relevée dans son formulaire de renseignements personnels, la SPR a écrit ce qui suit :

[...] Le tribunal signale que le demandeur d’asile a déclaré que des agents de planification familiale se sont rendus à son domicile à de nombreuses occasions, mensuellement, à partir du 13 janvier 2005 et que la dernière visite a eu lieu le 15 octobre 2005. Le tribunal a indiqué au demandeur d’asile qu’il n’a pas mentionné ce fait dans son FRP et lui a demandé s’il le considérait important. Il a répondu que ces visites sont importantes et qu’il n’a pas inscrit cette information dans son FRP en raison de la qualité inadéquate de l’interprétation. Le tribunal considère que cette réponse n’est pas satisfaisante, puisque le demandeur est d’avis qu’il s’agit d’un fait important de sa demande d’asile. Il souligne aussi que la première visite des agents de planification familiale a eu lieu avant que le demandeur d’asile remplisse son FRP et que ce dernier a été modifié avant le début de l’audience. Par conséquent, il aurait pu y inscrire toute information significative ou importante avant le début de l’audience. Le tribunal estime donc qu’il s’agit d’une incohérence considérable entre la preuve documentaire et le témoignage de vive voix fourni à l’audience.

 

En fait, le demandeur a bel et bien inclus l’énoncé suivant dans son FRP :

[traduction]

Pendant que j’étais caché, j’ai appris que les autorités chargées de la planification des naissances me recherchaient ici et là. Elles ont également délivré un avis de stérilisation me concernant le 29 novembre 2004.

 

La distinction qu’il y a entre « ici et là » et son domicile est mince, surtout lorsque l’on tient compte du fait que le demandeur ne parle ni l’anglais ni le français et que, quand il a rempli son FRP, il dépendait entièrement de services d’interprétation et d’un consultant en immigration, et qu’il a eu besoin d’un interprète au moment de témoigner à l’audience devant la SPR.

 

 

[9]               Voici ce qu’a écrit la SPR au sujet de la seconde prétendue omission relevée dans le FRP du demandeur :

Enfin, le tribunal souligne que le demandeur d’asile a déclaré qu’un certain Liang Jun Tao a été stérilisé en 2003. Lorsqu’on lui a précisé qu’il n’avait pas indiqué cette information dans son FRP et qu’on lui a de nouveau demandé s’il considérait qu’il s’agissait d’un fait important et significatif de son récit, il a répondu que son récit portait sur sa situation et non sur celle d’autres personnes. Le tribunal lui a fait part des exigences énoncées en ce qui concerne l’exposé circonstancié contenu dans son FRP relativement aux personnes se trouvant dans une situation similaire. Il a de nouveau répondu que l’interprétation était inadéquate. Le tribunal considère que cette réponse n’est pas satisfaisante, puisque le demandeur d’asile a déclaré au début de la procédure que son FRP lui avait été interprété. De plus, le tribunal fait observer que M. Liang Jun Tao est une personne dans une situation similaire. Par conséquent, le tribunal estime qu’il s’agit d’une omission importante entre la preuve documentaire et le témoignage fourni à l’audience.

 

Les commentaires de la Cour au sujet de la première prétendue omission relevée dans le formulaire de renseignements personnels du demandeur s’appliquent aussi à cette prétendue omission « importante ».

 

[10]           La SPR a ensuite dit douter du bien-fondé de la crainte du demandeur car ce dernier n’a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention ou un statut analogue au Canada que six (6) jours après son arrivée. La SPR a reconnu que ce délai n’était pas long, mais elle a conclu qu’il était important parce que le demandeur a une sœur qui vit au Canada et qui a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, et qu’il ne l’avait pas consultée avant son arrivée au Canada se fiant aux conseils du passeur qui l’avait aidé à venir au Canada; ce dernier lui avait dit de ne pas demander l’asile au point d’entrée et ce, même s’il lui avait payé une somme d’argent considérable. Ceci étant dit, une fois de plus, en toute déférence, lorsque l’on paie une somme d’argent considérable il est normal de se fier aux conseils qui sont donnés en contrepartie de cette somme. En outre, il n’est pas difficile de concevoir qu’une personne arrivant de la RPC, et incapable de s’exprimer en anglais ou en français, soit désorientée et hésite à prendre sur-le-champ une mesure radicale qui pourrait avoir une incidence sur son entrée au Canada. Il n’est pas difficile non plus de concevoir qu’il serait, pour lui, nettement plus satisfaisant, voire moins risqué, de communiquer en personne avec sa sœur, ici au Canada, que d’essayer de le faire par voie électronique et d’obtenir d’elle des conseils à distance.

 

[11]           Enfin, la SPR a fait remarquer que le demandeur a fourni, entre autres preuves documentaires, un certificat de naissance concernant son fils, né en 1998, et que la page couverture de ce certificat – ledit certificat et la page couverture elle-même étant censément délivrés par les autorités gouvernementales en Chine - comportait une erreur typographique ou d’orthographe en anglais, l’anglais étant la seconde langue apparaissant à la fois sur la page couverture et sur le certificat lui-même. Se fondant sur cette erreur typographique ou d’orthographe, la SPR a indiqué ceci :

[…] Après examen de la page couverture de ce document, le tribunal souligne que l’orthographe du mot [traduction] « certificat » est incorrecte, malgré le fait que ce mot est inscrit correctement dans le document. Par conséquent, le tribunal estime que ce document est très douteux et souligne que, d’après la preuve documentaire, « l’utilisation de hukous contrefaits est encore usuelle en Chine. Les hukous et autres pièces d’identité contrefaites peuvent être achetés sur le marché noir et même sur le marché semi-ouvert ». Par conséquent, le tribunal est d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, ce document est frauduleux. Il souligne aussi que, d’après la preuve documentaire, les autorités chinoises savent que les documents frauduleux concernant des mariages inventés, des naissances et la contraception sont répandus en Chine à un point tel que des mesures ont été prises pour administrer des sanctions à toutes les autorités directement ou indirectement impliquées. Par conséquent, en se fondant sur le fait que le demandeur d’asile a fourni des documents jugés frauduleux par le tribunal, celui-ci n’accorde aucun poids aux documents que le demandeur d’asile a présentés à l’appui de sa persécution alléguée par les autorités chinoises en ce qui a trait à sa présumée violation de la politique de l’enfant unique.

 

[12]           Les éléments qui précèdent représentent la totalité des doutes dont la SPR a fait état au sujet de la demande du demandeur.

 

ANALYSE

La norme de contrôle

[13]           Les questions de crédibilité, d’authenticité de documents et de conclusions au sujet d’une crainte subjective, ce qui inclut, selon moi, les omissions relevées dans le formulaire de renseignements personnels d’un demandeur d’asile, sont toutes soumises à la norme de la décision manifestement déraisonnable[1]. Je ne relève rien dans les faits de l’espèce qui justifierait que l’on s’écarte, quant aux conclusions en litige, de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Les conclusions

[14]           Dans l’arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[2], le juge Hugessen, s’exprimant au nom de la Cour, indique ce qui suit :

J'ai parlé du zèle qu'a mis la Commission à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant. Bien que la Commission ait une tâche difficile, elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective.

 

 

Je suis convaincu que la citation qui précède s’applique directement aux faits de l’espèce. Le déclarant a témoigné par l’entremise d’un interprète. Il a rapporté des horreurs : un avortement forcé et des menaces de stérilisation forcée. Comme l’a prévu la Cour dans ses brefs commentaires sur chacune des conclusions susmentionnées que la SPR a tirées, je suis convaincu que la SPR a fait preuve d’une vigilance excessive et a examiné à la loupe la preuve du demandeur, tant à l’audience que dans son formulaire de renseignements personnels, et l’un des éléments de preuve documentaires présentés par lui ou pour son compte, et qu’elle a appliqué les doutes suscités par cet élément de preuve documentaire particulier à la totalité de la preuve documentaire qu’il a présentée. Par ailleurs, les doutes de la SPR au sujet du retard de six (6) jours équivalaient à une vigilance et à une critique excessives à l’égard d’un retard qui, dans toutes les circonstances de cette demande particulière, n’en était pas un du tout.

 

DISPOSITIF

[15]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision faisant l’objet du présent contrôle infirmée et la demande de statut de réfugié au sens de la Convention ou d’un statut semblable renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin qu’un tribunal différemment constitué procède à un nouvelle audition et statue à nouveau sur l’affaire.

 

[16]           À la fin de l’audition de la présente demande, les avocats ont été informés de l’issue et consultés sur le fait de savoir si la décision de la Cour soulève une question grave de portée générale. Aucun des avocats n’a recommandé qu’une question soit certifiée. La Cour elle-même est convaincue que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale dont l’issue serait déterminante dans le cas d’un appel. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Frederick E. Gibson »

JUGE

 

Ottawa (Ontario)

Le 31 octobre 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-67-06

 

INTITULÉ :                                       YONG GANG LIANG

                                                            DEMANDEUR

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                            DÉFENDEUR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 26 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Rosenblatt                                   POUR LE DEMANDEUR

 

Janet Chisholm                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark Rosenblatt                                   POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] Voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2003] A.C.F. no 186 (C.A.F.) (QL), décision récemment appliquée dans Saeed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) 2006 CF 1016; Ogiriki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 342; Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 352; Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 132 F.T.R. 35; Mbabazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2002] A.C.F. no 1623 (QL) et Egbokheo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2006] A.C.F. no 285  (QL); Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2006] A.C.F. no 591 (QL); Gebremichael c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2006] A.C.F. no 689; et R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2003] A.C. F. no 162.

[2] (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.