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Date : 20061107

Dossier : T-2037-05

Référence : 2006 CF 1340

Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

JOHN GLOFCHESKIE, VORSHAL HANDA

et DON HORNING

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               John Glofcheskie sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un tiers indépendant a conclu que l’Agence des douanes et du revenu du Canada n’avait pas agi de façon arbitraire en tenant compte de [traduction« considérations budgétaires associées à l’emplacement géographique » lorsqu’elle avait doté certains postes de vérificateur principal à son bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest.

 

Historique

[2]               M. Glofcheskie travaille comme vérificateur de l’impôt de niveau AU‑3 au bureau des services fiscaux de Toronto-Est de l’Agence.

 

[3]               Le 1er décembre 2000, un avis de possibilité d’emploi a été affiché pour des postes de chef d’équipe de niveau AU‑4 au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest. Selon l’avis, les employés de l’Agence qui occupaient des postes dans la région du Sud de l’Ontario étaient admissibles au processus de dotation.

 

[4]               Ce processus visait à permettre d’établir un répertoire de candidats qualifiés à partir duquel des postes précis de niveau AU‑4 pourraient être dotés au fur et à mesure que le besoin s’en ferait sentir.

 

[5]               Quant aux critères de placement, l’avis indiquait que les décisions individuelles de placement seraient fondées sur l’un ou plusieurs d’un certain nombre de critères établis, notamment sur [traduction] « les considérations budgétaires associées à l’emplacement géographique » (les CBAEG).

[5]

[6]               D’autres critères possibles de placement comprenaient la capacité des candidats de communiquer de vive voix et de faire des présentations, la connaissance des initiatives de l’Agence, les relations interpersonnelles, le jugement et le souci du service à la clientèle ainsi que l’esprit d’équipe.

 

[7]               M. Glofcheskie a participé au processus de dotation; il a été conclu qu’il remplissait les conditions préalables fondamentales de participation, notamment la condition selon laquelle il devait travailler dans la région du Sud de l’Ontario de l’Agence.

 

[8]               M. Glofcheskie a ensuite été invité à participer à l’étape de l’évaluation du processus. Il a franchi cette étape; il a donc été inscrit dans le répertoire de candidat susceptibles d’être choisis pour occuper des postes AU‑4 au bureau des services fiscaux de Toronto‑Ouest.

 

[9]               En 2001, un certain nombre de candidats inscrits dans le répertoire ont été choisis pour occuper des postes au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest. M. Glofcheskie n'était pas de ce nombre. Le bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest faisait de toute évidence face à un déficit à ce moment‑là, mais les considérations budgétaires associées à l’emplacement géographique n’ont pas été prises en compte à l’égard de ces placements; or, les candidats reçus n’étaient pas tous à l’emploi du bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest avant de se voir attribuer un poste de niveau AU‑4.

 

[10]           À la fin de 2001, d’autres candidats inscrits dans le répertoire ont été choisis pour occuper des postes par intérim. Cette fois, le critère des CBAEG a été appliqué, et seuls les candidats qui travaillaient déjà au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest ont été placés à des postes AU‑4. Au  mois de mai 2003, ces placements sont devenus permanents.

 

[11]           Dans l’intervalle, au mois d’avril 2003, M. Glofcheskie a cherché à obtenir des éclaircissements au sujet du critère des CBAEG; il a été informé que le bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest ne pouvait pas ajouter de personnel venant de l’extérieur du bureau tant que le déficit n’était pas éliminé. Le critère des CBAEG était donc appliqué, de sorte que seuls les candidats qui travaillaient alors au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest seraient pris en considération aux fins du placement.

 

[12]           M. Glofcheskie a ensuite demandé une « rétroaction individuelle » au sujet du processus, conformément aux politiques de dotation de l’Agence. Cette fois, il a été informé qu’il n’avait pas réussi à obtenir un poste de AU‑4 par suite de l’application du critère des CBAEG.

 

[13]           M. Glofcheskie a ensuite demandé un examen par un tiers indépendant en ce qui concerne l’utilisation par l’Agence du critère des CBAEG; il alléguait que la zone de sélection pour les postes de niveau AU‑4 était régionale, que les budgets de l’Agence étaient alloués et administrés sur une base régionale et que sa nomination à un poste AU‑4 n’aurait aucune incidence sur la masse salariale régionale. En outre, il n’aurait pas eu droit aux frais de réinstallation, étant donné qu’il vivait déjà dans la zone.

 

[14]           L’examen n’a pas immédiatement eu lieu; en effet, les parties attendaient le résultat d’un autre cas dans lequel des questions similaires étaient soulevées (l’affaire Guinard). L’examen n’a été effectué qu’après que la décision eut été rendue dans l’affaire Guinard et après que l’Agence se fut désistée de la demande de contrôle judiciaire qu’elle avait présentée à la suite de cette décision; l’examen a abouti à une décision de la part du tiers indépendant, au mois d’octobre 2005.

 

La décision du tiers indépendant

[15]           L’examen du cas de M. Glofcheskie a été effectué par un tiers indépendant (l’examinatrice), désigné conformément aux politiques de dotation de l’Agence.

 

[16]           L’examinatrice a accepté la prétention de M. Glofcheskie selon laquelle elle était tenue de déterminer si la décision d’appliquer le critère des CBAEG que l’Agence avait prise en matière de dotation était arbitraire, et non simplement si la décision avait été prise de bonne foi.

 

[17]           Sur ce point, l’examinatrice a conclu que le bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest faisait face à d’importantes restrictions budgétaires, qu’il ne pouvait pas ajouter de sommes à son budget au titre des salaires tant que le déficit n’était pas éliminé, et que ces restrictions budgétaires avaient donné lieu à l’utilisation du critère des CBAEG. En outre, l’examinatrice a conclu que l’Agence avait agi d’une façon transparente dans l’utilisation de ce critère.

 

[18]           En outre, l’examinatrice a conclu que les nominations AU‑4 avaient été effectuées compte tenu d’autres exigences particulières du poste à combler, notamment la capacité de communiquer de vive voix, les bonnes relations interpersonnelles, le jugement et l’esprit d’équipe.

 

[19]           L’examinatrice a également conclu qu’il n’y avait pas eu de restriction de la zone de sélection. Sur ce point, l’examinatrice a conclu que les politiques d’application générale devaient être suivies, mais que s’il existait un motif évident de déroger à la politique, l’omission de suivre cette politique n’était pas arbitraire.

 

[20]           L’examinatrice a rejeté la prétention de M. Glofcheskie selon laquelle le critère des CBAEG avait été utilisé d’une façon arbitraire comme outil de présélection. De l’avis de l’examinatrice, l’Agence devait être autorisée à répondre aux circonstances changeantes en appliquant des critères appropriés lorsque le besoin s’en faisait sentir d’évidence.

 

[21]           Le fait qu’une réaffectation régionale temporaire des fonds aurait peut-être été possible n’aurait pour autant pas réglé la crise budgétaire du bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest, étant donné que ces fonds devaient finalement être remboursés. D’autres solutions s’offraient peut-être au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest pour venir à bout du déficit budgétaire, mais l’examinatrice a fait remarquer qu’elle était uniquement autorisée à déterminer si la procédure choisie était arbitraire.

 

[22]           L’examinatrice a refusé d’examiner d’autres placements de niveau AU‑4 effectués par l’Agence en 2001, en 2002 et en 2005, étant donné qu’il s’agissait de processus distincts dont elle n’était pas saisie. En outre, en l’absence de la preuve budgétaire nécessaire, l’examinatrice a conclu que l’examen de ces placements serait peu utile.

 

[23]           Enfin, l’examinatrice a refusé d’examiner la question de savoir si M. Glofcheskie avait fait l’objet d’une distinction en raison du bureau où il travaillait puisqu’il ne s’agissait pas de l’un des motifs énumérés énoncés dans la définition du mot « arbitraire ».

 

La politique et les procédures de l’Agence en matière de dotation

[24]           Afin de situer les questions soulevées dans la demande de M. Glofcheskie, il faut d’abord comprendre jusqu’à un certain point la politique et les procédures de l’Agence en matière de dotation, dans la mesure où elles se rapportent aux questions qui se posent en l’espèce.

 

[25]           L’Agence a été établie en 1999; elle s’appelait initialement l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Le paragraphe 53(1) de la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17 (la LADRC) confère à l'Agence compétence exclusive pour nommer son personnel. Le paragraphe 54(1) de la Loi exige que l’Agence « élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés ».

 

[26]           La dotation en personnel, au sein de l’Agence, est effectuée dans le cadre d’un programme de dotation établi conformément à l’article 54 de la LADRC. Ce programme prévoit un processus en trois étapes lorsque la dotation est effectuée au moyen d’un processus de préqualification tel que celui qui est ici en cause.

 

[27]           À la première étape, on procède à un examen des conditions préalables, semblable à un processus de « pré‑sélection », comportant l’évaluation de candidats par rapport à une liste préétablie de conditions indiquées dans l’avis de possibilité d’emploi.

 

[28]           Le Programme de dotation de l’Agence comporte une directive sur les zones de sélection, qui prescrit les zones de sélection minimales pour certains postes de niveau supérieur. Il est reconnu que pour un poste de vérificateur d’impôt de niveau AU‑4, cette directive exige que les postes soient mis à la disposition de personnes travaillant dans la zone en cause.

 

[29]           La directive laisse à la direction une certaine latitude sur ce point, en précisant que, « [d]ans des circonstances exceptionnelles, les personnes autorisées peuvent restreindre les zones de sélection prescrites ».

 

[30]           En l’espèce, il n’est pas soutenu que des « personnes autorisées » sont intervenues pour limiter la zone de sélection prescrite au bureau des services fiscaux de Toronto-Ouest, compte tenu de l’existence de « circonstances exceptionnelles ».

 

[31]           Une fois que les candidats ont satisfait aux conditions préalables, ils passent à l’étape de l’évaluation, qui comporte une comparaison des compétences et qualités des candidats par rapport à des critères d’évaluation établis. Les candidats jugés qualifiés sont alors inscrits dans le répertoire à partir duquel les placements peuvent finalement être effectués.

 

[32]           La dernière étape du processus est celle du placement, la sélection étant alors effectuée parmi les candidats qualifiés inscrits dans le répertoire « en fonction des besoins opérationnels particuliers de l'organisation ».

 

[33]           Les dispositions relatives à l’étape du placement figurant à l’annexe E1 des Lignes directrices concernant la dotation de l’Agence prévoient que les critères de placement peuvent inclure, entre autres choses, le lieu géographique des candidats, c’est‑à-dire qu’en décidant du candidat à embaucher parmi les candidats inscrits dans le répertoire, la direction de l’Agence peut fonder la sélection sur une « préférence locale en fonction des contraintes budgétaires ».

 

[34]           Compte tenu des politiques et procédures de l’Agence en matière de dotation, j’examinerai maintenant les questions que M. Glofcheskie a soulevées dans la présente demande.

 

Les points en litige

[35]           Selon M. Glofcheskie, la décision de l’examinatrice est viciée, et ce, pour les raisons suivantes :

 

            1.         l’examinatrice n’a pas tiré les conclusions nécessaires pour étayer la conclusion selon laquelle l’utilisation par l’Agence du critère des CBAEG était conforme aux propres politiques de l’Agence concernant la zone de sélection et la transparence;

 

            2.         l’examinatrice n’a pas tenu compte de l’allégation de M. Glofcheskie selon laquelle les CBAEG étaient appliquées de manière à faire une distinction arbitraire entre les candidats;

 

            3.         l’examinatrice a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait lorsqu’elle a conclu que les problèmes budgétaires du bureau de Toronto-Ouest rendaient nécessaire l’utilisation du critère des CBAEG;

 

            4.         l’examinatrice a commis une erreur en ne se conformant pas à son mandat du fait qu’elle n’a pas tenu compte de la décision rendue par l’examinateur dans l’affaire Guinard – où les faits étaient presque identiques, et dans laquelle l’examinateur était arrivé à la conclusion contraire à celle à laquelle elle était arrivée en l’espèce.

 

La norme de contrôle

[36]           Les parties s’entendent pour dire que la décision de l’examinatrice, quant à la question de savoir si l’Agence avait agi d’une façon arbitraire en appliquant le critère des CBAEG, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[37]           Dans la décision Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Kapadia, [2005] A.C.F. no 2086, 2005 CF 1568, la juge Kelen a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle au sujet de la décision rendue par un tiers indépendant, laquelle portait sur une question de traitement arbitraire à l’étape du placement. La juge Kelen a conclu qu’une telle décision devait être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

[38]           Je souscris à cette conclusion et je fais mienne l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par la juge Kelen.

 

Analyse

[39]           Je n’ai pas l’intention de traiter des trois premières questions soulevées par M. Glofcheskie, puisque je suis convaincue qu’eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, l’omission de l’examinatrice de faire expressément mention, dans ses motifs, de la décision Guinard  constitue une erreur susceptible de contrôle, de sorte que la décision doit être annulée.

 

[40]           En arrivant à cette conclusion, je note que les Directives de l’Agence concernant les tiers indépendants prévoient que chaque cas est considéré comme un cas d’espèce, et que les décisions antérieurement rendues par les tiers indépendants n’ont pas valeur de précédent. Ceci dit, ces lignes directrices prévoient également que les tiers indépendants sont tenus [traduction] d'« examiner les décisions pertinentes qui s'appliquent au cas à l'étude ».

 

[41]           Cela est tout à fait logique; en effet, il serait difficile de maintenir, dans le processus de dotation, le traitement égal et équitable promis par l’Agence si chaque examinateur pouvait tout simplement adopter sa propre approche idiosyncratique au sujet des questions en litige, sans aucunement tenir compte des décisions d’autres examinateurs portant sur des questions similaires.

 

[42]           Cela ne veut pas dire que les décisions antérieures pertinentes lient l’examinateur, mais plutôt que l’examinateur doit du moins examiner les décisions avant d’arriver à sa propre décision sur le point.

 

[43]           Il s’agit donc en premier lieu de savoir si la décision rendue dans l’affaire Guinard était pertinente dans l’examen du cas de M. Glofcheskie.

 

[44]           Comme c’est le cas pour M. Glofcheskie, l’affaire Guinard portait sur l’application, à l’étape du placement, d’un critère géographique plus restrictif que celui qui était spécifié à l’étape des conditions préalables.

 

[45]           En effet, comme c’est le cas pour M. Glofcheskie, les conditions préalables applicables au poste en question dans l’affaire Guinard stipulaient que quiconque travaillait dans une zone précise de l’Agence pouvait se prévaloir du processus, et comme c’est le cas pour M. Glofcheskie, une zone géographique plus restreinte avait été appliquée à l’étape du placement, et ce, pour des raisons d’ordre budgétaire.

 

[46]           Il est vrai que, contrairement à ce qui était le cas pour M. Glofcheskie, l’avis de possibilité d’emploi, dans l’affaire Guinard, ne précisait pas que les critères des CBAEG pouvaient être utilisés à l’étape du placement.

 

[47]           Toutefois, un examen minutieux de la décision Guinard révèle que la décision ne dépendait pas de l’omission de l’Agence d’inclure un tel critère dans l’avis de possibilité d’emploi. Dans la décision Guinard, l’examinateur était plutôt d’avis que, compte tenu de la zone de sélection minimale obligatoire mentionnée dans la Directive sur les zones de sélection, il n’était tout simplement pas loisible à l’Agence, en l’absence de « circonstances exceptionnelles », de restreindre, à l'étape du placement, la zone de sélection par rapport à celle dont il était fait mention dans l’avis de possibilité d’emploi. Cela étant, la décision se rapportait clairement aux questions dont l’examinatrice était saisie en l’espèce.

 

[48]           Il ressort également d’une façon évidente de la conduite des parties en l’espèce qu’elles ont toutes deux clairement reconnu que, malgré les différences factuelles susmentionnées, la décision Guinard était fort pertinente en l’espèce.

 

[49]           En fait, bien que l’Agence essaie maintenant de faire une distinction entre les faits de l’affaire Guinard et ceux qui sont ici en cause, l’Agence et M. Glofcheskie comprenaient tous deux clairement et admettaient que la décision que l’examinateur rendrait dans l’affaire Guinard était fort pertinente en l’espèce, comme le démontre le fait qu'il a été convenu que le cas de M. Glofcheskie devait être tenu en suspens en attendant qu’une décision finale soit rendue dans l’affaire Guinard.

 

[50]           En outre, il n’est pas maintenant loisible à l’Agence de soutenir que la décision Guinard a cessé d’être pertinente en l’espèce, compte tenu du raisonnement que l’examinateur y a fait. En effet, l’Agence n’a jamais soutenu que la décision Guinard n’était plus pertinente en l’espèce à cause du raisonnement effectué par l’examinateur; de plus, les parties ont clairement reconnu et admis que cette décision était encore pertinente, de sorte qu’elles se sont entendues pour que le cas de M. Glofcheskie continue à être tenu en suspens en attendant que la Cour fédérale rende une décision finale dans l’affaire Guinard.

 

[51]           De fait, ce n’est que lorsque l’Agence s’est désistée de la demande de contrôle judiciaire qu’elle avait présentée à la suite de la décision rendue par l’examinateur dans l’affaire Guinard que le cas de M. Glofcheskie est allé de l’avant.

 

[52]           Puisqu’il a été conclu que la décision Guinard était pertinente en l’espèce, il s’agit ensuite de savoir si le fait que l’examinatrice a omis de mentionner la décision Guinard dans ses motifs veut dire qu'elle n'a pas examiné la décision, comme l’exigent les Lignes directrices de l’Agence concernant les tiers indépendants.

 

[53]           L’Agence signale qu’une copie de la décision Guinard avait été versée au dossier certifié du tribunal et que l’examinatrice devait donc l’avoir devant elle lorsqu’elle a rendu sa décision. Selon l’Agence, on ne saurait inférer de l’omission de l’examinatrice de mentionner expressément l’affaire Guinard dans sa décision qu’elle n’en a pas tenu compte dans ses délibérations.

 

[54]           Il est vrai qu’il est généralement présumé que les arbitres tiennent compte de tous les éléments de preuve mis à leur disposition, et j’admets que cette présomption générale doit s’étendre à la jurisprudence figurant dans le dossier du tribunal.

 

[55]           Une telle présomption existe, mais lorsque la preuve en question a une importance cruciale quant aux questions en litige, l’omission d’un arbitre de mentionner cette preuve peut nous amener à inférer qu’il n’en a pas tenu compte : voir, par exemple Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35, paragraphes 14 à 17.

 

[56]           Il était loisible à l’examinatrice d’essayer de faire une distinction avec les conclusions tirées par l’examinateur dans la décision Guinard, ou tout simplement de ne pas y souscrire. Toutefois, eu égard aux faits particuliers de l’affaire, je conclus que la décision Guinard avait une importance cruciale en ce qui concerne les questions qui se posent ici, et en ce qui concerne les parties elles-mêmes. Dans ces conditions, il était déraisonnable pour l’examinatrice d'omettre totalement d’en faire mention dans sa décision.

 

[57]           En outre, l’omission de l’examinatrice de traiter de la décision Guinard dans ses motifs permet de poser la question de savoir si elle a de fait examiné la décision. La chose nous amène ensuite à nous demander si l’examinatrice s’est acquittée de façon appropriée du mandat que lui conféraient les Lignes directrices concernant les tiers indépendants d’examiner toutes les décisions pertinentes.

 

[58]           Étant donné que la décision de l’examinatrice ne peut pas résister à un examen assez poussé, elle doit être annulée.

 

[59]           La conclusion que je tire sur ce point ne veut pas pour autant dire qu’un examinateur doit au moins mentionner en passant, dans ses motifs, chaque décision qui pourrait être pertinente dans le cas dont il est saisi, à défaut de quoi la décision pourrait être annulée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[60]           Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, il existe une décision qui est clairement pertinente aux questions qui se posent, pertinence qui a clairement été reconnue et admise par les parties, il est déraisonnable pour l’examinateur de ne même pas mentionner la décision dans ses motifs et cela constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

Conclusion

[61]           Pour ces motifs, la demande sera accueillie avec dépens. La décision de l’examinatrice sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre examinateur pour nouvelle décision, avec la directive selon laquelle le nouvel examinateur doit examiner, dans ses délibérations, la décision rendue par l’examinateur Marszewski dans l’affaire Guinard et en tenir compte.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande est accueillie avec dépens. La décision de l’examinatrice est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre examinateur pour nouvelle décision, avec la directive selon laquelle le nouvel examinateur doit examiner, dans ses délibérations, la décision rendue par l’examinateur Marszewski dans l’affaire Guinard et en tenir compte.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2037-05

 

INTITULÉ :                                                   JOHN GLOFCHESKIE et al.

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charlene Wiseman                                            POUR LES DEMANDEURS

Lyle Kanee

 

Alexander Gay                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sack Goldblatt Mitchell LLP                             POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, Q.C.                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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