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Date : 20061107

Dossier : T‑324‑06

Référence : 2006 CF 1334

ENTRE :

COYNE TEDFORD

demandeur

 

et

 

LE procureur général du Canada

défendeur

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire portant sur la décision d’un fonctionnaire de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (aujourd’hui l’Agence du revenu du Canada), prise au nom du ministre du Revenu national, par laquelle le fonctionnaire a refusé pour l’essentiel la requête de second niveau du demandeur, lequel souhaitait être libéré des pénalités et intérêts accumulés par suite du dépôt tardif de ses déclarations de revenus pour la période allant de 1997 à 2003. La lettre exposant la décision du fonctionnaire porte la date du 18 janvier 2006.

 

[2]               Dans l’exposé des faits et du droit déposé par le demandeur, le demandeur sollicite le redressement suivant :

[traduction]

a)       Une ordonnance de la nature d’un certiorari, annulant la décision du Comité des mesures d’équité, Services des recouvrements de l’ARC, en date du 18 janvier 2006;

b)       une ordonnance prescrivant le traitement rapide de ce dossier;

c)       une ordonnance disant que la période que devra examiner l’ARC sera la même que la période dont il est fait état dans la demande d’application des mesures d’équité;

d)       que l’affaire soit traitée par le ministre étant donné que le Service des recouvrements, qui exerce ses fonctions au gré du ministre, n’a pas fait montre de la prudence requise;

e)       qu’une ligne téléphonique, un site Web et une personne désignée ayant les connaissances requises soient mis à la disposition du public pour répondre aux appels du public se rapportant au Comité des mesures d’équité et aux dossiers dont il est saisi; aucune structure du genre n’existe en ce moment;

f)        une ordonnance enjoignant à l’ARC de présenter un rapport à la Cour sur ses conclusions, jugements, explications et décisions dans la présente affaire et dans toutes autres affaires;

g)       que le demandeur obtienne ses dépens dans la présente instance;

h)       que la Cour, conformément au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales :

 

« ordonne à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable ».

 

Plus précisément, en vertu du projet de loi C‑18, Bulletin d’interprétation IC‑92‑2

 

Faire grâce au demandeur des pénalités et intérêts fixés, dont le solde impayé est d’environ 36 000 $, qui sont le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté.

 

[3]               À la fin de l’audience, j’ai informé le demandeur, qui se représentait lui‑même, qu’une bonne part du redressement qu’il sollicitait dépassait la portée de cette demande de contrôle judiciaire et, en tout état de cause, échappait au pouvoir de la Cour. J’ai aussi informé le demandeur et l’avocat du défendeur que la demande de contrôle judiciaire serait rejetée, sans dépens. J’ai brièvement exposé mes motifs, en indiquant que des motifs écrits suivraient.

 

LE CONTEXTE

[4]               Par « requête » en date du 27 avril 2005, le demandeur souhaitait être libéré des intérêts et pénalités qui s’étaient accumulés principalement en raison du dépôt tardif de ses déclarations de revenus. Les pièces annexées à la « requête » du demandeur relataient en fait son historique fiscal pour les années 1993‑2004 et mettaient en relief certains événements critiques ou « circonstances indépendantes de sa volonté », qui, disait‑il, l’avaient empêché tout au long de cette période de déposer ses déclarations en respectant les délais. Il écrivait qu’il avait perdu sa maison à la suite d’un incendie en 1994 et que de nombreux documents se rapportant à son revenu d’entrepreneur et aux dépenses connexes avaient dans certains cas été détruits et dans d’autres cas très endommagés. En 1995, un magasin de vêtements d’enfants qu’il exploitait avait été fermé à la suite de ce qu’il a qualifié de saisie « illégale » de tous les stocks et documents qui se trouvaient dans le magasin. Le ministère du Revenu national a procédé à une vérification de sa situation pour les années d’imposition 1995 et 1996. Selon le demandeur, des dossiers qui contenaient des documents essentiels portant sur « plus d’une année » ont été perdus par le ministère. Le demandeur notait ce qui suit : [traduction] « Toute cette affaire n’allait être résolue qu’en 2002… » Le demandeur, qui était un travailleur autonome dans le « secteur de l’assurance », écrivait que ce secteur était en difficulté à l’époque qui avait précédé les attaques contre le World Trade Centre le 11 septembre 2001, et que ces attaques avaient aggravé davantage encore la situation du « secteur de l’assurance ». Selon lui, [traduction] « ces événements ont eu un effet dévastateur sur mon revenu. Je suis payé à la commission, en fonction de ce que je vends. Je suis un travailleur autonome ». Finalement, le demandeur écrivait qu’il avait été gravement malade durant six mois en 2004.

 

[5]               La requête de premier niveau présentée par le demandeur pour l’application de mesures d’équité fut rejetée par lettre datée du 8 juillet 2005.

 

[6]               Par lettre datée du 8 août 2005, le demandeur a présenté une requête au second niveau. Au soutien de cette requête de second niveau, il a produit essentiellement les mêmes renseignements que ceux qu’il avait produits au soutien de sa requête de premier niveau. Le rapport sur l’application de mesures d’équité, préparé par les fonctionnaires de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, concluait par le paragraphe suivant :

[traduction] « Je recommande l’approbation de la requête du client en suppression des intérêts du 11 avril 2004 au 31 janvier 2005, pour toutes les années en question. Il s’agit de la période au cours de laquelle le client était invalide en raison d’une maladie, comme l’indique la lettre de son médecin. Il n’a pas pris de dispositions avec le Service des recouvrements, et les sommes modestes qui sont portées au crédit de son compte par les tiers saisis sont négligeables, et il n’a en aucune façon expliqué pourquoi ses déclarations pour 1997, 1998 et 1999 ont été déposées tardivement, et il ne lui sera donc accordé aucune autre annulation d’intérêts ou de pénalités.

[Non souligné dans l’original]

 

Cette recommandation fut pour l’essentiel adoptée dans la décision qui est ici contestée.

 

LE CADRE LÉGISLATIF

[7]               Le « programme des mesures d’équité » prévu par la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la Loi) a pour fondement le paragraphe 220(3.1) de la Loi, ainsi formulé :

220. (3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

220. (3.1) The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to 152(5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[8]               Le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 220(3.1) de la Loi peut être délégué en vertu du paragraphe 220(2.01). Il n’a pas été contesté ici que le fonctionnaire qui a décidé de rejeter la requête du demandeur avait été validement désigné pour agir au nom du ministre.

 

[9]               Le vaste pouvoir discrétionnaire dont le ministre est investi en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est complété par la circulaire d’information IC‑92‑2, en date du 18 mars 1992, intitulée « Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités ».

 

[10]           Les sections 5, 6 et 7 des Lignes directrices sont ainsi rédigées :

5.             Il sera convenable d’annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux‑ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l’employeur. Voici des exemples de situations extraordinaires qui pourraient empêcher un contribuable, un agent d’un contribuable, l’exécuteur d’une succession ou un employeur de faire un paiement dans les délais exigés ou de se conformer à d’autres exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu :

 

5.             Penalties and interest may be waived or cancelled in whole or in part where they result in circumstances beyond a taxpayer’s or employer’s control. For example, one of the following extraordinary circumstances may have prevented a taxpayer, a taxpayer’s agent, the executor of an estate, or an employer from making a payment when due, or otherwise complying with the Income Tax Act:

 

a)            une calamité naturelle ou une catastrophe provoquée par l’homme comme une inondation ou un incendie;

 

(a)           natural or human‑made disasters such as, flood or fire;

 

b)            des troubles civils ou l’interruption de services comme une grève des postes.

 

(b)           civil disturbances or disruptions in services such as, a postal strike;

 

c)             une maladie grave ou un accident grave;

 

(c)           a serious illness or accident; or

 

d)            des troubles émotifs sérieux ou une souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate.

 

(d)           serious emotional or mental distress such as, death in the immediate family.

 

6.             L’annulation des intérêts ou des pénalités ou la renonciation à ceux‑ci peuvent également être justifiées si ces intérêts ou pénalités découlent principalement d’actions attribuables au Ministère comme dans les cas suivants :

 

6.             Cancelling or waiving interest or penalties may also be appropriate if the interest or penalty arose primarily because of actions of the Department, such as:

 

a)            des retards de traitement, ce qui a eu pour effet que le contribuable n’a pas été informé, dans un délai raisonnable, de l’existence d’une somme en souffrance;

 

(a)           processing delays which result in the taxpayer not being informed, within a reasonable time, that an amount was owing;

 

b)            des erreurs dans la documentation mise à la disposition du public, ce qui a amené des contribuables à soumettre des déclarations ou à faire des paiements en se fondant sur des renseignements erronés;

 

(b)           material available to the public contained errors which led taxpayers to file returns or make payments based on incorrect information;

 

c)             une réponse erronée qu’un contribuable ou un employeur a reçue concernant une demande de renseignements comme dans le cas où le Ministère a informé par erreur un contribuable qu’aucun acompte provisionnel n’est nécessaire pour l’année en cours;

 

(c)           a taxpayer or employer received incorrect advise such as in the case where the Department wrongly advises a taxpayer that no instalment payments will be required for the current year;

 

d)            des erreurs de traitement;

 

(d)           errors in processing; or

 

e)             des renseignements fournis en retard comme dans le cas où un contribuable n’a pu faire les paiements voulus d’acomptes provisionnels ou d’arriérés parce qu’il n’avait pas les renseignements nécessaires.

 

(e)           delays in providing information such as the case where the taxpayer could not make the appropriate instalment or arrears payments because the necessary information was not available.

 

7.             Il peut être convenable dans des situations où il y a incapacité de verser le montant exigible d’examiner la possibilité de renoncer ou d’annuler la totalité ou une partie des intérêts afin d’en faciliter le recouvrement, par exemple dans les cas suivants :

 

7.             It may be appropriate, in circumstances where there is an inability to pay amounts owing, to consider waiving or canceling interest in all or in part to facilitate collection. For example,

 

a)            lorsque les mesures de recouvrement ont été suspendues à cause de l’incapacité de payer;

 

(a)           When collection has been suspended due to an inability to pay.

 

b)            lorsqu’un contribuable ne peut conclure une entente de paiement qui serait raisonnable parce que les frais d’intérêts comptent pour une partie considérable des versements; dans un tel cas, il faudrait penser à renoncer à la totalité ou à une partie des intérêts pour la période où les versements débutent jusqu’à ce que le montant exigible soit payé pourvu que les versements convenus soient effectués à temps.

(b)           When a taxpayer is unable to conclude a reasonable payment arrangement because the interest charges absorb a significant portion of the payments. In such a case, consideration may be given to waiving interest in all or in part for the period from when payments commence until the amounts owing are paid provided the agreed payments are made on time.

 

 

[11]           En bref, les Lignes directrices prévoient l’annulation ou l’abandon des pénalités et intérêts si ces pénalités et intérêts résultent, en totalité ou en partie, de « situations indépendantes de la volonté du contribuable », ou « découlent principalement d’actions attribuables au Ministère », c’est‑à‑dire de l’Agence du revenu du Canada, ou lorsque l’abandon ou l’annulation des pénalités et intérêts pourrait « faciliter le recouvrement ».

 

[12]           Dans la présente affaire, le demandeur fait valoir qu’il aurait dû y avoir renonciation aux pénalités et intérêts accumulés, parce que telle accumulation est le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté, à savoir l’incendie qui a détruit son domicile, la saisie « illégale » de son magasin de vêtements pour enfants, les bouleversements du secteur de l’assurance au cours de la période qui a précédé et suivi les événements du 11 septembre 2001, enfin sa maladie en 2004.

 

[13]           À l’audience, ainsi que dans ses pièces écrites, le demandeur a déploré les difficultés qu’il a eues à communiquer avec les fonctionnaires compétents de l’Agence du revenu du Canada, l’absence d’une communication claire et efficace sur la nature, les détails et la procédure du programme des mesures d’équité, enfin le fait que la responsabilité du programme incombait à des fonctionnaires dont la responsabilité première semblerait être le recouvrement des impôts, des intérêts et des pénalités, entraînant par le fait même une apparence de conflit d’intérêts de leur part, mais lesdites préoccupations du demandeur n’ont pas été poussées plus loin comme fondement d’une annulation ou d’un abandon des intérêts ou pénalités « découlant principalement d’actions attribuables au Ministère ».

 

[14]           La question d’un abandon des intérêts ou pénalités afin de « faciliter le recouvrement » ne se pose pas dans les circonstances de la présente affaire.

 

LES POINTS EN LITIGE

[15]           Le demandeur a décrit succinctement les points soulevés par cette demande au paragraphe 26 de son exposé des faits et du droit, dans les termes suivants :

[traduction] L’ARC a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des faits et dans ses conclusions?

 

 

[16]           Le défendeur a soulevé une question préliminaire, certaines pièces figurant dans le dossier de demande présenté par le demandeur n’ayant pas été soumis au décideur. Le défendeur s’est ensuite exprimé sur la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait, pour finalement considérer la norme de contrôle qui, selon lui, devait s’appliquer à la décision ici contestée.

 

ANALYSE

Questions préliminaires

[17]           Il est bien établi en droit que, sauf circonstances extraordinaires, qui sont inexistantes dans le présent dossier, une demande de contrôle judiciaire doit être appréciée sur la foi des pièces dont le décideur était saisi. Compte tenu de ce principe, la Cour n’a pas tenu compte des pièces qui figuraient dans le dossier de demande, mais qui n’avaient pas été soumises à l’Agence du revenu du Canada.

 

[18]           Avant l’audition de la présente affaire, le défendeur avait été désigné, dans l’intitulé, sous l’appellation « Agence des douanes et du revenu du Canada ». Par consentement des parties, la désignation du défendeur est devenue le procureur général du Canada.

 

La norme de contrôle

[19]           L’avocat du défendeur affirme que la décision ici contestée était purement et simplement une décision de nature factuelle et que la norme de contrôle applicable dans un tel cas était fixée par le Parlement, en l’occurrence dans l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales[2], qui dispose que les décisions ou ordonnances fondées sur des faits ne sont susceptibles de contrôle que si elles résultent de conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments que l’office fédéral avait devant lui. Le critère en question est assimilable à la norme de la décision manifestement déraisonnable[3].

 

[20]           Je ne partage pas ce point de vue. Je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à la décision dont la Cour est ici saisie est la décision raisonnable simpliciter. Dans la décision Succession Dort c. Canada (Ministre du Revenu national)[4], mon collègue le juge Sean Harrington écrivait ce qui suit, au paragraphe 8 de ses motifs :

Conformément aux arrêts Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, de la Cour suprême du Canada, le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs doit se faire selon une analyse fonctionnelle et pragmatique. Suivant les circonstances, la norme de contrôle applicable est la décision correcte, la décision déraisonnable ou la décision manifestement déraisonnable. Dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, [2005] A.C.F. no 714 (QL), la Cour d’appel fédérale a infirmé le jugement du juge de première instance, qui avait appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable, et elle a déclaré que la norme applicable était celle de la décision raisonnable. La décision en cause dans cette affaire était celle d’un agent du fisc, qui avait refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 152(4.2) de la Loi de manière à permettre d’établir une nouvelle cotisation concernant l’impôt de M. Lanno après la fin de la période normale de nouvelle cotisation, laquelle nouvelle cotisation se serait soldée par un remboursement. Tout comme la disposition en litige en l’espèce, le paragraphe 220(3.1), la disposition en cause faisait partie du Dossier d’équité introduit en 1991. Mme Dort affirme en l’espèce que la décision discrétionnaire relative à la renonciation aux intérêts est elle aussi assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Cet argument est bien fondé. La Cour d’appel fédérale a tout récemment élargi la portée de l’arrêt Lanno, précité, au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Comeau c. Agence des douanes et du Revenu du Canada, 2005 CAF 271). ….

[références omises]

 

 

[21]           Selon la norme de la décision raisonnable simpliciter, une cour de justice doit s’abstenir de modifier la décision administrative dont elle est saisie à moins qu’elle ne soit clairement erronée, c’est‑à‑dire fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits. Une décision déraisonnable est une décision qui, pour l’essentiel, n’est pas appuyée par des motifs pouvant résister à un examen assez poussé. Cependant, une décision raisonnable n’est pas nécessairement une décision correcte, et l’application d’une disposition légale discrétionnaire à un ensemble particulier de faits peut donner lieu à plus d’une décision raisonnable[5].

 

[22]           Comme norme de contrôle, j’appliquerai celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

L’ERREUR SUSCEPTIBLE DE CONTRÔLE

[23]           Le demandeur fait valoir que la décision qu’il conteste, ainsi que les documents de travail utilisés par le défendeur pour arriver à ladite décision, donnent à penser que la période visée par le redressement qu’il sollicitait allait de 1997 à 2003, alors que le redressement qu’il sollicite concerne la période qui va de 1993 jusqu’à aujourd’hui, et il ajoute que le ministre [traduction] « a utilisé la période de rétablissement, après une série de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du demandeur, pour lui infliger des pénalités et intérêts élevés », ce qui n’était ni juste ni équitable.

 

[24]           Les documents dont la Cour est saisie n’appuient pas la position avancée par le demandeur[6].

 

[25]           La lettre de décision précise que la période considérée de production des déclarations de revenus va de 1997 à 2003, mais les documents soumis à la Cour ne permettent pas d’affirmer que les années antérieures visées par la requête du demandeur n’ont pas été prises en compte. La décision contestée est énoncée dans les termes suivants :

[traduction] J’ai examiné tous les renseignements pertinents, et j’ai décidé d’annuler les intérêts allant du 11 avril 2004 au 31 janvier 2005 pour les années susmentionnées. Il s’agit là de la période au cours de laquelle vous étiez soigné par votre médecin. Je reconnais que vous avez subi des revers dans vos activités professionnelles, mais votre lettre ne précise pas la raison pour laquelle les déclarations des années 1997, 1998 et 1999 n’ont pas été produites à temps. Plus des trois quarts des pénalités et intérêts imposés se rapportaient à ces trois années.

 

[26]           La mention, dans la lettre, de la « période de production des déclarations de revenus » est en effet regrettable, mais, en fait, l’indication selon laquelle la majeure partie des pénalités et intérêts imposés concernait surtout les années comprises dans la période indiquée est parfaitement exacte. Les pénalités et intérêts imposés pour les années plus récentes étaient soit nuls, soit relativement négligeables.

 

[27]           De plus, bien qu’il soit sans doute techniquement inexact d’affirmer que les arguments en faveur de mesures d’équité ne précisaient pas « la raison pour laquelle les déclarations des années 1997, 1998 et 1999 n’ont pas été produites à temps », les événements allégués pour justifier le dépôt tardif des déclarations des années en question étaient relativement éloignés. Le demandeur a reconnu à l’audience qu’il aurait pu produire à temps les déclarations portant sur ces années‑là, compte tenu des documents et renseignements qu’il avait alors à sa disposition et, une fois en possession de documents et renseignements complets et détaillés, il aurait pu, le cas échéant, produire des déclarations modifiées. Le demandeur a choisi délibérément de ne pas s’y prendre ainsi. Ce choix s’est révélé un choix coûteux, mais c’est peut‑être celui qui lui a semblé le plus raisonnable à l’époque et dans les circonstances qui avaient cours alors. C’était, en définitive, son choix à lui, un choix qui s’est révélé fort onéreux.

 

[28]           Compte tenu de l’ensemble des documents dont le décideur était saisi, et appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, je suis convaincu qu’il était loisible au décideur d’arriver à la décision qui est ici contestée.

 

DISPOSITIF

[29]           Compte tenu de la brève analyse qui précède, je suis convaincu que, comme je l’ai indiqué au demandeur et à l’avocat du défendeur à la fin de l’audition de la demande de contrôle judiciaire, la demande doit être rejetée.

 

DÉPENS

[30]           Le défendeur sollicite l’adjudication de dépens contre le demandeur, puisqu’il a obtenu gain de cause dans cette demande. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales[7], je refuse de condamner le demandeur aux dépens. Il ne sera pas adjugé de dépens.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 7 novembre 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T‑324‑05

 

INTITULÉ :                                                            COYNE TEDFORD

                                                                                                                                           demandeur

                                                                                                et

                                                                                

                                                                                 LE procureur général du Canada

                                                                                                                                             défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 31 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                       LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 7 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Coyne Tedford

 

POUR LE DEMANDEUR

(autoreprésenté)

 

Steven D. Leckie

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Néant

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]  L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1.

[2] L.R.C. 1985, ch. F‑7.

[3] Voir l’arrêt Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2005] A.C.F. n° 587, 2005 CAF 122, 8 avril 2005, au paragraphe 26.

[4] [2005] A.C.F. n° 1460 (1re inst.), 2005 C.F. 1201, 2 septembre 2005 (non cité devant la Cour).

[5] Voir le jugement Maloshicky c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. n° 1203, 2005 C.F. 978, 12 juillet 2005 (non cité devant la Cour).

[6] Voir par exemple la page 55 du dossier du défendeur, où l’on peut trouver des indications concernant les années antérieures visées par la requête du demandeur pour l’application de mesures d’équité.

[7] DORS/98‑106.

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