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Date : 20061102

Dossier : IMM-2108-06

Référence : 2006 CF 1329

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

SHU CHENG GAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Shu Cheng Gan, conteste une décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « Commission ») a rejeté sa demande d’asile. Il soutient que cette dernière a commis un certain nombre d’erreurs dans la façon dont elle a traité les éléments de preuve et que ces erreurs, considérées ensemble, sont suffisantes pour justifier la tenue d’une nouvelle audience.

 

Le contexte

[2]               M. Gan a quitté la Chine et est arrivé au Canada en janvier 2005. Il a demandé l’asile en invoquant une présumée vengeance de la part d’un dirigeant politique local qui lui devait de l’argent. Quand il a tenté de recouvrer la dette, le dirigeant politique l’a fait arrêter sous l’accusation d’avoir donné refuge à des membres du Falun Gong. M. Gan soutient avoir été battu et torturé pendant qu’il était en détention. Après trois jours de sévices et une période d’inconscience, M. Gan a constaté, en revenant à lui, que la porte de la salle d’interrogatoire était déverrouillée et sans surveillance. Il s’est alors évadé et s’est caché. Environ six mois plus tard, avec l’aide d’une « tête de serpent », M. Gan est venu au Canada.

 

La décision de la Commission

[3]               La Commission a conclu que M. Gan n’était pas digne de foi. Elle a dit de son témoignage qu’il était évasif, vague, peu plausible, incohérent et, parfois, mensonger. Dans sa décision, la Commission relève plusieurs cas précis où elle n’a pas ajouté foi à son témoignage, et surtout la manière dont il s’est évadé de prison. Elle a conclu aussi que le temps pris par M. Gan avant de quitter la Chine, ainsi que sa demande de visa d’affaires en tant que moyen de prendre la fuite, ne cadraient pas avec son récit. La conclusion de la Commission en matière de crédibilité est résumée dans le passage suivant :

Les divers problèmes de crédibilité dont la liste a été dressée ici touchent à tous les aspects du récit du demandeur d’asile et sont si graves que le tribunal n’a pas d’autre choix que de rejeter entièrement son histoire et de conclure qu’elle ne s’est jamais produite.

 

 

Les questions en litige

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans la manière dont elle a traité les éléments de preuve?

 

Analyse

[4]               Comme les motifs de la demande de M. Gan ont trait à des erreurs que la Commission aurait commises dans ses conclusions relatives aux faits et à la crédibilité, la norme de contrôle est évidemment celle de la décision manifestement déraisonnable. Il est bien établi qu’il convient de faire preuve d’une grande retenue à l’égard des conclusions fondées sur la preuve que tire la Commission et, en particulier, à l’égard de celles qui se rapportent à la crédibilité. Un énoncé utile à cet égard figure dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F no 1611, 2002 CFPI 1194, au paragraphe 5 :

Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n’annulera une décision de ce genre, ou n’autorisera une demande de contrôle judiciaire d’une telle décision, qu’en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C’est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s’acquitter d’une très lourde charge, à la fois au stade de la demande d’autorisation et au stade de l’audience si l’autorisation est accordée.

 

 

Dans le même ordre d’idées, il convient de faire preuve de retenue à l’égard des inférences que tire la Commission en matière de vraisemblance : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.), au paragraphe 4.

 

[5]               M. Gan fait valoir que la décision de la Commission comporte plusieurs erreurs de fait évidentes qui minent la conclusion défavorable qu’elle a tirée au sujet de la crédibilité. Il dit que la Commission s’est trompée  au sujet des points suivants :

1.                  la Commission a commis une erreur en disant qu’il avait fallu demander à M. Gan « environ cinq fois quand il avait appris que son épouse n’avait plus de logis avant qu’il ne précise une date »;

2.                  la Commission a commis une erreur en disant que la modification apportée à son formulaire de renseignements personnels (FRP) n’indiquait pas que les billets à ordre garantissant la dette portaient l’empreinte du pouce du dirigeant politique local;

3.                  la Commission a injustement qualifié d’évasif le témoignage de M. Gan à propos de la dernière fois où celui-ci avait parlé à son épouse;

4.                  la Commission a attribué trop d’importance à une erreur de M. Gan au sujet de la date à laquelle son entreprise a été cadenassée par les autorités;

5.                  la Commission a commis une erreur en concluant que le récit de M. Gan sur son évasion était improbable;

6.                  la Commission a qualifié à tort d’évasif le témoignage de M. Gan au sujet de l’obtention de l’avis de détention;

7.                  la conclusion de la Commission sur la vraisemblance de la demande de visa d’affaires de M. Gan et son départ retardé de la Chine était indéfendable;

8.                  la Commission a accordé trop d’importance à l’erreur de M. Gan au sujet des détails des paiements faits à la « tête de serpent ».

 

[6]               M. Gan soutient qu’en raison des « erreurs » susmentionnées de la Commission, les conclusions de cette dernière en matière de crédibilité sont manifestement déraisonnables et illogiques. Il soutient en outre que la Commission a fait montre d’un excès de zèle, qu’elle s’est engagée dans une évaluation par trop détaillée de questions secondaires et qu’elle a donc perdu de vue la situation d’ensemble.

 

[7]               Pour évaluer les préoccupations précises de M. Gan quant à la façon dont la Commission a traité les éléments de preuve, il est nécessaire d’examiner dans un contexte plus général chacun des points qu’il soulève.

 

[8]               Il est vrai que la Commission a exagéré le nombre de fois où elle a interrogé M. Gan sur le fait que son épouse était sans logement, mais il est évident aussi que celui-ci n’a pas été tout à fait honnête dans son témoignage sur ce point. Un aspect important des doutes de la Commission était que M. Gan n’avait pas fait état de la situation de son épouse dans ses documents concernant sa demande d’asile. Quoi qu’il en soit, cette exagération de la Commission ne vient pas mettre en doute de façon importante son scepticisme général quant au témoignage du demandeur sur ce point.

 

[9]               M. Gan a raison de dire qu’il y a une erreur évidente dans la décision, là où il est dit qu’il n’avait pas fait état, dans la modification apportée à son FRP, de l’empreinte du pouce sur les billets à ordre. Par contre, cette erreur est en grande partie atténuée par une référence exacte à la preuve, dans le paragraphe précédent de la décision. Il est raisonnable d’en conclure que la Commission a commis une erreur typographique et non une erreur de fond sur ce point.

 

[10]           M. Gan conteste la conclusion de la Commission à propos de ses réponses évasives sur la preuve de ses contacts avec son épouse. Les réponses qu’il a données aux questions de la Commission étaient techniquement exactes, mais cette dernière se souciait manifestement du défaut initial du demandeur de fournir volontairement une preuve qu’il avait été en contact indirect avec son épouse par l’entremise de sa propre mère. La préoccupation additionnelle de la Commission sur ce point était que M. Gan avait déclaré ignorer à quel endroit son épouse se trouvait. Bien qu’il semble quelque peu sévère de qualifier d’« évasive » une partie de cette preuve, il ne s’agit pas là d’une conclusion que l’on peut décrire à juste titre comme étant irrationnelle ou nullement corroborée par la preuve.

 

[11]           M. Gan soutient que la Commission a exagéré l’importance de son témoignage sur la date à laquelle les autorités chinoises ont cadenassé son entreprise. Il a tout d’abord dit que cela avait été fait après son évasion, mais il a dit par la suite que cela avait eu lieu le jour de son arrestation. Il a ensuite indiqué par erreur que la date de son arrestation était le 21 juillet 2004. Une fois de plus, la Commission a exprimé un doute additionnel parce que cette preuve avait été omise de ses documents concernant sa demande d’asile. La critique de M. Gan au sujet de la décision de la Commission sur ce point n’est pas fondée. Son témoignage était incohérent, et il était loisible à la Commission d’accorder à cette preuve le poids qui lui semblait approprié.

 

[12]           M. Gan déclare qu’il était manifestement déraisonnable pour la Commission de qualifier d’invraisemblable sa preuve concernant son évasion. Il s’agissait toutefois là d’une conclusion que la Commission était en droit de tirer au vu de la preuve dont elle disposait. Il serait en fait naïf de croire que la police chinoise est à ce point incompétente qu’elle aurait laissé déverrouillée la porte de la salle d’interrogatoire et, en même temps, qu’elle n’aurait laissé personne dans le bâtiment pour éviter que M. Gan s’évade. La Commission a conclu de façon raisonnable que cette preuve « importante » était la pierre angulaire de son récit, et elle a conclu que l’affaire avait été inventée. Cette conclusion était raisonnable et, en fait, il s’agissait de la principale conclusion de la Commission en matière de crédibilité.

 

[13]           La plainte de M. Gan quant aux critiques de la Commission sur son témoignage concernant l’avis de détention est, elle aussi, dénuée de fondement. Les doutes de la Commission avaient trait au défaut du demandeur d’asile de répondre à ses questions et, en particulier, à celle de savoir pourquoi il n’avait pas été question, dans son FPR, de l’avis de détention. Il s’agissait là d’un exemple, parmi plusieurs, où les réponses de M. Gan aux questions de la Commission n’étaient pas adéquates, ce qui a donné l’impression qu’il n’était pas digne de foi.

 

[14]           M. Gan critique la conclusion d’invraisemblance de la Commission au sujet du temps qu’il a pris pour quitter la Chine. À l’évidence, la Commission a jugé douteux qu’une personne en péril, comme disait l’être M. Gan, ait pris le temps de demander un visa d’affaires. Il s’agit, là aussi, d’une conclusion relative à la vraisemblance qui était raisonnable et que la Commission était en droit de tirer. Il n’appartient pas à la Cour de substituer ses propres vues à celles de la Commission sur des questions de cette nature.

 

[15]           M. Gan soutient que la Commission a accordé trop d’importance aux détails relatifs aux paiements qu’il a faits à la « tête de serpent » qui l’a aidé à se rendre au Canada. Là encore, son témoignage était incohérent et il était loisible à la Commission de conclure qu’il était évasif. Il est utile de réitérer que l’importance qu’il convient d’accorder à cette preuve relève uniquement de la prérogative de la Commission et n’est pas un motif pour infirmer une décision, même si la Cour aurait pu traiter différemment la preuve en question.

 

[16]           Le fait qu’un demandeur qui sollicite un contrôle judiciaire relève des erreurs au sujet de quelques-unes des conclusions de fait de la Commission, ou quelques faiblesses dans l’analyse que cette dernière a faite de la preuve, n’est pas suffisant. La décision sera maintenue si l’on peut juger qu’elle est étayée par d’autres conclusions de fait raisonnablement tirées.

 

[17]           En l’espèce, la Commission a effectivement commis de légères erreurs dans ses décisions et ses observations au sujet des faits, mais pas au point de miner sa conclusion générale selon laquelle M. Gan était indigne de foi. En fait, son évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile était bien étayée par de nombreuses conclusions défavorables, et il n’y a donc pas lieu d’intervenir.

 

[18]           Les faits de la présente espèce correspondent à ceux dont il est question dans la décision de la Cour dans Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 81, [1993] A.C.F. no 437. Dans cette affaire, le juge Joyal a décrit l’approche qu’il convient de suivre lorsqu’un demandeur est en mesure de relever un certain nombre d’erreurs dans une décision de la Commission :

Je suis toutefois d'avis qu'aux fins d'un contrôle judiciaire, les décisions de la Commission doivent être prises dans leur ensemble. Certes, on peut les découper au bistouri, les regarder à la loupe ou encore, en disséquer certaines phrases pour en découvrir le sens. Mais je crois qu'en général, ces décisions doivent être analysées dans le contexte de la preuve elle-même. J'estime qu'il s'agit d'une manière efficace de déterminer si les conclusions tirées étaient raisonnables ou manifestement déraisonnables.

J'ai lu les notes sténographiques des dépositions des témoins devant la Commission et j'ai entendu les arguments des deux avocats. Bien qu'il soit possible d'isoler un commentaire dans la décision de la Commission et de conclure que celle-ci s'est trompée, l'erreur doit néanmoins être pertinente à la décision rendue. Et, à mon avis, aucune erreur de ce genre n'a été commise.

S'il est vrai que des plaideurs habiles peuvent découvrir quantité d'erreurs lorsqu'ils examinent des décisions des tribunaux administratifs, nous devons toujours nous rappeler ce qu'a dit la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a été saisie d'un pourvoi en matière criminelle où les motifs invoqués étaient quelque douze erreurs commises par le juge dans ses directives au jury. En rendant son jugement, la Cour a déclaré qu'elle avait trouvé dix-huit erreurs dans les directives du juge mais que, en l'absence de tout déni de justice, elle ne pouvait accueillir le pourvoi.

C'est ce que j'essaie de démontrer en l'espèce. On peut examiner la décision de la Commission et ensuite l'évaluer en fonction de la preuve se trouvant dans les notes sténographiques et des déclarations faites par le requérant pour tenter de justifier son objectif ainsi que ses craintes subjectives de persécution.

Me fondant sur cette analyse, je considère que les conclusions tirées par la Commission sont fondées compte tenu de la preuve. Certes, il est toujours possible qu'on ne s'entende pas sur la preuve; un tribunal différemment constitué pourrait également rendre une décision contraire. Quelqu'un d'autre pourrait tirer une conclusion différente. C'est notamment le cas lorsque la personne qui rend la décision souscrit à un système de valeurs différent. Toutefois, malgré l'exposé approfondi de l'avocat du requérant, je n'arrive pas à saisir le genre d'erreur qu'aurait pu faire la Commission dans sa décision et qui justifierait mon intervention. À mon avis, la décision de la Commission est tout à fait compatible avec la preuve.

 

 

[19]           En conclusion, je ne puis relever, dans les conclusions de la Commission ou dans la manière dont elle a abordé la question de la crédibilité de M. Gan, un élément qui soit suffisamment troublant ou important pour être manifestement déraisonnable. Je suis donc d’avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[20]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question à certifier et, par conséquent, aucune ne le sera.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-2108-06

 

INTITULÉ :                                                                           GAN

                                                                                                c.

                                                                                                MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     VANCOUVER

                                                                                                (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 10 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 2 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark B. Thompson

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark B. Thompson

Avocat

Richmond (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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