Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061027

Dossier : T‑1588‑06

Référence : 2006 CF 1290

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

NORDEA BANK NORGE ASA

demanderesse

et

 

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « KINGUK », LE NAVIRE « KINGUK », LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « AQVIQ », LE NAVIRE « AQVIQ », ET FAROCAN INCORPORATED

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LA JUGE GAUTHIER

 

            VU un appel interjeté par la défenderesse Farocan Inc. et par Newfound Resources Ltd. (NRL) de l’ordonnance du protonotaire Morneau, datée du 16 octobre 2006, autorisant la vente de deux navires-frères, soit le MV Kinguk et le MV Aqviq, selon les conditions établies dans son ordonnance;

 

            APRÈS AVOIR EXAMINÉ les documents déposés par les parties, NRL et par Fishery Products International Ltd (FPI), et entendu les divers arguments des avocats hier (vidéoconférence et téléconférence);

 

            APRÈS AVOIR EXAMINÉ la norme de contrôle applicable à cette décision discrétionnaire établie dans Merck Inco, Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 F.C.R. 459 (C.A.F.), au paragraphe 19. En l’espèce, le protonotaire devait décider si la demanderesse pouvait réaliser sa garantie hypothécaire sur les deux navires en les vendant immédiatement à FPI conformément à un jugement par défaut rendu en faveur de la demanderesse à l’ordre de 5 252 270,59 $ plus les intérêts à compter du 16 octobre, ainsi que toutes les autres dépenses engagées par l’hypothèque qui pourraient survenir. La Cour est d’accord avec les parties pour dire que cette question a une influence déterminante sur l’issue de la cause et sur leurs droits. Vu ce caractère définitif, la Cour exercera donc son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

            APRÈS avoir indiqué que le fait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de novo ne signifie pas qu’elle peut examiner des éléments de preuve dont ne disposait pas le protonotaire Morneau. Il est de droit constant que la Cour doit rende sa décision sur la base du dossier tel qu’il existait lorsque la décision visée par l’appel a été rendue. En conséquence, la Cour n’a pas tenu compte de l’affidavit de M. Quinlan, déposé le 19 octobre 2006;

 

            APRÈS avoir décidé que l’article 490 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 précise expressément que la Cour peut ordonner la vente d’un navire sans qu’il n’ait été évalué, aux enchères publiques ou par contrat privé, avec ou sans avis public;

 

[1]               Il n’y a aucun doute que, en général, la Cour prévoira une évaluation officielle et un avis public puisqu’il s’agissait de la règle traditionnelle en matière d’amirauté pendant de nombreuses années. Toutefois, comme le protonotaire Hargrave l’a indiqué dans Franklin Lumber Ltd. c. Essington II (navire), 2005 CF 95, les modalités et procédures de la vente d’un navire sont discrétionnaires et dépendent essentiellement des circonstances particulières de chaque cas. Essington II, précitée, et Bank of Scotland c. The Nel (1997), 140 F.T.R. 271, fournissent des exemples de cas où il était approprié de vendre des navires selon des ventes privées sans une évaluation officielle ordonnée par la Cour. Dans chaque cas, la Cour était convaincue par les éléments de preuve déposés que l’intérêt supérieur des créanciers et du propriétaire avait été suffisamment protégé en raison du fait que le produit de vente correspondait à la juste valeur marchande des navires.

 

[2]               Farocan et NRL invoquent la décision rendue par la juge Allison Walsh dans Sea‑Tec Fabricators Ltd. c. Offshore Fishing Co., [1985] A.C.F. no 236 et du juge en chef adjoint Thurlow dans International Marine Co. c. The Dora, [1977] 2 F.C. 513. Ces affaires confirment que chaque cas doit être tranché en fonction de ses propres faits et en fonction des éléments de preuve dont dispose la Cour. Elles se distinguent clairement de l’espèce.

 

[3]               Dans Sea‑Tec Fabricators, précitée, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve quant à la juste valeur marchande du navire. La Cour a indiqué qu’elle ne pouvait pas supposer, en l’absence de renseignements, que le prix d’achat proposé par le créancier hypothécaire correspondait à un prix juste du navire. Elle a également confirmé que l’objet d’une évaluation ordonnée par la Cour consiste à donner une certaine indication à la Cour quant à la valeur du navire.

 

[4]               Dans The Dora, précitée, la Cour disposait d’éléments de preuve clairs (voir le paragraphe 18) pour justifier le refus d’approuver la vente proposée du navire. De tels éléments de preuve comprenaient un navire-frère et un navire comparable qui avait été vendu récemment en contrepartie de montants considérablement supérieurs à l’offre proposée; l’avis de trois courtiers selon lesquels le navire pourrait être vendu à un prix beaucoup plus élevé.

 

[5]               En l’espèce, la Cour est convaincue que le processus adopté pour obtenir l’offre de 5 800 000 $ de FPI maximisait le produit de vente qui serait disponible aux fins de répartition entre les créanciers. Une caractéristique du processus était la vente des deux navires « en bloc ».

 

[6]               La Banque a présenté des éléments de preuve suffisants selon lesquels le prix d’achat offert par FIP est considérablement supérieur à la juste valeur marchande de ces navires. Je retiens le témoignage de M. Graham Roome, vice‑président exécutif et directeur de l’exploitation de FPI, selon lequel cette offre était composée d’une prime spéciale fondée sur des raisons commerciales stratégiques concernant ses activités de récolte. Farocan et NRL n’ont simplement pas établi qu’une ordonnance d’évaluation officielle par la Cour et que d’autres avis publics sont nécessaires pour s’assurer que ces deux navires seront vendus selon leur juste valeur marchande. Elles n’ont pas établi que l’intérêt des créanciers serait mieux servi en vendant chacun des navires séparément.

 

[7]               Afin de parvenir à sa conclusion, la Cour a tenu compte, entre autres, de l’argument de Farocan et NRL selon lequel la Cour devrait accorder peu de poids à l’évaluation fournie par M. Ture Korsager, directeur général d’Atlantic Shipping A/S, en raison de son intérêt financier (la commission si la vente est approuvée) dans l’affaire.

 

[8]               Dans sa preuve par affidavit, M. Korsager renvoie à de nombreux faits qui n’ont pas été contestés par Farocan ni par NRL. Par exemple, il est incontesté que Farocan a elle‑même choisi cette entreprise bien établie pour commercialiser son navire lorsqu’elle a décidé de vendre l’Aqviq en août 2004. Il s’agit de l’entreprise qui a évalué l’Aqviq pour son propriétaire le 5 octobre 2004. Il est incontesté que, depuis cette date, Atlantic Shipping et M. Korsager ont commercialisé activement l’Aqviq auprès de clients éventuels à l’échelle mondiale, y compris ceux au Canada. Il est également convenu que, malgré une réduction importante du prix demandé, le navire n’avait pas été vendu. Il n’y a aucune indication qu’une autre offre avait été présentée à Farocan.

 

[9]               L’Aqviq avait été désarmé pendant deux ans. Il faudra du temps et de l’argent afin qu’il soit rétabli selon sa catégorie.

 

[10]           Depuis que la Banque s’est impliquée, il semble également qu’Atlantic Shipping ait participé à la recherche d’un acheteur du Kinguk. Elle a invité FPI à la table de négociations.

 

[11]           Dans son affidavit, M. Korsager conclut que la valeur marchande actuelle des deux navires est de 4 500 000 $ à 5 000 000 $. Même si Farocan et NRL peuvent suggérer que M. Korsager n’est pas objectif, il convient de noter que les chiffres qu’il indique sont corroborés par un deuxième avis déposé par la Banque. Cet avis, daté du 9 octobre 2006, a été présenté dans un affidavit de M. Bjorgvin Olafsson, directeur général de BP Shipping Limited, un autre courtier maritime se spécialisant dans la vente et l’achat de navires de pêche. Il énonce que la juste valeur marchande de l’Aqviq correspond à la catégorie de DKK de 10 à 12 millions (environ de 2 000 000 $ à 2 400 000 $) et que celle de Kirguk correspond à la catégorie DKK de 12 à 14 millions (environ de 2 400 000 $ et 2 800 000 $) (la différence de la valeur entre les navires-frères est fondée sur le fait que l’Aqviq est désarmé depuis un certain temps). Il n’était pas en mesure de donner une estimation exacte de leur valeur [traduction] « hors- catégorie ».

 

[12]           Farocan et NRL n’ont déposé aucun élément de preuve provenant d’une partie indépendante indiquant que ces avis étaient erronés ou que ces courtiers maritimes n’étaient pas qualifiés pour donner ces avis. Il ne ressort aucunement de la preuve qu’une évaluation officielle effectuée en fonction des normes d’évaluation acceptées aurait comme résultat des valeurs considérablement différentes de celles de la Banque.

 

[13]           On soutient qu’un évaluateur canadien serait mieux placé pour évaluer la véritable valeur de ces navires battant pavillon canadien. Aucun élément de preuve n’a été déposé concernant ce point et la propre décision de Farocan de nommer Atlantic Shipping lorsqu’elle a décidé de vendre l’Aqviq n’étaye pas ce point de vue.

 

[14]           Farocan et NRL n’ont déposé guère plus qu’une preuve spéculative. NRL n’est pas une créancière de Farocan. Elle est une soumissionnaire non retenue dans la dernière ronde d’un processus concurrentiel d’appel d’offres organisé par la Banque. Sa meilleure offre à ce moment‑là était la somme de 5 260 000 $ pour les deux navires. Toutefois, comme l’a indiqué M. McNamara, le président de NRL qui a signé le seul affidavit déposé à l’appui de la thèse de Farocan et de NRL, d’abord et avant tout, NRL s’intéressait à acquérir le Kinguk. La Banque l’avait forcée, dans une certaine mesure, à faire une offre à l’égard de l’Aqviq. Même avant la dernière ronde de négociations, NRL cherchait d’autres façons d’acquérir les navires. Elle a demandé d’acheter les actions de Farocan en espérant que Farocan serait alors en mesure d’obtenir un financement qui lui permettrait de rembourser l’hypothèque sur ses navires avant qu’une offre ne soit retenue ou que la vente ordonnée par la Cour ne soit effectuée.

 

[15]           Il ne ressort aucunement de la preuve que la somme de 5 800 000 $CAN ne constituait pas le produit maximal que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à obtenir de la vente de ces deux navires. Aucun élément de preuve n’indique que d’autres avis publics amèneraient de nouveaux soumissionnaires. M. McNamara indique seulement que, si les navires n’étaient pas vendus « en bloc », le prix individuel du Kinguk serait plus élevé, plus particulièrement parce que NRL souhaite acquérir ce navire pour des raisons stratégiques. M. McNamara n’indique aucunement le montant qui serait tiré de la vente d’Aqviq ni si une personne serait intéressée à l’acheter de manière distincte dans le contexte des enchères publiques.

 

[16]           M. McNamara atteste que NRL a l’intention de mettre au point l’achat de Farocan et de conclure des conventions avec tous les créanciers existants afin de rembourser leurs dettes de la meilleure façon possible vu la situation financière de Farocan. Il laisse entendre, en outre, que NRL est bien placée pour le faire étant donné le fait que l’entreprise a des relations opérationnelles existantes avec de nombreux créanciers de Farocan. Toutefois, NRL n’a déposé aucun élément de preuve pour indiquer si ces créanciers appuient ou approuvent ce stratagème.

 

[17]           La demanderesse ne cherche pas à vendre les navires en attendant l’issue du litige. La Banque exécute simplement son jugement obtenu contre les actifs de son débiteur. Des ordonnances exigeant une évaluation et un avis public avant une vente ne visaient jamais à proroger un retard pendant lequel la défenderesse peut rembourser son hypothèque, évitant ainsi complètement la vente judiciaire. Le seul objectif aujourd’hui est la valeur des biens à vendre et la meilleure façon de s’assurer qu’ils sont vendus en contrepartie d’un prix approprié.

 

 

[18]           La Cour est convaincue que l’approbation de la vente à FPI est juste et équitable et dans l’intérêt supérieur de toutes les parties concernées. Les modalités de cette vente seront conformes aux conditions énoncées dans mon ordonnance.

 

[19]           Il semble être inutile, en l’espèce, de créer des fonds distincts pour chaque navire en vue de protéger les créanciers éventuels qui sont titulaires d’un privilège maritime ou de toute autre garantie grevant un seul navire; cela est particulièrement vrai vu le montant de l’hypothèque par rapport au produit de vente. Néanmoins, il est possible qu’une telle situation survienne en théorie. Par conséquent, s’il s’avère nécessaire d’établir des fonds distincts, la Cour retient le témoignage de M. Bjorgvin Olafsson pour déclarer que de tels fonds seront établis en fonction de ce qui suit : 54 % du produit de vente de Kinguk et 46 % du produit de vente d’Aqviq.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

MONTRÉAL (Québec)

Le 27 octobre 2006

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T‑1588‑06

 

INTITULÉ :                                       NORDEA BANK NORGE ASA c. LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « KINGUK », LE NAVIRE « KINGUK », LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « AQVIQ », LE NAVIRE « AQVIQ », ET FAROCAN INCORPORATED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :     Ottawa, Ontario; Halifax, Nouvelle‑Écosse; St. John’s, Terre‑Neuve (par vidéoconférence et téléconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 octobre 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Me Richard F. Southcott

 

POUR LA DEMANDERESSE

INTIMÉE

Me Frederick J. Constantine

 

 

Me Wylie Spicer, c.r.

 

POUR LES DÉFENDEURS et

REQUÉRANTE

 

POUR LA PARTIE OFFRANTE ET INTIMÉE

Fishery Products International Ltd.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart McKelvey Stirling Sclaes

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Patterson Palmer

St. John’s (Terre‑Neuve)

 

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

POUR LA PARTIE OFFRANTE ET INTIMÉE

Fishery Products International Ltd.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.