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Date : 20061031

Dossier : T-539-05

Référence : 2006 CF 1319

Toronto (Ontario), le 31 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

ILDA CAREPA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ilda Carepa demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal de révision qui rejetait son appel d’un refus de prestations d’invalidité aux termes du Régime de pensions du Canada. Mme Carepa affirme que le tribunal de révision a commis une erreur en ne concluant pas qu’un document portant sur son retour au travail en 1994 constituait des « faits nouveaux » qui justifiaient l’annulation d’une de ses décisions précédentes.

 

[2]               Mme Carepa soutient aussi que le défaut du ministre de divulguer le document de 1994 au cours de la procédure au sujet d’une demande précédente de prestations a entaché la procédure qui fait l’objet du présent contrôle et qu’elle avait ainsi été privée de son droit à l’équité procédurale.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que le tribunal de révision ait commis les erreurs alléguées et, par conséquent, je rejetterai la demande.

 

Le contexte

[4]               En 1994, Mme Carepa a obtenu des prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada. Cependant, elle est retournée au travail peu après et ses prestations ont pris fin. Mme Carepa a continué à travailler jusqu’en 1996. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si elle a été mise à pied en décembre 1996 pour manque de travail ou si elle a quitté parce que son état de santé l’empêchait de continuer à travailler.

 

[5]               Mme Carepa a déposé une deuxième demande de prestations d’invalidité en juin 1997. Le ministre a rejeté cette demande ainsi que la demande subséquente de réexamen. Un tribunal de révision a par la suite rejeté, le 4 novembre 1998 , l’appel de Mme Carepa parce qu’il a conclu qu’elle ne souffrait pas d’une invalidité. Cette décision était fondée, en partie, sur un questionnaire qui avait été rempli par l’ancien employeur de Mme Carepa en 1998, dans lequel il était noté que le rendement au travail de Mme Carepa avait été satisfaisant jusqu’en décembre 1998, lorsqu’elle avait été mise à pied pour manque de travail. Le questionnaire mentionnait aussi que l’employeur de Mme Carepa n’était pas au courant du fait qu’elle souffrait d’une invalidité.

 

[6]               La demande d’autorisation de porter la décision en appel devant la Commission d’appel des pensions a été rejetée en janvier 2000 et Mme Carepa n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du tribunal de révision.

 

[7]               En janvier 2002, Mme Carepa a présenté une nouvelle demande de prestations d’invalidité. Le ministre a rejeté cette demande, ainsi que la demande de réexamen. Mme Carepa a ensuite interjeté appel devant un tribunal de révision, demandant que le tribunal réexamine et modifie sa décision du 4 novembre 1998, au motif qu’il existait des « faits nouveaux ». Les « faits nouveaux » auxquels Mme Carepa faisait référence étaient de nouveaux rapports médicaux qui confirmaient qu’on avait diagnostiqué qu’elle souffrait de fibromyalgie, ainsi qu’un document de 1997 qui portait sur cette affection.

 

[8]               Mme Carepa s’est fondée aussi sur un document qui avait été présenté à son employeur en juin 1994, qui attestait qu’elle était retournée au travail sous réserve d’effectuer des tâches allégées, document qu’elle a aussi qualifié de « fait nouveau ». C’est ce document qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision du tribunal de révision

[9]               Dans sa décision de janvier 2005, le tribunal de révision a conclu que la dernière date à laquelle Mme Carepa avait respecté les exigences en matière de période de cotisation et qui lui donnaient peut-être droit à des prestations était le 31 décembre 1998. C’était la dernière fois que Mme Carepa établissait une période minimale d’admissibilité (PMA) : elle avait alors cotisé au Régime pendant quatre des six dernières années.

 

[10]           Le tribunal de révision a ensuite conclu que, conformément au principe de res judicata, il était lié par la décision du 4 novembre 1998 du tribunal, dans laquelle il avait été conclu que Mme Carepa n’était pas invalide. Par conséquent, le tribunal devait trancher la question à savoir si Mme Carepa avait démontré qu’elle était invalide pendant la période entre le 4 novembre 1998 et le 31 décembre 1998.

 

[11]           Le tribunal a conclu que la preuve médicale dont il était saisi ne permettait pas d’affirmer qu’il y avait eu un changement dans l’état de santé de Mme Carepa entre le 4 novembre 1998 et le 31 décembre 1998. Par conséquent, son appel au sujet de la demande de 2002 a été rejeté.

 

[12]           Le tribunal s’est ensuite demandé si Mme Carepa avait droit au réexamen de la décision de 1998 en raison de la découverte de « faits nouveaux », au sens du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada. Le paragraphe 84(2) permet au tribunal de révision de modifier ou d’annuler une décision lorsqu’il existe des faits nouveaux.

 

[13]           À ce sujet, le tribunal de révision a conclu qu’aucun des éléments de preuve que Mme Carepa avait présentés ne constituait des faits nouveaux. En particulier, en ce qui a trait au rapport de retour au travail de 1994, le tribunal a conclu que Mme Carepa aurait pu témoigner au sujet des conditions relatives à son retour au travail, présentant de ce fait la même preuve au tribunal de révision. De plus, le tribunal a conclu que Mme Carepa aurait pu se procurer le document plus tôt si elle avait fait preuve d’une diligence raisonnable.

 

[14]           En l’absence de faits nouveaux, le tribunal de révision a conclu que rien ne justifiait le réexamen de la décision de 1998.

 

Les questions en litige

[15]           Mme Carepa soulève les questions suivantes dans sa demande de contrôle judiciaire :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du tribunal de révision?

            2.         Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant que le rapport de retour au travail de 1994 ne constituait pas des « faits nouveaux »?

            3.         Le défaut du ministre de divulguer le rapport de retour au travail de 1994 au tribunal de révision en 1998 a-t-il entraîné un déni d’équité procédurale envers Mme Carepa au cours du processus qui a eu lieu en 2005?

 

La norme de contrôle

[16]           Pour qu’il s’agisse de « faits nouveaux », il faut que la preuve en question n’ait pu être découverte, malgré une diligence raisonnable, avant la première audience, et les faits doivent être substantiels : voir, par exemple, Kent c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 2083, 2004 CAF 420.

 

[17]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a noté dans l’arrêt Taylor c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2005] A.C.F. no 1532, 2005 CAF 293, au paragraphe 12, la question de la possibilité de découverte de la preuve est une question de fait et la décision manifestement déraisonnable est la norme applicable.

 

[18]           Les questions de substantialité et de diligence raisonnable sont des questions mixtes de fait et de droit, dont l’aspect fait est nettement plus important, et pour lesquelles la décision manifestement déraisonnable est aussi la norme applicable : Taylor, précité, au paragraphe 12.

 

[19]           Quant au fait que la demande de Mme Carepa soulève une question d’équité procédurale, l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas. En fait, la Cour doit isoler les actes ou les omissions qui touchent à l’équité procédurale et doit déterminer si le processus que la Commission a suivi respectait le degré d’équité requis compte tenu des circonstances : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056, 2005 CAF 404.

 

[20]           Comme la question d’équité procédurale est une question de droit, aucune déférence n’est nécessaire : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation : Sketchley, au paragraphe 53.

 

[21]           La norme de contrôle étant bien établie, je dois maintenant décider si le tribunal de révision a commis une erreur en concluant que le rapport de retour au travail de 1994 ne constituait pas des « faits nouveaux ».

 

Le tribunal de révision a-t-il commis une erreur en concluant que le rapport de retour au travail de 1994 ne constituait pas des « faits nouveaux »?

           

[22]           Le Régime de pensions du Canada ne définit pas l’expression « faits nouveaux ». Cependant, comme je l’ai mentionné plus tôt, la jurisprudence nous enseigne qu’il faut appliquer un critère à deux volets pour déterminer si les faits sur lesquels le demandeur se fonde sont réellement des faits nouveaux. C’est-à-dire que, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable, le demandeur n’avait pas pu découvrir les faits avant la première audience, et que les faits doivent être substantiels.

 

[23]           Mme Carepa soutient qu’elle n’avait pas pu prendre connaissance du rapport de retour au travail de 1994 avant l’audience de 1998 devant le tribunal de révision parce que le ministre ne s’était pas conformé à ses obligations en matière de communication de la preuve.

 

[24]           Je reviendrai sur les arguments de Mme Carepa au sujet de l’équité procédurale en ce qui a trait au fait que le document ne lui avait pas été communiqué. Cependant, elle ne m’a pas convaincue que, malgré l’exercice d’une diligence raisonnable, elle n’avait pas pu obtenir le rapport de retour au travail de 1994 avant l’audience de 1998.

 

[25]           À ce sujet, il est important de mentionner que le document en question est un rapport de 1994 que le médecin personnel de Mme Carepa avait préparé et qui porte la signature de Mme Carepa. Par conséquent, Mme Carepa devait être au courant de l’existence du document bien avant qu’elle se présente devant le tribunal de révision en 1998. 

 

[26]           Mme Carepa n’a pas présenté d’affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire et aucun élément n’établit les mesures qu’elle a pu prendre, le cas échéant, pour trouver le document. De plus, aucune explication n’a été offerte pour expliquer pourquoi elle n’aurait pas pu présenter le document dans le cadre de la procédure devant le tribunal de révision en 1998.

 

[27]           En outre, comme le tribunal de révision l’a noté, Mme Carepa se trouvait à l’audience de 1998 et elle était en mesure de témoigner au sujet de la nature et de l’étendue de ses responsabilités au travail entre le moment où elle est retournée au travail en juin 1994 et le moment où elle a été mise à pied en décembre 1996.

 

[28]           Compte tenu de toutes les circonstances, Mme Carepa n’a pas réussi à prouver que la conclusion du tribunal de révision, selon laquelle le rapport de retour au travail de 1994 ne constituait pas un « fait nouveau », était déraisonnable, et encore moins manifestement déraisonnable.

 

[29]           En l’absence de faits nouveaux, le paragraphe 84(2) du Régime ne s’applique pas et, sous réserve de l’argument de Mme Carepa au sujet de l’équité procédurale, dont je parlerai plus loin, il n’y avait donc aucun motif de réexaminer la décision de 1998 du tribunal de révision.

 

Le défaut du ministre de divulguer le rapport de retour au travail de 1994 au tribunal de révision a-t-il entraîné un déni d’équité procédurale?

 

[30]           Mme Carepa soutient que l’article 5 des Règles de procédure des tribunaux de révision exige la divulgation de tous les documents du demandeur détenus en vertu du Régime de pensions du Canada qui sont pertinents quant à la décision faisant l’objet d’un examen. Cependant, pour une raison qui m’échappe, le ministre n’a pas divulgué à Mme Carepa le rapport de retour au travail de 1994 dans le cadre de l’audience de 1998 devant le tribunal de révision.

 

[31]           Selon Mme Carepa, le rapport de 1994 précisait que ses tâches devaient être allégées à son retour au travail. Par contre, son ancien employeur, dans le questionnaire auquel il avait répondu en 1998, ne mentionnait pas du tout ce fait et faisait valoir qu’il ne savait pas que Mme Carepa souffrait d’une invalidité.

 

[32]           De plus, la réponse au questionnaire donnait à penser que la qualité du travail de Mme Carepa n’avait pas été affectée par une invalidité avant sa mise à pied, et qu’elle n’avait pas accumulé d’absences importantes du travail liées à une invalidité.

 

[33]           Mme Carepa soutient que la divulgation sélective de la preuve du ministre a causé un traitement injuste de sa demande au cours de l’audience de 1998 et a contribué à la conclusion du tribunal de révision selon laquelle elle ne souffrait pas d’une invalidité.

 

[34]           Mme Carepa ajoute que, dans la mesure où les conclusions que le tribunal de révision a tirées en 2005 étaient fondées sur les conclusions de la décision de 1998 du tribunal, la décision de 2005 était entachée de l’iniquité de la décision de 1998 et qu’elle devrait être annulée.

 

[35]           Il importe de ne pas oublier que le rapport de retour au travail de 1994 avait été préparé relativement à la demande de prestations de Mme Carepa de 1994 et que l’audience de 1998 portait sur la seconde demande de prestations. Par conséquent, rien n’indique que le ministre avait réellement l’obligation de divulguer le rapport dans le cadre de la procédure de 1998 du tribunal de révision.

 

[36]           Il importe aussi de noter que la présente demande de contrôle judiciaire porte uniquement sur la décision de 2005 du tribunal de révision. Bien qu’on ait refusé à Mme Carepa l’autorisation de porter la décision de 1998 du tribunal de révision en appel devant la Commission d’appel des pensions, elle n’a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision à la Cour fédérale. Si elle l’avait fait, elle aurait pu présenter ses arguments au sujet de l’équité du processus suivi par le tribunal de révision en 1998.

 

[37]           Quelles que soient les préoccupations de Mme Carepa au sujet de l’équité du processus de 1998, je ne relève rien au dossier qui donne à penser qu’il y ait eu un manquement quelconque à l’équité au cours du processus de 2005 du tribunal de révision.

 

[38]           En l’absence de « faits nouveaux » qui permettraient d’avoir recours au pouvoir de réexamen prévu à l’article 84(2) du Régime, le principe de res judicata s’applique aux décisions du tribunal de révision : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. MacDonald, [2002] A.C.F. no 197, 2002 CAF 48.

 

[39]            De plus, comme il n’y a pas eu manquement à l’équité au cours du processus de 2005 du tribunal de révision, Mme Carepa ne peut pas revenir en arrière et tenter de contester, de façon indirecte et tardive, la décision de 1998 du tribunal de révision, qui est définitive puisqu’elle n’en a pas demandé le contrôle judiciaire.

 

Conclusion

[40]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Carepa sera rejetée.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-539-05

 

 

INTITULÉ :                                       ILDA CAREPA c.

                                                            LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 octobre 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 octobre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leo J. Dillon

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tania Nolet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leo J. Dillon

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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