Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20061102

Dossier : IMM-7292-05

Référence : 2006 CF 1327

Toronto (Ontario), le 2 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

FANNY ROCIO CHIMOY MELENDEZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Fanny Rocio Chimoy Melendez, la demanderesse, est citoyenne du Pérou. Elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre d’enfant à charge de sa mère, dont l’entrée au Canada avait été parrainée par la sœur de la demanderesse. Entre le moment où l’agent des visas l’a reçue en entrevue en septembre 2001 et le moment où elle est venue au Canada en mars 2002, la demanderesse s’est mariée au Pérou. Elle n’a pas mentionné ce mariage aux agents d’immigration, comme elle le devait. Le fait qu’elle était mariée, si elle l’avait mentionné, lui aurait enlevé son droit d’être admise au Canada à titre « d’enfant à charge ». Depuis qu’elle est arrivée au Canada et que, subséquemment, les agents d’immigration ont découvert qu’elle n’avait pas déclaré qu’elle était mariée, le mariage de la demanderesse à son premier époux a été dissous et elle s’est mariée à un citoyen canadien, avec qui elle a eu un enfant.

 

[2]               Lorsqu’on a découvert la fausse déclaration de la demanderesse au sujet de son mariage, un tribunal de la Section de l’immigration (le tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse était interdite de territoire et il a émis, le 27 mai 2004, une mesure d’exclusion (alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR)). La demanderesse a porté cette décision en appel devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission. En plus de contester la validité juridique de la mesure d’exclusion, la demanderesse faisait valoir que son appel devait être accueilli parce  que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient, compte tenu de l’intérêt supérieur de son enfant, la prise de mesures spéciales, aux termes du paragraphe 67(1) de la LIPR. Dans une décision datée du 10 novembre 2005, la SAI a rejeté l’appel. La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

I. Les questions en litige

[3]               À l’audience, la demanderesse a soulevé les questions suivantes :

 

1.                  La SAI a-t-elle manqué aux règles de justice naturelle en refusant d’entendre le témoignage du mari de la demanderesse au sujet des répercussions qu’aurait sur l’enfant le renvoi au Pérou de la demanderesse?

2.                  La SAI a-t-elle omis d’examiner correctement l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse?

3.                  La SAI a-t-elle commis une erreur susceptible de révision dans son estimation de la période de séparation entre la demanderesse et son mari?

 

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAI a fait au moins deux erreurs dans sa décision qui justifient l’intervention de la Cour.

 

II. Analyse

 

[5]               Conformément à l’alinéa 67(1)c), pour faire droit à un appel, la SAI doit être convaincue qu’il y a « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ».

 

[6]               Comme nous pouvons le constater, la SAI avait l’obligation légale de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il n’est pas contesté que la SAI devait être réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour que la SAI respecte cette obligation, il n’est pas suffisant de seulement mentionner qu’elle a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme la Cour l’a expliqué au paragraphe 32 de la décision Hawthorne c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2002] A.C.F. no 1687 (C.A.F.) :

Il y a eu également consensus sur le fait qu’une agente ne peut démontrer qu’elle a été « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la simple mention dans ses motifs qu’elle a pris en compte l’intérêt de l’enfant d’un demandeur CH (Legault, par. 13). L’intérêt de l’enfant doit plutôt être « bien identifié et défini » (Legault, par. 12) et « examiné avec beaucoup d’attention » (Legault, par. 31) […]

 

 

[7]               La seule référence dans la décision à l’intérêt supérieur de l’enfant est la suivante :

Pour rendre cette décision, le tribunal a pris en considération le mariage de l’appelante et le fait qu’elle a un enfant en bas âge, les deux facteurs les plus importants dans sa vie à l’heure actuelle. La conseil de l’appelante soutient que le fils de cette dernière souffrirait encore plus s’il devait aller au Pérou. Or, outre cette affirmation vague, aucune preuve n’a été présentée montrant que le fils de six mois de l’appelante devra aller au Pérou ou qu’il souffrira de la manière dont l’a laissé entendre la conseil. [Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Le défendeur soutient que la SAI n’a pas commis l’erreur de droit de ne pas tenir compte correctement de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse. Le défendeur fait référence à la décision Owusu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2004] A.C.F. no 158, aux paragraphes 7 et 8 (C.A.F.), au sujet du principe suivant lequel on ne peut pas reprocher à l’agent qui évalue les motifs d’ordre humanitaire de ne pas avoir tenu compte des facteurs touchant l’intérêt supérieur de l’enfant qui ne lui ont pas été présentés ou qui n’étaient pas suffisamment étayés par la preuve. Le défendeur fait valoir qu’aucune preuve n’avait été présentée quant à l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’avocate de la demanderesse n’avait pas réellement exposé la question de l’intérêt de l’enfant dans ses observations. Le défendeur ajoute que le défaut d’entendre le témoignage du mari de la demanderesse (ainsi que je l’examinerai ci-dessous) ne constitue pas un manquement à la justice naturelle parce que son témoignage n’aurait rien apporté de nouveau au dossier en ce qui concerne les difficultés auxquelles l’enfant serait exposé.

 

[9]               Pendant l’audience, la SAI a demandé à la demanderesse si elle emmènerait son enfant si elle retournait au Pérou, et elle a répondu qu’elle le ferait. Il n’y a aucun autre élément de preuve au sujet du fils de la demanderesse âgé de six mois.

 

[10]           Les observations finales de l’avocate de la demanderesse n’étaient pas plus détaillées au sujet de l’intérêt de l’enfant :

[traduction]

Et, finalement, je crois qu’il est dans l’intérêt de son enfant qu’elle reste au Canada. Pour le moment, elle devrait l’amener avec elle parce qu’il est si jeune et qu’elle ne veut pas être séparée de lui. Il serait donc exposé au bouleversement du renvoi, de se trouver dans un nouveau pays dans lequel il n’y a pas de réseau de soutien social comme on en trouve ici. La vie serait beaucoup plus dure là-bas. Et il devrait – il serait exposé au bouleversement du retour au Canada lorsque le parrainage du mari – parrainage par le mari sera accepté, et il ne fait aucun doute qu’il le sera.

 

 

[11]           S’il n’y avait rien eu de plus au dossier, j’aurais été d’accord avec le défendeur et j’aurais probablement conclu que la SAI avait tiré une conclusion adéquate en fonction du dossier dont elle était saisie. Cependant, je dois tenir compte de la façon dont l’audience s’est déroulée. En particulier, la transcription contient un échange qui donne à penser que des preuves supplémentaires auraient pu être présentées au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant si le mari de la demanderesse avait pu témoigner. Lorsque le témoignage de la demanderesse s’est terminé, le commissaire de la SAI a dit [traduction] « Je suppose que nous pouvons faire entrer le mari, comme deuxième témoin. » À partir de ce moment, l’échange s’est poursuivi comme suit :

AVOCAT DU DÉFENDEUR : Hum, s’il est assigné seulement pour expliquer qu’il s’ennuiera de sa femme, que leur enfant sera affecté, etc; je n’y vois pas de problème.

 

Ma principale question au sujet du dossier porte sur la fausse déclaration et à quel point la demanderesse en a accepté la responsabilité.

 

Je ne sais pas si cela peut aider ma collègue; mais je ne m’y oppose pas, si c’est la raison pour laquelle il est assigné.

 

AVOCAT DE LA DEMANDERESSE : Oui, c’est le but du témoignage.

 

COMMISSAIRE : Je pense que vous pouvez traiter de la question dans vos observations.

 

En fait, d’après moi, je peux vous dire que, hum, je m’attendrais à ce que vous présentiez ces observations.

 

D’accord?

 

Donc, je ne pense pas que nous avons besoin d’entendre – ce que je veux dire, c’est que je ne crois pas qu’il soit nécessaire que nous entendions le témoignage de – du mari de la demanderesse.

 

 

 

[12]           Si je comprends bien cette partie de la transcription, le mari était prêt à témoigner au sujet des effets négatifs que la séparation aurait sur l’enfant et il n’a pas eu l’autorisation de le faire. Bien que nous ne puissions que supposer de ce qu’il aurait dit, il est raisonnable de penser que le père de l’enfant aurait pu ajouter des détails importants au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans sa décision, lorsque la SAI explique que « aucune preuve n’a été présentée montrant que le fils de six mois de l’appelante devra aller au Pérou ou qu’il souffrira de la manière dont l’a laissé entendre la conseil », elle fait abstraction des circonstances qui ont entraîné cette absence de preuve. Dans cette situation inhabituelle, le défaut d’entendre le témoignage du mari de la demanderesse constitue un manquement à la justice naturelle.

 

[13]           De plus, en raison du défaut d’entendre le témoignage, les principes énoncés dans la décision Owusu ne s’appliquent pas. Par conséquent, je conclus que la SAI n’a pas correctement tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse.

 

[14]           La SAI a commis une autre erreur susceptible de révision en ce qui a trait à l’estimation de la période de séparation si l’appel était rejeté. Dans ses motifs, la SAI a déclaré que la demanderesse, si elle était renvoyée, serait interdite de territoire au Canada pour une période d’un an. Les deux parties conviennent que la SAI a commis une erreur parce qu’il s’agit plutôt d’une période de deux ans. À mon avis, cette erreur est importante. Si la SAI avait constaté que la période de séparation était deux fois plus longue que ce qu’elle croyait, il aurait pu y avoir des répercussions importantes sur les autres facteurs en cause (Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 772, 2004 CF 644). Je ne puis dire si le résultat aurait été le même si l’erreur n’avait pas été commise. Dans les circonstances, je conclus qu’il s’agit d’une autre erreur susceptible de révision.

 

[15]           Pour ces motifs, la demande sera accueillie. Ni l’une ni l’autre partie n’ont proposé de question aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SAI pour nouvel examen;

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7292-05

 

INTITULÉ :                                       FANNY ROCIO CHIMOY MELENDEZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er novembre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       La juge Snider

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 novembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Lorne Waldman                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

 

Judy Michaely                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.