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Date : 20061101

Dossier : T-2009-05

T-2010-05

Référence : 2006 CF 1324

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

THOMSON NATIONAL PERSONNEL LIMITED

demanderesse

et

 

VIJAY MAHARAJ, LA COURONNE AUX DROITS DU CANADA

(LE MINISTRE DU TRAVAIL)

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Thomson National Personnel Limited a engagé M. Vijay Maharaj en 1998. Thomson a congédié M. Maharaj le 25 avril 2003. En 2004, M. Maharaj a déposé une plainte auprès du ministre du Travail pour congédiement injuste et demandé une prorogation du délai fixé par le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, pour le dépôt de la plainte. Le ministre a accordé la prorogation de délai à M. Maharaj et désigné un arbitre pour entendre la plainte.

[2]               Thomson soutient que le ministre a commis une erreur en accordant la prorogation de délai parce que M. Maharaj ne remplissait pas les critères applicables prescrits par la loi et parce que le ministre n’a pas fourni à Thomson la possibilité de présenter des observations avant d’accorder la prorogation. Thomson fait également valoir que le ministre a commis une erreur en désignant un arbitre, étant donné que la plainte visée de M. Maharaj était hors délai. Thomson me demande d’annuler les décisions du ministre. Cependant, je ne puis trouver aucun fondement justifiant l’annulation des décisions et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I.        Les questions soulevées

1.      Quelle est la norme de contrôle appropriée qui s’applique aux décisions du ministre?

2.      Le ministre a-t-il commis une erreur en accordant à M. Maharaj une prorogation de délai?

3.      Le ministre a-t-il commis une erreur en décidant de désigner un arbitre?

 

II.     L’analyse

 

1. Quelle est la norme de contrôle appropriée qui s’applique aux décisions du ministre?

[3]               Le délai de plainte normal prévu dans le Code canadien du travail à l’égard du congédiement injuste est de 90 jours à compter de la date du congédiement (paragraphe 240(2) – les dispositions pertinentes sont reprises dans une annexe). Toutefois, le Code prévoit aussi au paragraphe 240(3) que le ministre peut proroger ce délai dans le cas où il est convaincu que les conditions suivantes sont remplies :

 

·        la personne a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qui n’était pas habilité à la recevoir;

·        la personne croyait que le fonctionnaire était habilité à la recevoir.

[4]               La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il faut accorder une grande déférence à la décision du ministre d’autoriser ou de refuser une prorogation de délai en vertu du paragraphe 240(3) : Loomis Courier Service c. Danis, [1994] A.C.F. n° 946 (QL), au paragraphe 2. La Cour a déclaré que le paragraphe 240(3) accorde au ministre « une très large discrétion ». Suivant cette approche, je ne puis annuler la décision de prorogation du ministre que si je conclus qu’elle est déraisonnable. À titre subsidiaire, je peux intervenir si je suis convaincu que Thomson a été traitée injustement.

2. Le ministre a-t-il commis une erreur en accordant à M. Maharaj une prorogation de délai?

 

            a) L’historique des faits

[5]               Comme je l’ai mentionné, Thomson a congédié M. Maharaj le 25 avril 2003. Toutefois, dans le cadre d’une entente de départ, elle a continué de lui verser son salaire et ses avantages sociaux jusqu’au 22 août 2003.

 

[6]               M. Maharaj n’a déposé sa plainte que le 13 novembre 2003 au moment où il a communiqué avec le Bureau provincial des conseillers des travailleurs. Il a également adressé des plaintes à la Commission ontarienne des droits de la personne et à la Direction des normes d’emploi de l’Ontario. Il n’a pas présenté de plainte officielle auprès du Bureau fédéral du Programme de travail avant le 24 février 2004, bien qu’il prétende avoir envoyé une plainte par courriel en novembre 2003. Il a demandé une prorogation du délai des 90 jours dans une lettre datée du 14 avril 2004. Dans cette lettre, M. Maharaj expose les motifs de sa demande, en faisant référence à la lettre qu’il avait envoyée au Bureau provincial des conseillers des travailleurs le 13 novembre 2003 et au fait qu’il croyait que ce Bureau était habilité à traiter sa plainte.

[7]               La demande de prorogation de M. Maharaj a d’abord été traitée par un inspecteur. Par lettre datée du 30 avril 2004, l’inspecteur a informé Thomson que M. Maharaj demandait une prorogation de délai. Il a joint à sa lettre la lettre de demande de M. Maharaj et invité Thomson à entrer en contact avec lui si elle avait des observations à formuler.

 

[8]               L’inspecteur a rédigé un rapport interne où il expose succinctement les faits pertinents. Le rapport indique erronément que M. Maharaj a travaillé pour Thomson jusqu’au 22 août 2003 (c’est‑à-dire le dernier jour où il a été payé par Thomson) alors que sa dernière date d’emploi était en réalité le 25 avril 2003. L’inspecteur, sur la foi de ce renseignement erroné, a recommandé d’accorder à M. Maharaj une prorogation de délai, étant donné que celui-ci avait déposé sa plainte dans le délai prescrit des 90 jours auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la traiter. La recommandation a été acheminée à Ottawa pour qu’elle soit prise en considération par le ministre. Le 5 juillet 2004, le ministre a autorisé M. Maharaj à déposer sa plainte, ce que M. Maharaj a fait le 28 juillet 2004.

 

[9]               À ce moment, Thomson a été invitée à présenter des observations en réponse à la plainte de M. Maharaj et elle l’a fait en août 2004. Thomson a soutenu que la plainte de M. Maharaj ne respectait pas le délai prescrit et noté que la date de son congédiement était en réalité le 25 avril 2003, et non le 22 août 2003. M. Maharaj a ensuite demandé que sa plainte soit adressée à un arbitre. Le 30 décembre 2004, le ministre a désigné un arbitre pour entendre la plainte.

            b) La décision du ministre d’accorder une prorogation de délai

 

[10]           Le ministre disposait des renseignements suivants :

 

•     M. Maharaj avait été congédié le 22 août 2003;

•     dans les 90 jours suivant cette date, il a déposé une plainte auprès d’un fonctionnaire;

•     ce fonctionnaire n’était pas habilité à traiter la plainte;

•     M. Maharaj croyait, à tort, que le fonctionnaire était habilité à traiter la plainte.

 

[11]           Toutefois, note Thomson, les renseignements à la disposition du ministre sur la date du congédiement de M. Maharaj étaient erronés. Elle souligne aussi que M. Maharaj aurait dû savoir que les autorités provinciales avec lesquelles il était entré en contact n’avaient pas le pouvoir de traiter sa plainte, compte tenu du fait qu’il avait été recruté par Thomson comme commis du service de la paie et, plus tard, comme analyste d’entreprise. Par conséquent, il était parfaitement au courant que Thomson était une entreprise régie par le gouvernement fédéral et il aurait dû savoir à qui adresser sa plainte.

 

[12]           Quoi qu’il en soit, le ministre disposait néanmoins de renseignements indiquant que les critères prévus par la loi pour la prorogation de délai étaient remplis. En particulier, le relevé d’emploi de M. Maharaj indiquait que sa dernière journée de paie chez Thomson était le 22 août 2003, information dont on pouvait naturellement déduire qu’elle correspondait à la date de son congédiement. De plus, dans sa lettre du 14 avril 2004, dans laquelle il demandait une prorogation de délai, M. Maharaj déclarait qu’il avait auparavant, par erreur, présenté sa plainte aux autorités provinciales. Il a dit qu’il avait par la suite appris qu’il aurait dû communiquer avec les fonctionnaires fédéraux.

 

[13]           Par conséquent, en me fondant sur les renseignements à la disposition du ministre, je ne puis conclure que la décision d’accorder à M. Maharaj une prorogation de délai était déraisonnable. Il est certain que si le ministre avait été au courant de la date effective du congédiement et des autres détails concernant les antécédents d’emploi de M. Maharaj, il aurait pu conclure autrement. Mais le ministre n’était pas saisi de cette information.

 

[14]           Cela nous amène à l’autre argument soulevé par Thomson, à savoir qu’elle a été privée de la possibilité de fournir des renseignements qui auraient attaqué le motif pour lequel M. Maharaj demandait une prorogation de délai. Thomson note que la lettre qu’elle a reçue de l’inspecteur le 30 avril 2004 ne sollicitait pas expressément d’observations. Elle ne comportait pas non plus les renseignements sur lesquels était fondée la demande de prorogation de M. Maharaj. Par conséquent, Thomson soutient qu’elle a été traitée injustement et mise à l’écart du processus ayant conduit à l’autorisation de la prorogation.

 

[15]           Je ne partage pas les observations que fait Thomson sur ce point. Il est vrai que Thomson n’a pas été invitée expressément à présenter des observations sur la question de la prorogation de délai et qu’elle a reçu très peu de renseignements sur la demande de M. Maharaj. Mais j’estime que la lettre de l’inspecteur du 30 avril 2004 était adéquate dans les circonstances. Elle fournissait à Thomson la possibilité de se prononcer sur la question de la prorogation de délai. En outre, l’inspecteur a donné à Thomson une copie de la lettre dans laquelle M. Maharaj exposait les motifs de sa demande : en l’occurrence, le fait qu’il avait adressé sa plainte au Bureau des conseillers des travailleurs le 13 novembre 2003, croyant que celui-ci était habilité à la traiter.

 

[16]           J’estime que cette lettre donnait à Thomson suffisamment de renseignements pour qu’elle puisse faire opposition à la prorogation du délai et que Thomson aurait pu donner suite à l’invitation qui lui était faite de présenter des observations sur la demande de M. Maharaj. Elle aurait pu signaler à l’inspecteur que les critères relatifs à la prorogation du délai en vertu du paragraphe 240(3) ne pouvaient pas être remplis du fait que la plainte de M. Maharaj était hors délai et que celui-ci ne pouvait pas raisonnablement avoir pensé qu’un fonctionnaire provincial était habilité à la traiter. Thomson avait une occasion véritable de participer au processus de prise de décision et elle n’en a pas profité.

 

[17]           Par conséquent, je ne puis conclure que la décision du ministre d’accorder une prorogation à M. Maharaj était déraisonnable ni que Thomson a été traitée injustement.

 

3. Le ministre a-t-il commis une erreur en décidant de désigner un arbitre?

 

[18]           Thomson fait valoir que la décision de désigner un arbitre était déraisonnable du fait qu’à ce moment le ministre connaissait la date réelle du congédiement de M. Maharaj et qu’il aurait dû arrêter la plainte à cette étape.

 

[19]           Cependant, comme le ministre avait accueilli la demande de prorogation de délai de M. Maharaj et autorisé celui-ci à déposer sa plainte, la question du respect du délai à l’égard de la plainte originale ne se posait plus au moment où M. Maharaj a demandé au ministre la désignation d’un arbitre. À ce stade, la question était seulement de savoir si un arbitre devait être saisi de la plainte de M. Maharaj et rendre une décision. Le ministre a exercé ses pouvoirs discrétionnaires en vertu du paragraphe 242(1) du Code pour effectuer la désignation de l’arbitre après l’échec des efforts de règlement de la plainte. Je ne puis conclure que sa décision était déraisonnable dans les circonstances.

 

[20]           Compte tenu des motifs qui précèdent, je rejette la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


Annexe

 

Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2

 

Congédiement injuste

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

 

Délai

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement

 

 

Prorogation du délai

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

 

 

 

Motifs du congédiement

 

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l’employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

 

 

 

Renvoi à un arbitre

 

242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

Canada Labour Code, R.S.C. 1985, c. L-2

 

Unjust dismissal

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

 

Time for making complaint

(2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

 

Extension of time

(3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

 

Reasons for dismissal

 

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

Reference to adjudicator

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2009-05

                                                            T-2010-05

 

INTITULÉ :                                       THOMSON NATIONAL PERSONNEL LIMITED

                                                            c. VIJAY MAHARAJ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 30 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1ER NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Blair W. McCreadie

 

POUR LA DEMANDERESSE

Vijay Maharaj

 

 

Sadian Campbell

POUR LE DÉFENDEUR

Se représentant lui-même

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

FRASER MILNER CASGRAIN LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

VIJAY MAHARAJ

Brampton (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Se représentant lui-même

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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