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Date : 20061106

Dossier : T‑2304‑05

Référence : 2006 CF 1332

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

LA COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

demanderesse

 

et

 

ALLAN WOOLLARD

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'appel, Douglas Malanka, du Bureau d'appel canadien en santé et sécurité au travail. Par sa décision datée du 30 novembre 2005, l'agent d'appel modifiait l'instruction émise par l'agent de santé et de sécurité, Rod Noel, en concluant que la demanderesse avait contrevenu à l'alinéa 125.1i) [il devrait s'agir de l'alinéa 125(1)i)] du Code canadien du travail, partie II, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code), ainsi qu'à l'alinéa 9.44(1)b), aux paragraphes 9.44(2) et (3) et à l'article 10.4 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304 (le Règlement).

 

POINTS LITIGIEUX

[2]               Les parties soulèvent plusieurs points. J'ai examiné minutieusement chacun d'eux, mais je les formulerais comme il suit :

1)                  L'agent d'appel a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu'il a interprété les dispositions de l'alinéa 9.44(1)b) du Règlement?

2)                  L'agent d'appel a‑t‑il tiré ses conclusions d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

3)                  L'agent d'appel a‑t‑il manqué aux règles de la justice naturelle ou de l'équité procédurale parce qu'il n'a pas donné à la demanderesse l'occasion de présenter des observations et d'être entendue au sujet des préoccupations qu'il avait à propos de l'enquête sur les risques dont il est question à l'article 10.4 du Règlement?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie.

 

LES FAITS

[4]               La demanderesse fournit des services de transport de marchandises dans tout le Canada, ainsi qu'aux États‑Unis. Pour ses activités, elle emploie un certain nombre de gens, dont des opérateurs de machines dans les équipes de nivellement qui, comme le défendeur, travaillent à l'extérieur, s'affairant à l'entretien de ses voies ferrées. Les membres des équipes de nivellement pilotent une variété de machines à moteur diesel, et il leur incombe de les faire fonctionner, de les ravitailler en carburant et de les entretenir.

 

[5]               Dans l'accomplissement de ces tâches, il n'est pas rare pour ces employés de faire la découverte de carcasses d'animaux et de déchets humains le long des voies. Mais, aspect plus important encore, leurs vêtements sont régulièrement mouillés et contaminés par des substances dangereuses, notamment du carburant diesel, de la graisse lubrifiante, de l'antigel à l'éthylène glycol et de l'huile hydraulique. Les fiches signalétiques applicables à ces produits mentionnent ce qui suit :

            [TRADUCTION]

1.                  carburant diesel

·                    éviter le contact prolongé ou répété avec la peau [...];

·                    enlever les vêtements contaminés et les laver avant de les porter à nouveau;

·                    ne pas respirer les gaz, vapeurs, pulvérisations;

·                    avoir une bonne hygiène personnelle;

·                    laver fréquemment les vêtements de travail;

2.                  huile hydraulique (Hydrex XV)

·                    éviter l'inhalation et le contact avec la peau;

·                    laver souvent les vêtements de travail;

3.                  antigel à l'éthylène glycol

·                    le contact peut causer une légère irritation de la peau, des yeux et des voies respiratoires;

·                    enlever les vêtements contaminés et les laver avant de les porter à nouveau;

4.                  huile hydraulique (Ardee 32)

·                    comme ci‑dessus;

5.                  graisse lubrifiante

·                    comme ci‑dessus.

 

[6]               Les deux parties reconnaissent que la demanderesse fournit aux équipes de nivellement divers types de combinaisons jetables servant à protéger leurs vêtements. Cependant, le défendeur soutient que ces équipements de protection sont insuffisants parce qu'ils sont souvent mal ajustés, se déchirent facilement et, jusqu'à récemment, résistaient rarement aux huiles.

 

[7]               Il est admis que la demanderesse fournissait à ses équipes de nivellement une salle séparée pour leur permettre de se changer et de ranger leurs vêtements de travail souillés. Cependant, lorsque les employés de nivellement travaillent par petites équipes dans des régions éloignées et sont logés dans des hôtels ou des motels, la demanderesse ne leur fournit plus une salle distincte pour le rangement de leurs vêtements de travail souillés et contaminés. Or, le travail des équipes, et les risques qui y sont associés, restent les mêmes.

 

[8]               Par conséquent, les membres de ces équipes doivent systématiquement quitter le chantier sans pouvoir enlever leurs vêtements de travail. Ils n'ont d'autre choix que de se rendre à leurs chambres d'hôtel pour se changer, se doucher, sécher et entreposer leurs vêtements humides et contaminés, et ce dans les chambres mêmes où ils doivent dormir, parfois à deux travailleurs par chambre, pour des périodes allant d'un jour à une semaine, voire davantage.

 

[9]               C'est la raison pour laquelle, le 21 novembre 2002, le défendeur s'est plaint à l'agent de santé et de sécurité que la demanderesse ne fournissait plus une salle distincte pour les équipes de nivellement logées dans les hôtels ou les motels. Selon le défendeur, il s'agissait là d'un risque pour sa santé, parce que les odeurs qui se dégageaient de ses vêtements de travail humides ou contaminés emplissaient la chambre et le rendaient malade le soir, surtout si les vêtements devaient être séchés sur l'appareil de chauffage de la chambre d'hôtel ou de motel. Par ailleurs, il est mentionné aussi que, bien que la demanderesse verse aux employés de nivellement une indemnité pour les services de blanchissage, les hôtels et motels n'autorisent pas les travailleurs à utiliser leurs appareils pour laver leurs vêtements de travail.

 

[10]           Après enquête menée les 9 et 16 avril 2003, l'agent de santé et de sécurité a conclu, dans des instructions datées du 12 juin 2003, que la demanderesse avait contrevenu aux dispositions suivantes du Code et du Règlement :

1)                  l'alinéa 125.1(1)e) [il devrait s'agir de l'alinéa 125.1e)] de la partie II du Code canadien du travail, l'alinéa 10.28b) et le paragraphe 10.34(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

 

L'employeur n'a pas fourni de fiches techniques sur la sécurité des substances à ses employés qui opèrent et entretiennent l'équipement d'entretien des voies. Certaines des substances dangereuses ou des produits contrôlés qu'utilisaient ces employés ou auxquels ils étaient exposés étaient le carburant diesel, l'antigel à l'éthylène-glycol et l'huile hydraulique.

 

2)                  l'alinéa 125(1)i) de la partie II du Code canadien du travail et les paragraphes 9.44(1) et (3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

 

Les préposés à l'entretien et au dégagement des voies devaient souvent travailler dehors par mauvais temps. Leurs vêtements risquaient souvent de devenir mouillés. Pendant l'entretien et l'utilisation de l'équipement, leurs vêtements étaient fréquemment contaminés par des produits dangereux comme du carburant diesel, de la graisse lubrifiante, de l'antigel et de l'huile hydraulique. L'employeur logeait ses employés à l'hôtel, à deux par chambre, pendant des périodes de plusieurs jours. Après le travail, les employés devaient rentrer directement à leurs chambres toujours vêtus de vêtements mouillés ou contaminés. L'employeur n'a pas mis à leur disposition un vestiaire et un lieu d'entreposage à part pour les protéger d'une exposition à des vêtements mouillés ou contaminés.

 

 

[11]           Il a donc été ordonné à la demanderesse, conformément à l'alinéa 145(1)a) de la partie II du Code, de mettre fin aux contraventions au plus tard le 27 juin 2003 et, conformément à l'alinéa 145(1)b) du Code, de prendre, avant cette date, des mesures pour mettre fin à la contravention et l'empêcher de se répéter.

 

[12]           Le 9 juillet 2003, la demanderesse a fait appel des instructions de l'agent de santé et de sécurité, conformément au paragraphe 146(1) du Code, appel dans lequel elle demandait que seul le second élément des instructions soit annulé. Le 30 novembre 2005, l'agent d'appel a refusé d'annuler les instructions de l'agent de santé et de sécurité, modifiant plutôt ces instructions en y ajoutant une autre violation du Règlement. C'est cette décision qui est l'objet de la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[13]           L'agent d'appel a tenu une audience les 19 et 20 janvier 2005 et a examiné les observations écrites se rapportant à l'appel de la demanderesse.

 

[14]           L'agent d'appel a estimé que, contrairement à ce qu'avait conclu l'agent de santé et de sécurité, le Règlement n'exigeait pas un vestiaire distinct, mais plutôt simplement un vestiaire. L'agent d'appel a aussi déterminé que l'agent de santé et de sécurité n'était pas en mesure d'établir lui-même que les quantités de produit présentes sur les vêtements de travail des employés suffisaient à rendre ces vêtements contaminés ou impropres à être portés. L'agent de santé et de sécurité avait utilisé les fiches signalétiques pour confirmer que le carburant diesel, la graisse lubrifiante, les antigels et les huiles hydrauliques répondaient à la définition de « substances dangereuses », mais il n'avait procédé à aucune analyse ni n'avait obligé la demanderesse à lui remettre un exemplaire d'une évaluation adéquate des risques conformément au paragraphe 10.4(1) du Règlement et à la définition de « substance dangereuse » au paragraphe 122(1) du Code.

 

[15]           Malgré ces lacunes dans les instructions de l'agent de santé et de sécurité, l'agent d'appel a été persuadé que la preuve confirmait ce qui suit :

·        les employés exécutaient habituellement un travail au cours duquel leurs vêtements entraient en contact avec des substances dangereuses comme le carburant diesel, la graisse lubrifiante, l'antigel et l'huile hydraulique;

 

·        les salopettes jetables fournies aux employés par le CPR étaient inadéquates parce qu'elles n'étaient pas suffisamment résistantes aux déchirures pour toutes les tâches à accomplir et qu'elles n'étaient pas imperméables aux huiles utilisées par les employés;

 

·        le CPR n'a pas mené une évaluation des risques adéquate conformément au paragraphe 10.4(1) du RCSST et à la définition de substance dangereuse du paragraphe 122(1) du Code;

 

·        antérieurement, le CPR fournissait à ses employés un lieu à part pour se changer et ranger leurs vêtements de travail mouillés ou contaminés par une substance dangereuse.

 

 

[16]           L'agent d'appel a donc donné l'instruction suivante à l'employeur, en application de l'alinéa 145(1)b) et du paragraphe 145(5) :

L'agent d'appel [...] est d'avis qu'il y a contravention des dispositions suivantes de la Loi :

 

l'alinéa 125.1i) [il devrait s'agir de l'alinéa 125(1)i)] de la partie II du Code canadien du travail, et l'article 10.4 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail :

 

L'employeur n'a pas désigné une personne qualifiée pour mener une enquête sur les risques exigée par l'article 10.4 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail afin de définir ses obligations concernant l'alinéa 9.44(1)b) et les paragraphes 9.44(2) et (3) dudit Règlement concernant les substances dangereuses utilisées et manipulées par les opérateurs de machines d'entretien de la voie. Ces substances comprennent le carburant diesel, l'antigel à l'éthylène glycol, l'huile hydraulique et de la graisse lubrifiante, ainsi que des excréments et des carcasses d'animaux qui peuvent se trouver sur la voie.

 

 

DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[17]           Le fondement légal de la décision contestée est l'alinéa 145(1)b) du Code, qui prévoit ce qui suit :

145(1) S'il est d'avis qu'une contravention à la présente partie vient d'être commise ou est en train de l'être, l'agent de santé et de sécurité peut donner à l'employeur ou à l'employé en cause l'instruction :

 

[...]

 

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu'il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

 

145(1) A health and safety officer who is of the opinion that a provision of this Part is being contravened or has recently been contravened may direct the employer or employee concerned, or both, to

 

...

 

(b) take steps, as specified by the officer and within the time that the officer may specify, to ensure that the contravention does not continue or re‑occur.

 

 

[18]           L'agent de santé et de sécurité a estimé que la demanderesse n'avait pas fourni un vestiaire et un espace de rangement distinct permettant d'assurer la protection des employés exposés à des vêtements de travail mouillés ou contaminés, ce qui contrevenait à l'alinéa 125(1)i) du Code ainsi qu'à l'alinéa 9.44(1)b) et aux paragraphes 9.44(2) et (3) du Règlement. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

Code

 

Obligations spécifiques

 

125(1) Dans le cadre de l'obligation générale définie à l'article 124, l'employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

 

[...]

 

i) de fournir les installations sanitaires et personnelles réglementaires;

 

 

Règlement

 

Rangement des vêtements

 

[...]

 

9.44(1) Un vestiaire doit être fourni par l'employeur dans les cas suivants :

 

[...]

 

b) lorsqu'un employé exécute habituellement un travail au cours duquel sa tenue de travail devient mouillée ou contaminée par une substance dangereuse.

 

Code

 

Specific duties of employer

 

125(1) Without restricting the generality of section 124, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,

 

...

 

(i) provide prescribed sanitary and personal facilities;

 

 

 

Regulations

 

Clothing Storage

 

...

 

9.44(1) A change room shall be provided by the employer where

 

...

 

 

(b) an employee is regularly engaged in work in which his work clothing becomes wet or contaminated by a hazardous substance.

 

(2) Les vêtements de travail mouillés ou contaminés visés à l'alinéa (1)b) doivent, une fois enlevés, être conservés à l'écart des autres.

 

 

 

(3) Il est interdit à un employé de quitter les lieux de travail avec des vêtements contaminés par une substance dangereuse.

(2) Where wet or contaminated work clothing referred to in paragraph (1)(b) is changed, it shall be stored in such a manner that it does not come in contact with clothing that is not wet or contaminated.

 

(3) No employee shall leave the work place wearing clothing contaminated by a hazardous substance.

 

 

[19]           En application de l'alinéa 145(1)b) et du paragraphe 145(5), l'agent d'appel a estimé que la demanderesse avait contrevenu à l'alinéa 125.1i) [il devrait s'agir de l'alinéa 125(1)i)] susmentionné, ainsi qu'à l'article 10.4 du Règlement. L'agent d'appel a aussi fait renvoi au paragraphe 122(1) du Code. Ces dispositions sont les suivantes :

Règlement

 

Enquête sur les risques

 

10.4(1) Lorsque la santé ou la sécurité d'un employé risque d'être compromise par l'exposition à une substance dangereuse présente dans le lieu de travail, l'employeur doit sans délai :

 

a) nommer une personne qualifiée pour faire enquête sur la situation;

 

 

b) à des fins de participation à l'enquête, aviser le comité local ou le représentant qu'il y aura enquête et lui communiquer le nom de la personne qualifiée nommée pour faire enquête.

 

[...]

 

 

 

 

10.5 Après l'enquête visée au paragraphe 10.4(1) et après avoir consulté le comité local ou le représentant :

 

 

 

a) la personne qualifiée doit rédiger et signer un rapport contenant :

 

(i) ses observations concernant les facteurs pris en compte conformément au paragraphe 10.4(2),

 

(ii) ses recommandations concernant les mesures à observer pour assurer le respect des articles 10.7 à 10.26, y compris ses recommandations concernant les méthodes d'échantillonnage et d'analyse;

 

b) l'employeur doit établir par écrit et appliquer une marche à suivre pour contrôler la concentration ou le niveau de la substance dangereuse présente dans le lieu de travail.

 

Code

 

Définitions et interprétation

 

122(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 

« substance dangereuse » Sont assimilés à des substances dangereuses les agents chimiques, biologiques ou physiques dont une propriété présente un risque pour la santé ou la sécurité de quiconque y est exposé, ainsi que les produits contrôlés.

 

Regulations

 

Hazard Investigation

 

10.4(1) If there is a likelihood that the health or safety of an employee in a work place is or may be endangered by exposure to a hazardous substance, the employer shall, without delay,

 

(a) appoint a qualified person to carry out an investigation in that regard; and

 

(b) for the purposes of providing for the participation of the work place committee or the health and safety representative in the investigation, notify either of the proposed investigation and of the name of the qualified person appointed to carry out that investigation.

 

...

 

10.5 On completion of an investigation referred to in subsection 10.4(1) and after consultation with the work place committee or the health and safety representative,

 

(a) the qualified person shall set out in a written report signed by the qualified person

 

(i) the qualified person's observations respecting the criteria considered in accordance with subsection 10.4(2), and

 

(ii) the qualified person's recommendations respecting the manner of compliance with sections 10.7 to 10.26, including recommendations respecting sampling and testing methods; and

 

 

(b) the employer shall develop and maintain a written procedure for the control of the concentration or level of the hazardous substance in the work place.

 

 

Code

 

Interpretation

 

122(1) In this Part,

 

 

"hazardous substance" includes a controlled product and a chemical, biological or physical agent that, by reason of a property that the agent possesses, is hazardous to the safety or health of a person exposed to it;

 

 

[20]           La fonction de l'agent d'appel est prévue par l'article 146.2 du Code, qui prévoit notamment ce qui suit :

Pouvoirs

 

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l'agent d'appel peut :

 

[...]

 

h) fixer lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

 

Powers

 

146.2 For the purposes of a proceeding under subsection 146.1(1), an appeals officer may

 

...

 

(h) determine the procedure to be followed, but the officer shall give an opportunity to the parties to present evidence and make submissions to the officer, and shall consider the information relating to the matter;

 

ANALYSE

L'agent d'appel a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu'il a interprété les dispositions de l'alinéa 9.44(1)b) du Règlement?

Norme de contrôle

[21]           Cette question concerne précisément l'interprétation des termes « habituellement » et « contaminée », employés à l'alinéa 9.44(1)b) du Règlement. L'interprétation d'un texte légal soulève une question de droit. Il est bien établi dans la jurisprudence que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte (Canada (Procureur général) c. Fletcher, [2003] 2 C.F. 475 (C.A.)).

 

Interprétation légale

[22]           Le mot « habituellement », dans l'expression « exécute habituellement un travail », n'est pas défini dans la loi. La loi ne donne pas non plus la définition du mot « contaminée ». Lorsqu'un texte légal est muet sur le sens d'un mot, l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, prévoit que tout texte légal apporte une solution de droit et « s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Les mots choisis par le législateur doivent s'accorder avec l'objet évident de la disposition en cause.

 

[23]           Il est donc nécessaire de considérer la genèse et l'objet du Règlement pour déterminer le sens de ces mots. Dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, le juge Iacobucci écrivait ce qui suit, au paragraphe 21 :

Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION]

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

 

 

[24]           Le mot « habituellement », ou « régulièrement », apparaît dans de nombreuses dispositions du Règlement, à savoir les suivantes, et il n'est défini dans aucune d'elles :

9.23(1) Une salle de douches fermée par une porte munie d'un dispositif de verrouillage par l'intérieur et équipée d'au moins une pomme de douche par groupe de 10 employés ou moins doit être fournie aux employés qui exécutent habituellement un travail physiquement ardu dans des conditions de chaleur ou d'humidité élevée, ou qui risquent d'être contaminés par une substance dangereuse.

 

9.44(1) Un vestiaire doit être fourni par l'employeur dans les cas suivants :

 

[...]

 

b) lorsqu'un employé exécute habituellement un travail au cours duquel sa tenue de travail devient mouillée ou contaminée par une substance dangereuse.

 

12.13 L'employé qui, pendant son travail, est habituellement exposé au risque de heurt avec des véhicules en mouvement doit être protégé par l'un des dispositifs suivants, nettement visible dans toutes les conditions d'utilisation :

 

[...]

 

14.9(1) L'appareil de manutention motorisé qui est utilisé régulièrement à l'extérieur doit être muni d'un toit ou d'une autre structure pour protéger l'opérateur des intempéries qui présentent un risque pour sa santé ou sa sécurité.

 

 

14.45(1) L'employeur doit veiller à ce que tout passage habituellement utilisé par les appareils de manutention motorisés ou manuels ait : [...]

 

16.5(4) L'employeur doit procéder à l'inspection de tout poste de secours au moins une fois par mois et veiller à ce que le contenu de chacun soit tenu propre, sec et en état d'utilisation.

 

19.2 L'employeur doit :

 

[...]

 

c) vérifier à intervalles réguliers l'échéancier prévu au plan de mise en oeuvre et, au besoin, le modifier.

 

9.23(1) A shower room with a door fitted on the inside with a locking device and at least one shower head for every 10 employees or portion of that number shall be provided for employees who regularly perform strenuous physical work in a high temperature or high humidity or whose bodies may be contaminated by a hazardous substance.

 

 

9.44(1) A change room shall be provided by the employer where

 

...

 

 

(b) an employee is regularly engaged in work in which his work clothing becomes wet or contaminated by a hazardous substance.

 

12.13 Where an employee is regularly exposed to contact with moving vehicles during his work, he shall ...

 

 

 

 

 

 

14.9(1) Motorized materials handling equipment that is regularly used outdoors shall be fitted with a roof or other structure that will protect the operator from exposure to any weather condition that is likely to be hazardous to the operator's health or safety.

 

14.45(1) In any passageway that is regularly travelled by motorized or manual materials handling equipment, the employer shall ensure that ...

 

16.5(4) The employer shall inspect every first aid station regularly, at least monthly, and shall ensure that its contents are maintained in a clean, dry and serviceable condition.

 

19.2 The employer shall

 

...

 

(c) review the time frame of the implementation plan regularly and, as necessary, revise it.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[25]           Je suis d'avis que le décideur a eu raison d'interpréter comme il l'a fait le mot « habituellement », en rejetant l'interprétation étroite préconisée par la demanderesse, et en adoptant plutôt une interprétation équitable et large, conforme à l'objet du Code. L'agent d'appel a relevé que la demanderesse s'était fondée sur l'analogie faite par l'agent de santé et de sécurité Chemiliuk, lequel avait écrit ce qui suit (voir le paragraphe 69 de la décision de l'agent d'appel) :

[TRADUCTION]

Par exemple, la personne qui travaille dans un service de lavage où son travail comporte l'utilisation d'équipement de lavage à eau sous pression est susceptible de se mouiller souvent. Dans votre exemple, le mouillage des vêtements résulterait d'une exposition à la pluie ou à la neige. Nous savons qu'il est impossible de prédire les conditions météorologiques avec précision et que les chutes de pluie ou de neige sont de nature intermittente. Les employés dont nous parlons peuvent rester au sec pendant de longues périodes et les vêtements mouillés ne sont pas pour eux une condition de travail habituelle.

 

[26]           À mon avis, l'agent d'appel a eu raison de rejeter cette interprétation du mot « habituellement ». En effet, poussée à sa conclusion logique, cette analogie peu appropriée signifierait qu'un employeur serait tenu de fournir, par exemple, à ses employés des vêtements de protection contre la pluie. Il est improbable que le législateur ait voulu un tel résultat. Le texte fait plutôt clairement mention des substances dangereuses et de la probabilité pour les travailleurs de voir habituellement leurs vêtements devenir mouillés et contaminés par ces liquides dangereux et non par la pluie. Les liquides dangereux en cause sont le carburant diesel, les graisses lubrifiantes, les antigels et les huiles hydrauliques. Par ailleurs, la situation des travailleurs dont il est question ici est très éloignée de celle d'une personne qui travaille à un poste de lavage. L'agent d'appel a donc eu raison de rejeter cette interprétation étroite du mot « habituellement ».

 

[27]           Je passe maintenant au second terme dont l'interprétation est litigieuse. Comme pour le mot « habituellement », il n'y a dans le Règlement aucune définition du mot « contaminé ». Ce mot apparaît dans plusieurs dispositions du Règlement, dont aucune n'en donne une définition. Il s'agit des dispositions suivantes :

9.23(1) Une salle de douches fermée par une porte munie d'un dispositif de verrouillage par l'intérieur et équipée d'au moins une pomme de douche par groupe de 10 employés ou moins doit être fournie aux employés qui exécutent habituellement un travail physiquement ardu dans des conditions de chaleur ou d'humidité élevée, ou qui risquent d'être contaminés par une substance dangereuse.

 

9.38 Il est interdit de manger, de préparer ou d'entreposer des aliments :

 

a) dans un endroit où il existe une substance dangereuse susceptible de contaminer les aliments, la vaisselle ou les ustensiles;

 

[...]

 

c) dans tout endroit où les aliments risquent d'être contaminés.

 

9.44(1) Un vestiaire doit être fourni par l'employeur dans les cas suivants :

 

[...]

 

b) lorsqu'un employé exécute habituellement un travail au cours duquel sa tenue de travail devient mouillée ou contaminée par une substance dangereuse.

 

(2) Les vêtements de travail mouillés ou contaminés visés à l'alinéa (1)b) doivent, une fois enlevés, être conservés à l'écart des autres.

 

 

 

(3) Il est interdit à un employé de quitter les lieux de travail avec des vêtements contaminés par une substance dangereuse.

 

(4) L'employeur doit fournir des installations pour sécher et laver les vêtements mouillés ou contaminés visés à l'alinéa (1)b).

 

 

10.22(1) L'air comprimé ne peut être utilisé pour nettoyer les vêtements contaminés :

 

[...]

 

18.1 Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 

 « environnement contaminé » Selon le cas :

 

[...]

 

18.4(1) L'employeur établit par écrit les méthodes et les exigences que doivent observer les employés affectés aux activités de plongée et précise :

 

[...]

 

 

 

b) lesquelles doivent être appliquées ou respectées afin de contrer les dangers connus, y compris ceux associés aux environnements contaminés ou potentiellement contaminés, à une faible visibilité, aux courants dangereux et aux situations d'entrave;

 

[...]

 

18.9(1) L'employeur veille à ce que l'équipe de plongée établisse un plan de plongée pour chaque plongée. Ce plan énonce les conditions et les risques en surface et sous l'eau susceptibles de survenir, y compris ceux reliés aux environnements contaminés et aux différences de pression sous l'eau, et précise :

 

[...]

 

9.23(1) A shower room with a door fitted on the inside with a locking device and at least one shower head for every 10 employees or portion of that number shall be provided for employees who regularly perform strenuous physical work in a high temperature or high humidity or whose bodies may be contaminated by a hazardous substance.

 

 

9.38 No person shall eat, prepare or store food

 

(a) in a place where a hazardous substance may contaminate food, dishes or utensils;

 

...

 

 

 

(c) in any other place where food is likely to be contaminated.

 

9.44(1) A change room shall be provided by the employer where

 

...

 

 

(b) an employee is regularly engaged in work in which his work clothing becomes wet or contaminated by a hazardous substance.

 

(2) Where wet or contaminated work clothing referred to in paragraph (1)(b) is changed, it shall be stored in such a manner that it does not come in contact with clothing that is not wet or contaminated.

 

(3) No employee shall leave the work place wearing clothing contaminated by a hazardous substance.

 

(4) Every employer shall supply drying and cleaning facilities for the purpose of drying or cleaning wet or contaminated clothing referred to in paragraph (1)(b).

 

10.22(1) Compressed air shall not be used for cleaning clothing contaminated with:

 

...

 

18.1 The definitions in this section apply in this Part.

 

"contaminated environment" means

 

...

 

18.4(1) Every employer shall establish written procedures and requirements that are to be followed and met by employees involved in diving operations and that specify which of those procedures and requirements

 

...

 

(b) are to be implemented or met to counter any known hazards, including those arising out of contaminated or potentially contaminated environments, low visibility, hazardous water flow conditions and entrapment; and

 

...

 

 

 

18.9(1) Every employer shall ensure that, for each dive, the dive team develops a dive plan that identifies the surface and underwater conditions and hazards likely to be encountered, including those arising from contaminated environments and underwater pressure differentials, and that specifies

 

...

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[28]           Me fondant sur le sens ordinaire de ce mot que donnent les dictionnaires, je ne vois rien de fautif dans l'approche adoptée par l'agent d'appel lorsqu'il a eu recours au dictionnaire Merriam Webster's Collegiate Dictionary pour interpréter le sens du mot « contaminé » utilisé dans le Règlement. L'agent d'appel n'a pas non plus commis d'erreur de droit en donnant une interprétation large et libérale à ce mot, conforme à l'objet que visait le législateur lorsqu'il a adopté ce texte. Interpréter autrement ce terme, comme le préconisait la demanderesse qui défendait plutôt une définition technique du terme, équivaudrait à contrecarrer la volonté du législateur de prévenir les accidents et les risques pour la santé dans le lieu de travail.

 

[29]           Pour conclure sur ce premier point, je suis d'avis que l'agent d'appel n'a commis aucune erreur de droit dans son interprétation de l'un ou l'autre de ces mots.

 

L'agent d'appel a‑t‑il tiré ses conclusions d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

Norme de contrôle

[30]           Il convient d'abord de déterminer la norme de contrôle devant s'appliquer à la décision de l'agent d'appel. Un examen des quatre facteurs de la méthode pragmatique et fonctionnelle exposée dans l'arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, permettra de déterminer la norme à appliquer.

 

            i)          La présence d'une clause privative ou d'un droit d'appel

[31]           Le Code contient une clause privative en termes non équivoques qui commande de la retenue de la part de la Cour. Ce point a été décidé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, [2005] A.C.F. n° 752 (QL), aux paragraphes 16 et 17, où le juge Rothstein écrivait ce qui suit :

[...] Dans le cas des décisions rendues par des agents d'appel en vertu du Code, les clauses privatives sont libellées en des termes forts :

 

146.3 Les décisions de l'agent d'appel sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

146.4 Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action de l'agent d'appel exercée dans le cadre de la présente partie.

 

[...] Lorsque le législateur s'exprime de façon aussi claire qu'il l'a fait dans le Code canadien du travail, il serait à mon avis illogique que les tribunaux s'arrogent le pouvoir de fixer la jurisprudence qu'un tribunal administratif doit suivre en ce qui concerne l'interprétation de sa loi constitutive.

 

(Voir aussi l'arrêt Association canadienne des travailleurs des industries mécaniques et assimilées, section locale 14 c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, au paragraphe 19).

 

 

            ii)         Spécialisation relative

[32]           Le Code reconnaît que les agents de santé et de sécurité sont des décideurs spécialisés. Les agents d'appel jouissent pareillement aujourd'hui de tous les pouvoirs des agents de santé et de sécurité, et la Cour ne devrait donc pas intervenir à moins qu'il ne soit démontré que la décision de l'agent d'appel résulte d'une conclusion manifestement déraisonnable. Sur ce point, mon collègue le juge Rouleau s'est exprimé on ne peut plus clairement dans le jugement Vancouver Wharves Ltd. c. Canada (Procureur général), no T‑1125‑97, 26 juin 1998, [1998] A.C.F. n° 943 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17 :

[...] L'agent régional de sécurité est un décideur spécialisé et il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions qui relèvent carrément de son domaine d'expertise. Ces conclusions ne devraient être modifiées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

 

 

 

iii)        L'objet de la loi

[33]           Le Code canadien du travail a pour objet de prévenir les accidents et les risques pour la santé pouvant survenir dans le lieu de travail. Le Code est donc un texte de nature préventive. C'est la raison pour laquelle la Cour doit interpréter de manière très libérale les termes qui correspondent aux circonstances de l'affaire considérée. Cela est d'autant plus vrai lorsque, comme c'est le cas ici, le Code ne définit pas les mots qui soulèvent des questions de fond. Ce facteur suppose cependant une retenue moindre.

 

iv)        Nature de la question

[34]           Lorsque la question repose sur des considérations purement factuelles, la Cour doit montrer un surcroît de retenue envers la décision contestée. Cependant, lorsque les points soulevés sont des questions mixtes de droit et de fait, la retenue que doit montrer la Cour sera moindre. Finalement, les questions de droit susciteront, elles, l'intervention de la Cour. Il est clair que, sur ce point, l'agent d'appel a fondé sa décision sur des faits, voire sur une absence de faits, lorsqu'il a tiré ses conclusions sur l'enquête menée par l'agent de santé et de sécurité.

 

[35]           Appliquant à la décision contestée cette analyse pragmatique et fonctionnelle, la Cour adopte, comme norme de contrôle, celle de la décision manifestement déraisonnable. Non seulement y a‑t‑il une clause privative en termes non équivoques, qui signale la volonté du législateur de limiter l'intervention des cours de justice, mais également l'agent d'appel, dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, jouit d'une spécialisation qui lui est reconnue par le Code. De plus, le Code est un texte de nature préventive et réparatrice, invitant ainsi la Cour à montrer un esprit libéral dans l'examen de la décision de l'agent d'appel. Par conséquent, à moins que l'agent d'appel n'ait tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte de la preuve, la Cour n'interviendra pas. Je me range ici aux conclusions de l'avocat de la demanderesse et de l'avocat du défendeur sur la question de la norme de contrôle (Martin c. Canada (Procureur général), [2005] 4 R.C.F. 637 (C.A.), au paragraphe 18).

 

[36]           En l'espèce, j'admets l'argument de la demanderesse selon lequel il est manifestement déraisonnable, pour les raisons suivantes, que l'agent d'appel ait entériné le point n° 2 des instructions de l'agent de santé et de sécurité en application de l'article 9.44 du Règlement. L'agent de santé et de sécurité avait écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] Pendant l'entretien et l'utilisation de l'équipement, leurs vêtements étaient fréquemment contaminés par des produits dangereux comme du carburant diesel, de la graisse lubrifiante, de l'antigel et de l'huile hydraulique. [...]

 

Plus loin, l'agent de santé et de sécurité avait conclu ainsi :

[TRADUCTION]

[...] L'employeur n'a pas mis à leur disposition de vestiaire et de lieu d'entreposage à part pour les protéger d'une exposition à des vêtements mouillés ou contaminés. (Voir la décision de l'agent d'appel, à l'appendice A.)

 

Or, l'agent d'appel écrit ce qui suit, aux paragraphes 111, 112 et 113 de sa décision :

[111]    Après examen de l'alinéa 9.44(1)b), j'observe que cet alinéa exige uniquement de l'employeur qu'il fournisse un vestiaire et non un vestiaire à part. Le terme « vestiaire » est défini comme suit dans la partie I, Définitions du RCSST :

 

1.2 Les définitions qui suivent s'appliquent au présent règlement.

 

... « vestiaire » Salle où les employés changent de vêtements avant et après le travail et qui peut comprendre des casiers. (change room)

 

[112]    De même, le paragraphe 9.44(2) du RCSST stipule que les vêtements mouillés ou contaminés mentionnés à l'alinéa 9.44(1)b) doivent être rangés de manière à prévenir tout contact avec des vêtements non mouillés ou contaminés. Cependant, ce paragraphe ne précise pas que l'employeur doit fournir un lieu à part comme l'a indiqué l'ASS Noel dans son instruction.

 

[113]    En ce qui concerne la question de savoir si les vêtements de travail des opérateurs de machines étaient contaminés par une substance dangereuse justifiant l'application de l'alinéa 9.44(1)b), on sait que l'ASS Noel s'est basé sur les vêtements de travail salis des employés et sur ce qu'ils lui ont dit de leur travail. Bien qu'il ait utilisé les FTSS pour confirmer que le carburant diesel, la graisse lubrifiante, l'antigel et l'huile hydraulique répondaient à la définition de substance dangereuse, il n'a fait aucun test ou exigé que le CPR lui remette une copie d'une évaluation des risques menée conformément au paragraphe 10.4(1) du RCSST et à la définition de substance dangereuse de l'article 122(1) du Code. Par conséquent, l'ASS Noel n'était pas en position d'établir de façon indépendante que les quantités de produit présentes sur les vêtements de travail des employés étaient suffisantes pour les contaminer ou justifier que les employés ne les portent pas.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

L'agent d'appel confirme ensuite le point n° 2 des instructions de l'agent de santé et de sécurité Noel (voir le paragraphe 121 de la décision de l'agent d'appel en date du 30 novembre 2005). Il s'agit là d'une contradiction flagrante qui justifie l'intervention de la Cour.

 

L'agent d'appel a‑t‑il manqué aux règles de la justice naturelle ou de l'équité procédurale parce qu'il n'a pas donné à la demanderesse l'occasion de présenter des observations et d'être entendue au sujet des préoccupations qu'il avait à propos de l'enquête sur les risques dont il est question à l'article 10.4 du Règlement?

Norme de contrôle

[37]           La norme de la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle qui s'applique à l'instruction en tant que telle de l'agent d'appel, mais cette norme de contrôle ne s'applique pas aux violations des règles de justice naturelle, ni aux questions touchant l'équité procédurale. Je me range ici aux conclusions de l'avocat de la demanderesse quand il se fonde sur les propos du juge Linden dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. n° 2056 (C.A.F.) (QL), propos qu'il convient de reprendre ici intégralement :

[52]      Deuxièmement, il faut faire une distinction entre le contrôle judiciaire découlant d'un manquement aux principes d'équité procédurale et la norme de contrôle qui s'applique dans d'autres types de contrôle sur le fond puisque l'approche pragmatique et fonctionnelle ne s'applique que dans le deuxième type de situation. Il est vrai que l'arrêt Dr Q semble dire que l'analyse pragmatique et fonctionnelle doit être effectuée chaque fois qu'il y a contrôle judiciaire; cependant, il n'en est rien. Les observations de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29 [SCFP], rendu peu après Dr Q, clarifient la question. Dans SCFP, le juge Binnie a expliqué en ces termes l'interaction entre l'équité procédurale et l'analyse pragmatique et fonctionnelle :

 

100 ... Il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d'équité procédurale. Seul l'exercice en dernière analyse du pouvoir discrétionnaire de désignation conféré au ministre par le par. 6(5) est assujetti à l'analyse « pragmatique et fonctionnelle » qui vise à déterminer le degré de déférence dont le législateur a voulu que les tribunaux judiciaires fassent montre à l'égard du décideur légal, lequel degré constitue ce qu'on appelle la « norme de contrôle ».

 

[...]

 

102      L'équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations.

 

103      La tentative de maintenir séparés ces différents genres de questions peut parfois engendrer une certaine confusion. Force est de constater que certains « facteurs » utilisés pour déterminer les exigences de l'équité procédurale servent également à déterminer la « norme de contrôle » applicable à la décision discrétionnaire elle‑même [...] Il reste que, même s'il existe certains « facteurs » communs, l'objet de l'examen du tribunal judiciaire diffère d'un cas à l'autre. [Souligné dans l'original.]

 

(Voir également les motifs dissidents du juge Bastarache dans SCFP, au paragraphe 5, où il convient avec les juges de la majorité que l'examen relatif de l'équité procédurale et l'examen de la norme de contrôle sont différents et « sont [...] effectués séparément et visent des objectifs différents » et ajoute que, pour ce qui concerne l'obligation d'équité procédurale, « il n'est pas nécessaire d'établir un degré de déférence ».)

 

[53]      Selon l'arrêt SCFP, la cour de révision doit, lorsqu'elle examine une décision contestée pour des motifs d'équité procédurale, isoler les actes ou omissions qui touchent à l'équité procédurale (paragraphe 100). La question de l'équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n'est nécessaire. Soit le décideur a respecté l'obligation d'équité dans les circonstances propres à l'affaire, soit il a manqué à cette obligation.

 

[54]      Il ressort clairement de l'arrêt SCFP qu'une décision peut faire l'objet d'un contrôle tant à l'égard de l'équité procédurale que selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, relativement à divers aspects de la décision (le processus décisionnel par rapport à la décision définitive sur le fond). L'équité procédurale concerne la manière dont une décision est prise. L'obligation qui incombe au décideur dans un contexte en particulier sera déterminée en fonction des facteurs établis notamment dans les arrêts Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 à 28 [Baker], et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, au paragraphe 115 [Suresh]. Si l'obligation d'équité a été violée dans le cadre du processus décisionnel, la décision en cause doit être annulée. Par contre, l'analyse de la norme usuelle de contrôle ne concerne que la décision définitive sur le fond et cette norme de contrôle est déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

[55]      La distinction entre l'analyse de l'équité procédurale et l'analyse de la norme de contrôle s'inscrit dans la logique de plusieurs arrêts de la Cour concernant des décisions de la Commission en vertu du paragraphe 44(3). Ces décisions insistaient précisément sur la distinction entre l'équité procédurale et la norme de contrôle. Par exemple, dans Tahmourpour, précité, le juge Evans a expliqué la norme de contrôle en ces termes :

 

[...]

 

7          ... Une cour de révision n'a pas à faire preuve de déférence dans la détermination de l'équité procédurale d'un organisme administratif [...] Pourtant, la cour ne remettra pas en question les choix en matière de procédure qui sont faits dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'organisme et qui respectent l'obligation d'équité.

 

 

[38]           Appliquant à la présente espèce l'analyse faite dans l'arrêt Sketchley, la Cour peut annuler la décision de l'agent d'appel si cette décision a transgressé les règles de l'équité procédurale. La demanderesse fait valoir que la décision de l'agent d'appel devrait être annulée parce que l'agent d'appel ne lui a pas donné l'occasion de présenter des observations ou de se faire entendre au sujet des préoccupations qu'il avait à propos d'une possible violation de l'article 10.4 du Règlement.

 

[39]           L'avocat du défendeur rétorque que l'agent d'appel n'était nullement tenu, avant d'émettre son ordonnance ou instruction finale, de donner à une partie l'occasion de présenter des observations sur une ordonnance ou instruction réparatrice qui n'était encore que provisoire ou à l'état d'ébauche.

 

[40]           Il est clair que l'agent d'appel a contrevenu à l'alinéa 146.2h) du Code parce qu'il n'a pas donné aux parties la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations et parce qu'il n'a pas tenu compte de l'information se rapportant à l'article 10.4 du Règlement.

 

[41]           La demanderesse soutient qu'elle s'est effectivement appliquée à enquêter sur les allégations du défendeur et à prendre des mesures en conséquence. Elle n'a pas eu la possibilité, avant que l'agent d'appel rende sa décision, de réagir aux préoccupations que celui-ci avait à propos de l'enquête visée à l'article 10.4. La demanderesse a donc été privée de la possibilité de développer ses arguments concernant l'évaluation qu'elle avait faite de la situation après avoir reçu la plainte du défendeur.

 

[42]           La demanderesse s'exprime ainsi aux paragraphes 18 à 21 de son exposé des faits et du droit :

[TRADUCTION]

18.       En réponse à l'allégation selon laquelle la demanderesse avait contrevenu au Code et aux dispositions applicables du RCSST parce qu'elle n'avait pas fourni un vestiaire distinct aux équipes de nivellement, la demanderesse a constitué un sous‑comité mixte du Comité de santé et de sécurité (le sous‑comité de S.S.) pour qu'il examine cette question précise. Le sous‑comité de S.S. a procédé à une évaluation des risques pour savoir si la demanderesse était tenue, aux termes du Code et du RCSST, de fournir aux équipes de nivellement un vestiaire distinct.

 

19.       Le sous‑comité de S.S. a rendu un rapport d'évaluation des risques (l'évaluation des risques de S.S.), signé par M. Chris Kane, conseiller en sécurité et hygiéniste industriel auprès de la demanderesse. L'évaluation des risques de S.S. renferme la conclusion que l'employé membre d'une équipe de nivellement n'exécute pas habituellement un travail au cours duquel sa tenue de travail devient mouillée ou contaminée par une substance dangereuse et que, par conséquent, la demanderesse n'est pas tenue, selon l'article 9.44, de fournir un vestiaire à ses employés membres des équipes de nivellement.

 

20.       L'évaluation des risques de S.S. contenait la recommandation de donner aux employés membres de petites équipes une autre possibilité, à l'extérieur de leurs chambres d'hôtel, pour le rangement de leurs vêtements de travail. Parmi les possibilités recommandées, il y avait celle qui consistait à entreposer les vêtements de travail dans un véhicule du CPR, dans une maison de canton, sur le chantier ou dans une autre chambre d'hôtel.

 

21.       Le 19 mars 2002 ou vers cette date, la demanderesse a entrepris les mesures suivantes, en réponse à l'évaluation des risques de S.S. :

 

a)                  elle a demandé aux membres des équipes de nivellement de se présenter, n'importe quand durant ou après leur quart, à un poste avoisinant, pour se changer et revêtir des vêtements propres lorsque leurs vêtements deviendraient contaminés;

 

b)                  les membres des équipes de nivellement se sont vu remettre des combinaisons jetables lorsqu'ils devaient procéder à des réparations importantes;

 

c)                  les équipements de réapprovisionnement en carburant diesel ont été munis d'un pistolet de distribution conçu pour empêcher les déversements, semblable à ceux que l'on trouve dans les stations‑service.

 

 

[43]           Malgré cela, l'examen de la décision de l'agent d'appel montre que c'est là un aspect quelque peu litigieux. L'agent d'appel a bien considéré l'évaluation des risques de S.S., notamment aux paragraphes 19 à 34 de sa décision. Selon le témoignage de M. Rubert, directeur des services d'ingénierie de la demanderesse, à qui le rapport de M. Kane avait été remis, M. Kane avait recommandé que les membres des équipes de nivellement disposent d'un lieu distinct de leurs chambres d'hôtel pour ranger leurs vêtements de travail. Cette recommandation n'a pas été mise en oeuvre (décision de l'agent d'appel, paragraphe 26).

 

[44]           Pour savoir ce que pourrait être un redressement adéquat, je dois m'en rapporter à l'arrêt de principe rendu par la Cour suprême du Canada sur le contenu de l'équité procédurale, à savoir l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. S'exprimant pour les juges majoritaires, la juge L'Heureux‑Dubé a établi une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte lorsqu'il s'agit de savoir si les procédures suivies ont respecté l'obligation d'équité. Elle s'est exprimée ainsi :

23        La jurisprudence reconnaît plusieurs facteurs pertinents en ce qui a trait aux exigences de l'obligation d'équité procédurale en common law dans des circonstances données. Un facteur important est la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir. Dans l'arrêt Knight, précité, à la p. 683, on a conclu que « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu'à quel point ces principes directeurs devraient s'appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives ». Plus le processus prévu, la fonction du tribunal, la nature de l'organisme rendant la décision et la démarche à suivre pour parvenir à la décision ressemblent à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l'obligation d'agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès. Voir également Vieux St‑Boniface, précité, à la p. 1191; Russell c. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109 (C.A.), à la p. 118; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 896, le juge Sopinka.

 

24        Le deuxième facteur est la nature du régime législatif et les « termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question » : Vieux St‑Boniface, précité, à la p. 1191. Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, et d'autres indications qui s'y rapportent dans la loi, aident à définir la nature de l'obligation d'équité dans le cadre d'une décision administrative précise. Par exemple, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu'il n'est plus possible de présenter d'autres demandes : voir D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), aux pp. 7‑66 et 7‑67.

 

25        Le troisième facteur permettant de définir la nature et l'étendue de l'obligation d'équité est l'importance de la décision pour les personnes visées. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. C'est ce que dit par exemple le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l'arrêt Kane c. Conseil d'administration de l'Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, à la p. 1113 :

 

Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. [...] Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

 

Comme le juge Sedley (maintenant Lord juge Sedley) le dit dans R. c. Higher Education Funding Council, ex parte Institute of Dental Surgery, [1994] 1 All E.R. 651 (Q.B.), à la p. 667 :

 

[TRADUCTION]

Dans le monde moderne, les décisions rendues par des organismes administratifs peuvent avoir un effet plus immédiat et plus important sur la vie des gens que les décisions des tribunaux et le droit public a depuis l'arrêt Ridge c. Baldwin [1963] 2 All E.R. 66, [1964] A.C. 40, reconnu ce fait. Bien que le caractère judiciaire d'une fonction puisse élever les exigences pratiques en matière d'équité au‑delà de ce qu'elles seraient autrement, par exemple en exigeant que soit présenté et vérifié oralement un élément de preuve contesté, ce qui le rend « judiciaire » dans ce sens est principalement la nature de la question à trancher, et non le statut formel de l'organisme décisionnel.

 

L'importance d'une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l'obligation d'équité procédurale.

 

26        Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l'obligation d'équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l'attente légitime fait partie de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle, et qu'elle ne crée pas de droits matériels : Vieux St‑Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu'une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l'obligation d'équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s'attend légitimement à ce qu'une certaine procédure soit suivie, l'obligation d'équité exigera cette procédure : Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier‑Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). De même, si un demandeur s'attend légitimement à un certain résultat, l'équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés : D. J. Mullan, Administrative Law (3e éd. 1996), aux pp. 214 et 215; D. Shapiro, « Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law » (1992), 8 J.L. & Social Pol'y 282, à la p. 297; Canada (Procureur général) c. Comité du tribunal des droits de la personne (Canada) (1994), 76 F.T.R. 1. Néanmoins, la doctrine de l'attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l'équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu'il serait généralement injuste de leur part d'agir en contravention d'assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

27        Cinquièmement, l'analyse des procédures requises par l'obligation d'équité devrait également prendre en considération et respecter les choix de procédure que l'organisme fait lui‑même, particulièrement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand l'organisme a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances : Brown et Evans, op. cit., aux pp. 7‑66 à 7‑70. Bien que, de toute évidence, cela ne soit pas déterminant, il faut accorder une grande importance au choix de procédures par l'organisme lui‑même et à ses contraintes institutionnelles : IWA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, le juge Gonthier.

 

[45]           Après application des cinq facteurs à la présente espèce, j'arrive aux conclusions suivantes. D'abord, s'agissant de la nature de la décision, des protections procédurales assimilables au modèle du processus judiciaire ne seraient pas ici requises par l'obligation d'équité. Comme l'indique clairement l'article 146.2 du Code, les pouvoirs de l'agent d'appel sont discrétionnaires et sont au départ de nature réparatrice. C'est là un processus qui ne ressemble en rien au processus décisionnel quasi judiciaire de la Commission canadienne des droits de la personne, processus dont il est fait état dans l'arrêt Radulesco c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1984] 2 R.C.S. 407, un précédent auquel m'a renvoyé la demanderesse.

 

[46]           Deuxièmement, la nature du régime légal et les « termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question » montrent qu'il existe une clause privative en termes non équivoques et aucun droit d'appel. Une protection procédurale élevée serait donc requise pour protéger les droits et les intérêts de la demanderesse. Troisièmement, on peut dire que l'issue de la décision est d'une grande importance pour la demanderesse. En tant que personne morale citoyenne qui est fière de choyer ses clients, tout comme ses employés, elle a été victime d'un manquement à l'équité pour ne pas avoir eu la possibilité de répondre aux doutes et aux préoccupations de l'agent d'appel à propos de l'enquête sur les risques.

 

[47]           On peut dire qu'il existe des attentes légitimes, lesquelles constituent le quatrième des facteurs énumérés dans l'arrêt Baker. Eu égard aux indications précises du Code et à l'évaluation antérieure qu'avait faite la demanderesse de la situation, celle‑ci était fondée à croire qu'elle aurait l'occasion de présenter des éléments de preuve et des observations sur les nouvelles contraventions constatées par l'agent d'appel.

 

[48]           Finalement, l'obligation d'équité est limitée par le fait que le Code confère à l'agent d'appel toute latitude de choisir la procédure qui guidera ses délibérations. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n'est pas absolu car, comme il est prévu à l'alinéa 146.2h) (voir le paragraphe [20] ci‑dessus des présents motifs), une fois que la procédure à suivre a été établie, l'agent est contraint de donner aux parties la possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations.

 

[49]           À la lumière de ces cinq facteurs, je suis d'avis qu'après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire quant à la procédure qu'il allait suivre, l'agent d'appel avait une obligation d'équité procédurale, celle de recueillir les observations des parties. Il ne l'a pas fait.

 

[50]           Je me range donc à l'argument de la demanderesse selon lequel il y a eu manquement à l'équité procédurale. La présente affaire devrait être renvoyée à un autre agent d'appel, pour nouvelle audition.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  Les instructions de l'agent d'appel sont annulées.

3.                  L'affaire est renvoyée à un autre agent d'appel pour une nouvelle décision.

4.                  La demanderesse a droit à ses dépens, calculés selon la partie médiane de la colonne III du tarif B.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T‑2304‑05

 

INTITULÉ :                                                   LA COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE c. ALLAN WOOLLARD

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATES DE L'AUDIENCE :                         leS 17 et 18 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gavin Marshall                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Walker

 

G. James Baugh                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin                             POUR LA DEMANDERESSE

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

McGrady, Baugh & Whyte                               POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

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