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Date : 20061102

Dossier : IMM-1701-06

Référence : 2006 CF 1323

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

MARIE KERLINE CHAMBLAIN HAZELL

Demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judicaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue le 7 mars 2006, jugeant que Marie Kerline Chamblain Hazell (demanderesse) n’est ni une refugiée au sens l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. 

 

 

 

I.  Faits

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne d’Haïti et de Saint-Vincent.  Elle a quitté son pays d’origine, Haïti, en 1990 pour s’établir en République Dominicaine où elle a donné naissance à trois enfants qui y vivent toujours.  Durant son séjour en République Dominicaine, la demanderesse a rencontré Kelvin Lewis Hazell (M. Hazell), un citoyen de Saint-Vincent.

 

[3]               La demanderesse a décidé de suivre M. Hazell à Saint-Vincent en avril 2001.  En mai 2001, la demanderesse et M. Hazell se sont mariés.  Suite à son mariage, la demanderesse a obtenu la citoyenneté de Saint-Vincent. 

 

[4]               M. Hazell, suite à son mariage à la demanderesse, est devenu un homme indifférent, impatient, hargneux et violent.  La demanderesse a tenté, sans succès, d’obtenir la protection de la police de Saint-Vincent pour se protéger de son mari.

 

[5]               Comme la police de Saint-Vincent ne pouvait pas protéger la demanderesse de son mari, celle-ci a fui Saint-Vincent pour le Canada le 1er avril 2005.    Avant de venir au Canada, la demanderesse s’est rendue à Haïti où elle a séjourné pendant 2 semaines le ou vers le mois de février 2005.

 

[6]               Le 17 juin 2005, la demanderesse a fait sa demande d’asile au Canada.

 

 

 

 

 

II.  Question en litige

 

(1)   Est-ce que la demanderesse peut introduire de la nouvelle preuve documentaire lors d’un contrôle judiciaire?

(2)   Quelle est la norme de contrôle applicable aux décisions de la SPR?

(3)   Est-ce que la SPR a erré en concluant que la demanderesse n’est pas une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » puisqu’elle pouvait réclamer la protection de l’État en Haïti?

 

III.  Analyse

 

(1)   Est-ce que la demanderesse peut introduire de la nouvelle preuve documentaire lors d’un contrôle judiciaire?

 

[7]               Aux pages 26 à 31 de son mémoire, la défenderesse introduit de la preuve documentaire relative à la police nationale d’Haïti, le système judiciaire haïtien, et la situation de la femme en Haïti, spécifiquement en ce qui concerne la violence contre les femmes.  Ces extraits de documents sont inclus pour supporter l’argument de la demanderesse à l’effet que la SPR aurait dû traiter de la protection en Haïti dans son analyse.

 

[8]               Il est clair qu’aucune preuve documentaire n’a été introduite devant la SPR relative à la situation en Haïti ou à l’incapacité de cet État de protéger la demanderesse.  Le mémoire de la défenderesse indique:

« Il est à noter qu’aucun document n’a été déposé sur Haïti, ni par l’agent de la protection des réfugiés, ni par le consultant qui représentait la demanderesse… »  

 

(Dossier de la demanderesse, Mémoire de la Défenderesse à la page 24) 

 

De plus, la demanderesse dans son affidavit note:

« Le consultant qui me représentait, Alam Monsoor, n’a pas déposé aucune preuve sur Haïti, l’agent de protection non plus… »

 

(Dossier de la demanderesse, Affidavit de la demanderesse au paragraphe 5) 

 

[9]               La jurisprudence de cette Cour établit clairement que lors d’un contrôle judiciaire, la Cour peut uniquement considérer la preuve dont disposait le décideur initial (Lemiecha (Tuteur d’instance) c. Canada (Ministre de l’Emploie et de l’Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49 au para. 4; Wood c. Canada (P.G.) 2001, 199 F.T.R. 133 au para. 34; Han c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 432 au para. 11). À ce sujet, le juge Kelen dans Gallardo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 45, s’exprimait ainsi aux paragraphes 7 et 8 :

Il est de droit constant que le contrôle judiciaire d'une décision devrait uniquement être fondé sur la preuve dont disposait le décideur.

 

La Cour ne peut pas soupeser de nouveaux éléments de preuve et substituer sa décision à celle de l'agent d'immigration. Elle ne statue pas sur les demandes fondées sur des CH [considérations humanitaires]. Elle effectue le contrôle judiciaire de pareilles décisions en vue de s'assurer qu'elles sont conformes au droit.

 

[10]           En conséquence, toute la preuve au dossier de la demanderesse qui n’était pas devant la SPR est retirée du présent dossier, notamment les pages 26 à 31 du mémoire de la demanderesse.

 

 

(2)   Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR?

 

[11]           La Cour d’appel fédérale dans Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration)
, 2005 CAF 126, a jugé qu’une décision refusant d’accorder la qualité de réfugié à une personne parce qu’elle pouvait réclamer la protection d’un autre pays était une question de droit, car une telle décision nécessite que la SPR interprète l’article 96 de la LIPR.  Donc,  la norme de contrôle applicable à une telle décision est celle de la décision correcte.  Le juge Décary dans l’arrêt Williams, précité, explique la norme de contrôle applicable comme suit :

Pour déterminer si la possibilité de se réclamer de la protection de l'Ouganda constitue une raison valable de refuser d'accorder la qualité de réfugié, il faut interpréter l'article 96 de la Loi. Il s'agit d'une question de droit. Il est de jurisprudence constante que, pour les questions de droit de cette nature, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La Commission ne pouvait se permettre de se tromper. Pas plus d'ailleurs que le juge de première instance.

 

(3)   Est-ce que la SPR a erré en concluant que la demanderesse n’est pas une « réfugiée au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » puisqu’elle pouvait réclamer la protection de l’État en Haïti?

 

[12]           En ce qui concerne le droit des réfugiés, le principe de base veut que la protection internationale soit une protection auxiliaire (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2. R.C.S. 689 au para. 18).    De plus, il est établi dans la jurisprudence qu’un réfugié doit demander la protection des pays dont il peut revendiquer la nationalité avant de demander l’asile au Canada  (Ward c. Procureur général du Canada, ci-dessus, au para. 89).  Ces principes sont clairement énoncés dans la LIPR à l’article 96 :

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

[Je souligne]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

[Emphasis added]

 

[13]           Dans l’arrêt Roncagliolo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1024 au para. 16, le juge Blanchard explique bien la responsabilité de la SPR lorsqu’elle détermine s’il est possible pour une personne réclamant l’asile du Canada de revendiquer la nationalité d’un autre pays :

Dans un premier temps, la Commission doit déterminer s’il est possible pour le demandeur d’asile d’obtenir la citoyenneté d’un autre pays et, dans l’affirmative, s’il existe une crainte de persécution dans ce pays.  Advenant que la preuve ne démontre pas une crainte de persécution, le principe de la protection internationale auxiliaire entre en jeu et fait en sorte que l’asile au Canada n’est pas accessible au demandeur.

 

Cette position reflète ce que la Cour d’appel fédérale a exprimé dans l’arrêt Williams, précité, concernant l’obligation d’un demandeur d’asile de démontrer qu’il craint la persécution dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l’asile dans un pays dont il n’est pas citoyen.  Aux paragraphes 19-20 de l’arrêt Williams, précité, le juge Décary explique cette obligation comme suit :

Il est acquis aux débats que la qualité de personne à protéger est refusée s'il est démontré qu'au moment de l'audience le demandeur a le droit, par de simples formalités, d'acquérir la citoyenneté (ou la nationalité, les deux termes étant employés de façon interchangeable dans ce contexte) d'un pays déterminé à l'égard duquel il n'a aucune crainte fondée d'être persécuté.

 

 

 

 

Ce principe découle d'une longue suite de décisions commençant par les arrêts rendus par notre Cour dans les affaires Canada (Procureur général) c. Ward, [1990] 2 C.F. 667 (C.A.F.), et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Akl (1990), 140 N.R. 323 (C.A.F.), dans lesquels il a été jugé que, si un demandeur d'asile possède la citoyenneté de plusieurs pays, il doit démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la citoyenneté avant de pouvoir demander l'asile dans un pays dont il n'est pas un ressortissant. Notre décision dans l'affaire Ward a été confirmée par la Cour suprême du Canada (précité, au paragraphe 12) et ce principe a finalement été consacré par la Loi, à l'article 96, qui parle de "tout pays dont elle a la nationalité".

 

[14]           En l’espèce, le fait que la demanderesse avait la citoyenneté d’un autre pays, notamment qu’elle était citoyenne Haïtienne, n’est pas contesté.  Donc, la SPR n’avait que l’obligation de se demander si la demanderesse avait une crainte de persécution ou un risque personnalisé si elle était renvoyée en Haïti.  À la lecture du compte-rendu de l’audience il est clair que la SPR a demandé à la demanderesse des questions relatives à sa situation en Haïti, entre autres si elle avait une crainte personnalisée de persécution.    À la conclusion de l’audience, la demanderesse a déclaré qu’elle avait évalué les possibilités en Haïti mais qu’elle avait renoncé à ce projet en raison de l’insécurité généralisée du pays:

R.            Quand j’étais passée en Haïti, je voulais rester dans mon pays. 

R.            Je voulais rester.  Mais quand j’ai vu la situation, l’insécurité, je pouvais pas sortir dehors pour chercher quelque chose à manger, je pouvais pas, je pouvais rien faire. … 

Q.            Mais qu’est-ce que vous êtes allée faire en Haïti? 

R.            Je voulais aller…. Je voulais le laisser, je voulais rester en Haïti.  

R.            … Mais la situation en Haïti ne permet pas que je restais (sic).  L’insécurité, problèmes du gouvernement, problèmes pour les filles, problèmes d’insécurité dans la rue.  Je peux pas même sortir dans la rue.  Je ne pourrais pas.  J’étais trop peur, j’étais trop peur.  Traumatisée.  Je ne peux plus, je veux plus retourner là-bas.

 

(Dossier de la SPR, Compte-rendu de l’audience de Marie Kerline Chamblain  Hazell, aux pages 23-25)  

 

 

 

 

 

De plus, la demanderesse expliquait ce qui suit pour justifier sa demande d’asile au Canada :

R.            Ma situation à St. Vincent, c’était critique, parce que j’étais comme une esclave, je ne savais pas quoi faire.  Le problème en Haïti, c’est le problème d’insécurité, les problèmes politiques.  Je sais que ça va me plus choquer (sic) encore que les problèmes de mon mari.  Parce que c’est vraiment délicat, l’état en Haïti maintenant.  C’est mon pays, j’aimerais bien rester…

 

(Dossier de la SPR, Compte-rendu de l’audience de Marie Kerline Chamblain Hazell, à la page 34)

 

 

[15]           De ma lecture du compte-rendu de l’audience, il apparaît que la demanderesse n’a pas établi qu’elle vivrait un risque personnalisé si elle retournait à Haïti. La jurisprudence de cette Cour est à l’effet qu’un demandeur d’asile doit fournir les éléments de preuve qu’il juge nécessaire pour démontrer que sa demande d’asile est bien fondée.  À ce sujet, le juge Nadon dans Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploie et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no. 578 (Q.L.) au para. 9, notait:

 

« Je désire répéter ce que j'ai dit dans d'autres dossiers. Les requérants ne doivent pas compter sur les membres de la Section ni sur l'agent d'audition pour "faire leur preuve". C'est à eux et à eux seuls d'amener en preuve tous les éléments qu'ils jugent essentiels afin de démontrer que leur revendication est bien fondée. « 

 

Ceci a été répété récemment par la juge Snider dans l’arrêt Kovacs  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1473 au para. 33, où elle dit :

 

« C'est aux demandeurs qu'il incombait de fournir des éléments de preuve à l'appui de leur demande d'asile (Rahmatizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 578 (1re inst.) (QL), par. 9-10; Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL), par. 8). »

 

 

 

 

[16]           Le fait que la demanderesse allègue qu’elle ne veut pas retourner en Haïti en raison de l’insécurité générale du pays ne suffit pas à la qualifier de réfugiée sous l’article 96 de la LIPR ou de personne à protéger sous l’article 97 de la LIPR.  Si le risque personnalisé n’est pas démontré par la demanderesse, elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de la preuve et en conséquence, la SPR n’a pas à procéder à l’analyse de la situation en Haïti.  Donc, la décision de la SPR jugeant que Marie Kerline Chamblain Hazell n’est ni une réfugiée au sens de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR, est correcte et la Cour n’a pas à intervenir.

 

[17]           Les parties furent invitées à soumettre une question pour fin de certification mais aucune ne fut soumise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE QUE :

 

-         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

-     Aucune question ne sera certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-1701-06

 

INTITULÉ :                                        MARIE KERLINE CHAMBLAIN HAZELL c. LE                                                                 MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                                                              L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :                le 24 octobre 2006

 

MOTIFS :                                           L’HONORABLE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 novembre 2006

 

 

COMPARUTION :

 

Me Éveline Fiset                                   POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Me Caroline Doyon                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

                       

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Éveline Fiset                                   POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal, Québec                   

 

JOHN H. SIMS, c.r.                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

Montréal, Québec

 

 

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